Alors que la France s'enfonce plus que jamais dans le déni de
réalité, rétablissons la vérité à propos de la soi-disante contrainte
d'un "saut fédéral" et énonçons ce que pourrait être un véritable
programme de retour à la croissance.
Depuis l’élection présidentielle, les médias se focalisent sur les
deux visions de la croissance économique qui opposeraient la France de
Hollande à l’Allemagne de Merkel. Chacun y va de son analyse, selon sa
sensibilité.
Sans entrer dans une revue de presse détaillée, on peut relever
l’éventail des opinions exprimées en citant quelques titres d’articles
publiés ces dernières semaines.
Pour Atlantico :
« Merkel, Hollande et la croissance : le couple franco-allemand est-il plus proche du divorce que jamais ? » []. Pour le Point :
« Merkel contredit Hollande sur la croissance » []. Tandis que pour le Nouvel Observateur
« Hollande et Merkel [seraient] prêts à réfléchir à des mesures de croissance » []. Enfin, pour les Echos :
« Hollande se félicite que Merkel bouge au sujet de la croissance » [].
Les auteurs de ces articles nous livrent
des visions contrastées des modèles économiques français et allemands. Les
uns tiennent ces modèles pour foncièrement divergents. Les autres les
jugent compatibles à la condition de quelques aménagements monétaires de
la part de la chancelière Merkel, notamment sur la question des
euro-obligations.
Qu’en est-il au fond ? Comme nous l’avons vu, dans nos précédents papiers,
les économies allemande et française présentent incontestablement des points de divergence. Pour
résumer, l’Allemagne se caractérise par un Etat dont les interventions
économiques sont limitées par sa structure fédérale et dans lequel il
existe un large consensus politique contre l’inflation. Ceci conduit
mécaniquement à une monnaie dite forte - dont il serait plus juste de
dire que son pouvoir d’achat est relativement stable.
La France, en revanche, se distingue par un Etat centralisateur dont les
interventions économiques ne sont pas limitées par les contre-pouvoirs
institutionnels. Ainsi, au temps du franc, nos hommes de gouvernement
ont eu systématiquement recours à l’inflation pour socialiser les coûts
de leurs promesses électorales. Cela a conduit à l’affaiblissement
continuel de la monnaie nationale. De 1901 à 2001, l’inflation cumulée a
été de 2062%. En d’autres termes,
le pouvoir d’achat d’un franc de 2001 équivalait à celui de quatre centièmes de centime de 1901.
Cette inflation structurelle n’était pas le fruit du hasard. Elle
permettait de liquider la dette publique aux dépends des épargnants.
Aussi, il ne faut pas s’y tromper, le débat actuel engagé par François
Hollande avec Angela Merkel, sur les euro-obligations, ne porte pas sur
la croissance. Il vise à reproduire le schéma séculaire, des hommes de
l’Etat, pour échapper aux obligations de la dette publique quand elle
devient exorbitante.
1. La croissance nouveau prétexte à l’augmentation de la dette et des impôts
Dans le cadre de l’euro, la liquidation des dettes publiques se ferait aux dépends des contribuables les plus solvables. C’est-à-dire des contribuables allemands. Ce que Hans Stark a parfaitement saisi :
« Sur la question de la mutualisation des dettes, les Allemands
estiment que l’introduction d’euro-obligations transformera la zone euro
en une union de transferts financée pour l’essentiel par le
contribuable allemand. Aucun chancelier ne pouvant gagner une élection
en acceptant un tel scénario, Angela Merkel se montre par conséquent
rigide sur ses positions » [].
Très vraisemblablement, si la chancelière Merkel perdait les
prochaines élections fédérales, son successeur serait tout aussi
réticent à mutualiser la dette des Etats européens, sachant que les
contribuables allemands ne voudront pas payer pour les promesses
électorales faites par des hommes de gouvernement étrangers.
Les tensions actuelles, dans le couple franco-allemand, tiennent plus à ce motif qu’à la divergence des modèles économiques.
C’est là un développement inattendu de la création de l’euro.
L’adoption de la monnaie unique a rendu les marchés politiques de
l’Euroland perméables entre eux, contraignant les gouvernements vertueux
à soutenir les gouvernements dispendieux.
Or, si les marchés politiques des démocraties européennes
fonctionnent selon des principes identiques (des voix contre des
promesses de rentes publiques), ils sont par nature hétérogènes et
non-solidaires.
