TOUT EST DIT

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samedi 1 août 2009

Un antisémite à l'Unesco?

Le ministre égyptien de la culture Farouk Hosni était le favori pour devenir le prochain directeur général de l'Unesco. Mais la polémique sur des propos tenus en 2008 le rattrape et embarrasse les capitales occidentales.

C'est l'histoire d'une élection jouée d'avance qui s'est transformée en dossier politique brûlant. Avec pour acteur principal Farouk Hosni. Ministre de la culture en Egypte depuis 21 ans, il est candidat pour succéder au Japonais Koïchiro Matsuura à la tête de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco). Sur les rangs depuis 2007, il partait favori au nom de la "normalisation culturelle" avec le monde arabe. Plusieurs pays occidentaux, dont l'Espagne, lui ont accordé leur soutien.

Mais une polémique fait désormais vaciller Farouk Hosni. On lui reproche d'avoir prononcé en 2008 des propos virulents à l'encontre d'Israël. Répondant à un parlementaire qui s'inquiétait de la présence de livres israéliens dans les bibliothèques égyptiennes, le ministre de la culture avait déclaré: "Brûlons-les. S'il s'en trouve, je les brûlerai moi-même devant vous". Dans une tribune publiée le 21 mai dans Le Monde, l'écrivain Bernard-Henry Levy, le cinéaste Claude Lanzmann et le Prix Nobel de la Paix Elie Wiesel dénoncent les paroles d'un "homme dangereux, un incendiaire des coeurs et des esprits".

"Je regrette les mots que j'ai prononcés", répond Farouk Hosni, affirmant être "un homme de paix". Mais la pilule a du mal à passer auprès des organisations de lutte contre l'antisémitisme. "Ces excuses viennent beaucoup trop tard, regrette Shimon Samuels, directeur pour les relations internationales du Centre Simon Wiesenthal. D'autant plus que cet acte n'est pas isolé. Ca dure depuis 21 ans". Le Comité juif-américain lui reproche par exemple d'avoir tout fait pour empêcher l'ouverture d'un musée du judaïsme au Caire.

La controverse embarrasse les capitales occidentales, qui s'apprêtaient à voter en bloc pour Farouk Hosni. Difficile de se prononcer: un soutien direct au ministre de la Culture équivaut désormais à un camouflet vis-à-vis d'Israël. Mais il faut aussi composer avec les appels du pied de plus en plus insistants d'Hosni Moubarak. Le président égyptien semble faire de cette élection une affaire personnelle. Après avoir fait plier le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui ne s'oppose plus depuis lundi à la candidature de Farouk Hosni, Moubarak entend convaincre Barack Obama lors de sa visite au Caire, jeudi 4 juin. Mais le président américain, dont le discours sur le Proche-Orient est très attendu, aussi bien dans les pays arabes qu'en Israël, ne se laissera probablement pas piéger sur ce terrain miné.

Côté français, on temporise. "Il est prématuré de se positionner", assure Catherine Colonna, déléguée permanente de la France auprès de l'Unesco. Lundi, le ministère des affaires étrangères se limitait à rappeler que les candidats au poste de directeur général de l'organisation devaient en partager les principes, parmi lesquels figurent "la tolérance et le respect de la diversité des cultures".

Le dépôt des listes sera clos samedi 30 mai et le vote à la majorité des membres aura lieu avant octobre. A l'Unesco, l'été s'annonce chaud.

Zahi Hawass ou le business pharaonique

Gardien d'une civilisation perdue et star médiatique, le tout-puissant patron du Conseil suprême des antiquités a la haute main sur les fouilles archéologiques. Il s'est juré de rendre l'égyptologie aux Egyptiens. Ses détracteurs l'accusent de manquer de rigueur scientifique. Portrait d'un homme redouté.

Le sujet, qui touche aux merveilles du monde, s'annonce sous les meilleurs auspices. Un portrait de Zahi Hawass? "Ce type est un fou furieux, mais je vous interdis de l'écrire."; "Navré, je tiens à garder mon chantier."; "No, too sensitive [trop sensible]." Rendez-vous déclinés. Sourires confus. A l'évidence, comme aux temps antiques, le pharaon d'Egypte se commente peu en public, nettement plus en privé. Zahi Hawass, 62 ans: le taulier des pyramides, de la Vallée des Rois, du Sphinx de Gizeh, d'Abou-Simbel, des trésors ensevelis d'Egypte. Et un ego à la mesure de l'ensemble.

