C'est presque devenu une habitude : Martine Aubry a présenté ses vœux à la presse, jeudi 13 janvier, rue de Solférino. Et Ségolène Royal présentera les siens... le même jour, dans sa région. Un exemple parmi des dizaines d'autres concernant les deux femmes depuis 2007.
2006-2007 : PETITES PHRASES ENTRE ENNEMIES
Lorsqu'elle est investie candidate socialiste, en novembre 2006, Ségolène Royal sait qu'elle n'a pas beaucoup d'alliés parmi les "éléphants" socialistes. Et que Martine Aubry n'en fait pas partie. Lors des primaires, Mme Royal a critiqué les 35 heures, qualifiées de mesures "technocratiques". Mme Aubry, qui a porté cette loi, n'a pas apprécié et l'a fait savoir, expliquant que "le problème [d'une campagne] n'est pas de savoir si on a les bonnes mensurations".
En janvier 2007, pour faire taire ceux qui la disent isolée, Ségolène Royal s'affiche à Lille en compagnie de Martine Aubry. Mais derrière la complicité jouée devant les caméras, les rapports restent tendus. "Ségolène Royal a choisi un style extrêmement particulier" de campagne, estime ainsi la maire de Lille dans ce qui se veut un compliment. Quant à la candidate PS, elle salue en Martine Aubry, ancienne numéro 3 du gouvernement Jospin, une... "élue de terrain". On a connu hommage plus vibrant.
Après la défaite de la gauche, les choses ne vont pas en s'arrangeant lorsqu'il s'agit de désigner un successeur à François Hollande à la tête du parti, en 2008. Jouant de sa légitimité d'ex-candidate, Ségolène Royal se place sur les rangs, transformant l'élection en référendum pour ou contre sa personne.
2008 : GUERRE DES ROSE(S)
Martine Aubry se retrouve rapidement, et sans qu'elle l'ait beaucoup souhaité, à la tête d'une motion concurrente, qui regroupe les fabiusiens et quelques strauss-kahniens, dont l'essentiel de la cohérence tient dans la volonté partagée d'éviter que Mme Royal ne prenne le parti. Et les petites phrases pleuvent, cruelles. A Reims, en novembre, sous le prétexte d'un débat sur une alliance avec le MoDem, que propose l'ex-candidate, le congrès du PS se transforme en guerre de tranchées entre pro et anti-Royal. Lors de son discours, la présidente de région est sifflée par les partisans de la maire de Lille. L'inverse se produit lorsque la dernière monte à son tour à la tribune.
Lors de la nuit dite "des résolutions", où les différents courants du PS tentent de parvenir à une synthèse, l'ambiance est à couteaux tirés. Quelques heures après le début des négociations, c'est l'impasse. Royal, qui n'a pu obtenir d'alliance ni de garanties suffisantes, claque la porte et dénonce devant les caméras des "méthodes d'un autre âge" et en appelle au vote des militants.
Peu désireuse d'hériter du poste de François Hollande, Martine Aubry attend le tout dernier moment pour se porter candidate. Elle n'a plus le choix : le renoncement de Bertrand Delanoë de se lancer ou d'envoyer un candidat issu de sa propre motion ne laisse qu'elle et Benoît Hamon face à l'ex-candidate. Sans surprise, le jeune représentant de la gauche du parti se rallie à la maire de Lille à l'issue d'un premier tour dont Royal sort gagnante.
Le vendredi suivant, le vote des militants se transforme en fiasco. Les deux femmes sont au coude-à-coude. A l'issue d'une nuit très agitée, Martine Aubry est déclarée gagnante, par quelques centaines de voix à peine. Le camp Royal, furieux, dénonce des fraudes, que des enquêtes de journalistes viendront confirmer. Mais des fraudes sont aussi signalées dans le camp royaliste. Une commission ad hoc confirmera la victoire de Martine Aubry, mais Ségolène Royal n'a pas l'intention d'en rester là.
2009-2010 : DU DÉGEL À L'ENTENTE CORDIALE
Martine Aubry veut "remettre le PS au travail" et surtout en finir avec les divisions. Elle n'entame donc pas de "purge" et prend même quelques représentants du courant Royal au sein de la direction nationale. Mais, plus discrètement, elle limite les subsides octroyés à son adversaire. Durant quelques mois, celle-ci joue les francs-tireurs, multipliant les provocations et les propositions iconoclastes pour continuer d'exister médiatiquement. Son camp critique la méthode d'Aubry pour les européennes de 2009. La première secrétaire finit par faire un geste et organise un meeting commun avec son adversaire. Il ne suffira pas à renverser la tendance, mais permet au PS d'en finir – provisoirement – avec les divisions.
