TOUT EST DIT

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mercredi 8 septembre 2010

Rhétorique

Le mot d’ordre de grève a été entendu et les cortèges contre la réforme des retraites ont rassemblé du monde. Ce succès de la mobilisation ne modifiera pas en profondeur la logique du projet. Dès mardi matin, François Fillon exhortait les députés UMP à « tenir la ligne » sur le report à 62 ans de l’âge légal de départ et à 67 ans pour obtenir une pension sans décote. Et rien n’indique que ces points seraient soudain devenus négociables.

Hier pourtant, la rue a installé un nouveau rapport de force sur ce dossier : on peut d’ores et déjà prévoir des évolutions sur les questions sensibles de la pénibilité, des polypensionnés et des carrières longues. À vrai dire, ces points amendés – dans le sens souhaité par les syndicats – introduiraient une touche sociale à une réforme qui en manquait un peu. Restera alors la question controversée, notamment pour les femmes, du report du départ de 65 à 67 ans pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein.

Quel sera le calendrier des annonces ? Sur ce terrain, gouvernement et partenaires sociaux ont désormais partie liée : il faut faire vite. Ni les uns ni les autres n’ont intérêt à faire traîner un mouvement qui pourrait se radicaliser. C’est donc dès maintenant que le gouvernement devra faire les ouvertures déjà annoncées. En laissant aux syndicats le plaisir d’annoncer ce qu’ils ont « arraché ».

Ce compromis serait une conclusion acceptable pour une réforme que de nombreux manifestants d’hier savaient à la fois nécessaire et inéluctable. Une fois encore, la France a mimé l’affrontement, tout en préférant, selon toute vraisemblance, en sortir par l’apaisement.

Sans cesse répétée, cette rhétorique est bien sûr lassante. Mais, élément de la culture nationale, elle est un point de passage imposé à de nombreuses réformes : le pouvoir doit montrer – jusqu’à la caricature – qu’il est déterminé, les syndicats doivent prouver qu’ils sont mobilisés.

Depuis hier, c’est chose faite. Les discussions peuvent donc commencer.



François Ernenwein

Réactions à la journée d'actions du 7 septembre

Au lendemain de la très forte mobilisation contre le projet du gouvernement, la première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, estime, mercredi 8 septembre, sur France 2, qu'il faut "reprendre à zéro" la réforme des retraites, selon elle "injuste et inefficace". Selon la maire de Lille, il faut aussi "arrêter le débat parlementaire" qui a débuté mardi à l'Assemblée nationale. "Si ce n'était pas le cas, nous continuerions à faire (...) nos propres propositions pour montrer aux Français que bien sûr il faut une réforme, bien sûr il faut prendre en compte l'allongement de la durée de vie, mais il faut le faire de manière juste".
Jean-Claude Mailly, le secrétaire général du syndicat Force ouvrière déclare sur France Info que les "avancées" qui sont prévues sont insuffisantes compte tenu de l'ampleur du mécontentement. "Nous, ce qu'on demande, c'est que le gouvernement abandonne son projet pour qu'on discute sérieusement d'un autre projet en termes de financement et qui prenne en compte le maintien des droits et la question de la pénibilité", a-t-il dit. "Encore un effort, M. le président, bougez plus. Il faut réécrire complètement le texte", a-t-il ajouté. Les responsables des syndicats devaient se rencontrer dans la journée pour décider probablement d'une nouvelle journée de grève et de manifestations avant la fin du mois, voire plusieurs.

Le président du Mouvement démocrate (MoDem), François Bayrou, juge sur Canal+ que l'ampleur de la mobilisation la veille contre la réforme des retraites a "changé l'ambiance" et qu'il sera "impossible d'arrêter ce mouvement" sans "des corrections fortes" du projet. "La discussion" sur ce projet "n'a pas eu l'ampleur qu'elle aurait dû avoir" et "c'est l'Elysée qui décide oui ou non ce que va voter ou non le Parlement", a-t-il dénoncé.

Georges Tron, le secrétaire d'Etat à la fonction publique, estime sur RMC que la rue "exprime une inquiétude qu'il faut entendre". "On a entendu les manifestants, mais on entend également les organisations syndicales dans le cadre d'une concertation qu'Eric Woerth et moi-même avons menée, et nous entendons les parlementaires qui s'expriment de façon tout à fait légitime dans l'hémicycle", a ajouté M. Tron. "Le vrai sujet c'est celui-là : quand le Conseil d'orientation des retraites nous dit qu'il manque à l'horizon 2020 40 milliards d'euros pour payer les retraites, ça veut dire que si on ne prend pas les mesures tout de suite, les retraites s'effondreront", a mis en garde le secrétaire d'Etat.

