La 77e Fête de l'Humanité a débuté vendredi à la Courneuve (93). L'événement musical et culturel attire de nombreux visiteurs venus écouter les rockeurs anglais Peter Doherty et Patti Smith... mais aussi des débats idéologiques et politiques.
Atlantico : La Fête de l’Humanité a débuté ce
vendredi, pour trois jours. Cette manifestation existe depuis 1930. Mais
désormais, les participants semblent plus motivés par les concerts,
avec cette année la présence de New Order et Patti Smith, que par les
débats idéologiques. La fête de l’Humanité a-t-elle encore un sens
politique ?
Sylvain Boulouque :
La Fête de l’Humanité a toujours comporté deux tableaux. Le bal et fête
populaire d’un côté avec une programmation musicale plus ou moins riche,
et ce depuis sa création ; et de l’autre côté, un contenu politique,
puisque c’est sa vocation. Elle garde un sens politique, même si
la fête a tendance à faire disparaître au moins pour certains
spectateurs, le côté politique. Ainsi, pour ne retenir que cet
exemple, lorsque Johnny Hallyday est venu chanter à la fête de
l’humanité, je ne pense pas que l’ensemble du public se soit passionné
pour les discours de Waldeck Rochet en 1966 ou de Georges Marchais en
1985… En revanche, la Fête de l’Humanité reste pour nombre de
militants leur fête et souvent le dernier lieu de rassemblement de la
famille communiste, même si la famille a été élargie. Il y a à
côté de la grande scène toutes les manifestations, les lieux de débats,
le village du livre. Ainsi, pour nombre d’éditeurs, la Fête de
l’Humanité est le lieu où ils trouvent un public. On peut voir en ce
début septembre une multitude de livres qui sont publiés à l’occasion de
la fête.
Patrick Apel-Muller : La
fête de l'Humanité a toujours été l'alliance d'une envie de culture et
d'une aspiration à débattre d'une autre manière de vivre et d'un
changement de société. Tout autant qu'avant, à la fête de
l'Humanité, les stands qui organisent des débats sont combles du début à
la fin du festival, avec des fosses qui représentent de 600 à 1200
personnes pour certains débats.
La
dimension politique est tout à fait présente, avec un meeting qui
réunit des dizaines de milliers de personnes sur la grande scène le
dimanche. C'est un endroit qui ambitionne finalement de satisfaire à
beaucoup des aspirations de l'humanité : la culture, le plaisir, la
gastronomie, l'échange, la solidarité avec les peuples du monde...
C'est ce mariage entre culture et politique qui fait le cocktail
inégalé en France de la fête de l'Huma. C'est aujourd'hui le seul
endroit où des centaines de milliers de personnes peuvent à la fois
faire de la politique et apprécier les spectacles.
Olivier Dartigolles : Est-ce que les gens viennent pour écouter des concerts ? Oui, c'est un lieu festif. Mais beaucoup viennent aussi avec un appétit de débats et de politique. C'est
une fête à la fois populaire et politique.Vous ne verrez nulle part
ailleurs dans notre pays une telle effervescence de débats. Quand vous
déambulez dans les allées de la fête, vous trouvez des espaces de débats
qui n'arrivent pas à contenir l'affluence qui s'y presse : pour
écouter, mais aussi pour participer.
La Fête de
l'Huma sonne depuis de très nombreuses années la rentrée pour la gauche
politique et sociale. Cette année, je suis sûr que deux questions
politiques très fortes vont la dynamiser. D'abord, l'opposition à l'austérité et au traité budgétaire européen que le gouvernement veut ratifier en catimini. Deuxièmement, la bataille pour l'emploi devrait également mobiliser les militants.
Nous
sommes quatre mois après la défaite de Nicolas Sarkozy et les gens qui
ont voté pour le changement se rendent compte que l'orientation prise
par François Hollande est une orientation de très grande austérité qui
tourne le dos à la promesse qui avait été faite de renégocier le traité
européen. Il y a beaucoup de forces politiques, syndicales, ou
associatives, qui refusent de renoncer au changement et qui veulent
faire la démonstration qu’une autre politique est possible dans notre
pays.
Pour la première fois, le PCF a soutenu un
candidat non communiste, Jean-Luc Mélenchon, à l’élection
présidentielle. En 2007, Marie-George Buffet avait fait un score
inférieur à 2%. La question de l’existence même du parti semble
désormais se poser. A l’heure où la classe ouvrière tend à disparaître,
peut-on encore être communiste ?
