Les pêcheurs ont ouvert la boîte de Pandore. Ils voulaient dénoncer la flambée du gazole. Et la baisse des prix auxquels ils vendent leur poisson, alors que le consommateur paie toujours aussi cher. Mais l'Office national interprofessionnel des produits de la mer (Ofimer) a échoué pour l'heure à identifier des marges abusives à un maillon quelconque de la chaîne du poisson. En revanche, on découvre aujourd'hui à quel point les pêcheurs ont oeuvré à leur malheur.
Bien sûr, les pêcheurs connaissent une crise aiguë. Ils vendent leurs prises pratiquement au même prix qu'il y a dix ans alors que le prix du gazole a explosé et que les Français mangent de plus en plus de produits de la mer. La hausse de la demande a profité à d'autres acteurs : aux importateurs et aussi aux transformateurs, selon une récente étude du cabinet Precepta. Le poisson frais a reculé au profit du surgelé et surtout des produits traiteur réfrigérés (poissons fumés, crevettes cuites, surimi...). Le poisson d'élevage accentue aussi la concurrence, surtout depuis l'arrivée d'espèces exotiques moins chères. L'an dernier, les ventes de perches du Nil ont augmenté de 13 %, ce poisson pesant 6 % du marché contre 9 % pour le cabillaud.
Face à cette concurrence croissante, les artisans de la mer supportent de plus en plus mal les quotas de pêche imposés par Bruxelles. D'abord, ces quotas ont traditionnellement été beaucoup moins contraignants pour la pêche minotière, celle des petits poissons utilisés pour la farine alimentant les poissons d'élevage. Or il faut cinq à six kilos de poissons pour produire un kilo de saumon d'élevage. Difficile de parler de développement durable.
Ensuite et surtout, les quotas seraient déconnectés de la réalité. Les pêcheurs citent l'exemple des stocks de cabillaud qui se seraient amplement reconstitués dans la partie méridionale de la mer du Nord, contrairement à la zone nord. Or la Commission ne considère qu'une seule zone. Elle ferait donc supporter aux Français des quotas aussi infondés que ravageurs. A Boulogne-sur-Mer, des pêcheurs ont épuisé dès avril leurs maigres quotas 2008 et se voient contraints de rejeter à la mer le cabillaud pris dans leurs filets, soit jusqu'à la moitié de leurs prises.
Mais si nul ne nie les difficultés, certains constatent qu'elles ne tombent pas toutes du ciel. Les pêcheurs y ont largement contribué et d'au moins trois manières. D'abord, sur la question des quotas. Certes, les pêcheurs les ont épuisés bien avant la fin de l'année. Mais le volume de cabillaud qu'ils ont vendu dans les halles à marée au premier trimestre a augmenté de 81 % par rapport à la même période en 2007. « Plutôt que de gérer la pénurie, les pêcheurs se sont précipités pour pêcher plus vite que le voisin et le prix moyen en halle a baissé de 13 % », estime l'Ofimer. Qui cite le contre-exemple des pays nordiques, où le quota de colin d'Alaska a baissé de 30 % et son prix fortement augmenté.
Cette désorganisation bien gauloise entraîne une deuxième faiblesse. Les pêcheurs français avancent en ordre dispersé face à une poignée de gros acheteurs. La plupart de leurs coopératives ont mis la clef sous la porte et ils y ont sans doute largement contribué en vendant en direct leurs meilleures prises pour n'écouler via la coopérative que la partie difficilement commercialisable. Certes, l'organisation n'est pas une condition suffisante, comme l'a montré l'exemple d'Arcachon il y a deux ans (les pêcheurs du cru s'étaient alors entendus pour exiger 1 euro de plus par kilo... et n'ont rien vendu, les mareyeurs se tournant vers les importations). Mais c'est nécessaire pour que les réformes de la filière envisagées par le ministère soient efficaces, comme l'ouverture du système actuel de vente à la criée aux détaillants.
