mardi 15 septembre 2009
L'affaire Hortefeux illustre la méfiance de l'UMP vis-à-vis du Net
Après la diffusion par Le Monde.fr des images de Brice Hortefeux à l'université d'été de l'UMP, plusieurs membres du gouvernement et de l'UMP ont émis de vives critiques sur le rôle que joue aujourd'hui Internet dans la diffusion d'images et d'informations. Ces images, qui montrent un dérapage de M. Hortefeux sur les origines maghrébines d'un militant de l'UMP, ont été visionnées plus d'un million de fois par le biais des sites d'information et des réseaux sociaux.
Pour plusieurs ténors de la majorité, cette diffusion en ligne pose problème. Interrogé lundi matin sur France 2, Jean-François Copé a estimé qu'il faudrait "un débat public sur la question d'internet et de la liberté". Sur France info, Henri Guaino dénonçait vendredi "une transparence absolue qui est le début du totalitarisme". Patrick Devedjian et Eric Besson ont, eux aussi, estimé qu'il s'agissait d'un "piège", "d'un buzz extraordinaire (...) à partir de pas grand-chose".
Ces déclarations ne sont pas uniquement une marque de soutien au ministre de l'intérieur, après les demandes de démission de la gauche et la polémique déclenchée par ces images. Elles s'inscrivent dans un cadre plus global, celui d'une vision politique de la Toile.
Internet, zone de non-droit ?
En novembre 2007, Nicolas Sarkozy se félicitait de la signature des accords de l'Elysée entre fournisseurs d'accès à Internet et ayants droit, s'enthousiasmant de "l'avènement d'un Internet civilisé. Internet, c'est une 'nouvelle frontière', un territoire à conquérir. Mais Internet ne doit pas être un 'Far West' high-tech, une zone de non-droit (...)". Cette image, le président de la République l'a employée à plusieurs reprises. En juin 2008, lors de la présentation du projet de loi Hadopi, Nicolas Sarkozy évoque à nouveau Internet en ces termes : "Comment pourrait-il y avoir dans notre société des zones de non-droit ? Comment peut-on réclamer en même temps que l’économie soit régulée et qu’Internet ne le soit pas ?"
Christine Albanel, alors ministre de la culture, et Franck Riester, le rapporteur UMP du projet de loi Hadopi, ont également employé l'expression "zone de non-droit" à de nombreuses reprises, tout comme Henri Guaino, monté au créneau pour la défense d'Hortefeux.
Cependant, si, sur plusieurs points, le droit français n'est pas totalement adapté aux évolutions du Web, Internet est loin d'être un espace de non-droit. Les textes régissant le droit d'auteur, le droit de la presse ou le commerce ont été adaptés à ce nouveau média. La diffamation ou l'incitation à la haine raciale sont, par exemple, punis tout aussi sévèrement en ligne que dans un journal ou dans la rue ; la contrefaçon est réprimée de la même manière sur le Web que dans un magasin, et le commerce en ligne est soumis aux mêmes obligations qu'un commerçant ayant pignon sur rue.
Internet, zone de l'amateurisme et du trucage ?
C'est l'argument qui est revenu le plus fréquemment dans les premières heures de la défense de Brice Hortefeux. La vidéo aurait été truquée, coupée ou sortie de son contexte. Internet est "un immense espace (...) dans lequel on peut finalement diffuser n'importe quelle image, la tronquer dans tous les sens", estime ainsi Jean-François Copé, pour qui les images de Seignosse ont été tournées "avec un téléphone portable". En réalité, les images ayant été tournées par des journalistes de Public Sénat avant d'être diffusée par le Monde.fr, et n'ont aucunement été coupées ou truquées, comme le prouve la version intégrale de la scène diffusée a posteriori par Public Sénat.
S'il y a eu par le passé des exemples de documents ayant été tronqués ou manipulés pour en masquer le sens – l'exemple le plus célèbre étant cet extrait d'entretien de Barack Obama volontairement coupé pour en altérer la signification – les cas de trucages massifs restent rares. Et surtout, ces modifications ont un impact relativement faible, car les démentis et les preuves de manipulation circulent tout aussi vite, sur les blogs et les réseaux sociaux, le plus souvent avec l'appui des médias dits "traditionnels".
Mais pour l'UMP, il semble exister un fossé entre "les médias" et "Internet" : aux premiers, la mission noble d'information, au second, la "poubelle de l'info", selon le mot d'Alain Finkelkraut. Interrogé vendredi sur France Inter, Jean-François Copé estimait que "le vrai sujet" est la manière dont "l'ensemble du monde médiatique s'est emballé sur cette histoire. Il y a derrière ça un débat de fond qui est celui du rôle que nous allons laisser à Internet en matière de diffusion de l'information." Une vision partagée également par le sociologue des médias Dominique Wolton, et qui fait bondir Pierre Haski, cofondateur du site d'information Rue89, qui avait diffusé la vidéo du "off" de Nicolas Sarkozy à France 3 : "Ah bon ? Journaliste disposant de la carte de presse numéro 35028 (ça me fait un certain nombre d'heures de vol…) et travaillant sur un média 100 % Internet dont tous les journalistes ont la carte de presse, j'ai du mal à comprendre". Plus ironique, le dessinateur Michaelski résume d'une case l'histoire des principales vidéos "à scandale" de ces dernières années... Pour montrer qu'elles ont toutes été diffusées par des médias "traditionnels".
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la majorité dénonce des "images volées diffusées sur Internet", alors qu'il s'agit d'une vidéo réalisée par des journalistes dans le cadre d'un reportage. En 2007, après la diffusion d'une séquence dans laquelle il traitait de "salope" l'ancienne députée centriste Anne-Marie Comparini, Patrick Devedjian avait tout d'abord affirmé qu'il s'agissait "d'images volées lors d'une conversation privée et diffusée sur Dailymotion", avant de reconnaître que les images avaient été tournées par la télé lyonnaise TLM et de présenter ses excuses.
Zone de non-droit et de trucage, le Net représenterait ainsi un risque majeur, puisqu'on peut y diffuser des informations fausses et y diffamer librement – Nadine Morano avait d'ailleurs porté plainte en début d'année contre des internautes qui avaient écrit des propos jugés insultants dans les commentaires d'une vidéo hébergée par Dailymotion. Cette vision de la Toile hérisse Renaud Revel, rédacteur en chef de L'Express : "Si le monde change (...) si certaines atteintes à la liberté d'expression sont aujourd'hui révélées, dénoncées, dans le monde entier et si les opinions publiques s'émancipent et peuvent aujourd'hui jouer les contre-pouvoirs, c'est parce qu'une fenêtre s'est ouverte. Et celle-ci s'appelle Internet", écrit-il.
Damien Leloup