"Le gouvernement n'est pas sourd, il entend les interrogations", a déclaré Luc Chatel, mercredi sur Europe 1 après les fortes mobilisations contre la réforme des retraites. "Nous sommes attachés à l'aspect 'juste' de cette réforme", a indiqué le porte-parole du gouvernement, qui a toutefois averti : "Nous ne bougerons pas sur l'âge" légal de départ à la retraite. Sur RTL, Xavier Bertrand, le secrétaire national de l'UMP estime à propos des retraites qu'"il y a de la place pour le dialogue".

LA TRUIE SOCIALISTE NE CHANGE PAS DE DISCOURS, EST-CE ÉTONNANT ? QUANT À XAVIER BERTRAND, IL PERD PIEDS DANS CETTE SITUATION, SES PLAIDOIRIES SONT USÉES ET CONVENUES.

Mesquin

Imaginez un instant que Madame Bettencourt ne se soit pas fâchée avec sa fille. Imaginez que cette banale querelle de gros sous, comme il en existe dans toutes les familles, même les plus modestes, n'ait pas emporté dans sa tourmente un ministre justement en train de gérer le dossier le plus sensible du moment… On n'aurait alors jamais rien su de la Légion d'honneur de Monsieur de Maistre, dont on aurait d'ailleurs continué d'ignorer jusqu'à l'existence, et nous n'aurions parlé ce matin que des retraites. Cela tient donc à vraiment peu de chose, la politique. On passe des mois à concocter une réforme définitive, à verrouiller un plan de bataille - et tout dérape pour un gigolo trop gourmand, une vieille femme trop généreuse ou une héritière trop exclusive. C'est la loi de la politique, un grain de sable suffit parfois à contrarier un grand dessein. C'est mesquin, mais c'est ainsi.

Fleuves

Notre Hyperprésident a dû rêver hier, devant le flot montant des manifestants, de pouvoir inverser le cours des fleuves, comme prétend le faire son collègue Président du Kazakhstan. Il a dû imaginer un instant que le flot reflue de la Nation à la République, et cette fois en soutien de sa réforme des retraites… Reste que, sans être kazakh, notre Président n'est pas sans ressources. Les opposants à la réforme ont mobilisé, et fortement, mais la rue n'est pas l'opinion. Son pari est qu'une majorité de Français s'est résignée à travailler plus longtemps, à condition d'avoir l'impression que l'effort est justement réparti. Et il veut croire que la répétition des manifestations et des grèves, avec les tracas qu'elles charrient, finira par lasser. En clair, notre Président ne prétend pas inverser le fleuve des mécontents - il espère seulement l'assécher peu à peu, à l'usure.

Un succès et un échec

Peu importe la bataille des chiffres : hier, la rue a gagné. Même les statistiques du ministère de l'Intérieur qui, traditionnellement, minimisent le nombre de manifestants - c'est de bonne guerre - l'ont implicitement reconnu. Le scepticisme à l'égard de la réforme gouvernementale l'emporte peu à peu sur le réalisme qui avait fait une croix sur la retraite à 60 ans. Mais après ? Que peuvent faire les syndicats de cette victoire qui parachève le retournement de l'opinion ?
Ce matin, nous sommes revenus à la case départ. Pas vraiment surpris, l'Élysée tend le dos. Par son silence, tout à fait prévisible lui aussi, Nicolas Sarkozy fait clairement comprendre qu'il ne bougera pas d'un millimètre sur le socle essentiel du texte, l'âge de départ. Son plan se déroule comme il l'a envisagé. Aujourd'hui, il va promettre des « avancées » sur la pénibilité, les longues carrières et les polypensionnés, espérant ainsi apporter la démonstration de sa sensibilité sociale.
C'est précisément l'efficacité de cette condescendance programmée qui fera, ou non, la différence. Pèsera-t-elle suffisamment pour contrer l'effet psychologique des images de ce mardi protestataire ? La seule inconnue de la grève d'hier est bien là. Parce que la mobilisation du 7 septembre est bien plus importante que celle du 24 juin, elle légitime d'éventuelles prolongations et valide l'hypothèse d'une nouvelle journée d'action, peut-être dès la mi-septembre prochain. Sera-ce l'ultime rendez-vous ? Le chant du cygne d'une contestation érodée par les concessions du pouvoir, une simple carte dans le jeu social, ou un stimulant pour aller encore plus loin ?
Les syndicats, eux, qui ne croyaient plus pouvoir infléchir significativement la politique gouvernementale, ne partent plus battus d'avance. De son côté, le président de la République ne dispose plus que d'une marge de manœuvre réduite : impossible de renoncer, impensable de passer en force.
Classique, ce scénario dans lequel le rapport de forces s'équilibre révèle aussi... un échec pour toute la société française. L'urgent dossier des retraites est une nouvelle fois confisqué par les tabous, les postures et la démagogie. En jurant de revenir à la retraite à 60 ans si la gauche l'emporte en 2012, le PS de Martine Aubry y cède lui aussi, et se lie les mains pour le futur. Quant au spectacle des premiers échanges à l'Assemblée, il a laissé l'impression d'un étrange décalage avec le réel.
Bâclé, le grand débat est piégé par un dialogue social étriqué, trop contraint par le temps. Pour avoir une chance d'être consensuel, il aurait dû être programmé en début de quinquennat. Il est instrumentalisé pour relancer un président en fin de mandat. Cette frilosité de calendrier sera lourde de conséquences.