Pour cette raison, l’on entend de plus en plus
l’argument syllogistique selon lequel il faudrait un saut fédéral européen pour renouer avec la croissance :
« Pascal Lamy, directeur de l'Organisation mondiale du commerce,
et Jacques Attali, ancien président de la Banque européenne pour la
reconstruction et le développement, plaident pour un ‘’budget européen
de croissance’’ en zone euro… : ‘’Dans les mois ou les années à venir,
une crise politique et sociale majeure risque d'emporter les pays de la
zone euro s'ils ne franchissent pas une étape supplémentaire
d'intégration’’, expliquent les deux hommes, proches de François
Hollande élu dimanche président. Leur tribune a reçu le soutien de
plusieurs autres responsables européens, universitaires, économistes,
parlementaires... ‘’La survie de la zone euro passe par un gouvernement
économique et un budget européen de croissance’’, avec la création de
‘’project bonds’’, qui seraient de la ‘’bonne dette’’ européenne
destinée à générer plus de 1.000 milliards d'euros pour financer des
projets d'investissement, et d'un ‘’impôt européen’’, suggèrent-ils » [].
Mille milliards de ‘’bonnes’’ dettes s’ajoutant aux 11.000 milliards
de dettes des Etats membres de l’Union Européenne feront 12.000
milliards de mauvaises dettes publiques. En aucun cas, ils ne généreront
une bonne croissance. De surcroît, les nouveaux emprunts proposés par
le couple de hauts fonctionnaires Lamy-Attali feraient passer le ratio
de la dette publique des Etats membres de 83% à plus de 90% du PIB de
l’Union. Un seuil à partir duquel, la dette publique présente un risque
systémique certain et menace d’échapper à tout contrôle.
Comme on le comprend,
le saut fédéral proposé par Pascal
Lamy, Jacques Attali et, plus récemment, par Mario Draghi n’est pas
destiné à soutenir la croissance. Il vise à confier à une minorité de
technocrates européens la conduite des politiques keynésiennes et la
perception de nouveaux impôts.
Sa finalité première est de contourner les marchés politiques, de
plus en plus hostiles à la monnaie unique et aux plans de renflouement
des PIIGS. Concrètement, il s’agirait d’un pas supplémentaire vers
l’oligarchie bureaucratique. Si l’on suivait la logique
Lamy-Attali-Draghi,
l’Eurocratie appliquerait un keynésianisme inflationniste affranchi du clientélisme qui lui est généralement associé.
En effet, il n’existe pas de corps électoral européen en mesure
d’influencer des politiques européennes de redistribution en sa faveur.
Faute d’une rationalité électorale minimale, les fonds européens levés,
pour financer les prétendus projets de ‘’croissance’’, seraient alloués
selon des critères purement arbitraires, fondés sur les seules
préférences idéologiques de l’eurocratie.
Ce désir des hommes de l’Etat de se libérer des contraintes démocratiques dans l’allocation des ressources, prélevées
dans l’économie réelle, révèle le constructivisme de leurs
représentations mentales. Consciemment ou inconsciemment, ils
considèrent que si la croissance n’est plus au rendez-vous de l’Union
Européenne, la faute n’est pas imputable à leurs politiques de relance
ou à une pression fiscale excessive. Selon eux, elle serait due à des
facteurs extérieurs, tels que la prétendue ‘’dictature’’ des marchés
financiers vis-à-vis des taux obligataires, le manque d’intégration
européenne, les obstacles à la monétisation de la dette ou la politique
de l’offre poursuivie par la chancelière Merkel.
Face à des réalités économiques de plus en plus contraignantes,
les hommes de l’Etat en viennent à proposer la transposition des
politiques qui ont nationalement échoué à l’échelle européenne. Cette
fuite en avant est logiquement soutenue par les Etats surendettés. Ces
derniers sont prêts à abandonner leur souveraineté fiscale à
l’eurocratie, dans l’espoir de voir s’instaurer, par l’impôt européen et
la mutualisation de la dette, un mécanisme de transfert des richesses
en leur faveur. Un mécanisme qui permettrait de gagner quelques
échéances électorales, face à l’indispensable refonte des
Etats-providence qui sont à bout de souffle et n’ont plus les moyens de
subventionner leurs clientèles politiques.
