TOUT EST DIT

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dimanche 22 juin 2014

Un ballon, ça roule

Un ballon, ça roule

Pourquoi diable ne pas se contenter de remplir des stades et de pousser la balle sans en faire des tonnes, sans chercher frénétiquement à mêler la diplomatie avec le sport ? Parce que ce cher baron de Coubertin n'avait pas lui-même, en 1894, que de belles visées apolitiques… Même mieux : il pensait géopolitique. Il rêvait de pacifier les relations internationales grâce à l'ouverture sur les autres, rappelle Pascal Boniface, auteur de La Terre est ronde comme un ballon, géopolitique du foot. Et de démontrer sa force.
Depuis, la chose est entendue. Les crampons ont pour mission de faire briller leur nation (sinon c'est l'opprobre national assuré) et d'assurer la paix. Il vaut mieux un Mondial qu'une guerre mondiale, comme dit le géopolitologue Boniface. Certes… Et passons sur le discours du foot exutoire pacifique, du foot opium du peuple (visiblement inopérant sur les miséreux brésiliens, au grand désespoir de Platini).
C'est en demander beaucoup à un simple ballon, qui se contente souvent de refléter le monde tel qu'il va. Les Diables rouges ont beau habiller francophones et néerlandophones de noir jaune et rouge, ils ne sauveront pas seuls la Belgique des séparatistes. Tout comme Sotchi n'a pas pacifié Poutine. Tout comme l'équipe multiculturelle qui a donné la victoire à la France en 1998 n'a pas su convaincre qu'il était possible de bien vivre ensemble, à la présidentielle qui a suivi… La Terre n'est pas aussi ronde qu'un ballon.

L’homme est-il le nouveau sexe faible ?

À l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage L’homme, le nouveau sexe faible, le journaliste Yves Deloison, spécialiste des questions sur la mixité, se penche sur le cas de « ces hommes empêtrés dans des stéréotypes qu’ils reproduisent et perpétuent. » Prisonnier du rôle que la société semble leur avoir imposé, ils peinent, selon l’auteur, à se réaliser et parfois même à se comprendre. Face à des femmes de plus en plus accomplies, qui ont su évoluer et finalement s’imposer dans de nombreux domaines, les hommes seraient déboussolés, pire, ils souffriraient d’une forme de “dévirilisation”. Yves Deloison livre ici une analyse qui permettrait à plus d’un homme d’assumer une certaine vulnérabilité dans une société où masculin rime encore avec force et combat. 
Madame Figaro. - Comment en êtes-vous arrivé à vous pencher sur la condition de l’homme aujourd’hui ?
Yves Deloison. - 
J’ai d’abord étudié la place de la femme dans la société, et les stéréotypes qui pèsent encore sur elles. J’ai réalisé que les hommes étaient tout aussi victimes de pressions sociales, sans forcément s’en rendre compte. Ils  sont conditionnés pour assurer la vie du foyer. Pourtant la société avec la crise économique a beaucoup évolué dans son rapport au travail. L’épanouissement est recherché ailleurs. Dans ce schéma, les femmes semblent plus douées pour se réaliser, se comprendre et s’estimer.
Comment se traduit la différence d’approche entre les hommes et les femmes sur ce nouveau mode d’accomplissement ?Les femmes sont sorties de leurs anciennes postures archaïques. Elles ne veulent plus être cantonnées au foyer. Elles savent qu’elles peuvent concilier boulot et vie de famille... Les hommes, quant à eux, restent sans le vouloir ou le savoir, dans une vision assez manichéenne de leur propre condition. Ils se disent obligés d’être le « pivot travail » dans la vie. 

"Les hommes sont souvent mono taches"

C’est pourquoi ils ne conquièrent aucun autre domaine. Ils passent à côté de plein de choses épanouissantes dont les femmes profitent. Alors que les femmes s’impliquent avec la même intensité dans  différents domaines en même temps, les hommes sont souvent mono taches.

