Quel est votre diagnostic sur l'économie française? Laurence PARISOT. -
Nous savons tous que la situation économique est gravissime. Moi-même,
je disais avant l'élection que la situation était préoccupante. Mais
aujourd'hui, nous sommes passés d'un avis de tempête à un avis
d'ouragan. Certains patrons sont en état de quasi-panique. D'un côté, le
rythme des faillites s'est accéléré durant l'été et aucun secteur
d'activité n'affiche de prévisions autres que pessimistes jusqu'à la fin
de l'année. Et par ailleurs, nous assistons à une défiance généralisée
des investisseurs, résidents comme non-résidents. Lorsque, pour
investir, ils ont le choix entre plusieurs pays, les grands
investisseurs étrangers excluent maintenant la France d'emblée. Dans ce
contexte qui devient réellement dramatique, chacun doit prendre la
mesure de l'urgence des décisions.
Justement, qu'attendez-vous du rapport que doit remettre Louis Gallois au gouvernement au sujet de la compétitivité?
Je
ne peux préjuger du contenu final du rapport mais une chose est
certaine: la déception des patrons sera immense si un homme tel que
Louis Gallois,
qui fut un très grand chef d'entreprise et capitaine d'industrie, ne
montre pas comment créer un véritable sursaut, ce que l'on appelle un
choc de compétitivité. Il y a dix ans, l'Allemagne était l'homme malade
de l'Europe et si nous ne faisons rien, bientôt ce sera au tour de la
France.
Louis Gallois a plusieurs fois milité pour un
choc de 30 à 50 milliards afin de réduire le coût du travail.
Partagez-vous son diagnostic?
30 milliards d'euros, ce
serait le minimum pour réduire l'écart avec l'Allemagne. Or il est
possible de financer une telle somme sans pénaliser le pouvoir d'achat
des salariés. Nous avons baptisé la double hélice le système qui
permettrait de le faire: nous proposons d'agir simultanément sur quatre
paramètres. D'un côté, on baisserait à la fois les charges patronales et
les charges salariales. De l'autre, on augmenterait légèrement la CSG
et la TVA hors produits de première nécessité. Cette hausse des impôts
indirects serait compensée par les deux premières baisses de
cotisations. Peut-être faudrait-il prévoir des ajustements spécifiques
pour les non-salariés ou les retraités qui, eux, n'en bénéficieraient
pas. Nous sommes sur le point de demander officiellement au Haut Conseil
du financement de la protection sociale de mesurer par des simulations
précises l'impact de nos propositions.
À quel rythme faut-il créer ce choc?
Ce
choc doit être court et se produire sur deux ans, trois ans maximum. Le
décrochage de la France est trop sérieux, on ne peut étaler cette
réforme sur toute la durée du quinquennat.
Y a-t-il d'autres pistes que des hausses d'impôts pour financer un tel choc aussi rapide?
Oui,
il serait faux de croire qu'il n'y a pas marge de manœuvre. Les
rapports de la Cour des comptes ou de l'Inspection des finances
l'expliquent. Il faut s'attaquer immédiatement aux dépenses publiques
pour retrouver notre compétitivité, et le gouvernement pour le moment ne
l'a pas fait. Je qualifierais même de trompe l'œil la réduction de
10 milliards qu'il affiche. Elle consiste seulement en un ralentissement
de la hausse habituelle des dépenses. Imaginez une personne qui, après
avoir grossi chaque année de deux kilos, croirait maigrir en n'en
prenant qu'un!
Pourquoi vous être opposée avec autant de force à la taxation des plus-values de cession au même niveau que les revenus?
Vouloir
aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, cela procède
d'une profonde erreur de raisonnement économique, que l'on commet
régulièrement en France dans les milieux politiques de droite et de
gauche. L'ignorance économique dans laquelle les Français ont été
maintenus depuis des années est scandaleuse et explique ce grand
«bordel» intellectuel. Rappelons que l'investisseur en capital comme
l'entrepreneur ne gagnent pas à tous les coups: il arrive souvent qu'ils
ne retrouvent pas leur mise initiale. Il faut donc que leur prise de
risque soit récompensée lorsqu'elle est réussie, c'est-à-dire rémunérée
différemment, et suffisamment. Sinon, pourquoi ne placeraient-ils plutôt
dans un immeuble ou un bas de laine leur argent déjà taxé? Si le
capital n'est pas rémunéré à la hauteur du risque, plus personne
n'investira dans une entreprise, et les entreprises elles-mêmes ne
pourront plus se développer. Ensuite, tout s'enchaîne: moins
d'entreprises, moins d'employeurs, moins de salariés, et pour finir
moins d'emplois… Faire baisser le chômage en un an, le gouvernement doit
le comprendre, c'est un objectif qui n'est pas tenable sans le succès
des entreprises.