Cette toile de fond est importante à comprendre pour saisir le vrai
fond du débat qui oppose la France à l’Allemagne sur la croissance. En
la matière, ce serait plutôt à l’Allemagne de donner des leçons de
croissance à la France. Effectivement, ces deux dernières années, la
croissance allemande a été nettement supérieure à la croissance
française. Outre-Rhin, elle était de 3,7% en 2010 et de 3% en 2011,
contre 1,7%, en 2010 et 2011 chez nous [].
L’Allemagne n’est d’ailleurs pas la seule à avoir des taux de
croissance bien supérieurs à celui de la France. Sur la même période,
l’Autriche a connu des taux de croissance de 2,3% et de 3,1%, la
Finlande de 3,7% et 3%, la Suède de 6,1% et 3,9%. Dans le cas de la
Suède, les taux de croissance sont particulièrement remarquables et
rappellent ceux de la décennie 1960.
2. L’excès d’impôts ne tue pas que l’impôt, il asphyxie également la croissance
Comme partout où elles ont été mises en œuvre,
les réformes libérales entreprises par la Suède ont libéré la croissance.
De 1993 à 2000, les dépenses de l’Etat suédois ont chuté de 16 points
de PIB et l’impôt sur les sociétés est devenu l’un des plus faibles de
l’OCDE – il est à 24% en 2012. Ces réformes ont également sauvé les
finances publiques. Le déficit budgétaire qui, dans les années 1990,
dépassait les 10% et avait amené la Suède au bord de la déconfiture, en
1998, s’est transformé en excédent [].
Certes, les prélèvements obligatoires en Suède restent, à ce jour,
très élevés. Ils se situent encore aux alentours de 46% du PIB.
Cependant, leur baisse constante depuis l’année 2000, où ils culminaient
à 51% du PIB, a redonné confiance aux individus. Ce sont eux et non
l’Etat qui ont relancé la croissance.
En cela, l’observation de la dynamique des prélèvements obligatoires
est essentielle. Elle est un critère de différenciation des modèles
économiques bien plus pertinent que la force ou la faiblesse relatives
des monnaies. Car,
c’est dans l’excès des prélèvements obligatoires que se trouvent les véritables freins à la croissance.
Dans un papier précédent, nous avions montré la forte corrélation
entre la montée des prélèvements obligatoires et la chute du taux de
croissance dans les pays de l’OCDE. En moyenne,
depuis 1974, la croissance a chuté d’un tiers de point de PIB par point supplémentaire de prélèvements obligatoires.
Cela n’a rien de surprenant. Plus les prélèvements obligatoires
augmentent, moins les individus disposent de liberté de créer des
richesses pour la satisfaction de leurs besoins. Plus ils sont
contraints de satisfaire les besoins, prétendument collectifs, de leur
élite gouvernante.
De manière très concrète,
le décalage de croissance entre
l’Allemagne et la France s’explique notamment par le décalage des
prélèvements obligatoires entre les deux pays.
Depuis 2005, à la seule exception de 2009, la croissance allemande a
été significativement supérieure à la croissance française. Dans cette
même période, le taux des prélèvements obligatoires en France a été
supérieur de 2 points de PIB à ceux de l’Allemagne.
Entre 2010 et 2012, cet écart s’est accentué. Tandis que l’Allemagne
abaissait son taux de prélèvements obligatoires à 39% du PIB en 2010 -
contre 41% en 2008 -, la France l’augmentait, le faisant passer à plus
de 43% de son PIB. Ceci a conduit à un décalage de 3,5 points de
prélèvements obligatoires entre nos deux pays et à un différentiel de
deux points de croissance, en faveur de l’Allemagne.
En 2012, la France s’acheminait vers un taux de prélèvements obligatoires de 44,5%.
Le différentiel de prélèvements obligatoire, avec l’Allemagne, passera donc à presque cinq points de PIB. Un écart sans précédent qui ne présage rien de bon pour la croissance française.
Lorsqu’on saisit cette dynamique, on ne peut s’étonner que la France
ait progressivement asphyxié son offre de biens compétitifs sur les
marchés mondiaux. Qu’elle ait fait passer la part de l’industrie de 25%
de son PIB, en 1980, à 13,6% en 2011. Que son déficit commercial se
creuse chaque année davantage. Qu’un chômage structurel de masse y sévit
depuis quarante ans.
Une fois encore, ces données valident les propositions formulées, dès le
début des années 1970, par l’école de Chicago. Celles-ci postulaient,
notamment, qu’il faut abaisser les prélèvements obligatoires pour
revenir à la croissance et au plein emploi. Des recommandations
appliquées avec succès par Ronald Reagan et dont l’on peut, aujourd’hui
encore, tirer de nombreux enseignements.