En quoi le sexe masculin est-il devenu le sexe faible ?Le sexe faible, vous l’aurez compris, n’est pas une appellation ou représentation négative. Au contraire. La façon dont je le conçois dans mon ouvrage est simple : il s’agit de montrer qu’il faut changer les mentalités.
Il existe une masculinité et une féminité
Les hommes ne seront heureux et épanouis réellement dans notre société que lorsqu’ils comprendront que la sensibilité et la vulnérabilité qu’ils peuvent dégager sont des atouts.
À l’inverse, peut-on dire que la femme est devenue plus virile ?Je n’aime pas parler de virilité que ce soit pour les hommes ou pour les femmes. Selon moi, ce concept n’existe pas réellement. Il existe une masculinité et une féminité. Ces concepts sont biologiques et donc logiques, alors que LA virilité n’est pas une norme. En ce qui concerne les femmes, je ne les considère pas plus « masculines » aujourd’hui qu’hier, mais plutôt mieux préparées et surtout mieux armées dans nos sociétés.

Quand la droite s’occupera de la droite

Le problème de l’UMP, c’est que ses nouveaux leaders sont obsédés par le centre quand ses électeurs veulent une ligne politique claire, nette et réellement à droite.
Depuis dimanche soir l’UMP n’a plus un chef, mais trois. C’est-à-dire qu’elle est dépourvue d’un leader capable de porter haut et fort la voix d’une opposition ferme face aux délires de la majorité socialiste. Pour s’en convaincre, il suffit de voir de quelle manière l’inique réforme pénale de Mme Taubira a été votée par les députés, sans qu’aucun ténor de l’opposition fasse valoir les dégâts inimaginables que va produire ce texte, en laissant en liberté les auteurs de délits graves, fussent-ils des récidivistes.
Nous vivons un étrange paradoxe. Jamais la gauche n’a été moribonde à ce point. Jamais elle n’a fait l’objet d’une telle défiance de la part de tous les Français, comme en ont témoigné les récentes élections municipales et européennes. Jamais elle n’a été aussi décrédibilisée, en raison de l’absence de résultats, notamment dans le domaine économique. À tel point que même Manuel Valls n’a pas hésité à parler du risque de disparition de la gauche et François Hollande de sa « possible sortie de l’Histoire ». Et dans le même temps, jamais la droite n’a été aussi absente des enjeux économiques et sociétaux qui menacent notre pays. Jamais elle n’a été aussi inaudible, à cause de ses propres affaires, à cause de sa guerre des chefs, à cause surtout de son absence de ligne politique.
Et ce n’est pas parce que trois anciens premiers ministres, ayant atteint l’âge de la retraite, ont fait une OPA sur le principal parti de droite que tout va s’éclaircir brutalement. D’abord, parce que, entre eux, les couteaux sont déjà tirés. Ensuite, parce que leur seul dénominateur commun se résume en trois mots : tout sauf Sarkozy. Enfin, parce qu’ils ont tous les trois une vision différente de ce qu’attend l’immense peuple de droite. Alain Juppé ne pense qu’à une alliance avec le centre et a pris ses distances avec l’UMP au point de n’avoir pas participé au conseil national lors duquel le parti a adopté son projet économique et social, le 25 janvier dernier. François Fillon ne raisonne qu’en termes de revanche, après avoir été le premier ministre le plus “absent” de toute la Ve République. Quant au libéral Jean-Pierre Raffarin, il est le seul à bénéficier du bon sens des vrais terriens, mais sa préoccupation se limite, hélas, à obtenir, en septembre prochain, la présidence du Sénat.
Tout le problème de la droite française se résume dans l’excellente formule du député Thierry Mariani : « L’UMP souffre de strabisme divergent : une grande partie de ses dirigeants regarde vers le centre alors que ses électeurs regardent vers la droite. » Et ce strabisme va s’accentuer avec le bannissement de la ligne décomplexée qu’incarnait Jean-François Copé et qui a pourtant permis le raz-de-marée historique des dernières élections municipales. Les trois “pachas” qui ont pris le pouvoir à l’UMP sont atteints de ce strabisme.
Leur problème n’est pas tant de regarder vers le centre — c’est une maladie historique de la droite française — que de refuser de comprendre les préoccupations des électeurs. Ceux-ci ne sont pourtant pas compliqués. Ils veulent simplement qu’on leur parle de la patrie et d’un État qui assume enfin ses fonctions régaliennes (la police, la défense, la justice, l’éducation, voire la santé), plutôt que de s’occuper de leur mode de vie. Ils souhaitent une droite qui n’ait pas honte de brandir ces valeurs incontournables que sont le travail, le mérite, la réussite, la liberté, le progrès grâce au génie humain, la propriété, la famille, le droit à la vie, le respect des aînés et la richesse de la différence. Ils désirent enfin une droite qui n’ait pas peur de parler des dangers du communautarisme qui gangrène le corps social français, qui se préoccupe vraiment de l’immigration, clandestine ou pas, qui se soucie de l’assimilation des étrangers vivant légalement sur notre territoire, mais qui n’ait aucun état d’âme avec tous ceux qui refusent notre culture, brûlent notre drapeau, crachent sur nos institutions et sèment la terreur dans des zones de non-droit, estimées désormais à 650 dans toute la France.
C’est parce que la droite est incapable d’aligner enfin son regard sur les vraies préoccupations de ses électeurs naturels que certains d’entre eux sont attirés, nolens, volens, par le Front national. Et nul ne saurait les vilipender, les moquer ou les ignorer au motif qu’ils ont été déçus par une droite qui n’a jamais eu le courage de s’assumer et qui, à chaque fois qu’elle a été au pouvoir, a toujours eu la main qui tremblait. Mais le parti de Marine Le Pen affiche lui aussi son vrai visage. Celui d’une officine clanique, où les haines recuites, les dénonciations permanentes et les discours contradictoires devraient l’amener à s’autodétruire, pour finir au magasin des accessoires.

