La première star du muet, plus sexy que Clooney, Pitt et DiCaprio réunis, meurt à 31 ans d'une perforation de l'estomac.
À l'écran, il est muet comme une carpe, mais au cours de la nuit du
15 août 1926, Rudolph Valentino gueule comme un putois. Il couvrirait
presque la sirène d'une ambulance. Vers 1 h 30 du matin, la star
s'effondre à Times Square, se tordant dans tous les sens, victime de
crampes intenses à l'estomac. C'est comme s'il avait avalé une
collection de poignards. Jamais de sa vie il n'a eu aussi mal. Il est
aussitôt transporté jusqu'à la polyclinique de la 15e Rue. Les médecins
diagnostiquent un ulcère à l'estomac. Avant d'en savoir davantage, ses
proches tentent de garder l'info secrète, sinon ça va être la cohue.
Peine perdue. En seulement quelques heures, toutes les rédactions
croient tenir le scoop : Rudolph Valentino, le chéri de ses dames, est
malade ! Les bouquets de fleurs, les lettres d'amour, de soutien, les
télégrammes arrivent par centaines à l'hôpital, le standard est saturé
d'appels... Du jamais-vu ! Et voilà toute l'Amérique le souffle
suspendu, attendant des nouvelles de la première grande star du cinéma
muet. Valentino est si adulé que sa mort en pleine gloire déclenchera
une vague de suicides chez ces dames. Chers Jude (Law), Brad (Pitt),
George (Clooney) et Leonardo (DiCaprio), prenez-en de la graine.
Né en 1885 à Castellaneta en
Italie,
d'une mère française et d'un père italien, Rodolfo Alfonso Raffaello
Pierre Filibert Guglielmi di Valentina D'Antonguolla a forcément
raccourci son nom. En 1913, à tout juste 18 ans, il débarque aux
États-Unis
comme des milliers d'autres immigrés, rêvant de faire fortune. Il passe
son temps dans les rues, fait un peu de jardinage, la plonge dans les
restaurants, avant de mettre ses talents de danseur à profit en faisant
virevolter les veuves dans les boîtes à tango. Une fois l'homme devenu
célèbre, on prétendra qu'il ne se contentait pas de danser... Just a
gigolo ?
En 1917, le voilà qui rejoint la "Mecque du cinéma", Hollywood, où il
est vite repéré pour sa beauté et ses yeux de velours. La prestigieuse
Metro Goldwyn Mayer l'engage pour des rôles de méchant ou de gangster.
Premier succès,
Les quatre cavaliers de l'Apocalypse en 1921. C'est un carton au box-office, alors qu'il n'assure qu'un second rôle. Avec
Le cheik,
c'est la gloire. Son regard hypnotise les filles, toutes en sont
dingues. Il est désormais sans cesse harcelé par une horde de fans qui
gloussent et brandissent leur stylo pour des autographes à la moindre de
ses apparitions. Le premier "latin lover" est né, et le star-system
aussi. Des jaloux le surnomment "Vaselino" pour la gomina avec laquelle
il se tartine les cheveux. Ces messieurs de la gent masculine ne
pardonnent guère à un étranger, un métèque, de venir leur voler la
vedette auprès des femmes, même s'ils l'adorent en tant qu'acteur.
Ambiguïté
Côté vie privée, il engrange moins de succès. Son premier mariage est
rompu le soir même des noces : sa tendre épouse Jean Acker lui refuse
sa chambre. Normal, elle est en réalité lesbienne. Plus tard, il tombe
fou amoureux d'une costumière, Natacha Rambova, une beauté froide qui
n'hésite pas à l'accuser de découcher pour des amitiés plutôt masculines
au moment d'entamer leur divorce. La garce. Avec sa gueule poudrée, ses
cheveux gominés et ses costumes dorés, la star paraît un tantinet
efféminée et fait ricaner, mais c'est aussi cette ambiguïté sexuelle qui
fait son succès. Et ses déboires ! On l'accuse d'allumer les nanas sans
jamais les consommer, on le traite de pervers, d'impuissant, et surtout
de "pédé". Alors qu'il est en tournée pour promouvoir son dernier film,
Le fils du cheik, un journaliste américain sous-entend que le
beau Rital est homosexuel. Valentino est furieux ! Lui qui ne veut pas
finir comme
Oscar Wilde
s'en défend et défie le journaliste d'enfiler des gants pour un combat
de boxe. Son sang latin... Il va voir ce qu'il va voir, ce scribouillard
de torchons ! Le journaliste se défile, le duel n'a pas lieu. Les
révélations sur ses penchants sexuels n'ont pas raison de son succès. La
foule continue à faire la queue devant les cinémas pour voir Valentino
au grand galop sur son cheval dans le désert.