Taillé pour la castagne, éternellement coiffé d'un Stetson à la Indiana Jones, cet enfant de fermiers né à Damiette, dans le delta du Nil, a le droit de vie et de mort sur les chantiers de fouille, une aura de movie star internationale, des talents de conteur, scribe d'une odyssée qu'il voudrait faire sienne. En 2006, le magazine Time l'a classé parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde - le président Hosni Moubarak n'y figurait pas.

Avec Hawass à la tête du Conseil suprême des antiquités (CSA), jamais l'égyptologie ne s'est autant mise à la portée des non-initiés, en mondovision. En 2002, il avait tenu la planète en haleine, dans un show sur la chaîne américaine National Geographic, en introduisant un robot dans un couloir de la Grande Pyramide, à la recherche de la chambre funéraire de Kheops. Le mystère de la Pyramide, en direct. Il n'avait rien trouvé, qu'importe. On l'accuse parfois de trahir l'éternité et la science. Lui mène un combat politique, rêve sa vie et ambitionne de réveiller les morts.
Il y a quelques semaines, en juin, quand Barack Obama est venu faire un tour aux pyramides, après son discours du Caire, l'interprète a demandé, pour rire, à un employé qui passait s'il savait qui était l'illustre visiteur. L'évidence a fusé: "C'est Doctor Zahi ! - Non, l'autre ! - Ben l'ami de Doctor Zahi!" Comme souvent, donc, la vérité est venue du souk. Il y a dix ans, personne ou presque, en Egypte, ne connaissait Doctor Zahi. Et encore moins l'histoire des anciens Egyptiens, associée au paganisme polythéiste, mal vu en pays musulman.

Aujourd'hui, si la chronologie des Thoutmosis et la métaphysique du Livre des morts échappent encore aux Egyptiens, tout le monde, dans le bazar, apostrophe le "Monsieur au chapeau". "Me and my famous hat", comme dit Hawass. Ce Stetson, acheté dans une boutique américaine il y a des années, c'est le genre d'accessoire qui érige un personnage. On se demande si c'est le chapeau qui a fait l'homme ou l'inverse. Aujourd'hui vendu dans toutes les expositions pharaoniques du monde, il foisonne à chaque page de sa biographie, en chantier perpétuel, et de son site Internet -qui affiche une case "Devenez fan": "Vous avez déjà vu un seul savant au monde avec un fan-club?" s'étrangle un égyptologue renommé. Hawass s'en fout: "45 dollars mon chapeau avec ma signature et ma photo", dit-il. Le bénéfice est reversé au musée des enfants de la Fondation Suzanne Moubarak - son soutien.

Il découvre et redécouvre énormément

Ce matin de juin, il a donné rendez-vous au pied du Sphinx. Pour la photo. A l'heure dite, sous un ciel de calcaire, il attend, bougon, en jeans, entre les pattes monumentales. Un flot de rides lui monte au front. Une énième demande de percement de la Grande Pyramide rejetée? Il en a 500 sur le bureau.

L'homme administre 40 millénaires et 30 000 employés au CSA. Il travaille sur le lancement de 19 musées, d'Assouan à Charm el-Cheikh, dont le futur grand musée du Caire. Il prépare une exposition sur les 5 000 pièces volées récupérées à l'étranger, livre bataille au musée de Berlin pour "son" buste de Néfertiti, flattant la fibre nationaliste: "Je peux prouver qu'il est sorti illégalement d'Egypte!" tonne-t-il, regard noir d'encre, tout en réservant une salve au directeur du musée de Saint Louis, aux Etats-Unis, "indigne" au motif qu'il lui refuse le masque de Ka-Nefer-Nefer. Et il réclame toujours à Londres et au Louvre ses frises du Parthénon à lui: la pierre de Rosette et le zodiaque de Dendérah.

C'est que depuis son arrivée, en 2002, à la tête du CSA, l'homme qui a fait de l'ombre à Obama et rebaptise Kheops en "Kufu", à l'égyptienne, a dynamité l'ancien régime. Les écoles étrangères qui auparavant débarquaient en terrain conquis, servies par leur prestige, et fouillaient le sable à leur guise, doivent désormais demander des autorisations. Et pratiquer le baisemain.