3. L’économie de l’offre libère le potentiel de croissance
Lorsque Ronald Reagan est élu fin novembre 1980, il hérite d’une
situation comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui en France.
La croissance n’est plus soutenue que par des artifices monétaires. Les
gouvernements précédents ont massivement eu recours à la planche à
billets – chez nous à la dette publique. Malgré plusieurs plans de
relance keynésiens, la croissance de la décennie 1971-1980 est
inférieure de plus de moitié à celle de la décennie 1961-1970. Elle
stagne autour de 1,9% en moyenne. Chaque nouveau plan de relance produit
de moins en moins d’effets. C’est un signe que les agents économiques
anticipent de mieux en mieux les manipulations monétaires de leurs
gouvernants et ne se laissent plus dicter leur choix économiques par de
faux stimuli.
Ainsi, entre 1978 et 1979, le taux de croissance chute brusquement de
5,3%, à 2,5%. Puis il devient négatif à - 0,5% en 1980. Cela malgré une
politique monétaire de plus en plus laxiste.
Sans doute, le second choc pétrolier de 1979 joue un rôle dans la
récession de 1980. Cependant, beaucoup moins qu’on ne le croit.
L’évolution du taux de chômage aux Etats-Unis le montre clairement, le
niveau d’emploi n’est pas corrélé par les variations des prix du
pétrole. Ainsi, le taux de chômage était de 6,1% en 1978 alors que la
crise pétrolière n’avait pas réellement débuté – elle commence en
octobre de cette année. Ce taux était de 5,9% en 1979, bien que la crise
pétrolière atteignait son paroxysme au mois de juin. De même, les taux
de chômage des années 1979 (5,9%) et 1980 (7,2%) sont inférieurs à ceux
des années 1975-1976 (8,5 et 7,7%) tandis que le premier choc pétrolier
était déjà résorbé.
Incontestablement, dans la décennie 1970, un autre facteur que le
prix du pétrole a gravement perturbé l’économie américaine. Ce facteur,
c’est le triptyque keynésien de la relance monétaire, de la taxation des
hauts-revenus et de l’inflation.
Triptyque censé garantir le plein emploi mais qui, dans la réalité, assèche les sources de la prospérité. Preuve
en est donnée par la concomitance, dans la décennie 1971-1980, d’une
forte inflation et d’un taux de chômage élevé aux Etats-Unis. Ce que la
théorie keynésienne tenait pour impossible et qu’il fallut désigner par
le nouveau concept de stagflation.
Lorsque Ronald Reagan arrive au pouvoir, il doit faire face à un taux
d’inflation record de 13,5%, à un taux de chômage de 7,2%, à un revenu
médian des ménages en chute libre et à des taux marginaux d’imposition
du revenu qui atteignent 75%.
Tous les ressorts de la croissance semblent brisés. La situation
budgétaire est apparemment désespérée. Pour surmonter tous ces défis, la
vision de Reagan est simple. Elle consiste à rendre aux Américains la
liberté de jouir des fruits de leur travail en baissant les impôts. Il
part du principe que c’est de leurs initiatives individuelles que
naîtront les futures richesses de la nation.
Avant de se lancer dans cette politique, Ronald Reagan et Paul
Volker, président de la FED, sont résolus à assainir la politique
monétaire héritée de leurs prédécesseurs. Ils veulent briser l’inflation
qui sape la confiance des agents économiques. Pour cela, ils décident
de remonter considérablement le taux directeur de la FED. En juin 1981,
celui-ci s’élève à 20%. Tous les crédits sont gelés. La cure monétaire
est sévère. Elle entraîne une forte récession en 1982. Conséquemment, le
taux de chômage passe à 9,7%.
Les médias, en majorité démocrates, se déchaînent contre Reagan. Ils
l’accusent d’être un cow-boy d’Hollywood ignorant des lois de
l’économie. Tous les keynésiens annoncent l’apocalypse économique. Les
passions se déchaînent, jusqu’en Europe.
Heureusement pour ses concitoyens, Ronald Reagan ne cède pas aux
pressions de la sphère médiatique. Il n’abandonne pas sa vision d’une
Amérique libérée du fardeau de la social-démocratie. En 1982, il lance
sa première grande réforme fiscale. Des mesures vigoureuses de baisse
d’impôts sont adoptées. Les effets sont immédiats. Après la récession à -
2% de 1982, la croissance revient dès 1983. Elle dépasse 3%. En 1984,
elle atteint 6% [].
