TOUT EST DIT

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dimanche 8 février 2015

Sur l'Ukraine, "personne ne sait ce que veut Poutine"

François Hollande et Angela Merkel ont passé deux jours ensemble à tenter d'arrêter la guerre en Ukraine. Et la conférence téléphonique, prévue dimanche entre Vladimir Poutine, le président ukrainien Porochenko et les deux médiateurs, sera l'aboutissement de ce marathon. Mais, interrogé par le JDD, François Heisbourg, président de l'International Institute for Strategic Studies (IISS), reste pessimiste quant à l'issue de cette séquence diplomatique.
Vous assistez depuis samedi aux travaux de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité internationale. Que dit-on sur place de l'initiative franco-allemande sur l'Ukraine?
Personne ne fait de reproche à cette démarche, qui est très opportune. Il se dit que si François Hollande et Angela Merkel sont allés à Moscou, c'est parce qu'ils croyaient que Vladimir Poutine voulait enfin discuter sérieusement. Mais à ce stade, je crois que le mot d'"accord" est très prématuré, car Mme Merkel a reconnu ici en réponse à l'une de mes questions qu'il n'y avait aucune garantie de résultat. S'il s'agit d'une mission de la dernière chance, comme on dit, rien n'indique ici du côté russe, ukrainien, européen ou américain qu'on soit vraiment engagés dans un processus. On peut comprendre qu'il faille rester prudent, mais l'ambiance, ici à Munich, est à l'extrême inquiétude. Je n'avais jamais vu cela depuis la veille de l'entrée des Américains dans la guerre en Irak en 2003 sous George Bush alors que la France et l'Allemagne tentaient en vain de l'en dissuader.

Si les choses sont si fragiles, pourquoi néanmoins, selon vous, Vladimir Poutine a-t?il reçu François Hollande et Angela Merkel à Moscou pendant cinq heures?
Parce qu'il y a quelque chose de bien plus menaçant pour les Russes que la possibilité d'armer l'Ukraine. Les sanctions économiques conjuguées à la chute des prix du pétrole fonctionnent ­remarquablement et fragilisent gravement l'économie russe. La Russie a deux ans de réserve ­financière devant elle avant de se retrouver en défaut. Poutine sait par ailleurs que les Français et les Allemands sont hostiles aux livraisons d'armes à l'Ukraine, qu'Angela Merkel sera reçue ­demain aux États-Unis parBarack Obama. Mon sentiment est qu'il veut profiter de l'initiative franco-allemande pour l'instrumentaliser.
«Rééquilibrer le rapport de force face aux séparatistes n'attaque pas la Russie mais renforce l'Ukraine.»
Est-ce parce que vous doutez de la conclusion d'un accord de paix que vous êtes favorable aux livraisons d'armes des Américains à l'Ukraine?
Les Européens pensaient qu'avec les sanctions économiques Poutine finirait par plier. Mais il peut aussi réagir de façon violente, considérant que les sanctions sont un acte de guerre. Il me paraît donc moins risqué de fournir des armes à l'Ukraine pour qu'elle se défende plutôt que de monter en gamme dans les sanctions. Rééquilibrer le rapport de force face aux séparatistes n'attaque pas la Russie mais renforce l'Ukraine. D'ailleurs, pendant la guerre froide, période à laquelle se réfère souvent Poutine, l'URSS n'a rien fait pour empêcher les Occidentaux d'armer des pays non membres de l'Otan comme la Finlande, la Suède ou la Yougoslavie. La diplomatie n'est jamais inutile, mais regardons ce que sont devenus les fameux accords de Minsk de septembre dernier. On pensait qu'ils seraient appliqués, mais, à peine le dos tourné, les séparatistes se sont lancés dans de nouvelles offensives.
Mais que veut Poutine, au fond?
Personne ne sait ce qu'il veut. Ce que l'on sait, c'est qu'il a transgressé les règles de la guerre froide et de l'après-guerre froide en ­annexant la Crimée. On sait aussi qu'il a un discours révisionniste : en 2007, lorsqu'il est venu à la conférence de Munich, il a promis que la Russie était de retour, il comparait le sort de l'ex-URSS après la chute du mur de Berlin à celle de l'Allemagne après le traité de ­Versailles, comme s'il voulait mettre fin aux humiliations. Aujourd'hui, il met ce discours en œuvre. Il est extrêmement déterminé et totalement soutenu par son peuple. Ses ministres rappellent enfin régulièrement que la Russie est une puissance nucléaire.