jeudi 1 mai 2014
Salariés, patrons, actionnaires, politiques : qui est le plus fort aujourd’hui en France ?
Les traditionnelles manifestations du 1er mai s'élanceront en portant les revendications classiques des syndicats de salariés. Les dynamiques de confrontation économique sont pourtant complexes et dépendent de facteurs internes aux différents acteurs.
Jean-Charles Simon : Les périodes de crise et de chômage élevé ne sont évidemment pas très favorables aux revendications des salariés. Pour les politiques, c’est une période complexe. Il ne leur est jamais autant demandé que dans ces temps difficiles, et ils sont pourtant très tributaires de la conjoncture à court terme. Ce qui, bien sûr, ne doit pas les empêcher de réformer en profondeur, bien au contraire.Entre patrons et actionnaires, cela dépend de la façon dont le capital et les droits de vote sont répartis. Ce sont des périodes à risque pour les patrons, surtout dans des entreprises contrôlées et en pleine turbulence économique : on l’a vu chez PSA. Si le capital est très dilué, c’est un autre risque, notamment celui de l’OPA, mais ce peut être aussi plus de temps pour agir car le pouvoir des actionnaires est plus faible.
Augustin Landier : Il faut distinguer deux France, celle des peu qualifiés et celle des très qualifiés. Du côté des peu qualifiés, le taux de chômage est très important, supérieur à 15%, et il continue à monter. Il s’agit donc d’une perte de pouvoir de négociation chez ces catégories qui deviennent très vulnérables. A l’inverse, en France le marché de l’emploi des cadres fonctionne bien avec un taux de chômage proche du plein emploi (autour de 5%). Et les récents allègements de charges permettent à cette catégorie d’exiger leur part sur la baisse du coût du travail que les réformes récentes ont instauré (surtout en dessous des 3,5 Smic donc).
Dans le rapport patrons/actionnaires, un virage stratégique s’est opéré depuis les années de crise. Les actionnaires veulent penser l’après crise, ils veulent savoir quelle est la stratégie de long terme (on voit par exemple l’importance de la révolution digitale dans les stratégies) et beaucoup de patrons doivent donc expliciter une vision stratégique à leurs actionnaires. Avec la forte tendance aux fusions et aux OPA que l’on constate en ce moment, les managers ont la pression pour pouvoir être plutôt du côté des acquéreurs que de celui des "cibles".
Jean-Charles Simon : Le pouvoir politique peut profiter de cette période pour mettre en exergue des dysfonctionnements, voire désigner des bouc-émissaires. Et leur faire porter le chapeau de la crise, comme ce fut le cas pour les banques. C’est donc une forme d’opportunité pour imposer des régulations qui n’auraient pas été imaginables avant la crise… Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont pertinentes au prétexte qu’elles sont devenues politiquement faisables ! Le vrai risque, c’est d’agir encore plus que d’habitude sous la pression de l’opinion et des événements.
Pour des actionnaires de contrôle, c’est aussi le moment d’imposer leurs vues, à une direction si elle en faisait trop à sa guise, ou avec celle-ci aux salariés s’il y a des refontes structurelles à faire passer. C'est également l'opportunité de profiter d’opérations de rapprochement, par exemple pour délocaliser un siège… Mais là aussi, comme pour tous les acteurs, le risque premier d’une crise est d’être submergé par les exigences de court terme et de commettre des erreurs stratégiques. Des risques et opportunités similaires valent pour les directions qui ont un actionnariat assez dispersé et ont donc le vrai pouvoir dans l’entreprise.
Pour les salariés, c’est bien sûr une période plus difficile, car l'enjeu est d’abord d’éviter le chômage et de rester inséré dans l’emploi. Ce n’est pas forcément une mauvaise période en termes de carrières individuelles, mais c’est moins propice aux revendications collectives. Sauf dans les situations les plus tendues, où chacune des parties va alors agiter le risque du pire pour obtenir des concessions.
Augustin Landier : Le politique est piégé par son discours anti-globalisation et protectionniste à contre-courant de ce qu’il faudrait expliquer aux Français. Cela à gauche comme à droite. C’est sa grande faiblesse surtout en ce moment face à une opinion publique difficile. L’autre faiblesse du politique est la pression des lobbys qui le pousse à valider des allègements de charge sur un vaste éventail de revenus, ce qui est une manœuvre très coûteuse au lieu de se concentrer sur les bas salaires.