Il est loin, le temps où le Boulonnais Auguste-Edouard Mariette créait, en 1858, l'ancêtre du CSA, dirigé par un Français jusqu'en 1952, et où l'Anglais Howard Carter crevait la nuit de Toutankhamon, en 1922. "Quand je préparais ma thèse et que je voulais prendre des photos au musée, je devais faire des cadeaux à tout le monde, alors qu'on donnait tout aux étrangers!" se souvient l'ex-doyenne de la fac d'archéologie, Ola El-Aguizy.

Hawass s'est juré de délivrer les Egyptiens de leur béatitude de figurants colonisés, de les rendre fiers d'une histoire que la religion maudit et l'école enseigne si peu. Et ça ne plaît pas à tout le monde. "Nous assistons simplement à la réappropriation de son patrimoine par l'Egypte, observe Guillemette Andreu, la conservatrice du département des antiquités égyptiennes au musée du Louvre. Mariette et Maspero ont légiféré sur le territoire égyptien. Et c'est sûr que, dans les années 1970, on avait les clefs des tombes... Mais Hawass a remis de l'ordre sur les chantiers, il exige des publications systématiques, et en arabe, là où nous avons pris du retard ; nous devons lui proposer des coopérations..."

Et désormais, donc, le CSA _ ou le ministère de la Culture _ sont les seuls habilités à annoncer les trouvailles. "Dès que le moindre coléoptère momifié est retrouvé, Hawass prend la parole devant des charters de journalistes. Et si je faisais une annonce moi, je courrais le risque de perdre mon chantier", soupire un égyptologue. Qui avoue avoir cacheté certains projets de fouille chez le notaire, plutôt que de les voir récupérés - y compris par des collègues ou par les dollars des Américains.

Du coup, Hawass découvre énormément. Il redécouvre, aussi. Notamment après les attentats. Quand le tourisme, première rente du pays, pique du nez, la politique sort son joker de l'Egypte éternelle.

Exemple, en 1997 - Hawass n'est pas encore au sommet. A Louxor, un attentat cause 62 morts. En quelques jours, le pays se vide. Au Caire, l'égyptologue Alain Zivie, qui a découvert, un an avant, la très belle tombe de Maïa, la nourrice de Toutankhamon, reçoit un appel: "On va faire l'annonce..." Conférence de presse sous tutelle diplomatique. Echo mondial. Branle-bas de combat dans la tombe, où la sécurité débarque, en pleine nuit, flingue au poing, en prévision d'une visite de Moubarak... C'est dire les enjeux. Sur la personne d'Hawass, se dessine, ou se consume, l'avenir d'une civilisation perdue et des chiffres du tourisme _ fixés à 15 millions en 2012. Toute la question est de savoir si ça va ensemble.

On l'écoute rouler les "r" en des trémolos caverneux

Ce matin, donc, le pharaon s'avance sous le soleil. Se déride, charmeur, dans sa Jeep, direction son bureau du Caire, orné des photos dédicacées de Céline Dion et de la reine d'Espagne. Et là, il s'abandonne à son auditoire. Comme dans ses conférences, de Dallas à Rome en passant par San Francisco, où l'on voit affluer 10000 personnes, pour 5000 places assises. On l'écoute, saisi de frisson et de mystère, rouler les r en des trémolos caverneux sur "Secrrrrets of the pharrraohs". On le suit un pied dans la tombe. "A Atlanta, en début d'année, des gamines m'ont demandé, à la fin, de les serrer dans mes bras. J'en ai pleuré", confie-t-il. La salle était debout. 10 000 à 15 000 dollars la prestation. "Je crois que je suis le conférencier le plus cher du monde [sic]", commente-t-il.

Il peut étaler ses cartes de crédit au bar du Mena House, un hôtel mythique du Caire, devant un parterre de copains, et partager la purée de fèves populaire dans un tripot miteux d'Assouan. Il peut menacer un collègue de destruction et se radoucir dans la minute. Mais il hait la critique: "Au CSA, on voit des gens défiler dans son bureau comme des agneaux en partance pour l'Aïd, observe un proche. Il est craint, il peut hurler. Il n'a peur de rien et il aime la bagarre."

