Mireille : Qui sont les Frères musulmans ? Depuis quelle date existe le groupe ? Sont-ils aussi présents dans d'autres pays en dehors de l'Egypte ?
Les Frères musulmans, c'est une organisation religieuse qui est née en Egypte en 1928. Son fondateur est
Hassan El-Banna. Le but de l'organisation était d'instaurer un pouvoir religieux en Egypte fondé sur le Coran. L'association a fait assassiner le premier ministre égyptien Nokrachi en 1948.
Elle a été très combattue par Nasser, qui l'accusait d'avoir voulu l'assassiner en 1954. Les Frères musulmans ont subi une répression très violente. Ils ont donné naissance à toute une série de groupes en Egypte et à l'étranger. Certains violents, commettant des actes terroristes ; un mouvement comme le Hamas, à Gaza, est une émanation des Frères musulmans.
Aujourd'hui, en Egypte, l'organisation est illégale, mais tolérée. Elle avait réussi à faire élire sous une étiquette indépendante un cinquième des députés égyptiens, en 2005 ; mais aux élections de décembre 2010, estimant – à juste titre – que le scrutin était truqué, les Frères musulmans se sont retirés de la compétition.
Ils ont reçu ces jours-ci un début de reconnaissance, puisqu'ils ont été associés aux négociations que le pouvoir égyptien a été contraint d'engager sous la pression des opposants.
jm : Les Frères actuels se sont-ils démarqués officiellement des écrits appelant à la violence de Qotb et El-Banna, fondateurs de la confrérie?
Oui, la direction de la confrérie est opposée à la violence et ne commet pas d'attentats. Mais les Frères musulmans comptent diverses tendances allant de ceux qui veulent instaurer une république islamique à ceux qui se déclarent démocrates.
Sayed Qotb allait plus loin que Hassan El-Banna, il était partisan, lui, d'une rupture radicale avec l'ordre établi. Il tenait les dirigeants égyptiens pour impies et prétendait les abattre, à l'image, disait-il, du prophète, qui avait détruit la barbarie pré-islamique. Arrêté par la police de Nasser, Qotb avait été condamné à mort et pendu en 1966.
MOUS : La principale raison de leur création était de combattre l'occupant anglais, qui par la suite a exécuté Hassan El-Banna, est-ce exact ?
Hassan El-Banna a bien été exécuté après l'assassinat du premier ministre égyptien, mais l'Egypte à l'époque était officiellement indépendante depuis 1922, même si les Anglais l'occupaient de fait.
Kamel : Ont-ils des compétences en leur sein pour participer à un gouvernement ?
Les Frères musulmans comptent de nombreux diplômés, et donc de nombreuses compétences. Leur grande faiblesse, cependant, est l'absence d'un programme économique crédible.
Ils ne donnent pas l'impression d'être en mesure de gouverner l'Egypte.
Michel : S'il est vrai qu'il y a une évolution dans l'idéologie politique des Frères musulmans, en Egypte au moins, à chaque fois que leur base politique commençait à s'élargir, ils se sont révélés incapables d'afficher une unité, ce qui les menait systématiquement en prison, indépendamment du régime en place. En ce sens, je ne pense pas qu'ils représentent une alternative sérieuse. Qu'en pensez-vous?
Je ne pense pas, en effet, que les Frères musulmans présentent une solution alternative crédible. Cela dit, ce n'est pas leur division qui les a conduits en prison, me semble-t-il, mais la volonté du pouvoir de casser l'organisation ou de la tenir sous contrôle.
clara : Pourraient-t-ils un jour, en Egypte, prendre le pouvoir par la force ?
Cela me paraît difficile, pour ne pas dire impossible. Ils se heurteraient à l'armée égyptienne. A moins de supposer un noyautage de l'armée égyptienne par les Frères musulmans... ce qui reste largement à démontrer.
Eric : Comment sont-ils perçus par la population égyptienne ?
Les Frères musulmans sont surtout connus par leur action caritative et sociale dans un pays qui a changé de politique économique depuis l'arrivée de Sadate au pouvoir, passant progressivement d'un socialisme étatique à un libéralisme et à des privatisations. La diminution des aides sociales a laissé la place à des initiatives privées, dont celle des Frères musulmans. Bien organisés, ayant des moyens importants, capables de se mobiliser très vite pour aider la population, comme on l'a vu par exemple après un tremblement de terre au Caire, ils ont la réputation d'être efficaces.
Ilouna LLoubia : La devise du mouvement est : "Le Coran est notre Constitution". Trouvez-vous cela compatible avec la démocratie ?
La devise plus complète est la suivante :
"Dieu est notre but, le prophète notre chef, le Coran notre Constitution, le djihad [guerre sainte]
notre voie, et le martyre notre plus grande espérance."
Telle quelle, cette devise ne me paraît pas compatible avec la démocratie, notamment dans un pays qui compte plusieurs millions de citoyens chrétiens.
selim : Un parti islamiste peut-il devenir majoritaire en Egypte ?
Les opposants au régime qui ont déclenché la révolte de ce mois de janvier sont persuadés que non. Ils attribuent, comme d'ailleurs certains analystes, 30 % maximum des suffrages en cas d'élections libres aux Frères musulmans. Mais ce ne sont que des hypothèses.
Jean : Quelles relations les Frères musulmans entretiennent-ils avec le régime iranien ?