Sylvain Boulouque : C’est en fait la deuxième fois : en 1965 le PCF avait soutenu la candidature de François Mitterrand.
Le contexte n’est bien évidemment pas le même. On ne peut pas encore
dire que le PCF soit tout à fait mort. Il vieillit et s’essouffle ; son
électorat s’étiole. L’appareil municipal devient une peau de
chagrin, le groupe parlementaire est une peau de chagrin comparée à la
force de ce qu’il a pu représenter. Mais ce parti vit encore sur la
force d’un appareil grâce auquel il s’est développé pendant ces trente
premières années. C’est même cet appareil ressourcé qui a permis à la
campagne du Front de gauche d’être une réussite. De plus, le PCF possède encore de solides attaches dans les services publics. Ainsi,
cette Fête de l’Humanité est coproduite par les radios de Radio France
et les missions de services publics (EDF, GDF, France télécom, …)
conservent plusieurs stands.
Enfin, c’est plus une
dilution de la classe ouvrière organisée comme au XXe siècle. Si les
communistes se sont réclamés de la classe ouvrière en voulant devenir le
parti dominant la représentation de celle-ci, ils ne l’ont jamais été. En
effet, une bonne partie du monde ouvrier a toujours voté à droite et
dans le vote de gauche chez les ouvriers, la sociale démocratie a
souvent été plus importante que le PCF.
Si
un lien existe entre communisme et monde ouvrier, le militantisme
communisme se transforme. Chez les communistes aujourd’hui, le monde
ouvrier tient du mythe. Par exemple, si l’on prend la dernière université d’été du PCF, la majeure partie des cours ont été dispensés par des universitaires.
La chose aurait été impossible au XXe siècle, le parti voulant pour
commencer renvoyer une image de parti ouvrier, les cours étaient
réalisés par d’anciens ouvriers devenus permanents du Parti. Chez les
militants communistes cohabitent aujourd’hui plusieurs générations, mais
dans les nouvelles générations, on compte plus d’universitaires que
d’ouvriers. Ceci explique aussi la véritable inflation livresque pour la
fête de l’humanité.
Patrick Apel-Muller : Il
faut se méfier des idées reçues. Quand 26% de la population, selon
l'Insee, est ouvrière, on ne peut pas dire qu'elle a disparu. Il faut se
méfier des enterrements précipités. Je pense qu'une société moderne,
dynamique et développé ne peut pas se passer de la production, et donc
d'une classe ouvrière.
La
deuxième chose, c'est que le PCF, dans son histoire, a eu besoin de se
renouveler. Il a porté l'héritage lourd de ce qu'a été le « socialisme
réel » dans les pays de l'Est. Il s'en est dégagé et a su élaborer une
projet de société qui réponde à des aspirations beaucoup plus large : la
volonté de rompre avec une société de lutte, de tous contre tous, que
symbolise le capitalisme, pour voir l'intérêt général. Cette
revendication, qui est un long parcours historique, trouve aujourd'hui
des expressions nouvelles, à la fois dans le PCF, mais aussi dans toute
une série d'associations, de mouvements, qui trouvent le besoin de faire
prévaloir l'humain d'abord.
La
fête de l'Humanité, qui réuni des communistes, des non-communistes, des
gens de la gauche socialiste ou radical, réuni l'ensemble de ces
aspirations qui caractérisent aujourd'hui la situation en France et d'en
d'autre pays d'Europe : la Grèce, l'Espagne, les Pays-Bas... Il y a des
courants très forts qui pensent nécessaire de rompre avec le
capitalisme, qui s'avère dévastateur pour les conditions de vie des gens
et l'avenir de la planète.
Olivier Dartigolles : Les
salariés d'Aulnay-sous-Bois ne sont pas morts-vivants ! La classe
ouvrière existe, même si le rapport entre les forces du travail et les
forces du capital est d'une brutalité inouï. Même des milliardaires comme Warren Buffett reconnaissent que jamais la lutte des classes n'a été aussi âpre.
Concernant
le Parti communiste français, les dernières années n'ont pas été un
long fleuve tranquille. Mais nous sommes en train de reconstruire une
modernité du combat communiste à travers le choix stratégique du
rassemblement avec le Front de gauche. Ce choix nous a profondément
transformé. A l'échelle nationale, nous avons un véritable
mouvement d'adhésion au niveau des jeunes. Une énergie positive se
dégage de nos rangs : on pourrait presque parler de renaissance.
