La commission des lois du Sénat a adopté, mercredi 2 février, à l'unanimité une proposition de loi de Hugues Portelli (UMP) avec pour rapporteur Jean-Pierre Sueur (PS) comportant une série de mesures pour rendre plus transparents et rigoureux les sondages politiques. Si le texte est adoptée par le Sénat, le 14 février, puis par l'Assemblée nationale, il modifierait les obligations des sondeurs et des médias.
Etendre les obligations liées aux "sondages politiques". Cette appellation "sondages politiques" serait définie et appliquée, pour ne pas induire en erreur la population. En effet, actuellement, certaines études échappent aux obligations appliquées par exemple aux sondages d'intentions de vote : échantillon représentatif, publication d'une notice méthodologique... Ces obligations s'appliqueraient désormais à tous les "sondages politiques", y compris ceux sur le bien-fondé de réformes, beaucoup utilisés dans la presse. Le rapport des deux sénateurs citait l'exemple d'une étude Ipsos de juin 2009 sur la future réforme des collectivités territoriales. Mais aussi sur le vaccin contre la grippe ou sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie. Les études qui ne correspondraient pas aux critères – des simples "consultations" du type "question du jour" ou "votre avis nous intéresse" ne pourraient s'appeler "sondages" indûment. "C'est la sincérité du débat politique dans son ensemble qu'il convient ainsi de préserver", estiment les rapporteurs.
Préciser l'acheteur et le commanditaire d'un sondage. Les rapporteurs prévoyaient la publication d'une mention obligatoire "dans l'éventualité – assez rare il est vrai – où l'acheteur du sondage est différent du commanditaire". Il semble que cette mesure soit en une réponse à l'affaire des sondages de l'Elysée : la Cour des comptes s'était étonnée que la présidence ait commandé des études alors que leurs résultats étaient également publiés dans la presse. La société des rédacteurs du Figaro avait estimé qu'il existait une forme de "coproduction" des sondages, dangereuse ; accusation démentie à l'époque par le directeur, Etienne Mougeotte.
En se gardant de citer l'affaire des sondages de l'Elysée, les rapporteurs écrivaient : "Il a pu arriver que la personne qui achète le sondage ne soit pas celui qui l'a commandé, cette dernière souhaitant rester discrète et s'abriter, par exemple, derrière une association." Et préconisaient que "toute la chaîne" soit désormais connue du public, notamment dans le cas des études "omnibus", dont les questions sont payées par des donneurs d'ordre différents, pour réduire les coûts.
Publier les données non "redressées". C'est un point très polémique. Il s'intéresse aux méthodes de redressement, un sujet sensible depuis des années. Ces techniques permettent aux sondeurs de corriger les "données brutes" des réponses des sondés, pour prendre en compte notamment leur propension à ne pas dire la vérité dans certains cas. Le plus emblématique étant le score du Front national, toujours revu à la hausse a posteriori. Pour ce faire, les sondeurs expliquent qu'ils utilisent les scores des vrais scrutins, comparés aux données brutes, et qu'ils arrivent à de bons résultats.
Les rapporteurs veulent obliger les instituts à publier leurs méthodes de redressement, voire leurs données brutes. Une proposition déjà vivement combattue par certains sondeurs et politologues, dont Pascal Perrineau, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). "Il peut y avoir des débats sur la manière de redresser, mais pourquoi publier des chiffres bruts dont on sait de manière absolue qu'ils sont faux", fait valoir Jean-François Doridot, directeur général de Ipsos Public Affairs, interrogé par Slate.fr. Pour certains sondeurs, il est illusoire de chercher des biais cachés dans les chiffres des études, et beaucoup d'erreurs viennent des interprétations faites, notamment dans la presse.
Mais les méthodes de redressement sont réellement un point sensible, qui touchent aux "recettes" de chaque institut, gardées jalousement sur un marché concurrentiel. Elles ont parfois fait l'objet de vrais débats, notamment lors de la présidentielle 2007, lorsque l'institut CSA donnait des intentions de vote pour Jean-Marie Le Pen supérieures aux autres instituts.
Interdire la "gratification" des sondés. C'est un autre point polémique. Le rapport préconise d'interdire "aux personnes interrogées de recevoir une gratification de quelque nature que ce soit". Il arrive parfois, notamment lorsque l'enquête est effectuée par Internet, que les sondés reçoivent des bons d'achats pour leur participation. L'idée des rapporteurs serait de partir du principe que répondre à un sondage est un geste "citoyen". Cette proposition est jugée "idiote" par Pascal Perrineau, cité par le JDD.fr : "Nous leur demandons un vrai travail, c'est normal qu'il y ait une rémunération, même légère, mais une rémunération, qui est un instrument de fidélisation."
"Dans les enquêtes sur Internet notamment, il est important de réguler cette pratique, estime la députée socialiste Delphine Batho. Des gens m'ont raconté qu'ils vivaient presque grâce aux rémunérations des études, ce qui en fait des professionnels du sondage plus que des personnes représentatives de la population."
Réglementer les sondages de second tour. C'est un point également sensible depuis longtemps, mais probablement moins difficile à faire adopter. Un cas récent a été commenté : un sondage donnait Martine Aubry battant Dominique Strauss-Kahn au second tour de la primaire socialiste, mais elle n'aurait pourtant pas été qualifiée au premier tour, arrivant troisième, selon ce même sondage. "C'est trompeur", estime Delphine Batho. Les partisans de Ségolène Royal, mais ils ne sont pas les seuls, se rappellent aussi les sondages de second tour qui, lors de la campagne présidentielle de 2007, testaient François Bayrou, alors que celui-ci restait troisième au premier tour.
Les rapporteurs proposent de ne plus faire des sondages de second tour sur des hypothèses qui ne correspondent pas aux résultats du premier tour.
Renforcement des contrôles des sondages a priori. Il est également proposé de ne plus contrôler les sondages seulement a posteriori, dans la période sensible du dernier mois avant le premier tour. Les instituts devraient donc envoyer, avant publication dans la presse, les données de leurs études à la Commission des sondages. Celle-ci pourrait émettre des avis que les médias seraient obligées de publier en même temps que le sondage.
Etendre les pouvoirs et l'indépendance de la Commission des sondages. Les parlementaires Sueur et Portelli préconisent une modification de la composition de cette institution, dont l'action est jugée trop timide : six magistrats – au lieu de neuf aujourd'hui – et cinq personnalités qualifiées (contre deux). Delphine Batho salue également l'interdiction faite aux membres d'avoir travaillé pour l'industrie des sondages dans les trois années précédentes, pour éviter que le contrôle soit une "autorégulation".
Le texte demande également que les mises au point soient largement diffusées, et envisagent un délit d'entrave à son action. Ils veulent également établir son autonomie budgétaire, garant de son "indépendance".
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