Aux universités d'été de La Rochelle, fin août, même mise en scène. Mais en coulisses, la guerre continue. Tout est tactique. Quand Martine Aubry veut proposer à Ségolène Royal un poste au bureau national, mais dit ne pas arriver "à la joindre". Lorsqu'elle finit par y parvenir, Royal refuse, propose un de ses proches, maire-adjoint de 32 ans, et en profite pour estimer qu'il "faut faire avancer la rénovation des idées et des pratiques du PS par des choix très concrets". Elle profite de la fin de l'année pour remettre la main sur son courant, que Vincent Peillon tentait de s'approprier. Mais elle chute dans les sondages.
2010 : PACTE À TROIS
Une autre bataille est sur le point de s'ouvrir, celle de 2012. Martine Aubry aurait contracté un "pacte" avec
Dominique Strauss-Kahn : ils décideront le moment venu lequel d'entre eux doit se présenter. En attendant, la campagne des régionales commence. Royal choque, une fois encore, en proposant une alliance locale au MoDem, alors que le PS l'a exclu.
"Ségolène Royal veut mener son propre chemin", commente Martine Aubry.
La maire de Lille peut se réjouir : le PS sort gagnant des régionales et y puise une bouffée d'oxygène. Très bien réélue dans sa région, M
me Royal comprend qu'elle doit changer de tactique. Elle se lance dans un gambit en trois temps. Premier temps, le retour au sein du parti. Alors qu'en janvier elle disait n'avoir aucune intention de se
"laisser marcher dessus" pour les primaires, elle modifie sa position. Le 26 mars, sur France 2, elle assure :
"aujourd'hui je ne suis pas candidate (...) je ne veux pas entrer dans la guerre des chefs".
Concentrée sur les sujets de fond, comme l'usine Heuilliez qu'elle tente de sauver dans sa région, elle propose une trêve à Martine Aubry. Celle-ci, tout à sa volonté d'unité, fait tout pour s'afficher avec la présidente de région. Ségolène Royal, elle, passe au second temps et modifie son discours, assurant que la question des candidatures PS pour 2012 doit être
"une décision collective, un dispositif collectif" entre M
me Aubry, "DSK"... et elle-même. Elle s
'invite donc dans le pacte entre les deux.
Martine Aubry laisse faire et continue d'afficher leur proximité retrouvée. A La Rochelle, c'en est presque fini de l'ostracisation du camp Royal. Sur les retraites, l'ex-candidate remplace même au pied levé la première secrétaire pour une émission sur France 2. Ce n'est pas pour autant l'amitié, bien au contraire. Le camp Aubry surveille Royal, à l'affût du moindre signe.
2011 : LA NOUVELLE GUERRE DES DAMES ?
Celui-ci arrive fin novembre. Prenant prétexte d'une déclaration de Martine Aubry sur le "pacte" qui lie les trois candidats potentiels, Ségolène Royal... le réfute, estimant que "
personne ne s'interdit d'être candidat aux primaires, y compris moi". Trois jours plus tard, elle est officiellement candidate.
Le camp Aubry n'est pas supris. Mais il reste paralysé par l'attente de la décision de Dominique Strauss-Kahn. Et pendant ce temps, Royal fait campagne. Le 10 janvier, à Jarnac, alors que le PS commémore les 15 ans de la mort de François Mitterrand, elle est la seule à oser dire qu'elle a
"envie de succéder" au seul président socialiste de la V
e République. Une envie qui ne l'a
"jamais" quittée,
"pas un seul jour", dit-elle également, quitte à s'éloigner quelque peu de ses déclarations sur le collectif.
Martine Aubry, qui a opté pour la discrétion médiatique, doit occuper le terrain. Et profite du début de l'année et de la sortie d'un livre sur elle (
Martine Aubry, les secrets d'une ambition, par
Marion Mourgue et
Rosalie Lucas ) pour faire allusion aux primaires, et rappeler qu'elle
"n'exclut rien", y compris se lancer dans la bataille si "DSK" n'y va pas. La réponse de Ségolène Royal est attendue dans la soirée de jeudi.