Durant l'élection présidentielle, quelque chose s'est passé. Mais Il
faut maintenant transformer l'essai. La vie politique française est
faite de phases de recomposition. Le
Le communisme français du XXe siècle n’est pas le même que celui du début du XXIe siècle. Comment a-t-il évolué et pourquoi ?
Sylvain Boulouque :
La première chose est la disparition de l’URSS, dès lors le communisme
réel n’existe plus. Le soutien soviétique a disparu. Le mot communiste
est renvoyé au registre de l’Utopie et permet aux communistes de
s’exempter d’un bilan réel sur le mot de communisme. Au point
qu’aujourd’hui, les communistes se présentent comme des victimes du PCF.
Pierre Laurent, dans son dernier ouvrage, présente l’idée communiste
comme l’une des victimes du stalinisme, faisant à peu de frais le bilan
du communisme et dédouanant l’expression de sa réalité. Je cite : « les
drames du XXe siècle ont durablement affecté le projet communiste.
Le stalinisme et ses millions de victimes, parmi lesquelles de très
nombreux communistes et l’échec profond du modèle soviétique ont grevé
la crédibilité du communisme. Après la chute du mur de Berlin
de 1989, le communisme s’est trouvé lourdement discrédité, sa finalité
questionnée. Il a fallu tout repenser, tout réévaluer. Les communistes
français avaient déjà entamé ce travail, avec beaucoup de zigzags. Cette
fois, la refondation communiste était existentielle. » (Maintenant Prenez le pouvoir, éditions de l’Atelier, 2012).
Par
ce jeux sur les mots, les militants communistes s’exonèrent de tout
bilan réel. Le militantisme communiste, comme le militantisme
trotskiste aujourd’hui n’a pas fondamentalement changé : le militantisme
syndical, associatif et parfois des campagnes électorales. Le
changement s’exprime surtout par la disparition de l’URSS. Depuis la fin
de ce lien, le PCF en tant que tel décline. Mais contrairement à
une idée reçue, la gauche radicale ne progresse pas, même unifié le
score du FdG aux élections présidentielles et des deux partis
trotskistes est inférieur ou égal à ceux de 1995 et 2002. Il est à peine
supérieur à celui de 2007.
Patrick Apel-Muller : Des expériences ont compté. D'autres ont également échoué.
Les tentatives de transformation de la société sans faire de la liberté
et la démocratie l'aiguille de la boussole se sont avérées impossibles.
Le mouvement progressiste français, qui date d'avant la Révolution
française, qui a pris des formes diverses et a trouvé une expression
dans le socialisme du 20e siècle et dans le communisme à partir des
années 20, à senti le besoin de se transformer en intégrant la dimension
de la liberté et de la démocratie, qu'il n'avait pas poussé jusqu'au
bout. C'est une des nouveautés de la période actuelle. C'est cela qui
rend le mouvement communiste et le mouvement progressiste en France
armés pour affronter le 21e siècle.
Olivier Dartigolles : Pour moi, le communisme est en mouvement permanent. La nouvelle génération qui vient au Parti communiste se réapproprie le mouvement
en y mettant ce qu'il souhaite pour la transformation sociale et
l'émancipation humaine. Le principal défi de la prochaine période pour
nous est de parvenir à faire la démonstration de l'actualité du combat
communiste.
PCF peut redevenir une force
d'avenir.
La gauche radicale a fait une percée ces
dernières années dans plusieurs pays d’Europe, particulièrement en
Grèce. La crise que traversent actuellement les partis européens
peut-elle redonner un second souffle aux idées communistes ?
Sylvain Boulouque :
Difficile de prédire l’avenir. Les expériences historiques montrent que
le communisme en général a prospéré pendant deux périodes très
particulières. Les périodes de guerre, c’est à la fin de la première
guerre mondiale que naît le communisme réel et c’est juste au sortir de
la deuxième guerre mondiale qu’il atteint son apogée. La deuxième
période est celle des périodes de croissance économique : reprise à
partir de 1934, Trente glorieuses. En revanche, c’est surtout l’extrême droite qui se développe dans ces périodes de crises économiques durables.
Patrick Apel-Muller : La dégradation des situations ne donne jamais un nouveau souffle pour des aspirations transformatrices. C'est
plutôt les impasses dans lesquelles se sont enfermés le système
capitaliste et l'Union européenne, qui est vouée aujourd’hui dans ses
instances dirigeantes à mettre en place un libéralisme total, qui
obligent à penser une véritable transformation de la société.
Aujourd'hui,
si on veut sauver l'idée européenne, si on veut que la souveraineté
européenne soit respectée en Europe, si on veut que l'Europe se dirige
vers un mieux-être, il est nécessaire d'envisager une transformation
fondamentale de la société.