Le ‘’miracle’’ libéral se met en place. Entre 1982 et 1986, le taux
marginal d’imposition passe de 75% à 28%. La croissance atteint 3,4% en
moyenne annuelle.
Pendant les années Reagan, le taux de chômage est divisé par deux. Il passe de 10% à 5,3%.
Mise en application, la théorie de l’offre réalise ses promesses. La
baisse des taux d’imposition libère les classes moyennes des charges
d’un Etat devenu spoliateur. Les plus bas revenus en profitent
également. L’ascenseur social se remet à fonctionner.
86% des ménages appartenant à la catégorie des revenus les plus pauvres
rejoignent la tranche de revenus suivante. Des dizaines de millions
d’Américains sortent de la pauvreté.
Fait remarquable, la baisse des tranches d’impôts amène le doublement
de la contribution des revenus les plus élevés aux recettes de l’Etat.
Toutes les prédictions keynésiennes sont invalidées.
Devant de tels succès, on peut se demander quelles furent
les faiblesses du programme de réformes adopté sous la présidence Reagan.
Selon un cliché convenu le grand échec de la politique économique,
poursuivie par Ronald Reagan, aurait été de conduire à un déficit
budgétaire chronique, par la réduction des recettes fiscales.
Rétrospectivement, cette critique est singulière de la part de
keynésiens qui prônent la relance par la dépense publique et ont conduit
la plupart des Etats de l’Euroland à des niveaux records de déficit
budgétaire en 2011 : 13% en Irlande, 9,1% en Grèce, 8,5% en Espagne,
8,3% au Royaume Uni []…
Jamais dans les années Reagan, le déficit budgétaire n’a connu de
tels niveaux. Entre 1983 et 1985, il atteint un pic à 6,5% du PIB.
Ensuite, le déficit chute rapidement. Il se stabilise à 2,5% du PIB,
entre 1986 et 1989. Un chiffre qui ferait rêver nombre de nos dirigeants
européens.
A ce sujet, il faut savoir que le déficit du budget fédéral, sous
Ronald Reagan, n’est pas dû à une diminution brutale des recettes ou à
un démantèlement de l’Etat. Il résulte d’une augmentation trop rapide
des dépenses publiques par rapport à la croissance des recettes.
Effectivement, entre 1981 et 1989, les dépenses fédérales ont augmenté
de 69%. Tandis que les recettes augmentaient de 65%.
Ronald Reagan avait, d’ailleurs, pour ambition de revenir à
l’équilibre budgétaire. Toutefois, ses projets de coupes budgétaires se
sont heurtés à une opposition farouche des membres du Congrès. Ces
derniers n’ont pu résister à la tentation de puiser dans les recettes
supplémentaires, générées par le retour de la croissance, pour conserver
leurs clientèles électorales et en acheter de nouvelles. De toute
évidence, si le Congrès avait été moins prodigue de la manne
reaganienne, la réforme aurait été un succès sur tous les plans.
Aussi, ce qui nous est encore aujourd’hui présenté comme le grand
échec de l’ère Reagan (le déficit budgétaire et l’augmentation de la
dette) se révèle, à l’étude des données, être un succès partiel,
uniquement limité dans son ampleur par les travers du marché politique.
Pourtant, aussi bien conçu que fut le programme de réformes de la
présidence Reagan, il comportait une erreur technique qui allait se
révéler préjudiciable à sa dynamique générale.
Cette erreur fut de concéder au Congrès la suppression de toutes les niches fiscales en contrepartie de la réduction des impôts. Plus particulièrement, la niche qui faisait des valeurs mobilières (le marché actions) un placement particulièrement attractif.
En effet, sous la présidence Carter (1977-1981), les plus-values
mobilières étaient taxées à 30%, tandis que les revenus l’étaient à 75%,
au taux marginal. Le différentiel entre les deux taux faisait de
l’investissement dans les entreprises le meilleur moyen d’échapper à
l’impôt[].