C'est à cette période que le jeune trentenaire commence à se plaindre
de maux d'estomac. Il les attribue aux cachets dont il se bourre pour
freiner sa calvitie naissante. Pas question, pour autant, d'arrêter de
les avaler, car la beau gosse attitude, c'est sa marque de fabrique, la
clef de son succès. Sans un poil sur le caillou, il est foutu,
pense-t-il. Il se promet d'aller consulter, mais repousse toujours le
moment par manque de temps. Il vient juste de divorcer de son dragon de
Natacha, place à la vie de célibataire ! Les voyages, les palaces, les
virées au volant de sa
Bugatti,
l'achèvement de la construction de sa villa luxueuse dans le Beverly
Hills naissant... Rien n'est trop beau pour lui. Il consume ses dollars à
la vitesse de l'éclair. Faut l'excuser, il n'a pas eu une enfance
facile. Mais ce ne sont pas les fiestas qui font disparaître la bête qui
lui bouffe l'estomac. Les douleurs s'accentuent, ses médecins n'y
comprennent rien. Jusqu'à son hospitalisation le 15 août 1926.
Hystérie
Valentino refuse toute opération. Mais à 16 h 30, son mal s'aggrave.
Son ulcère perforé doit être opéré d'urgence. À l'extérieur de
l'hôpital, c'est le grand chambard tant ses fans sont secoués. Le
lendemain matin, l'hôpital publie un communiqué rassurant, ce qui
n'empêche pas ses admirateurs de continuer d'affluer devant
l'établissement. Le personnel de l'hôpital ne sait plus que faire de
toutes ces fleurs, ces gâteaux, ces cadeaux, et organise une grande
distribution à tous les étages. Deux mille coups de fil par jour et
mille télégrammes. Les tabloïds de leur côté se déchaînent dans leurs
unes : "Rudy affronte la mort en face", et même pire : "Rudy est mort".
Le 20 août, tout le monde commence à être rassuré, ses constantes sont
redevenues normales.
Mais le 21 août Valentino rechute ! Cette fois, c'est plus grave.
Péritonite doublée d'une pleurésie. L'infection court avec d'autant plus
de célérité que ce cher Fleming n'a pas encore découvert la
pénicilline. L'Amérique prie, pleure, tremble en attendant les
nouvelles. L'organisme de l'acteur n'arrive pas à combattre l'infection,
il plonge dans un état semi-comateux, les médecins lui administrent de
la morphine, c'est la fin. Il meurt le 22 août 1926 à midi. Rudolph
Valentino, 31 ans, fauché en pleine jeunesse, au sommet de la gloire.
C'est impensable ! Il doit mourir dans l'arène, sur le champ de
bataille, comme dans ses films, mais sûrement pas à l'hôpital. Le
communiqué annonçant sa mort n'est même pas encore totalement rédigé que
déjà le bouche-à-oreille provoque l'hystérie. La dépouille dans ses
habits dorés est exposée à l'église Campbell, dans une salle décorée
avec un piano à queue et des reliques de Napoléon. Des milliers et des
milliers de fans viennent s'assurer qu'il est bien mort. Pendant qu'on
fait la queue devant les cinémas pour voir son dernier film
Le fils du cheik,
on fait en même temps la queue pour le voir mort. Une foule ivre de
douleur erre dans les rues de New York, les femmes crient son nom avant
de s'évanouir, des vitrines éclatent, ses fans sont en plein délire, la
police a du mal à contenir les débordements... Le climat est
apocalyptique ! Pire, des femmes se suicident juste après avoir appris
la nouvelle, à New York, à Londres, pour le "retrouver". Même la mort de
James Dean ou, plus tard, celle de
Marilyn Monroe ne provoqueront pas tant d'émotion.
Mausolée
Ses funérailles ne seront pas celles d'un président ou d'un pape,
mais carrément celles d'un pharaon. Cent mille personnes présentes pour
la messe donnée à New York, pendant que tout Hollywood respecte deux
minutes de silence. Quand il est inhumé le 7 septembre à Hollywood, ce
sont cinq minutes de silence qui sont respectées. Jamais dans le coin
ils n'avaient vu un tel parterre de people :
Charlie Chaplin,
Douglas Fairbanks, Cecil B. De Mille, Mary Pickford, William Randolph
Hearst... Des funérailles dignes d'une grande production avec même un
avion lâchant une pluie de pétales de rose au-dessus du mausolée presque
royal. Grandiose. Une des icônes du muet est morte. Peut-être juste à
temps. Car, un an plus tard, le cinéma devient parlant, et nombre de
personnes pensent que Valentino n'y aurait pas survécu. En seulement
huit ans de carrière et une quinzaine de films, il a réussi à marquer
toute une génération, et bien au-delà des frontières américaines, et à
s'imposer comme
le séducteur par excellence, immortel pour les décennies suivantes.
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