Côté patronal, les élites managériales françaises sont pour la plupart sur des trajectoires de carrières internationales globalisées. Le paradoxe dont elles font l’objet est la perpétuation d’une certaine ambiguïté entre la figure du patron et celle du haut fonctionnaire. Il y a donc un double discours, surtout de la part d’entreprises dépendant fortement de la commande publique et qui se retrouvent à devoir tenir un discours où l’on fait semblant de prendre en compte les demandes du politique pour accéder aux subventions et aux commandes. Ce jeu est assez pervers.
Jean-Charles Simon : Dans l’entreprise et plus généralement sur le marché du travail, il est clair que les salariés sont globalement favorisés et courtisés quand la croissance est très soutenue et fragilisés en période de crise. Mais chaque situation est un cas particulier.
Le politique est souvent pris de vertige dans ces périodes. Il peut aller très loin dans l’intervention économique, penser à des « New deals » de grande ampleur. Mais il fait également face à une impatience aiguë des électeurs et à des contraintes de court terme qui peuvent saboter ses projets. Pour pouvoir agir, il lui faut vision et légitimité, ce qui fait souvent défaut...
Enfin, dans la relation entre « patrons salariés » et actionnaires qui ont le contrôle d'entreprises, c’est un peu comme entre employeurs et salariés : en moyenne, la crise fragilise ceux qui n’ont pas le pouvoir ultime, la détention du capital.
Augustin Landier : Quand le taux de chômage est élevé le personnel peu qualifié n’a pas le pouvoir de négocier facilement. De plus, en France, une partie des négociations est prise en charge par les syndicats qui par nature ne considèrent pas autant qu’il le faudrait les intérêts des chômeurs ou des outsiders du système. Mais il est évident qu’un taux de chômage élevé est défavorable aux salariés.
Jean-Charles Simon : En France, et c’est assez singulier pour être noté, non seulement le partage de la valeur ajoutée ne s’est pas déformé en faveur du capital, mais plutôt le contraire. Le taux de marge des entreprises – c’est-à-dire la part de la valeur ajoutée allant au capital - était retombé au troisième trimestre 2013 à son plus bas niveau depuis 1985. Alors que l’Allemagne, par exemple, a connu au cours des quinze dernières années un fort basculement du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital.
Est-ce une bonne chose ? Je n’en suis pas sûr, parce que cette absence d’ajustement à la baisse de la rémunération du travail a sa contrepartie : plus de chômage, plus de personnes rejetées parfois pour longtemps du marché du travail, où les coûts mais aussi les protections sont élevés.
Cela tient à la protection des salariés français en place. En France, en période de crise, ceux qui souffrent sont ceux qui se retrouvent au chômage ou qui y restent. Les autres sont généralement plutôt épargnés, y compris en matière salariale. Ce qui explique que la contraction de la valeur ajoutée affecte d'abord le taux de marge plutôt que les salaires.
Augustin Landier : Le partage de la valeur ajoutée en France est extrêmement stable. Il reste scotché aux mêmes niveaux depuis une vingtaine d’années. Il faut sortir de l’agrégat macro, on ne peut plus aujourd’hui poser cette question sans faire la distinction entre la partie des travailleurs possédant un "capital humain" hautement qualifié qui ont un pouvoir de négociation très fort du fait de leur rareté et de leur complémentarité avec la révolution digitale, et les travailleurs peu qualifiés, facilement substituables, qui ne peuvent se prévaloir de la rareté.
Jean-Charles Simon : Encore une fois, les mécaniques salariales françaises font que la souffrance en période de crise, c’est le chômage. Pour le reste, le salaire minimum progresse au moins aussi vite que l’inflation, et les conventions collectives comme le poids des habitudes font le reste. Au final, le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés en place est rarement affecté. Là où dans d’autres pays les gels sur plusieurs années et même les renégociations à la baisse des rémunérations en période de crise ne sont pas exceptionnelles.
Il y a certes plus de fragilité dans les PME car, justement, un risque plus élevé d’être projeté dans le chômage à la suite d’un licenciement ou d’une faillite.
Finalement, les clivages français bien connus se sont encore amplifiés : des « insiders » plutôt bien protégés s'ils sont en CDI et avec de l’ancienneté ; des « outsiders » très marginalisés, avec un chômage de longue et de très longue durée qui a explosé, la durée moyenne au chômage ayant dépassé les 500 jours depuis l'été 2013. Et entre eux, une population assez précarisée croissante, avec une augmentation des contrats courts notamment.