En 1986, le taux de taxation des plus-values a été aligné sur celui
de l’impôt sur le revenu à 28%. Par cette décision, l’équipe Reagan a
supprimé l’incitation fiscale en faveur du financement et de la création
d’entreprises. Les effets ont été quasi-instantanés. La création
d’entreprises qui, depuis plus d’une décennie, était en constante
augmentation s’est brusquement mise à chuter. De 1986 à 1989, 750.000
entreprises de moins ont été créées qu’entre 1983 et 1986. Soit une
contraction de 25%, en moyenne annuelle. Les conséquences sur l’emploi
se sont fait sentir dès 1990. Le chômage qui avait considérablement
baissé, dans les années précédentes, est remonté à 7%.
Cette erreur technique coûtera sa réélection à George Bush senior.
Le successeur de Reagan n’avait pas perçu l’effet déprimant de cette mesure d’égalisation fiscale.
Etonnamment, le démocrate Bill Clinton comprendra mieux ce qui se
tramait dans les tréfonds de l’économie américaine. Il abaissera à 14%
l’impôt des plus-values réalisées sur les investissements dans les
petites entreprises, mais fera remonter le taux de l’impôt sur le revenu
à 34%. Le différentiel était recréé. Sans surprise, la création
d’entreprises est immédiatement repartie à la hausse. Elle dépassait
bientôt un million par an, surtout dans les start-up qui développaient
les nouvelles technologies informatiques et Internet.
Quelles leçons peut-on tirer de ces variations des taux d’imposition sur les plus-values aux Etats-Unis ? La principale est que
l’égalisation
du taux marginal de l’impôt sur les revenus du travail et celui des
plus-values détourne les agents économiques de l’investissement dans les
entreprises. Ceci tient à la structure des coûts d’opportunité
entre plusieurs formes d’investissements. Sans avoir recours à des
calculs mathématiques laborieux, on peut retenir que plus le taux
d’imposition sur les plus-values est bas, par rapport au taux de l’impôt
marginal sur les autres formes de revenus, plus les agents peuvent
prendre le risque d’investir dans le marché actions. Car, plus la
probabilité sera élevée que le retour de leur investissement sera
supérieur à celui de placements moins risqués.
Aligner la fiscalité des plus-values sur celle de l’impôt sur le
revenu, c’est partir du principe que toutes les sources de revenus
présentent un risque équivalent. C’est un oxymore économique.
Pratiquement, l’égalisation des taux subventionne les investissements les moins risqués. Elle a
un effet anesthésiant pour
toute l’économie, puisque ce sont dans les nouvelles entreprises, par
définition les plus risquées, que se concentre le plus grand potentiel
de croissance.
Pour cette raison, Ronald Reagan aurait dû abaisser le taux sur les
plus-values mobilières bien en deçà de celui sur l’I.R., par exemple à
14% comme le fit Bill Clinton. Mais, il redoutait sans doute de perdre
le soutien de son électorat qui venait du parti démocrate et qui y était
hostile.
Quoi qu’il en soit,
les réformes conduites par Ronald Reagan, nous donnent des repères solides pour évaluer l’impact prévisible, sur la croissance française, qu’auront les mesures fiscales, annoncées par François Hollande.
4. La décroissance à la française
La coïncidence est trop frappante pour ne pas être relevée. Dans les
jours qui ont suivi son élection, François Hollande a confirmé sa
promesse électorale d’amener la tranche supérieure de l’impôt sur le
revenu à 75%, au-delà d’un million d’euros. Exactement au niveau où
Ronald Reagan l’avait trouvée en arrivant au pouvoir en 1981.
Pour Reagan, cette tranche confiscatoire était le symbole d’une
Amérique affaiblie, asservie aux intérêts des hommes de l’Etat,
inhibitrice de la croissance. C’est pour cette raison qu’il fixa comme
priorité absolue de la ramener à 28%, avec le succès que l’on sait en
termes de création d’emplois, de mobilité sociale et d’augmentation des
recettes fiscales.
La décision de François Hollande suivant une logique opposée à celle de Ronald Reagan, produira également les effets inverses. Tous
les hauts-revenus qui le pourront partiront à l’étranger. Selon
plusieurs médias, leur exode aurait commencé. Des agences immobilières
de Bruxelles, Londres et Genève offrent déjà leurs services aux futurs
exilés fiscaux pour les reloger et les accompagner dans leurs démarches
administratives.
Quant à ceux qui resteront sur le territoire, ils s’arrangeront pour
demeurer en dessous d’un million d’euros de revenus par an afin
d’échapper à la tranche des 75%.