C'est chez les Américains, du temps de sa thèse à Philadelphie, dans les années 1960, qu'il a appris à conquérir le monde et rafler l'or de la notoriété. C'est là qu'il envoie les jeunes, autour de lui, se former. "Il est pragmatique, comme eux, et ils le caressent dans le sens du poil, quand les mandarins de la vieille Europe vont lui parler de son manque de rigueur..., soupire un ami. Vous, les Français, vous n'avez pas la manière. Et il faut toujours ménager un tel, un tel... C'est aussi un fossé culturel."

D'où sa réputation d'"homme des Américains", qui livre ses "scoops", au prix fort et en échange d'un Scan ou d'un laboratoire ADN, aux chaînes National Geographic et Discovery Channel. "Les Américains en ont fait une telle star qu'en Europe on n'a toujours pas les moyens de suivre, soupire un conservateur de musée. Hawass prête très cher les objets, au point qu'on renonce à les lui demander, il réclame des notes de frais effrayantes..." A l'issue du Congrès d'égyptologie de Grenoble, en 2004, la grand-messe annuelle, il aurait ainsi laissé une ardoise de 95 000 euros à l'association organisatrice, citée dans le Dauphiné Libéré, et correspondant à l'accueil de 54 congressistes égyptiens.
t puis il sait se bâtir des relations, comme en témoigne la journaliste Hala Fares, à Al-Ahram Hebdo: "A chaque expo internationale, il choisit quelques journalistes égyptiens pour aller la couvrir et fait signer aux organisateurs un contrat certifiant qu'ils seront payés: il se construit un réseau." 250 euros la journée, pendant cinq jours, pour aller voir, en France, une expo au Grand Palais, c'est l'assurance de jolis titres...

Justement: Hawass vient d'annoncer la découverte de la 123e pyramide d'Egypte; il fera bientôt, grâce aux tests ADN, "des annonces majeures" sur Toutankhamon, dont on ignore s'il est le fils de l'hérétique Akhenaton ou d'Aménophis III. "J'attends qu'un deuxième laboratoire ADN confirme les résultats d'un premier", dit-il. Il creuse la Vallée des Rois en espérant y trouver une 64e tombe inviolée - une découverte qui serait, enfin, l'oeuvre des Egyptiens, et non des étrangers.

Car elle tiraille toujours, la blessure originelle... Ola El-Aguizy s'en félicite: "Hawass a beaucoup fait pour rehausser le prestige du métier d'archéologue, ici." Lequel, il faut bien le dire, n'a jamais attiré les meilleurs, qui préfèrent toujours, après le bac, les filières du commerce ou de la médecine. "Il a aussi instauré un salaire fixe (1 500 livres par mois) pour les inspecteurs égyptiens des sites, avant rémunérés de façon informelle, désormais payés dans la transparence par nous, les missions étrangères, explique Laure Pantalacci, la directrice de l'Institut français d'archéologie orientale (Ifao). Zahi vise une vraie professionnalisation des membres du CSA. Nous y aidons en les prenant en formation sur plusieurs de nos chantiers."

Reste la grande cohorte des inspecteurs contractuels, qui manifestaient le 15 juin au Caire: "En dix ans, mon salaire est passé de 7 à 8 livres par jour", tempête Amal Sadeq. Ce qui lui fait 160 livres, soit 20 euros par mois. "Les titulaires, eux, ont droit à un bonus de 200% (les 1500 livres) en plus de leur salaire de 700 livres par mois, payés par le CSA", renchérit un collègue. "ça crée forcément de la jalousie..." Hawass réplique: "C'est le gouvernement qui décide des salaires et peut titulariser, pas moi!"

Il brandit son Emmy Award, l'oscar de la télé américaine

Alors si seulement il pouvait trouver Ramsès VIII ou la perle... "Nous pensons que l'une des deux momies retrouvées dans la KV61 pourrait être celle de Nefertiti", lâche-t-il. Diable ! Le gamin du Nil se revoit, jeune archéologue, gonflé de rêves, grimper la rocaille brûlante de la Vallée des Rois. Et écouter le vieux cheikh Ali, descendant de la famille Abdel Rassoul qui avait découvert la cachette des momies royales en 1871, lui raconter le tunnel caché dans la fabuleuse tombe de Séti Ier. Ce goulet de 155 mètres que Hawass creuse depuis un an... "Je pense qu'il y a, au bout, une chambre secrète", dit-il, les yeux brillants de promesse.