Olivier Picard

Un calendrier resserré

À l'évidence, la vague syndicale contre la réforme des retraites est d'une amplitude qui rejoint les grands mouvements sociaux de ces vingt dernières années. Elle ne saurait donc être évacuée sans autre forme de procès. Elle va nécessairement contraindre l'Élysée à lâcher du lest sur le versant le plus controversé de la réforme, son traitement inéquitable.

Les syndicats ont engrangé un gros succès. Soit. Peuvent-ils pour autant pousser leur avantage ? Trois obstacles risquent d'entraver cet objectif. La butée du temps est la plus immédiate. Le calendrier est délibérément resserré, incompatible avec le mûrissement nécessaire aux grands mouvements sociaux.

Une manifestation hétérogène réunissant autour de deux millions de participants n'est pas reconductible toutes les semaines. Ensuite, au révélateur des nouvelles propositions gouvernementales, les arrière-pensées syndicales et les différences de stratégie peuvent ressurgir et lézarder le front commun. On peut faire confiance à l'Élysée pour enfoncer un coin dans un mur syndical qui ne tient, somme toute, que par le ciment assez lâche du refus pur et simple de la réforme projetée. Pas celui d'une proposition alternative partagée.

Enfin, les sondages maintiennent, contre vents et marées protestatrices, une opinion majoritaire en faveur de la mesure phare de la réforme : la retraite légale repoussée à 62 ans à l'horizon 2018. De fait, les Français ont intégré, bon gré mal gré, avec fatalisme ou irritation, qu'ils ne pouvaient s'installer dans un déni démographique un peu suicidaire. Dont acte, cela vaut aussi pour les syndicats.

Il reste que l'obstacle principal au train de la mobilisation se trouve à l'Élysée. Le Président a certes de bonnes raisons de lâcher du lest, ne serait-ce que pour ne pas injurier l'avenir. Au-delà des retraites, il aura bien besoin des syndicats pour gérer aussi sereinement que possible les lourds dossiers qui suivent - dépendance, assurance maladie - comme il a eu besoin d'eux pour gérer la crise.

Il n'empêche. Nicolas Sarkozy a encore de bien meilleures raisons de ne pas céder sur l'essentiel : le recul de l'âge légal. D'abord des raisons de contraintes extérieures. Bruxelles et les marchés tout puissants réclament avec impatience que la France remette ses comptes publics d'aplomb. Faute de quoi elle se mettra(it) bientôt à portée de tir (meurtrier) des agences de notation.

Des raisons de pure politique aussi. Après les avatars de l'été - immigration, Roms, sécurité... - le dossier des retraites est une superbe opportunité pour Nicolas Sarkozy de se refaire une santé en ressoudant sa majorité autour de sa fermeté. De décrocher le brevet de bravoure dont il rêve pour entamer la prochaine campagne présidentielle. Passer le pont de la réforme sous la mitraille syndicale, avec plus de deux millions de manifestants, ce n'est d'ailleurs plus un fantasme, c'est déjà une réalité.