Au lieu d’un gain estimé à 250 à 300 millions d’euros de recettes
fiscales supplémentaires, engendré par une hausse du taux marginal de
l’I.R., il faut s’attendre à leur diminution. Sans doute d’un montant
bien supérieur.
Plus grave encore, l’exode fiscal des hauts-revenus conduira à la
contraction de leur part dans le total des recettes fiscales. Tôt ou
tard, leur défaut de contribution devra être compensé par la classe
moyenne qui se verra confisquée une part encore plus grande de son
travail. Parallèlement, c’est toute une économie de services aux
personnes fortunées qui en pâtira : gardiennage, industrie du luxe,
restauration, etc.
Comme nous l’avons vu, le projet de François Hollande prévoit
l’augmentation des prélèvements obligatoires à 46,7% du PIB en 2017, au
lieu de 44,5% en 2012. Inévitablement,
cette hausse de 2,2 points
des prélèvements obligatoires limitera le peu de potentiel de croissance
dont la France dispose encore.
A combien ce potentiel s’élève-t-il ? Si on regarde la moyenne
annuelle de la croissance du PIB sur la période 2001-2011, on arrive au
très faible taux de 1,14%. Encore ce taux a-t-il été artificiellement
gonflé par le doublement de la dette publique. Rappelons que celle-ci
est passée de 800 à 1600 milliards d’euros dans cette période. Sans cet
artifice, le taux de croissance de la France aurait été encore plus
faible. Peut-être proche de zéro.
La croissance phénoménale de la dette publique rend, d’ailleurs,
très difficile l’évaluation du potentiel réel de croissance de
l’économie française. Si on retient l’hypothèse de 1,2%, on fait
sans doute preuve d’un optimisme démesuré. Or, avec une hausse annoncée
de 2,2 points de PIB des prélèvements obligatoires, on peut s’attendre à
une réduction d’au moins 0,7 point du potentiel de croissance
naturelle.
En moyenne, il ne devrait donc pas dépasser 0,5%, sous la présidence Hollande. Ce
taux est égal au taux de croissance de la population. Conséquemment, il
ne permettra ni de résorber le chômage de masse ni de faire fonctionner
l’ascenseur social.
La situation économique générale continuera donc à se dégrader. Cela
d’autant plus que les entreprises sont également dans le collimateur du
nouveau président de la République.
Deux mesures vont lourdement affecter les entreprises. L’une est la
fin de la défiscalisation des heures supplémentaires. L’autre est
l’alignement de la fiscalité des revenus du capital et du travail. La
re-fiscalisation des heures supplémentaires conduira à un nombre
indéterminé de licenciements et de non-recrutements dans les mois qui
suivront son application.
La mesure d’alignement des taux d’imposition des plus-values est plus
insidieuse. Elle reproduit la même erreur que celle commise par
l’équipe Reagan en 1986. Une erreur d’une portée plus grave dans le cas
de François Hollande, car l’alignement des taux se fera par le haut.
Tandis que sous Reagan il s’était fait par le bas.
Fatalement, l’alignement de la fiscalité du capital et du travail
conduira à une chute de la création d’entreprises. De quelle ampleur ? A
ce stade, il est très difficile de le dire. La tendance pourrait être
paradoxalement contrée par la montée du chômage. Celle-ci conduit
souvent à une remontée temporaire du nombre d’entreprises créées par des
individus désespérés de retrouver un travail salarié. Ce qui comptera
donc, c’est le nombre de créations nettes (déduit des cessations
d’activité) qui fatalement devrait chuter.
Le programme de François Hollande a ceci d’inquiétant qu’il
reproduit toutes les erreurs commises par les démocrates américains dans
les années 1970 et la seule erreur véritablement imputable au
programme économique de Ronald Reagan. La combinaison de toutes ces
erreurs donne un mélange détonnant. Elle met en place
une formidable bombe à décroissance dont la classe moyenne paiera toutes les conséquences quand elle explosera.
A défaut de croissance, les contribuables français doivent se tenir
prêts à payer autant d’impôts que nécessaire à la satisfaction des
besoins politiques de leurs nouveaux dirigeants :
« La première secrétaire du PS a
estimé que la priorité était d'abord de «faire rentrer des impôts
complémentaires», avant la réduction de la dépense publique. Un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF),
dévoilé le même jour par Les Échos, estime, à l'inverse, que l'État
devrait faire 5 milliards d'euros d'économies chaque année pour
redresser les comptes. «Le rapport nous explique qu'il faut réduire les
déficits publics uniquement en réduisant les dépenses, a noté Aubry.