Enfin, la question de la flotte. Ce n'est pas un hasard si la flotte de pêche française prend de plein fouet la flambée du gazole. Elle est constituée à 70 % de chalutiers. Ce type de bateau requiert moins de main-d'oeuvre mais, comme il tracte le chalut (le filet), plutôt que de le laisser statique, il brûle beaucoup plus de carburant. Pour pêcher certaines espèces de poissons, il y a d'autres solutions. Hervé Jeantet, président de l'Ofimer et PDG des armements Dhellemmes à Concarneau, a converti un chalutier de 30 mètres, l'« Aravis », pour en faire une senne danoise. Ce type de chalutier, dont la technique remonte à 1850, a un chalut statique qui utilise la force des mouvements marins et non celle du moteur. Depuis sa conversion en janvier 2007, la facture de gazole de l'« Aravis » a diminué de moitié. L'investissement nécessaire, rentabilisé en dix ans, est de 2,3 millions d'euros. Ce n'est pas forcément à la portée des pêcheurs artisanaux et leurs chalutiers, souvent plus petits que ceux d'Hervé Jeantet, n'ont pas toujours les caractéristiques permettant leur conversion. Mais n'est-ce pas justement le but des aides que de faire évoluer la flotte ? Or l'évolution est laborieuse. « A ma connaissance, le seul de la côte qui a suivi et qui a converti son chalutier est un pêcheur de Noirmoutier que nous avons aidé financièrement », avance Hervé Jeantet.
Le chalutier classique a un autre inconvénient : il a tendance, plus que d'autres, à abîmer le poisson. Et il n'est pas étonnant que du thon blanc abîmé, par exemple, se vende à un prix décevant. Quand le ministère de l'Agriculture et l'Ofimer appellent à « mieux valoriser la pêche française », ils font allusion notamment à cet aspect élémentaire de la qualité. Et quand ils suggèrent un meilleur tri pour offrir à l'acheteur une qualité standard, ils reconnaissent implicitement qu'elle est trop hétérogène.
Au final, la position des pêcheurs est délicate. On comprend qu'ils refusent de subir la même évolution que les pays du nord de l'Europe. En dix ans, la flotte chalutière anglaise a quasiment disparu. Elle s'est drastiquement concentrée en Ecosse, aux Pays-Bas ou en Allemagne, qui utilisent désormais des bateaux de plus de 100 mètres (alors que 5 % seulement des navires français dépassent les 24 mètres). Une stratégie néfaste pour l'environnement et l'emploi, mais plus rentable pour les entreprises. Les Français, dont la flotte de pêche ne s'est réduite que de 20 % et le tonnage pêché de 10 %, vont devoir naviguer serré pour trouver une troisième voie.
jeudi 5 juin 2008
Les pêcheurs vont devoir trouver une troisième voie
Frédéric Mitterrand : un mondain populaire à la Villa Medicis
Au terme du tollé lié à la nomination de Georges-Marc Benamou et de deux mois d’intenses tractations, c’est finalement Frédéric Mitterrand qui prendra la tête de la prestigieuse Villa Médicis de Rome. Saura-t-il faire l’unanimité ?
Voilà un nouveau succès pour Frédéric Mitterrand qui, à 61 ans, a été officiellement nommé hier par l’Elysée directeur de la Villa Médicis à Rome. L’homme de cinéma succèdera ainsi aux six ans de mandat du scénographe Richard Peduzzi.
Le neveu de l'ancien président de la République aura pour fonction de diriger l'un des plus prestigieux lieux de culture que la France possède à l'étranger. Il aura également pour tâche de faire oublier le tollé suscité fin mars par l’annonce de la nomination de Georges-Marc Benamou à l'époque conseiller en disgrâce de Nicolas Sarkozy pour la culture et la communication. Les milieux culturels lui reprochaient notamment d’avoir affirmé qu'il profiterait de ce poste "pour écrire son prochain livre".
Or gérer la Villa Médicis ne signifie pas porter des ambitions personnelles mais bien d’encadrer les créations actuelles. Pendant une année en effet, "écrivains, cinéastes, architectes, designers ou scénographes peuvent se consacrer à un travail en profondeur (…) et élaborer des projets communs avec des pensionnaires venus d'autres disciplines", comme l’explique au Monde Bruno Racine, président de la BNF, ancien directeur de l'Académie de France à Rome.