Le Président a aussi un argument bien plus fondamental, à l'aune de l'intérêt général, de ne pas céder à la rue. C'est que le statu quo et l'immobilisme qui se cachent parfois derrière les postures progressistes affichées, est intenable. Si Nicolas Sarkozy rompait avec l'ardente obligation d'une réforme, il ne saperait pas seulement son avenir politique immédiat. Il serait coupable de non-assistance à système de retraite par répartition en danger de mort.
Paul Burel

LE COMMENTAIRE DE CHRISTOPHE BARBIER


Zone euro: "la croissance va ralentir"

La croissance économique dans la zone euro devrait ralentir au second semestre de cette année comme dans d'autres régions du monde, a déclaré mardi Jürgen Stark, l'un des membres du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), qui a souligné les risques perceptibles pour l'après-2010.

"Nous sommes satisfaits de l'évolution récente de la situation économique mais nous avons aussi déclaré que nous percevions certains risques pour les perspectives économiques au-delà de cette année", a-t-il dit dans un discours. La BCE a laissé la semaine dernière ses taux d'intérêt inchangés et elle a prolongé ses opérations de refinancement illimité à une semaine et à trois mois jusqu'à la mi-janvier 2011 au moins.

Jürgen Stark, réputé pour être l'un des plus farouches partisans de la lutte contre l'inflation au sein de la banque centrale, a ajouté ne percevoir ni signe d'inflation, ni signe de déflation dans la zone euro. "Les anticipations d'inflation sont pleinement ancrées, en ligne avec la stabilité des prix", a-t-il dit, ajoutant que la politique monétaire et les mesures de soutien au crédit de la BCE étaient "accommodantes mais appropriées".

Il a souligné que la BCE était bien consciente des risques liés au maintien prolongé de taux bas. "Une période trop longue de taux d'intérêt aurait des conséquences défavorables et nous procéderons très attentivement pour assurer que cela ne se produise pas", a-t-il dit. Il a assuré que la banque centrale ne retirerait que progressivement ses mesures de soutien, en évoquant une amélioration inégale de la situation des banques de la zone euro.

"Nous assistons à une reprise du marché monétaire, la confiance entre les banques a augmenté mais cela n'est pas valable pour l'ensemble du système bancaire" de la zone euro, a-t-il dit. "Nous prenons des décisions mois après mois et nous sommes bien avisés de procéder ainsi."

A propos des finances publiques, Jürgen Stark a averti que certains pays restaient dans une situation précaire et il a plaidé pour des efforts de consolidation accrus. Il a jugé "réaliste" le plan d'assainissement budgétaire de la Grèce et il a apporté son soutien à l'Irlande, confrontée à l'envolée du coût du soutien à son secteur bancaire. "Je suis tout à fait convaincu que le gouvernement irlandais maîtrise le problème et qu'il continuera de le faire", a-t-il dit.

Un sursis de deux ans pour la pub sur France Télévisions

Quasi acquis. En cadeau d'arrivée, Rémy Pflimlin, le nouveau président de France Télévisions, devrait garder sa publicité en journée deux années de plus que ce qui est prévu par la loi.

Cette disposition serait acquise pour le gouvernement. Le texte prévoyait qu'à l'issue du basculement total dans l'ère numérique, qui devrait se faire en novembre 2011, les antennes publiques renoncent complètement à la publicité.

Il n'en sera rien. Le ministère de l'Économie et des Finances s'apprête à prolonger de deux ans l'activité de la régie de France Télévisions qui, en 2010, pourrait rapporter à l'entreprise 400 millions d'euros, soit 80 millions de plus que ce qui était prévu au départ.

Mais cette «faveur» serait cependant assortie de contreparties. France Télévisions devrait ainsi accepter que soit encadré le parrainage, via une limitation en durée des écrans qui lui sont consacrés.

Par ailleurs, le groupe public ne pourrait pas garder la totalité des recettes réalisées par la régie.

Si le gouvernement a bien conscience que France Télévisions doit éponger son déficit (prévu à 44 millions d'euros) et doit investir une vingtaine d'autres millions dans le développement de la TNT en outre-mer (lancement d'un premier puis d'un second multiplexe mais aussi approvisionnement des télé-pays en productions fraîches), il souhaite cependant qu'une partie des recettes de France Télévisions retourne dans le budget de l'État.

Il reste maintenant à en négocier le montant.

Syndicats : pari réussi !