Nous, nous pensons qu'il y a d'énormes marges de manœuvre en faisant
rentrer des impôts complémentaires. (…) Donc, il y a d'autres moyens de
réduire les dépenses. Bien sûr, il faut bien gérer. Mais il faut d'abord
faire entrer des impôts complémentaires.» Cible de ces impôts, selon la
patronne du PS: «Ceux qui ont eu tant de privilèges, aux dépens des
autres» [].
5. Quelques pistes pour une réforme fiscale en guise de conclusion
Pour que la France retrouve le chemin d’une saine croissance, il
n’est d’autre voie que celle de la diminution des prélèvements
obligatoires. Cela exigera, de la part du Politique, un échéancier
clair, une gestion rigoureuse et une volonté de fer devant tous les
corporatismes qui ne manqueront pas de s’opposer à la perte de leurs
rentes publiques. La tâche est particulièrement ardue. Elle l’est bien
plus que sous Ronald Reagan.
Avec une dette publique à 30% du PIB en 1980, les Etats-Unis
disposaient d’une marge de manœuvre que la France n’a plus en 2012, avec
un endettement dépassant les 80%.
Pour éviter un déficit budgétaire trop grand,
il faudrait
baisser plus rapidement les dépenses publiques (de l’ordre de 2 points
de PIB par an) que les prélèvements obligatoires (de l’ordre de 1,3
point).
La chute progressive des dépenses publiques limiterait l’ampleur de
l’inévitable récession, consécutive à l’assainissement de l’économie.
Cependant, elle l’étalerait dans le temps. Du point de vue de la
psychologie collective, ce n’est pas le scénario le plus souhaitable.
Toutefois, un traitement de choc ne serait pas compatible avec le
remboursement et la maîtrise de la dette publique. La France risquerait,
alors, de sombrer dans un scénario à la grecque.
Après une phase de récession de deux ou trois années, la croissance
pourrait repartir sans aucun artifice monétaire. On devrait alors
assister, dans la quatrième et la cinquième année, à une chute
significative du chômage.
Quant au budget de l’Etat, il serait au bout de ces cinq années en équilibre ou en excédent.
Pour retrouver un taux de croissance de 4 à 5%, permettant le plein
emploi, il faudrait poursuivre cette politique pendant trois ou quatre
années supplémentaires afin de ramener les prélèvements obligatoires aux
environs de 35% du PIB. Selon nos estimations, c’est au-delà de ce
seuil que le chômage devient structurel.
Les techniques fiscales (flat-tax, impôt négatif, baisse des tranches,
etc.) pour parvenir à cet objectif importent peu, tant qu’elles
obéissent aux principes suivants :
- Aucun contribuable ne devrait payer plus de 30% d’impôts sur ses revenus de manière à en rester le principal propriétaire.
- Le système fiscal doit être d’une conception et d’une application
extrêmement simples afin qu’il soit compréhensible par tous les
contribuables. Les niches fiscales doivent être l’exception dictée par
l’impératif de croissance et non une règle gouvernée par les intérêts
clientélistes des hommes de l’Etat.
- Le système fiscal doit être stable pour que les investisseurs puissent faire des choix économiques sur le long terme.
- Les revenus du capital, résultant d’une prise de risque économique
plus grande (marché actions, capital-risque, fonds d’investissements…)
doivent être taxés à un taux nettement inférieur à celui des revenus
contractuels (salaires, loyers, obligations). Ceci afin de neutraliser,
le plus possible, la composante fiscale du coût d’opportunité entre ces
différentes formes d’investissements.
Au vu des résultats de l’élection présidentielle et en l’état du
marché politique, ces principes fiscaux relèvent, pour l’instant, de
l’utopie. Cependant, quand le système sera à bout d’artifices, de
nombreuses certitudes s’effondreront. Ces principes de bon sens
pourraient alors revenir en force.
Aucun déterminisme historique ne s’oppose à ce que la France ne s’engage
dans une révolution fiscale, comme le firent les Etats-Unis dans les
années 1980, la Russie et les pays baltes dans les années 1990, après la
chute du communisme. Puis la Suède au début des années 2000.
En
économie, c’est souvent lorsque tout s’effondre qu’il faut reprendre
espoir. Au train où vont les événements, cet espoir nous sera bientôt
rendu.
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