Le ministre de l'Éducation, des affaires religieuses, de la culture et des sports, Kostas Tzavaras s'est attiré les foudres des quelque 35 salariés que compte l'Ekebi. En annonçant la fermeture de l'établissement, c'est toute la chaîne du livre qui souffrira d'une décision dictée par la logique d'économies budgétaires qu'impose l'Europe à la Grèce. « Nous demandons, aujourd'hui encore, au ministre, de tenir compte de la volonté exprimée par la très grande majorité des acteurs du monde du livre, de ne pas persister dans sa décision et de maintenir en vie le Centre national du livre », assurent les signataires, dans une pétition lancée le 15 janvier dernier.
Comment est-il possible de faire cohabiter une logique économique, avec le développement d'un outil culturel ? « Le Centre national du livre est un outil qui coûte peu en argent public et rapporte beaucoup. Sa position essentielle dans le domaine de la culture lui a permis de gérer avec succès deux programmes majeurs », assure-t-on. Et les salariés pointent tout particulièrement leur motivation, alors qu'ils ne sont pas payés depuis des mois - et qu'ils continuent de venir travailler. Selon nos informations, les salaires n'étaient plus versés depuis le mois de novembre, et pourtant, en gage de l'attachement à l'institution, et de solidarité à l'égard de la chaîne du livre, ces derniers continuaient de se rendre à l'Ekebi.
Un soutien national et international a encouragé les salariés à poursuivre leurs efforts, et ce, pour faire céder le ministre. À ce jour, 4962 signatures ont été récoltées
La fin du petit frère grec ?
Jean-François Colosimo, président du Centre national du livre en France, évoque la perte tragique «d'un petit frère de notre institution ». La rumeur de cette possible fermeture était redoutée, mais connue, au même titre que plusieurs autres agences de l'État. « La Grèce est le pays qui traduit le plus, en regard de sa population, et des centaines de livres français sont publiés chaque année. Le CNL, en France, avait déjà amorcé en juillet 2011 plusieurs recours, pour marquer sa solidarité, notamment avec un engagement de 150.000 € sur 18 mois, destinés à accorder des bourses de séjours. »
Et de renouveler son attachement, également à titre personnel, vis-à-vis de l'Ekebi. « La situation grecque est connue... et si le monde du livre essaye de tenir bon, les différents acteurs de la chaîne du livre connaissent de graves problèmes. Les libraires ne peuvent plus payer les éditeurs, les éditeurs sont en défaut face aux auteurs... Avec la fermeture de l'Ekebi, c'est toute la coordination des acteurs du livre, à l'intérieur du pays qui est menacée. »
En outre, à l'international, cela signerait la perte d'un interlocuteur, autant que d'un médiateur.... « Une catastrophe », avoue le président, qui voit là une autre conséquence des coupes budgétaires réclamées par l'Europe, pour l'assainissement de la dette publique grecque.
L'expression de la solidarité française
Du côté du BIEF, le Bureau international de l'édition française, Jean-Guy Boin, le directeur général, évoque les différents partenariats passés avec l'Ekebi, et la convention qui avait permis le rapprochement des éditeurs français et grecs, autour des sciences humaines et de la littérature. Deux rencontres avaient eu lieu, permettant à chacun de faire connaissance, en juin 2012 puis, en Grèce, en décembre. « Avec cette convention, nous souhaitions marquer la solidarité que le Centre national du livre exprimait vis-à-vis de la Grèce. »
Et de se souvenir que le CNL grec avait été créé en même temps que la loi sur le prix unique du livre, dans la version législative, inspirée de la loi Lang, et adaptée au marché grec.