L'effet quinquennat

De nombreuses formations politiques ont effectué leur rentrée ces derniers jours. Toutes se sont placées dans la perspective de la présidentielle de 2012, notamment les Verts en propulsant Eva Joly, le Nouveau Centre, en donnant des ailes à Hervé Morin, et les socialistes qui, bien que n'ayant pas encore choisi leur candidat, ne pensent qu'à ça. Sans oublier, bien sûr, le président Sarkozy, qui a lancé à Grenoble, par son fameux discours sur la sécurité, sa propre campagne en vue d'un second mandat.

Les esprits conciliants diront qu'il n'y a là rien que de très normal. Dans une démocratie, les partis sont conçus pour « candidater » au pouvoir et se doivent donc de préparer les élections. Mais on objectera que pour qu'une démocratie fonctionne avec la confiance des citoyens, il faut aussi que le pouvoir exécutif dispose du temps nécessaire à la mise en oeuvre des réformes pour lesquelles il a été élu. Ajoutons que ce temps de la réforme est d'autant plus indispensable que notre pays, à l'instar de tout le monde occidental, traverse une des plus graves crises de son histoire et que celle-ci appelle des mesures énergiques.

Or il est clair que l'instauration du quinquennat a réduit le temps disponible. L'exemple américain où le mandat présidentiel n'est que de quatre ans et où la majorité parlementaire est susceptible de basculer tous les deux ans, comme on le voit en ce moment même, montre que cet effet de calendrier peut être pire ailleurs. Ce n'est pas une raison pour le subir passivement. Il est de l'intérêt supérieur du pays, changement de Premier ministre ou pas, que le gouvernement poursuive pendant un an au moins sa tâche de redressement économique et financier. Il sera toujours temps, à la rentrée 2011, de se mettre en ordre de bataille pour l'élection du printemps 2012. Faute de quoi, même si personne ne songe à le rétablir, on regrettera le septennat que le général de Gaulle avait conservé dans la Constitution de la V e République, précisément pour disposer de la durée nécessaire à toute action en profondeur.

Vraies et fausses injustices

Agglomérat de la France immuable et de la France active, de manifestants professionnels et d'adversaires sincères, agrégat de révoltés et de réformistes, de fonctionnaires protégés et de galériens du travail, de jeunes retraités et de futurs pensionnés, le peuple aux cent visages qui a défilé en masse hier dans nos villes a exprimé une conviction commune dont il serait vain de nier qu'elle est assez partagée : c'est une réforme des retraites injuste qu'examinent les députés. Une injustice présumée pour quatre raisons.

La première, la plus large, est qu'avant la fin de la décennie nous devrons en règle générale travailler deux ans de plus, jusqu'à 62 ans, avant de faire valoir nos droits à la retraite. Deux années supplémentaires qui sont pourtant loin de compenser les sept années d'espérance de vie gagnées par les hommes depuis 1983 - l'an I de la retraite à 60 ans. Et qui nous laissera à distance de la borne des 63 ans en vigueur en Allemagne, pays certes en moins bonne santé démographique mais en meilleur état financier. Insupportable, vraiment ?

La deuxième injustice invoquée viendrait de ce qu'il faudra attendre 67 ans au lieu de 65 ans pour toucher sa retraite sans décote - et non pas au taux plein comme le soutient à tort Martine Aubry. Voilà qui pénaliserait des salariés aux carrières hachées ? Sans doute. Mais aussi des femmes qui ont choisi depuis longtemps de ne pas travailler et surtout des cadres, entrés tard dans la vie professionnelle. Curieuse inéquité.

L'absence d'un droit à la retraite dès 60 ans pour avoir exercé un métier pénible serait constitutif d'une troisième injustice. Cependant, aucun pays de l'OCDE ne « répare » la pénibilité en donnant une retraite, mais en indemnisant l'invalidité. En distillant ce droit nouveau, la France sera pionnière. Drôle d'iniquité. La réforme, enfin, serait cruelle car financée par des mesures d'âge plutôt que par des prélèvements financiers. Mais même s'il porte le poids de la crise, le déséquilibre des retraites reste pour l'essentiel d'origine démographique.

La véritable injustice est de prétendre sauver les retraites en relevant massivement les charges salariales et les impôts. Car, à ce jeu-là, les plus riches s'en sortent toujours le mieux, tandis que souffrent les classes moyennes et les plus jeunes, premières victimes de cette fabrique à chômeurs. La véritable injustice est de faire miroiter le retour aux 60 ans, droit que le PS lui-même rend fictif lorsqu'il se résout à allonger la durée de cotisation. Car c'est tromper l'électeur. L'injustice n'est pas forcément là où le pensent les manifestants.


JFP