Sondage : « croyez-vous qu’Eisenhower aurait réussi le débarquement si 16% seulement lui avaient fait confiance ? »

Seuls 16% des Français font désormais confiance à François Hollande pour « résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ». 

Ce qui est dramatique avec les derniers sondages concernant François Hollande, c’est que 81% ne lui font plus confiance pour « résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ». Seuls 16% lui font désormais confiance… Et ça ne l’ébranle pas. Imaginez un général – mettons Eisenhower, puisqu’on parle beaucoup du débarquement du 6 juin 1944 en ce moment – qui n’aurait que 16% des gens lui faisant confiance. Vous pensez vraiment que le Débarquement du 6 juin 1944 aurait pu avoir lieu ? Heureusement pour nous, il y avait des Eisenhower, des Churchill, des Montgomery, des Bradley… Imaginez le désastre et la débâcle si François Hollande avait été Général des forces expéditionnaires alliées. J’ose à peine l’imaginer. Mon Dieu la honte…
Selon le baromètre mensuel de juin TNS Sofres-Sopra Group, seuls 16% des Français font désormais confiance à François Hollande pour « résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ». Un Président de la République doit entraîner ses troupes, les galvaniser, les encourager, les enflammer, les enthousiasmer, les exalter, les stimuler ! Pas les abattre, les décourager, les démoraliser. Qu’avons nous fait au Bon Dieu pour mériter un tel homme à qui désormais seuls 16% font confiance ?
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Message du Général Dwight D. Eisenhower 
Grand Quartier Général des Forces Expéditionnaires Alliées
Veille du Débarquement du 6 juin 1944
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guillemets_noirs_2_leftSoldats, Marins et Aviateurs des Forces Expéditionnaires Alliées !
Vous êtes sur le point de vous embarquer pour la grande croisade vers laquelle ont tendu tous nos efforts pendant de longs mois. Les yeux du monde sont fixés sur vous. Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Avec nos valeureux alliés et nos frères d’armes des autres fronts, vous détruirez la machine de guerre allemande, vous anéantirez le joug de la tyrannie que les nazis exercent sur les peuples d’Europe et vous apporterez la sécurité dans un monde libre.
Votre tâche ne sera pas facile. Votre ennemi est bien entrainé, bien équipé et dur au combat. Il luttera sauvagement.
Mais nous sommes en 1944 ! Beaucoup de choses ont changé depuis le triomphe nazi des années 1940-41. Les Nations-Unies ont infligé de grandes défaites aux Allemands, dans des combats d’homme à homme. Notre offensive aérienne a sérieusement diminué leur capacité à faire la guerre sur terre et dans les airs. Notre effort de guerre nous a donné une supériorité écrasante en armes et munitions, et a mis à notre disposition d’importantes réserves d’hommes bien entrainés. La fortune de la bataille a tourné ! Les hommes libres du monde marchent ensemble vers la Victoire !
J’ai totalement confiance en votre courage, votre dévouement et votre compétence dans la bataille. Nous n’accepterons que la Victoire totale !
Bonne chance ! Implorons la bénédiction du Tout-Puissant sur cette grande et noble entreprise.guillemets_noirs__2_right
Signé : Général Dwight D. Eisenhower