Rappel, à l'ancienne, du Pr Gaballa Ali Gaballa, le prédécesseur de Hawass au Conseil suprême: "En archéologie, on ne parle pas de ce qu'on va découvrir mais de ce qu'on a découvert." Mais chez Hawass le coeur exulte et les "secrets" sont l'opium du peuple. Son robot aussi devait explorer, en 2002, les "portes secrètes" de la Grande pyramide.

Interrogé sur l'opération, l'Allemand Rainer Stadelmann, l'un des meilleurs spécialistes des pyramides, dit simplement: "Je n'ai jamais pensé qu'on trouverait quelque chose derrière ces "portes" _ en fait des blocs de revêtement. Dans les pyramides de l'Ancien Empire, il y a toujours eu un système de trois chambres, dont l'une est la chambre funéraire. C'est ce que l'on retrouve dans Kheops, où il n'y a donc pas de chambre cachée. A fortiori derrière un conduit de 20 cm par 20 cm, débouchant sur l'extérieur, qui était a priori fait pour permettre à l'âme du roi de s'élever, de rejoindre les étoiles".
Avant de la passer au scan, Zahi Hawass inspecte la momie de Toutankhamon, dont le visage a été reconstitué par trois équipes, égyptienne, française, américaine.

Mais quand l'Egypte se lève la nuit pour contempler la progression du robot - car National Geographic assure la diffusion à l'heure du jour aux Etats-Unis - Hawass fait son devoir. "C'est pour le pays, répète-t-il. Je lui ai rapporté 1,5 milliard de livres (200 millions d'euros) avec mes expos à l'étranger. J'ai ramené de l'argent aux Antiquités comme personne."

Hourig Sourouzian, une figure de l'égyptologie au Caire, spécialisée dans la statuaire (l'an prochain, elle remontera un colosse voisin de Memnon de 17 m de haut), appuie: "Zahi est un vrai moteur. Il a créé une dynamique. Par exemple, avec l'argent de ses interventions à l'étranger, il a sondé le Nil, ce qui n'avait jamais été fait. Par le passé, on a connu un chef du CSA qui a entièrement rendu le budget au ministre sans l'avoir dépensé." Gihane Zaki, directrice à l'international au CSA, résume: "Le poste de Zahi est avant tout politique. Il a nationalisé l'égyptologie, un peu, toutes proportions gardées, comme l'a fait Nasser pour le canal de Suez. Nous lui devons cela".
La vérité est l'horizon des scientifiques et des philosophes. La folie empressée du siècle et des médias charrie d'autres appétits. Et Hawass aime bien faire semblant de découvrir une momie en direct. En 2002, il n'avait pas hésité à faire sauter sous les caméras le couvercle d'un sarcophage avec une barre à mine - "ça m'a rendu fou! suffoque un égyptologue. Comme quand il prend une momie sans gants..." Il n'empêche : Hawass brandit fièrement son Emmy Award, l'oscar de la télé américaine, décroché après un documentaire. "Il pourrait briguer le ministère du Tourisme, en fait", résume Ahmed Saleh, ancien directeur de la momification à Louxor.

Alors ils peuvent bien douter, à voix basse, les égyptologues, de l'authenticité du tombeau de Cléopâtre, "découvert" récemment. "Tout le monde sait qu'il est à Alexandrie!", s'emporte l'un d'eux. Ou bien de la fascinante reine-pharaon Hatshepsout de la XVIIIe dynastie, que Hawass a authentifiée en 2007 - encore sur Discovery Channel, qui a payé le matériel. Un fragment de dent découvert dans la boîte à viscères - le vase canope - de la reine avait été relié à une molaire brisée de la momie. Ahmed Saleh assène: "Ce n'est pas elle." Il est l'un des rares au CSA à parler dans le micro. Pour avoir osé critiquer le transfert de la fragile momie de Toutankhamon de Louxor au Caire, pour le Scan, il avait subi quelques rétentions de salaire...

