"On ne règle pas une question d'alliance entre deux tours d'une présidentielle." En tendant la main, sous condition, à François Bayrou, lundi 28 novembre, François Hollande a appliqué son principe, édicté en avril 2009 dans un entretien à L'Express. L'ancien premier secrétaire du PS, qui démarrait sa campagne pour 2012, pressait déjà le président du MoDem de faire le point sur leurs "convergences".
M. Hollande suivait alors une position isolée et risquée au sein du PS, où la perspective d'une alliance avec le centre avait été massivement condamnée lors du congrès de Reims, en novembre 2008. Le député de Corrèze était alors convaincu que la main tendue de
Ségolène Royal en direction du centriste, entre les deux tours de la présidentielle de 2007, n'avait pas abouti car elle était survenue trop tard, et avait le tort de
"renvoyer aux combinaisons, aux débauchages de dernière minute".
En septembre 2010, François Hollande était
toujours persuadé que le futur candidat PS à la présidentielle devra
veiller à
"maintenir possible" le
"basculement" de M. Bayrou
"vers la gauche".
HOLLANDE SUIT "UNE POSITION COHÉRENTE"
Un an plus tard, une fois désigné pour
représenter le PS à la présidentielle, le député de Corrèze a suivi cette ligne de conduite. Pour
élargir le rassemblement autour de lui, après
avoir noué récemment
un accord électoral avec les écologistes, le candidat s'est dit prêt à
enrôler le président du MoDem dans sa majorité s'il remporte l'élection présidentielle, dans l'hypothèse où le centriste
"sort de l'ambiguïté" en appelant à
voter pour lui au second tour.
"Si François Bayrou fait un choix – nous verrons lequel – au second tour, eh bien il sera dans la majorité présidentielle qui se sera constituée autour du vainqueur du second tour, s'il a appelé [à voter]
pour le bon candidat, sous-entendu celui que je pourrais représenter", a déclaré M. Hollande sur RMC Info et BFM TV.
Le 20 novembre, son directeur de campagne,
Pierre Moscovici, avait déjà parlé de M. Bayrou comme quelqu'un d'
"estimable". En posant dès maintenant les conditions d'une éventuelle alliance avec les centristes, le candidat du PS
"suit une position cohérente", estime
Frédéric Dabi, directeur du département opinion publique de l'IFOP, interrogé par Le Monde.fr.
"François Hollande poursuit sa logique de rassemblement", commencée quand il était à la tête du PS, appliquée lors de la primaire et avec les écologistes.
"Rassembler la gauche et le centre peut lui permettre d'incarner l'alternance en 2012", analyse M. Dabi, qui juge tout de même
"relativement prématuré" de la part de M. Hollande
"de se projeter dans le second tour, alors que le premier est encore loin et que les Français ne se préoccupent pas encore de la présidentielle".
BAYROU SENT LE PIÈGE
Le président du MoDem, qui doit
officialiser sa troisième candidature présidentielle le 7 décembre, appelle de ses voeux une
"majorité centrale" pour
gouverner la France, qui s'ouvrirait aussi bien à la droite qu'à la gauche, mais marque pour l'heure son
"indépendance". Comme en 2007. Mais un facteur a toutefois changé depuis : M. Bayrou, qui n'avait pas donné de consigne officielle de vote entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2007, a assuré qu'il proposerait
"un choix clair" en 2012.
Soulignant que
"pour l'instant", le centriste
"est dans une ambiguïté dont il n'est pas sorti", M. Hollande tente de
forcer M. Bayrou à
prendre position entre lui et Nicolas Sarkozy, dès maintenant. D'autant que dans le camp du socialiste, on est convaincu
qu'"au second tour, il choisira le vainqueur", comme l'a confié Pierre Moscovici au
JDD.
Flairant le piège de se
présenter comme un candidat ayant intériorisé son élimination au premier tour de la présidentielle, le centriste n'a pas souhaité
répondre directement à cette proposition d'ouverture.
Courtisé également par l'UMP, M. Bayrou a laissé ses lieutenants
renvoyer la balle dans le camp du PS. M. Hollande n'est pas
"automatiquement le représentant du changement au second tour", a
fait valoir la première vice-présidente du MoDem, Marielle de Sarnez, dans
Le Figaro. "S
i François Hollande appelle à voter pour François Bayrou au second tour, il sera le bienvenu dans une majorité présidentielle avec nous…", a renchéri l'eurodéputé
Jean-Luc Bennahmias.
"SÉCURISER" L'ÉLECTORAT CENTRISTE
Après
avoir récolté plus de 18 % des voix au premier tour de 2007, M. Bayrou est aujourd'hui crédité d'environ 7 % des intentions de vote dans les derniers sondages. Une bonne partie étant passée chez le candidat du PS, qui pourrait
avoir envoyé un message à ces électeurs centristes en lançant son appel en direction de M. Bayrou.
"François Hollande attire beaucoup d'électeurs de François Bayrou en 2007. Près d'un quart voteraient aujourd'hui pour lui au premier tour. Par ailleurs, d'après la structure sociodémographique des électeurs de M. Hollande, on se rend compte qu'un bon nombre peuvent être tentés de voter pour le centre. Sa sortie peut donc être un moyen de 'sécuriser' ces électeurs dans un vote en sa faveur dès le premier tour", estime le directeur du département opinion publique de l'IFOP.
En essayant de
régler la question des alliances plus de cinq mois avant le premier tour de la présidentielle, François Hollande prend aussi le risque de
froisser ses alliés et l'aile gauche du PS. Le Front de gauche a dénoncé, lundi,
une "dérive centriste" du candidat socialiste, qui
"tire une balle dans le pied de la gauche" et
"doit dire clairement s'il veut discuter avec le Modem ou le Front de gauche".
Plus radical, le candidat du Front de gauche à la présidentielle,
Jean-Luc Mélenchon, a notamment
estimé sur France Inter, mardi 29 novembre, que
"le trait d'union que veut faire François Hollande avec François Bayrou aboutit à un divorce avec la gauche", assurant de nouveau que lui et ses alliés communistes
"n'iron[t]
pas dans quelque gouvernement que ce soit avec les centristes car le programme de François Bayrou n'a rien à voir avec la gauche".