BD




Leçons de l’histoire

Leçons de l’histoire

Hier, en rentrant d’un long voyage en train, j’ai lu "l’histoire passionnée de la France" de Jean Sévillia (Perrin 2013), une longue fresque synthétique, des origines à nos jours qui met l’accent sur la chronologie et le rôle des grands hommes, à l’inverse des normes de l’enseignement contemporain. Ce genre de vision panoramique de l’histoire invite à la réflexion sur le pouvoir, les hommes. Voici, pêle-mêle, quatre pensées sans prétention, qui me sont venues (ou revenues) à l’esprit au fil de cette lecture.
  • La notion de "France éternelle" a un aspect mythique. Notre pays est réellement né vers l’an 1000, avec l’avènement des Capétiens, les premiers à avoir l’idée de l’unité politique d’un territoire correspondant plus ou moins à sa géographie actuelle. Certes, elle aura une fin un jour comme toute entité humaine. Mais construire un pays, une solidarité humaine autour d’une organisation politique et d’une volonté commune est une oeuvre de très longue haleine, une construction extrêmement complexe – parfois sanglante. Envisager d’en finir avec cette entité – par fusion ou par éclatement – en l’absence de solution de rechange, ouvrirait sans doute la voie à la pire des barbaries.
  • D’ailleurs, notre époque qui se veut mondialisée, sans frontières, ouverte, se rapproche à certains égards de l’ancien Moyen-âge, entre la fin de l’Empire romain et l’émergence des Etats européens à partir des XIème et XIIème siècle. C’est une période de confusion, de superstition – la peur de l’an Mille, de l’Enfer –, d’invasions, de violences anarchiques, où les tyrannies locales issues de la féodalité l’emportent sur toute forme d’autorité centrale, où la loi du plus fort, la loi de la jungle domine tout le reste. Vie publique et intêrets personnels sont totalement confondus (d’où les partages à répétition de l’empire ou des royaumes francs et le système des apanages), le pouvoir étant livré à une sorte de chaos moral sans foi ni loi (assassinats, réglements de compte, trahisons…)
  • L’inconnue et l’imprévisibilité sont des facteurs clés de l’histoire qui marche constamment à l’aveuglette, au jour le jour. Les dirigeants ne cessent de se tromper. Ils prennent des initiatives en fonction de considérations présentes, dans l’ignorance des conséquences parfois monstrueuses de leurs choix qui le plus souvent conduisent au pire. Ainsi, exemple parmi tant d’autres, la politique de la Révolution puis de l’Empire napoléonien focalisée sur l’abaissement de l’Autriche, de sa dynastie des Habsbourg et du "Saint Empire", ouvre directement la voie à l’impérialisme prussien, source d’une succession de catastrophes pour la France et toute l’Europe.
  • Dans le conflit entre la raison et la folie, en filigrane du déroulement de l’histoire, c’est presque toujours la folie qui l’emporte en un premier temps, à l’origine du chaos et de la barbaries – les guerres de religion, les massacres de la Révolution, les conquêtes napoléoniennes, les tueries européennes du XXème siècle. La raison est constamment étouffée par la tyrannie de passions d’autant plus violentes qu’elles sont absurdes et éphémères. Ce n’est qu’après l’épuisement de la folie que la raison émerge des ruines avant le déferlement d’une nouvelle vague, inévitable, de démence et on ne voit pas comment le cycle pourrait un jour s’interrompre tant il semble co-substantiel à l"humaine nature" depuis au moins 12 000 ans, le début de l’histoire.