Depuis quelques semaines, le President du consil d adminsitration, ses membres, la direction ainsi que les commissions avaient ete remercies pour laisser au ministere le terrain libre pour fermer le centre et museler toute opposition de leur part, donnant le ton des décisions prises par le ministre Kostas Tzavaras. Dans le contexte économique actuel, ce plan de fermeture s'inscrit dans la décision de fusionner près de 150 organismes publics, ou de les fermer, selon leur coût et leur niveau de rentabilité. Pourtant, en 2012, le budget de l'Ekebi avait déjà été ramené à 1,5 million €, dont la moitié provenait de fonds d'aides européens, confirme Catherine Vélissaris, ancienne directrice du Centre.
L'AFP cite également plusieurs auteurs grecs, consternés par cette situation. « En période de crise, on ne ferme pas un organisme de culture, c'est au contraire le moment où l'on en a le plus besoin, M. Tzavaras n'avait qu'à réunir les responsables et leur demander des solutions pour parer le manque d'argent », enrage Petros Markaris, auteur de polars. « Cette décision est une stupidité, émanant de cette conception qu'en matière de culture, seuls comptent les monuments, car ils font venir le touriste. »
Une décision politique catastrophique
Catherine Vélissaris, l'ancienne directrice du Centre National du Livre ( EKEBI en grec), parle pour sa part de « décision catastrophique pour le livre », considérant qu'il s'agit là malheureusement d'une fermeture programmée par le gouvernement, dès son arrivée au pouvoir. « Il y a actuellement en Grèce un vaste mouvement jacobin de recentralisation de toutes les politiques vers les différends Ministeres. C'est exactement le mouvement inverse d'il y a 20 ans ou les Ministeres décentralisaient leurs politiques, en créant des organismes comme le Centre National du Livre ou encore le Centre National du cinéma, pour leur donner la souplesse de l action et leur éviter une bureaucratie improductive». Et d'ajouter : « En affirmant sa volonté de centraliser les politiques culturelles, le ministère a provoqué un tollé général. »
Toutes les associations professionnelles ont en effet répondu à l'appel : éditeurs, auteurs, bibliothécaires et universitaires s'insurgent contre la fermeture envisagée de l'établissement , jugeant cette décision dramatique pour le monde du livre, et la culture en général. C'est d'autant plus dramatique que cela s'accompagne de "facons" que certains à Athènes n'hésitent plus à qualifier de maccarthystes. Il semble avoir dans ce pays selon d'autres sources « une très grande violence dans les formes de gouvernance », démontrant également le manque d'intérêt pour le domaine culturel.
Parmi les nombreuses conséquences de cette inconséquence, on peut citer le cas du grand festival d'Athènes, le plus grand événement culturel de l'annee qui se déroule annuellement au pied de l'Acropole, et dont le devenir semble très compromis. Au lieu de nommer un Directeur depuis cet été où la place est vacante, le Ministere demande un contrôle fiscal paralysant toute l'institution. Que va-t-il se passer par ailleurs, s'interroge le milieu du livre, pour le salon international du livre de Thessalonique? Il était programmé pour le 18 avril , avec pour invité d'honneur la Grande-Bretagne. Il paraît difficile qu'il puisse avoir lieu normalement, du moins cette année.
La tragédie grecque porte si bien son nom
En cette période, la violence semble devenue un mode de gouvernement, alors que le ministre n'a reçu aucun des acteurs du monde culturel. « Du jamais-vu, mais qu'aurait-il eu à dire ? Il veut simplement tout centraliser et réduire les coûts de toutes parts », observe un proche de ces dossiers. « Si l'on double tout cela du clientélisme traditionnel dans l'administration grecque, on commence à mesurer l'étendue du drame. La tragédie grecque n'a jamais aussi bien porté son nom. »
Notons enfin qu'avec une certaine ironie, le ministère a contacté ce jour même Madame Velissaris, qui était à la tête de l'EKEBI depuis près de 9 ans, pour lui demander de revenir au Centre jusqu'à la transition des activites de celui-ci au ministere ! Et chacun de se poser la question : que va devenir toute la dynamique creee par le Centre National du Livre grec pendant les 19 annees de son existence?