Olivier Dartigolles : Il
y a encore trente ans, il y avait deux rouleaux compresseurs
idéologiques : la fin de l'Histoire et le choc des civilisations. Trente
ans après, le capitalisme est dans une situation de très grande crise :
financière, démocratique, environnementale... Des contradictions
puissantes montent entre les exigences des marchés financiers et les
aspirations des peuples. Il y a une vingtaine d'année, on nous
regardait comme une bougie vacillante prête à s'éteindre. Ce n'est plus
le cas aujourd'hui. Nous sommes en période de reconquête idéologique.
L’année dernière, Jean-Luc Mélenchon était le
premier leader non communiste à prononcer le discours de clôture de la
Fête de l’Humanité. Cela avait été mal vécu par certains militants qui
avaient peur de voir l’identité du parti diluée dans le Front de
gauche. A terme, le Front de gauche peut-il « digérer » le Parti
Communiste ? L’électorat de Jean-Luc Mélenchon et celui du PCF est-il le
même ?
Sylvain Boulouque : Cette période de doute d’une partie des militants communistes est passée.
Mélenchon les a séduit et conquis. De plus, la majeure partie du
discours de Mélenchon est totalement analogue à celui du Parti
communiste. Les querelles identitaires et politiques
s’amenuisent car le Front de gauche reprend une grande partie de
l’héritage communiste, culturel, symbolique et politique.
Ainsi,
l’éditeur Bruno Leprince publie un album du photographe Stéphane Burlot
intitulé résistance sur la campagne électorale du Front de Gauche. Le
livre, intéressant à plus d’un titre, montre la mise en scène des
réunions publiques qui reprend une grande partie de l’imaginaire
communiste. Les spectateurs et les participants du Front de
Gauche, quant à eux, utilisent nombre des oripeaux du communisme : tee
shirt à faucille et marteau ou de Che Guevara, drapeau rouge et bleu
blanc rouge comme au temps du national thorézisme.
Le philosophe militant du parti de Gauche, Henri Pena-Ruiz explique dans son dernier livre, Marx quand même,
que : « Marx était un critique de Staline » Marx n’ayant aucune
filiation avec Staline. Enfin Eric Coquerel autre dirigeant du Parti de
Gauche passé par le trotskisme montre à quel point les querelles
historiques se sont apaisés entre les différentes chapelles du
communisme (des anciens maoïstes pro albanais peuvent cohabiter avec des
staliniens orthodoxes et des trotskistes) et accepter de chanter la
Marseillaise après l’Internationale (Au cœur du Front de gauche, éditions Arcanes 17 ).
Enfin,
l’électorat de Jean-Luc Mélenchon additionne plusieurs électorats : les
votes Besancenot de 2002 et 2007, ceux de Lutte ouvrière de 1995 et
2002 et ceux du PCF. Il récupére enfin une parti de l’électorat radical
des Verts issus des milieux urbains. Il convient donc de parler
d’un électorat de la gauche radicale. Le FDG donne l’image d’un parti en
train de se recomposer même si des querelles de personnes et des
dissensions peuvent faire éclater ce bel équilibre.
Patrick Apel-Muller : La
campagne de Jean-Luc Mélenchon a élargi la base électorale du PCF. Les
réactions hostiles étaient extrêmement minoritaires à la Fête de l'Huma.
Il y a au contraire dans le pays un espace pour réunir les volontés de
transformation au-delà des rangs communistes, mais avec des communistes
comme une des forces militantes les plus dynamique. Ils ont été la force
motrice de la campagne, et désormais, je crois que le Front de gauche
est devenu fort dans le pays et présente une alternative réelle pour les
citoyens qui veulent changer quelque chose dans la société. Mais cela
ne fait pas disparaître le PCF, qui reste une des forces motrices de ce
rassemblement.
Olivier Dartigolles :
Jean-Luc Mélenchon a été un magnifique candidat avec des qualités de
tribunitien exceptionnelles. Mais sur le terrain, les forces militantes
étaient majoritairement communistes.
Notre électorat s'est rassemblé sur notre grande proposition "l'humain d'abord".
Le Front de gauche est une construction collective, unitaire. Jean-Luc
Mélenchon a un rôle particulier à y jouer, mais il dit lui-même que
nous avons besoin de collectif. Nous dénonçons la
personnalisation à outrance des institutions. Nous voulons une VIiéme
République avec la fin du présidentialisme.