TOUT EST DIT

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jeudi 3 février 2011

Le foul et le reste

Il y eut dans le passé la révolution des œillets au Portugal, des roses en Géorgie, des tulipes au Kirghizistan. Depuis la révolution du jasmin en Tunisie, c'est d'un autre œil que les Arabes, peuples et gouvernements, apprennent à considérer cette petite fleur blanche qui trouve soudain vocation bien plus exaltante que de rivaliser avec la menthe pour parfumer le thé.

Loi des séries ? Théorie des dominos ? Le fait est que l'exemple des Tunisiens descendant dans la rue pour balayer une dictature vieille de trente ans n'a pu que galvaniser un peuple égyptien dont l'atavique bonhomie a longtemps passé pour une incurable léthargie. Quand un homme, dix hommes, cent hommes osent, c'est un irrésistible - encore que trompeur - sentiment d'invulnérabilité qui submerge la foule de suivants. Que vienne à couler le sang, et ce sont les dirigeants qui peuvent soudain constater, incrédules, combien s'avèrent fragiles, malgré la répression, malgré le couvre-feu et autres mesures d'exception, les remparts qu'ils ont édifiés entre eux et leurs administrés.

Des élites gouvernantes chaque jour plus scandaleusement riches et des masses populaires chaque jour plus démunies : pour décisives toutefois que soient, chez les insurgés d'Égypte comme de Tunisie, les motivations d'ordre socio-économique, il y a là bien davantage en jeu que les frustes fèves des uns, le foul, et le brik des autres. C'est de liberté d'opinion et d'expression, c'est de justice qu'ont faim aussi ces sociétés écrasées jusqu'à l'étouffement par des régimes tyranniques. Dans plus d'une capitale, de ce côté de Suez, on s'alarme déjà du risque de contagion, on prend des précautions. On va même jusqu'à prendre les devants, comme ce roi Abdallah de Jordanie qui presse son propre gouvernement de hâter un train de réformes longtemps promis et longtemps rangé au frigo.

Est-ce déjà la démocratie en marche dans cette partie sinistrée du globe, ou pour le moins un avant-goût de démocratie ? Et des années plus tard (bien des catastrophes aussi, et pas seulement en Irak, pays livré à un terrifiant chaos), l'ironie du sort voudrait-elle donc que le projet de George W. Bush d'un Moyen-Orient nouveau commence à prendre forme sous son successeur Barack Obama ? Que penser par ailleurs des largesses américaines consenties aux ONG égyptiennes œuvrant pour le respect des droits civiques, et dont l'imposante consistance était révélée hier par WikiLeaks ? En appelant avec insistance à la souplesse et à la retenue un régime égyptien littéralement momifié, sourd à toute réclamation et caressant, de surcroît, des rêves dynastiques, les États-Unis viennent-ils d'acculer à la démission, ou alors à la sanglante fuite en avant du suicidaire, un allié de poids hier encore tenu pour irremplaçable ?

À plus d'un titre, c'est avec une exceptionnelle acuité que se posent ces questions ici même. Pour commencer, la même ironie du sort veut que fleurisse le jasmin ailleurs, à l'heure où un coup de froid frappe le printemps de Beyrouth, où la révolution du Cèdre connaît un grave revers, rattrapée qu'elle aura été par les dissensions internes comme par les flagrantes ingérences extérieures. Tous les Libanais ne roulent certes pas sur l'or ; ce n'est pas pour le pain, toutefois, qu'un million d'entre eux sont descendus dans la rue en 2005, mais pour exiger sans le moindre acte de violence - et obtenir ! - la levée de la tutelle syrienne, de même que l'arrêt, sanctionné par la justice, des attentats terroristes visant le pays. Et c'est bien pour contrecarrer ces deux objectifs vitaux, pour tenter de ramener les aiguilles de la pendule en arrière, qu'a été mis en œuvre un processus qui aura conduit à la crise la plus grave jamais connue par le système démocratique libanais.

Sans cesser de claironner leur soutien à un Liban indépendant et à la juridiction internationale, les puissances occidentales observent néanmoins une prudente expectative face à l'implosion du gouvernement de Saad Hariri et l'arrivée au Sérail du candidat du Hezbollah. Devoir de pragmatisme, nécessité de s'acclimater graduellement à un contexte nouveau ? Dernière ironie, c'est bien l'épreuve qui attend aussi tous ceux, au Liban et hors du Liban, qu'effraie tant un acte d'accusation parvenu à maturité.

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