Est-il pour autant réaliste de demander le retrait de cette disposition du projet de loi de finances?
Il
faut dire les choses clairement. L'article 6 n'est pas acceptable, même
modifié. Nous ne serons pas les complices d'une erreur économique
fondamentale et désastreuse. Sur ce refus vient de se constituer pour la
première fois de l'Histoire ce que l'on pourrait appeler une
interpatronale de vingt organisations, qui toutes demandent le retrait
pur et simple de cet article.
Quel est globalement l'état d'esprit des chefs d'entreprise?
Aujourd'hui,
un vent de fronde se lève de partout, aussi bien des TPE que du CAC 40.
Cela va bien au-delà d'une jacquerie fiscale. Si la coupe est pleine,
c'est qu'aucun relais ne valorise l'entrepreneur en France. Tout au
contraire, il se heurte en permanence à un a priori systématique contre
lui.
Craignez-vous un exode massif des chefs d'entreprise?
Nombreux
sont ceux qui se posent la question de rester ou de partir. Notre pays
devient hélas de moins en moins attractif chaque mois, tandis que nos
voisins s'attachent à le devenir de plus en plus. Voyez la jeune
génération qui choisit maintenant volontiers de faire ses études ou de
créer des entreprises hors de France. Comment ne pas comprendre?
Qu'attendez-vous de la négociation sur la sécurisation de l'emploi?
Qu'en
fonction de la conjoncture, elle enlève de la rigidité aux entreprises
et leur redonne de la souplesse tout en facilitant le rebond
professionnel des salariés. C'est ainsi qu'elle remplirait son objectif
de relancer la compétitivité hors coût. Le
Medef
sera forcément exigeant car il y a des tabous à renverser. Ainsi le mot
de flexibilité devient imprononçable alors que des entreprises meurent
de ne pas avoir les moyens de s'adapter rapidement. Si la durée des
plans sociaux se raccourcissait et s'ils étaient mieux sécurisés
juridiquement, nous pourrions accepter de renforcer les obligations de
reconversion des sites et de formation des salariés, mais aussi
d'étendre la portabilité de certains droits qu'un salarié perd lorsqu'il
est amené à quitter une entreprise. Je suis convaincue que nous pouvons
avancer tous ensemble de manière constructive.
Le débat sur la suppression des 35 heures rebondit à droite. Vous êtes toujours sur cette ligne?
J'avais
mis cette question sur la table des négociations en 2008 mais, à
l'époque, le gouvernement n'avait pas souhaité s'engager dans cette
voie. Nous sommes toujours favorables à une durée conventionnelle du
travail qui serait déterminée par accord d'entreprise, voire par accord
de branche, et qui pourrait évoluer selon les circonstances. Avec le
débat sur les accords dits activité emploi, le sujet est en fait au cœur
de la négociation. Il nous faut essayer de trouver un cadre qui
permette aux entreprises en difficulté de modifier leurs paramètres de
masse salariale, d'effectifs, de durée du travail.
L'exécutif ne pratique-t-il pas un double langage à l'égard des entreprises? Alors que Jean-Marc Ayrault dit tout le bien qu'il pense de vous en ouvrant votre université d'été, Arnaud Montebourg passe son temps à vous taper dessus…
Je
ne soupçonne d'un double langage ni le président de la République, ni
le premier ministre. Ils mesurent clairement à quel point l'avenir de
notre pays passe par les entreprises.
Mais le gouvernement et la
majorité n'ont pas pris conscience de l'extrême gravité de la situation
économique, ni de l'intensité de la crise. Et surtout, ils ne font pas
le lien entre macroéconomie et microéconomie, entre les grands
équilibres fondamentaux et la vie quotidienne de chaque entreprise. Ils
ne réussiront pourtant que s'ils le comprennent. Quant à Arnaud Montebourg,
je lui ai dit qu'il faisait preuve d'un interventionnisme social
intempestif. Il doit apprendre à faire confiance aux partenaires sociaux
dans l'entreprise.