Les Frères musulmans sont sunnites, le régime iranien est chiite. Il y a bien, sur certains points, par exemple la question palestinienne, des convergences entre les Frères musulmans et le Hezbollah libanais (chiite). Mais je ne pense pas que les Frères musulmans entretiennent des relations avec le régime iranien.
Etienne : Quelles sont les orientations de la confrérie en termes de politique étrangère ?
La confrérie est attachée à la notion de nation musulmane. Elle est opposée à la politique gouvernementale égyptienne à propos d'Israël. Vous savez que l'Egypte est le premier pays arabe à avoir conclu la paix avec l'Etat juif. Les Frères musulmans reprochent au gouvernement d'avoir cédé à Israël, notamment à propos de la colonisation de la Cisjordanie. Cela ne veut pas dire forcément que les Frères musulmans, si par hypothèse ils arrivaient au pouvoir, déclencheraient une guerre contre Israël.
Léon : Les Frères musulmans souhaitent-ils vraiment entrer au gouvernement en Egypte ?
Je ne suis pas persuadé que les Frères musulmans veuillent entrer dans un gouvernement d'union nationale et se compromettre de cette manière. Ce qu'ils cherchent surtout actuellement, c'est une reconnaissance, et ils l'ont un tout petit peu obtenue ces jours-ci en étant associés à un début de négociation entre l'opposition et le régime en place.
nico : Les Frères musulmans mettent-t-ils en péril la paix entre l'Egypte et Israël ?
Israël le pense, mais c'est la majorité du peuple égyptien qui est très remontée contre Israël et contre la politique conciliante de M. Moubarak. Si les Frères musulmans participaient à un gouvernement d'union nationale, ils contribueraient certainement à faire davantage pression sur Israël. Mais de là à déclencher une guerre, je ne le pense pas.
Oum Kalsoum : Les Frères ont condamné les récents attentats contre les coptes. Mais la cohabitation des deux religions est-elle possible dans une Egypte où des islamistes seraient au gouvernement ?
Il existe déjà une contradiction dans la Constitution égyptienne. Celle-ci affirme, d'une part, que tous les citoyens sont égaux en droits quelles que soient leur religion ou leurs croyances, mais elle affirme parallèlement, dans un autre article, que l'islam est la religion de l'Etat et que les principes de la charia sont la source principale de toutes ses lois.
La cohabitation entre les deux religions est évidemment possible, à condition d'aménager la Constitution et de supprimer les discriminations qui affectent les coptes. Au sein des Frères musulmans, il existe des divergences sur la place à accorder aux coptes dans les instances de l'Etat. Certains refusent, par exemple, qu'un chrétien accède à la présidence de la République.
Ilouna LLoubia : Quelle est la source des revenus des Frères mulsumans en Egypte ?
Officiellement, les Frères musulmans s'autofinancent. Beaucoup les soupçonnent, cependant, d'avoir reçu des fonds importants de certains pays comme l'Arabie saoudite, même si l'Arabie saoudite est aujourd'hui un soutien du régime Moubarak.
Laurent dailleurs : La confrérie, ou tout au moins une partie du mouvement, évolue-t-elle comme l'AKP de Turquie ? Si oui, serait-elle en position de prévaloir sur une aile dure ?
Certains membres des Frères musulmans ont tenté de créer un parti modéré, El-Wasat (le Centre), qui a été interdit. Il existe en effet au sein de la Confrérie une aile jeune, plus moderne, qui veut s'inspirer du parti gouvernemental turc, lequel a évolué dans le sens de la démocratie. Mais je ne pense pas qu'elle soit majoritaire.
Yann : Les Frères musulmans ne soutiennent-ils pas, en secret, des organisations islamistes violentes, au-delà de leur pacifisme affiché ?
Les Frères musulmans ont renoncé à la violence depuis longtemps. Il reste que les groupes qui ont commis des attentats en Egypte, notamment la
Gamaa Islamiya, qui a assassiné le président Sadate en 1981, avaient été enfantés par la confrérie. Aujourd'hui, rien ne permet d'affirmer que la direction des Frères musulmans commandite des actions violentes. Celles-ci sont d'ailleurs très peu nombreuses en Egypte. L'attentat commis il y a quelques semaines contre les fidèles réunis dans une église d'Alexandrie n'a pas été attribué aux Frères musulmans.
Youssef : Est-il possible aujourd'hui de composer sans les Frères musulmans en Egypte ?
C'est une bonne question. Il paraît très difficile aujourd'hui de trouver une solution politique en Egypte sans les Frères musulmans. Ce ne sont pas eux qui ont déclenché la révolte de ce mois de janvier contre le régime, mais ils s'y sont ralliés très habilement, ont montré leurs qualités d'organisation sur la place Tahrir, ont même été aux premiers rangs de ceux qui combattaient physiquement les assaillants.
Ils profitent de ces événements pour entrer officiellement dans le jeu politique, obtenir une reconnaissance, une liberté d'exister en tant que mouvement. Sachant que beaucoup de leurs membres ont été emprisonnés et maltraités en prison toutes ces dernières années.
Sylvie : Tariq Ramadan, petit-fils d'El-Banna, fondateur de la confrérie, s'est-il déjà clairement positionné par rapport au mouvement des Frères musulmans ?
Tariq Ramadan est un intellectuel musulman occidentalisé, qui défend avec beaucoup de subtilité des positions modérées. Certains l'accusent de double jeu. Il s'en défend. Ses positions modérées, formulées de manière séduisante, ne me paraissent pas représentatives de la majorité des Frères musulmans. Il n'est ni leur porte-parole ni leur porte-drapeau.