Augustin Landier : La PME est un monde plus « familial ». Or la loyauté dans le monde de la petite entreprise se traduit justement par l’acceptation de salaires moins élevés. Après, il y a peut-être une tendance moins forte à licencier dans ces structures. Mais les PME restent plus vulnérables en période de difficultés économiques. Même si Alstom traverse une difficulté par exemple, elle ne disparaîtra pas du jour au lendemain, là où une PME peut mettre la clef sous la porte et licencier toute son équipe.
Jean-Charles Simon : Il est heureux qu’elle soit en déclin. Car quand l’Etat est beaucoup intervenu dans la vie des entreprises, ça s’est rarement bien terminé. L’Etat doit se préoccuper des structures et des infrastructures, de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais il n’a rien à faire dans la fabrication de voitures, la banque, la construction de trains ou même de centrales nucléaires. Il peut très bien imposer des règles et des cahiers des charges, surtout quand il y a des enjeux de sécurité ou des externalités à faire payer, mais il est presque toujours mauvais opérateur et mauvais stratège. La France continue de jouer sur les symboles – BPI, "redressement productif", rodomontades régulières contre des entreprises privées… - mais elle perd la main, comme l’illustrent les départs de sièges de grands groupes à la faveur de leur rapprochement avec d’autres entreprises.
Tant que l’Etat se pensera comme l’acteur qui peut punir ou imposer des vues arbitraires, il fera face à la perte de ce pouvoir négatif. Car la mondialisation offre de nombreuses lignes de fuite à ceux qu’il considère comme des assujettis. Mais s’il se pense de manière plus positive comme l’acteur qui doit attirer et mobiliser, alors il trouvera de nouvelles raisons d’être. Et des défis autrement plus intéressants à relever que de construire des meccanos industriels forcément artificiels s’ils ne correspondent pas à la volonté des premiers concernés.
Augustin Landier : On est encore dans une vision type "Trente Glorieuse" où l’Etat pouvait décider du partage de l’activité industrielle entre grands groupes. La réalité d’Alstom, c’est des actionnaires, un patron, qui prend des décisions stratégiques, en principe les plus favorables pour les actionnaires. L’agitation politique reste surtout verbale, mais ne sera pas suivie d’effets, je pense. Cela infantilise les Français et accroît le décalage entre la réalité de l’économie et le ressenti des gens. Et cela donne à la France l’image d’un pays à problèmes auprès des investisseurs. Ce qui est dommage d’ailleurs, car cette image est partiellement fausse, car l’Etat ne peut pas faire n’importe quoi dans la réalité, et les institutions françaises sont plutôt robustes.
Jean-Charles Simon : Ces manifestations, surtout sans objet très bien défini comme le combat contre une loi emblématique, apparaissent pour ce qu’elles sont : des rituels un peu désuets. Dont chacun, y compris les premiers intéressés, savent bien qu’il ne ressort à peu près rien. D’ailleurs, les rangs se dispersent et plusieurs centrales n’appellent même plus à manifester ce 1er mai. Alors que les enjeux ne manquent pas, en pleine mise en route du pacte de responsabilité et des mesures d’économies.
C’est à la fois la mesure d’une perte d’influence, déjà assez ancienne, mais aussi d’un désenchantement face à la gauche au pouvoir. Quelle offre politique susciter ou promouvoir, par exemple auprès des bastions syndicaux de la fonction publique, quand c’est la gauche elle-même qui annonce les mesures d’économie et le gel du point d’indice ? C’est finalement la prise de conscience d’une réalité politique : aucun parti de gouvernement ne soutient aujourd’hui les revendications syndicales sur l’emploi et le pouvoir d’achat dans le secteur public, ni des mesures de coercition à l’égard des employeurs du privé.
Augustin Landier : Je pense que les syndicats sont restés enracinés dans le thème de la France industrielle et leur clientèle traditionnelle d’ouvriers. Ils ne s’adaptent pas à l’entrée dans le monde des services, où les trajectoires professionnelles sont plus mobiles. Et les gens ne sont pas dupes, ils voient bien que les symboles ne correspondent plus à la réalité, et que la mise en avant de la figure de l’ouvrier n’est pas représentative du personnel peu qualifié d’aujourd’hui.