Auteur d'un ouvrage sur Les Reines du Nil au Nouvel Empire, à paraître en septembre (ed. Molière), l'égyptologue français Christian Leblanc, directeur de recherche au CNRS, qui travaille depuis 36 ans à Louxor, livre, lui, un autre éclairage: "Il aurait certainement été utile de mener un complément d'enquête. On aurait pu prendre en considération le fait que le coffret à canope avait été réutilisé pour une princesse de la XXIe dynastie, dont la momie est au musée du Caire. Et dont on aurait pu, aussi, radiographier la dentition..." Mais pour Christian Leblanc, Hawass a le mérite d'avoir "modernisé le CSA qui était un capharnaüm et rendu une dignité à l'égyptologie égyptienne".
Tous les Français ne sont pas de cet avis. Le camp tricolore s'était déchiré lors du congrès d'égyptologie de 2004, à Grenoble. Des Français avaient osé défier le pharaon, en empiétant sur son domaine: Kheops. Deux passionnés, Gilles Dormion et Jean-Yves Verd'hurt, ont relevé, dans les pyramides de l'Ancien Empire, dont Kheops, des "anomalies architecturales", disent-ils, qu'ils ont fait confirmer au radar et à la microgravimétrie. Ces mesures démontrent l'existence d'une cavité qui, selon eux, mènerait à une chambre funéraire inviolée.

Leur soutien: Nicolas Grimal, titulaire de la chaire d'égyptologie au Collège de France et ancien directeur de l'Ifao. La bête noire de Hawass, qui estime avoir été évincé par Grimal d'un chantier, dans sa jeunesse _ ce dernier n'a pas souhaité répondre à L'Express. La demande de percement, de 16 millimètres de diamètre, est encore rejetée: "Conneries!" rugit Hawass, qui n'a pas supporté le battage médiatique avant son arrivée. Il écrase son poing sur la table: "On ne me fait pas ça! Vous imaginez si j'allais faire un trou dans Notre-Dame?"

L'affaire devient politique. "Kheops, c'est un terrain sur lequel Zahi ne permettrait aucune découverte qui ne soit pas de son fait", souffle un journaliste. Et un Français dit lui-même: "En égyptologie, les dossiers sont souvent pourris par l'arrogance française... L'égyptologie, aujourd'hui, n'est plus "une passion française", comme on avait coutume de le dire: il y a l'Egypte et des partenaires. Et un jour, si la logique à la Hawass continue, il n'y aura peut-être plus que des missions égyptiennes avec des experts étrangers..."

En décembre 2007, le Centre franco-égyptien de Karnak, dont les héritiers de Mariette en réalité étaient les seuls maîtres à bord depuis 1967, célèbre son 40e anniversaire. Ce jour-là, Hawass a décidé de jouer son meilleur rôle, le méchant: en tournage télé, il fait poireauter deux heures les sommités françaises, dont l'ambassadeur et le Pfr Grimal. La tension est à son comble. Finalement, un nouveau protocole pour Karnak est signé. C'est l'armistice. Le lion ronronne: "On dit que je suis contre les Français, c'est faux."


"Je ne vois personne pour me remplacer"

Et à l'Ifao, au Caire, durement secouée par la crise, Laure Pantalacci gère le retour au calme: "Hawass a un rôle de manager de l'égyptologie en Egypte et il fait ça très bien. Il y a peu de convergences entre ce sur quoi il travaille et nos recherches, qui se déroulent dans le désert, loin des sites des pyramides qui l'intéressent. Il y a beaucoup d'autres choses à étudier en Egypte que les détails de la construction des pyramides! Aujourd'hui, nous tentons surtout de comprendre plus précisément comment vivaient les Egyptiens anciens, à travers, par exemple, la découverte de leur système d'irrigation dans le désert dont on n'avait aucune idée il y a vingt ans, ou grâce aux ressources de l'archéométrie..." Ne pas chevaucher les intérêts du pharaon, donc.