Madame Monsieur, bonsoââr
Pour faire taire la polémique, l’Elysée avait mis en place une commission où 10 personnalités ont d’abord été présélectionnées. N'ayant pas déposé de candidature, Georges-Marc Benamou ne figurait pas dans la liste. Il ne restait la semaine dernière que les noms de Sylvain Bellenger, conservateur en chef du patrimoine, Olivier Poivre d'Arvor, directeur de l'organisme culturel public Cultures France, et Frédéric Mitterrand. En choisissant l’homme à la singulière diction, Nicolas Sarkozy poursuit l’ouverture qui lui est chère.
Car, comme il l’écrit dans La mauvaise vie (Robert Laffont, 2005) le parcours de Frédéric Mitterrand n’est pas linéaire. Il a d’abord été prof d'histoire et d'éco avant de se lancer dans le cinéma –comme réalisateur notamment Madame Butterfly, Lettres d'amour en Somalie ou à la télé en tant qu’animateur d’émissions principalement sur le cinéma -Etoiles et toiles. Directeur des programmes de TV5 de 2003 à 2005, le Parisien de naissance est un gestionnaire reconnu qui a su tisser un immense réseau d’amitiés artistiques.
Mais pour faire flamboyer la culture française depuis la ville éternelle, il lui reste à séduire les milieux intellectuels de la création contemporaine.
Le capitalisme sans réponse
Face aux excès du capitalisme industriel du XIXe siècle, des réponses sont venues des contrepouvoirs démocratiques et syndicaux et, dans l'ordre intellectuel, d'une doctrine systématisée par l'analyse marxiste. Ses remèdes étaient discutables, mais son diagnostic, au moins en parti pertinent. Le capitalisme financier d'aujourd'hui ne connaît ni ce privilège ni cette menace. Le moment serait venu de lui opposer autre chose que le populisme tyrannique de Chavez, les agitations de Die Linke ou les anecdotes anticapitalistes de Besancenot. Ce ne serait pas tant par goût de la doctrine que par nécessité de formaliser le diagnostic pour appliquer le traitement.
Le spectacle du monde fournit le diagnostic : la crise actuelle du crédit, après les multiples autres krachs financiers, est la dernière sanction d'une finance enivrée d'elle-même, avide de rendements et de bonus, se jouant des contrôles. La spéculation effrénée sur le pétrole et les produits alimentaires détraque les références et affame les populations par l'effet combiné de la voracité des spéculateurs, de la corruption des décideurs et d'une certaine anarchie des marchés. Là-dessus, en pleine lumière grâce aux médias et comme sur un volcan, des dirigeants gloutons s'octroient des ponts d'or qui bravent l'économie, la morale ou simplement la pudeur. Les points communs de toutes ces dérives se résument en peu de mots. Une course aux profits, classique mais déconnectée de l'économie réelle ; une montée de comportements prédateurs d'une rare inintelligence économique et sociale.
Car cette accumulation de dysfonctionnements économiques et financiers commence à générer de dangereux et choquants problèmes de société. Les pays pauvres s'enfoncent dans le drame, les émergents dans des inégalités sociales criantes. Les nations anciennement industrialisées elles-mêmes voient s'alourdir leurs effectifs de pauvres et s'effilocher leurs classes moyennes, piliers traditionnels de leurs démocraties. Le mal, on le voit, excède largement le champ de l'économie, et plus encore le champ clos de la finance. Pour ce qui est d'elle, on connaît déjà les solutions techniques : contrôle strict des montages financiers par autodiscipline de la profession ou à défaut par réglementation rigoureuse, publicité organisée des rémunérations et des bonus par ailleurs restituables en cas de pertes sociales, fiscalisation de tous les avantages selon les règles élémentaires de la vie en commun... Mais, dans ce domaine comme dans celui des autres spéculations, les gouvernements sont liés par l'envie inavouée d'être le dernier à sévir, car les mouvements de capitaux plébiscitent les pouvoirs inexistants. A ce nouveau défi, une quelconque théorie marxiste ne pourra pas répondre, car elle traitait d'un capitalisme conquérant. Et il faut s'attaquer aujourd'hui à un capitalisme déliquescent.