Philippe Tesson : Manuel Valls, le confusionniste
Manuel Valls semblait singulièrement manquer de conviction hier dans son discours devant l'Assemblée. C'est la première raison qui explique qu'il ne nous ait pas convaincus et qu'il n'ait pas convaincu davantage son auditoire. Une majorité de 33 voix, c'est peu en réponse à ce qu'il venait de déclarer : "Le résultat du vote conditionne la légitimité du gouvernement."
Il n'y avait ni dans la voix ni dans les propos du Premier ministre ni la vigueur ni la chaleur qu'on attendait. Il paraissait accablé par l'abondance des intentions qu'il proclamait. Curieusement, cet inventaire laborieux ressemblait plus à un discours de politique générale ou à un programme de gouvernement qu'à l'exposé d'un plan d'économies de 50 milliards d'euros. Cette intervention a en effet largement dépassé les limites de son objet, qui était d'obtenir l'adhésion des parlementaires au pacte de responsabilité et de solidarité. Alors qu'il s'agissait de faire passer la pilule relativement modeste de la première étape d'une politique de rigueur, Valls a élargi son propos aux dimensions d'un projet hors de proportion avec cet enjeu. C'est ainsi qu'il a énuméré un catalogue de priorités dont la plupart n'avaient plus rien à voir avec le sujet.
Tout dans la bouche du Premier ministre devenait priorité : la lutte contre les déficits, l'emploi et la croissance, certes, mais à quoi il a ajouté la lutte contre la pauvreté, l'école, la justice, la sécurité, le logement, la réforme territoriale, etc. Bref, la priorité comme principe de gouvernement ! On est dans l'absurde. En même temps qu'il déclare : "Préparer l'avenir, c'est choisir des priorités", Valls banalise complètement, et le mot et la chose, au mépris de la plus élémentaire hiérarchie. Cela s'appelle le confusionnisme. À peine nommé, il tombe dans le piège de la promesse inconsidérée, à un moment critique de la situation des finances de l'État, et tout en s'engageant à mettre fin à la hausse des impôts. C'est le second motif qui explique qu'il n'ait pas emporté notre conviction, celle des gens de bon sens.
"Valls est à gauche"
Ainsi, après les autres, comme les autres, se référant une fois de plus à Pierre Mendès France et affirmant qu'il faut "dire la vérité", et la disant lorsqu'il s'agit d'analyser l'état de la France, Valls l'esquive-t-il lorsqu'il s'agit d'imposer les remèdes à nos maux, alors qu'il était réputé plus qu'un autre comme capable de le faire. Ainsi, affirmant, toujours comme Mendès France, qu'il faut "dénoncer les illusions", les entretient-il. Par manque de courage. Par déficit d'autorité et de légitimité. Quelle est sa force en effet, alors que le pays vient de désavouer la politique de sa famille, que sa majorité parlementaire se disloque et qu'il joue le rôle ingrat de béquille d'un président discrédité ? Son discours avait des accents d'appel au secours. Finie l'arrogance idéologique ! Vive les riches ! Vive l'entreprise ! Et bien sûr, vive la justice sociale ! Il y en avait pour tout le monde hier. Même pour l'opposition.
La part civique de chacun de nous ne souhaite pas l'échec de Manuel Valls. On ne sera jamais aussi sectaire qu'un socialiste. On l'attend tout simplement aux actes. On ne lui en demande pas tant qu'il promet. On attend d'abord qu'il réalise les objectifs du pacte de responsabilité. C'est le minimum. S'en est-il donné les moyens, les lui a-t-on vraiment donnés ? Le vote d'hier montre qu'on ne l'a fait qu'avec réticence. Il va falloir au Premier ministre un singulier courage, une singulière volonté, pour vaincre les obstacles que vont dresser les siens sur sa route, sachant de surcroît que ce pacte de responsabilité si laborieusement élaboré n'est que la première étape du "redressement" de la France.
Il fallait aller plus vite et plus fort. Valls est à gauche parmi ceux qui ont conscience de cet impératif, que la droite elle-même avait, mais en vain, tenté d'assumer. On a eu à travers le vote hésitant de l'Assemblée la confirmation que la gauche n'est pas prête à le faire. L'avenir de notre pays passe pourtant par une remise en question radicale des pesanteurs et des illusions sur lesquelles il vit. Valls ou non, la majorité actuelle n'est pas celle qui réalisera cette espérance.