Ce soir de juin, Zahi Hawass est en lévitation. Au Mohamed Ali Palace, sous les ors du plafond et les caméras, il entame un tango avec des danseuses thaïes. L'ambassadeur de Thaïlande vient de remettre au "top expert en égyptologie" le titre de docteur en philosophie. L'assistance s'enroule autour de Doctor Zahi, qui devrait quitter son poste en 2010, contraint par l'âge. On lui prête des ambitions secrètes de ministre. Et au CSA, qui? "Je ne vois personne pour me remplacer, sourit-il, comme un gosse qui vient d'arracher les ailes d'une mouche. Il y a beaucoup de gens bien autour, mais je n'en vois aucun qui ait ma personnalité, ma vision, ma passion."

Un cerveau artificiel annoncé dans dix ans

Le « Blue Brain Project » travaille depuis quatre ans à reproduire, avec d'énormes ordinateurs, le fonctionnement du cortex cérébral.

Un abus de langage courant nomme à tort «cerveaux électroniques» le contenu de nos ordinateurs et les puces de nos appareils électroniques. Sauf qu'aucun de ces dispositifs n'a l'architecture ou les fonctions d'un vrai cerveau. Depuis 2005, cependant un énorme projet de simulation sur ordinateurs, baptisé «Blue Brain Project», s'est donné comme objectif de fabriquer, dans dix ans, le premier «vrai» cerveau électronique.

Comme l'a rappelé le 24 juillet dernier, le directeur du projet, Henry Markram, de l'École fédérale polytechnique de Lausanne (Suisse) lors d'une conférence à Oxford, il s'agit plus exactement de simuler l'architecture et le fonctionnement du néocortex des mammifères au moyen d'un supercalculateur IBM de la famille Blue Gene, le troisième superordinateur le plus rapide du monde (36 téraflops). Ces machines peuvent effectuer simultanément plusieurs milliers de milliards d'opérations par seconde !

Blue Gene est capable aussi bien d'analyser en temps réel les signaux radioastronomiques dans le cadre de recherches sur l'origine de l'univers, que de simuler, toujours en temps réel, le repliement des protéines. Des performances qui en font un bon candidat pour modéliser le cerveau.

Les chercheurs se sont concentrés sur une colonne du cortex des mammifères. Autrement dit unité fonctionnelle empilant verticalement 10 000 neurones de plus de 200 types génétiques distincts. Il a fallu, pour alimenter le modèle, utiliser les données de plus de 15 000 expériences individuelles effectuées dans les laboratoires du monde entier sur des neurones en culture.

Avec ces données, l'équipe du Pr Markram a créé dans Blue Gene une colonne virtuelle de neurones corticaux où sont mimés l'architecture, la morphologie et le fonctionnement d'un réseau de 10 000 cellules en trois dimensions. L'équivalent d'un micro-ordinateur portable est nécessaire pour effectuer les calculs et la simulation d'un seul de ces neurones, c'est la raison pour laquelle Blue Gene, et ses 1 000 calculateurs ont été choisis.

Ce n'est qu'un début mais la phase 1 de l'expérience vient d'être finalisée : le modèle «vit» dans la machine. Les chercheurs ont présenté à ce cerveau in silico des images et mesuré son activité électrique de réponse : «Vous stimulez le système, et il crée sa propre représentation» à partir de cette simulation initiale, a expliqué Henry Markram. Le but final de cette première phase est d'extraire cette représentation et de l'observer. Pour voir comment le cerveau perçoit le monde !

Non seulement il faut connaître, décrire et mimer toutes les règles régissant les communications entre les cellules nerveuses, mais l'équipe de Lausanne veut descendre encore plus profondément dans chaque cellule, au niveau moléculaire des structures et des échanges !

Le Pr Markram rappelle que le néocortex apparu dans l'espèce humaine «est en réalité un nouveau cerveau. Les grands mammifères avaient besoin d'un outil cognitif pour l'éducation de leur progéniture, pour les interactions entre membres de la tribu, et pour les fonctions supérieures», comme les émotions ou la réflexion. «Cela a été un tel succès dans l'évolution que la taille de ce cortex a été rapidement multipliée par mille.»

Le projet est pharaonique : une seule colonne de cortex est aujourd'hui reproduite dans la machine d'IBM. Or notre cortex contient environ un million de ces unités fonctionnelles. Pour étudier un cerveau complet, il faudra inventer une machine informatique un million de fois plus puissante que Blue Gene. Cet outil pourrait servir à comprendre et traiter les maladies mentales ou, si les différences entre espèces sont élucidées, à dialoguer avec des animaux…