La face b des Cyclades Syros, l'antre du bouzouki

D'Hermoupolis, sur l'île de Syros, on connaît, au mieux, la courte escale entre deux Cyclades… Bien qu'elle faillisse être capitale et qu'elle ait vu naître celui qui lui a donné pour fond sonore le bouzouki.

C'est la plus vaste mairie hellénique, avec son escalier de ziggourat babylonienne. Son immense parvis est à l'avenant, désert ou surpeuplé au rythme du Peripatos - la « passeggiata » des Grecs. Hermoupolis ne vous barbera pas avec ses temples ioniques ou doriques : il n'y en a pas. Au mieux, un bout de mur près du stade et l'ombre de Phérécydes, mage antique qui prouva, par alpha plus béta, la réincarnation - avant de mourir dévoré par les poux. Alors bien sûr, cette « cité d'Hermès » porte le nom du dieu du commerce et de la roublardise ; qui lui a donné la carrure du plus grand port du pays : trois fois le Pirée ! Mais ça, c'était au XIXe, quand la Méditerranée avait ses vapeurs et qu'on « faisait » ici du charbon.
A cette Grèce évadée de l'Empire ottoman, étendue comme l'Espagne mais - mer oblige - avec dix fois moins de kilomètres carrés, il fallait un centre stratégique, ne serait-ce que pour reprendre militairement l'Asie mineure. A l'heure où Paros et Santorin l'ont transformé en simple correspondance, qui se souvient que cette préfecture faillit être la capitale ?