Le souverainisme, religion des imbéciles
La bêtise est de tous les temps, mais ses limites sont sans cesse repoussées. À l'heure de l'éducation de masse, alors que toutes les informations scientifiques sont disponibles gratuitement sur la Toile, il y a toujours des créationnistes pour nier la théorie de l'évolution et vous expliquer sérieusement que l'humanité a été créée d'un seul coup, sans passer par l'étape simiesque.
Quand le complotisme est en marche, rien ne peut plus l'arrêter. Il y a aussi les timbrés qui vous arrêtent dans la rue pour vous "révéler" que le 11 septembre 2001 n'a pas eu lieu. Il y a encore des humains prétendument doués de raison pour donner du crédit aux théories de David Icke, qui affirme que des reptiles intergalactiques polymorphes sont parmi nous et conspirent pour asservir le monde à travers la haute finance. Il y a enfin les souverainistes qui vous "démontrent", avec une pénétration de coucou d'horloge, que l'Europe est la mère de la désolation.
C'est ce qui rend si affligeant le débat de la campagne des européennes. Au lieu de se demander comment faire pour que l'Europe marche mieux, des politiciens de supérette et des penseurs lobotomisés ont réuni leurs forces intellectuelles, si l'on ose dire, pour conclure qu'il est urgent de sortir de l'euro et, dans la foulée, d'en finir avec l'Union européenne. Dieu merci, les Français ne sont pas sur cette ligne : signe qu'ils sont plus lucides qu'une grande partie de leurs pseudo-élites, une enquête de l'Ifop pour Le Journal du dimanche (1) vient de révéler qu'ils sont encore 58 % à estimer que notre pays bénéficie de son appartenance à l'Europe.
L'Europe n'est pas la question, c'est la solution. Cette évidence est devenue tellement aveuglante que les souverainistes sont désormais obligés, pour continuer à proférer leurs âneries, de se boucher les oreilles devant le flot d'informations qui contredit leurs théories. Ainsi les économies ébranlées par la grande crise financière de 2008 relèvent-elles la tête les unes après les autres. La reprise se confirme en Espagne, où le chômage, l'un des plus élevés de la zone euro, commence à baisser. Les perspectives économiques s'améliorent mêmement au Portugal. Quant à la situation de la Grèce, toujours très mal en point, elle ne semble plus désespérée.
Même un homme comme Arnaud Montebourg, peu suspect d'européanisme compulsif, a fini par se convertir aux bienfaits de l'Union. C'est ainsi qu'il s'est battu, non sans un certain cran, pour que ce soit l'allemand Siemens, et non l'américain General Electric, qui reprenne les actifs d'Alstom dans l'énergie, autrement dit l'essentiel de l'activité de l'entreprise, présente par ailleurs dans les transports. Laurent Wauquiez, le vice-président de l'UMP, qui avait fait un pas de deux du côté des souverainistes, est revenu à la maison à cette occasion en plaidant, à juste titre, pour une solution plus globale : la construction d'un géant européen sur le modèle d'Airbus.
Même quand on n'aime plus l'Europe, on y revient toujours : la preuve par Montebourg et Wauquiez. Si la France se désindustrialise à grande vitesse, comme le montre l'affaire Alstom, après ce qui vient d'arriver à Peugeot ou Lafarge, l'Europe apparaît ainsi comme la seule bouée de sauvetage. La dernière chance. L'espoir ultime.
Les souverainistes ne peuvent pas comprendre cela. Comme s'ils étaient affectés d'une forme de psychose paranoïaque, ils vivent dans une bulle, coupés du monde tel qu'il est. Leurs hémisphères cérébraux ne reçoivent pas les informations qui contredisent leurs opinions. Sinon, ils ne vaticineraient pas contre l'euro fort ou ne réclameraient pas que la France en sorte au plus vite.
Certes, l'euro fort nuit, en plus du reste, à la compétitivité des exportations françaises. Mais, si son niveau atteint des sommets, c'est à cause de l'afflux en Europe de capitaux internationaux, qui fait baisser les taux souverains, notamment ceux de pays en convalescence comme l'Espagne ou le Portugal. Notre intérêt est-il de les précipiter à nouveau dans la crise ?
Deux chiffres devraient faire taire les perroquets du souverainisme : l'an dernier, avec des importations en baisse dans les deux pays, le déficit commercial de la France s'élevait à 61,9 milliards d'euros tandis que l'Allemagne affichait une excédent insolent de 198,9 milliards. Voilà bien la meilleure réfutation de toutes les fadaises souverainistes qui vont nous tomber dessus jusqu'aux élections européennes. Si l'économie continue à marcher outre-Rhin alors que la France est à la peine, comment nier que notre problème est français, et pas européen ? N'est-il pas temps de réformer notre fameux modèle ? Même le pouvoir socialiste a fini par l'admettre !