Parfum de mangas

Qui accoste l'île voit d'abord les deux demi-cônes de son tissu urbain, scellés en entonnoir sur les monts raides. Derrière, c'est la terre, aride comme un reg. Sentes et escaliers grimpent à l'assaut des sommets, coiffés chacun d'un sanctuaire, lourd comme une tiare. A droite, Hermoupolis proprement dite, et sa cathédrale orthodoxe. A gauche, Ano Syros, la cathédrale du quartier populaire des Frankosurianoi - les insulaires de rite catholique. Les deux paroisses fêtent Pâques ensemble, mais Hermoupolis n'en est pas moins scindée en plusieurs mondes. Au nord, Vaporia était le quartier cosmopolite des armateurs et des capitaines : demeures aux balcons en accolade, juchés sur des consoles de marbre, palais mutés en hôtels de luxe. Au milieu se dresse l'église Saint-Nicolas - le Poséidon des chrétiens. Son gros dôme bleu reste le seul indice qu'on soit dans les Cyclades. Les édifices publics sont dus aux officiers du génie bavarois. Le cercle Hellas était club anglais. Le théâtre d'Apollon chantait si bien Mozart - et tous ces musiciens métèques -, qu'il fut vandalisé par la dictature chauvine des « Colonels ». Tous les mois de juillet s'y tient le festival d'opéra de l'Egée, lancé par un Gréco-Américain ancien de Carnegie hall.
Ano Syros, elle, a recueilli les rescapés de toutes les îles, dont celle de Chio et ses massacres médiatisés par Delacroix. Sans rancune pour leurs bourreaux turcs, les réfugiés ont importé le loukoum, à déguster chez Vasileios - rue de Chio, comme il se doit. Sur les quais, la jeunesse sirote l'ouzo, liant contact avec quelque yachtman de Cornouailles. Le ferry du Pirée appareille, crachant ses bouffées noires. Dans le bassin d'une douane aux airs coloniaux, un cargo jamaïquain grince sur ses chaînes.
Plus loin s'ouvrent les docks. Dans les flashs des soudeurs à l'arc, on achève un yacht, un chalutier. Près d'une roue à aubes rouillée, une tour servait à lâcher des gouttes de plomb afin de les arrondir pour les cartouches. Devant, le musée industriel tisonne les vieux souvenirs : filatures, verreries, tanneries. Un univers de pistons, de suie et de gazomètres.
Après la première volée d'une série d'escaliers, on atteint la coulisse ; Katalymata, ex-quartier des bordels. Les peintures s'écaillent. Contre les grilles de fonte, les gravas se pressent comme au confessionnal : « Politi » (« A vendre »), « Enikiazetai » (A louer »), litanies de la crise. Ici a grandi un géant de la musique grecque. Père paysan mais as de la cornemuse, Markos Vamvakaris naît dans la campagne voisine, en 1905. Markos, c'est une voix acide de pomme à cidre, et des notes égrenées sur le bouzouki, tel un chapelet. L'instrument, persan puis ottoman, est venu de Smyrne et de Constantinople, avec les expulsés de 1922. Il est devenu la voix de l'univers rude et lascif du rebetiko, blues grec des bas-fonds, enrichi par le tango et la world music des Années folles.
Coqueluche des filles, les rebetes (joueurs de rebetiko) chantent le mangas, le voyou grec et ses manies : traîner la patte, n'enfiler qu'une manche pour dégainer plus vite, et jouer du surin pour une fille ou un jeune moine à peau douce. Sur fond de cartomancie et de marc de café, le mangas danse le zeybekiko, inventé par les Zeybeks, peuple mercenaire et justicier - et qui, à Syros, font les portefaix ; aussi le hasapiko, qui deviendra, filtré par Hollywood, la danse de Zorba.

Ressuscité par la crise

Même s'il fera carrière à Athènes, Markos n'en a pas moins débuté ici. En after d'un boulot aux abattoirs, il fait la tournée des 60 « tekes » (monastères, en turc - les tripots à haschisch), cajolé gratis par chaque « hanoumi » (dame, aux fonctions qu'on devine). Face à la rade, la laverie 5 à Sec est alors une des boîtes où il gratte le bouzouki et la baglama, son modèle réduit, facile à planquer sous la paillasse des geôles.
Un petit musée abrite les reliques du chanteur : baglamas, écharpe, casquette digne d'un mac de Pigalle, et ses deux couteaux d'équarrisseur - qui n'ont pas servi qu'à écorcher le bétail. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les voisins prudes et jaloux auront le méchant plaisir de revoir le fils prodigue, démodé à Athènes, luttant sur ses six cordes contre l'asthme et l'arthrite. Dans la même rue, se dresse la taverne de Lilis, le dernier protecteur. Devant les photos souvenirs, la jeunesse désarçonnée par la crise ressuscite le vieux Markos, mort en 1972. Dans le parfum embué des verres d'ouzo, on rechante en ricanant les vers mordants du chanteur bigame :« Si j'étais ministre, je les ferais tous se camer au narguilé - histoire qu'ils m'obéissent. » Qu'importe si Syros n'est plus qu'un chef-lieu, qu'on ne gagne que pour se mesurer à la paperasse ; car les orchestres joueront ce soir, renouant avec la légende qui a longtemps embarrassé l'île - avant de l'embraser.