Mais qu'on ne compte pas sur les souverainistes pour réviser leur jugement : jamais ils ne quittent le formol, tels qu'en eux-mêmes l'éternité les fige.
1. Le 27 avril 2014.
Egalités: vrais problèmes et fausses idées
Il faut changer de vision, armer les jeunes et les moins qualifiés de moyens, plutôt que de les anesthésier de transferts sociaux toujours plus insuffisant
Le système de redistribution français est archaïque. Il repose sur une société des années 1970-1980, alors que les problèmes sociétaux et économiques d’aujourd’hui sont très différents. Le résultat est que la société devient de plus en plus inégalitaire, abandonne de plus en plus de laissés-pour-compte en dépensant de plus en plus d’argent public. Il faut changer de vision, armer les jeunes et les moins qualifiés de moyens, plutôt que de les anesthésier de transferts sociaux toujours plus insuffisants.
Le système social date d’une époque où la famille était solide et les divorces plutôt rares (4 pour mille mariages en moyenne par an jusqu’en 1982), où le taux de chômage était faible (4,5 % en moyenne jusqu’en 1982), l’espérance de vie à la retraite faible (moins de dix ans). Il s’agissait alors de corriger des accidents de parcours marginaux. L’ascenseur social marchait à plein et les inégalités salariales ne nécessitaient qu’une faible correction par les transferts et l’impôt. On pouvait compenser les accidents de parcours avec des dépenses de chômage faibles et temporaires. Les retraites ne couvraient qu’une petite période de la vie active.
La situation est différente aujourd’hui. Le taux de divorce est élevé, les mères célibataires nombreuses. L’espérance de vie à la retraite a plus que doublé. Les accidents de parcours professionnels touchent de façon chronique une part de plus en plus importante de la population. L’ascenseur social ne fonctionne plus et le chômage structurel des peu qualifiés est le double de celui des qualifiés. La correction des inégalités ex-post est un échec : elle met des populations entières sous perfusion de transferts sociaux, sans leur donner l’espoir de pouvoir améliorer leur situation demain.
Il faut reformer notre système pour donner la capacité aux populations déclassées d’avoir demain une vie meilleure qu’aujourd’hui et l’espoir que celle de leurs enfants sera encore meilleure. Pour cela, l’ascenseur social doit être réactivé, et les populations sans emploi ou en sous-emploi soutenues pour se requalifier et réintégrer le monde du travail de façon durable. Cela passe par une réforme de l’éducation de la petite enfance à la vie professionnelle ; par une réforme des politiques de l’emploi. Il ne s’agit plus de se contenter d’indemniser, mais de remettre les chômeurs en emploi grâce à une vraie formation professionnelle et un accompagnement jusqu’à l’emploi. Cela passe par la réforme des contrats de travail.
Cela passe aussi par l’abandon d’un de nos plus grands dogmes : les transferts sociaux doivent cibler les démunis et non être repartis sur l’ensemble de la population. Cela veut dire des allocations familiales et des structures de garde d’enfants permettant d’abord aux femmes seules ou aux deuxièmes salaires des foyers à faible revenu de travailler. Cela veut dire une assurance-chômage qui déplafonne les allocations actuelles plus fort et plus rapidement qu’aujourd’hui mais prend mieux en charge les moins qualifiés. Et cela veut dire un budget de la formation professionnelle qui ne finance pas les cours de photos des cadres sup, mais plutôt la formation des employés les moins qualifiés. C’est remettre en question notre système, coûteux et inefficace.
Alstom, GE et Montebourg-la-bricole
C’est l’histoire d’un géant déchu, dont les réalisations passées ne suffisent plus à lui assurer un avenir solide. C’est l’histoire d’un autre géant qui a besoin de s’agrandir. C’est l’histoire d’un rachat, de milliards d’euros et de dollars échangés, d’opérations boursières difficiles et complexes. Et c’est la démonstration, en creux, de cette compulsion maladive des groupies de l’interventionnisme étatique à la française à se mêler de tout, au détriment de l’intérêt général.
Cette histoire aurait pu être celle de Nokia dont son activité « téléphones portables » vient d’être rachetée par Microsoft : après des mois de procédures pour faire valider le rachat par les autorités de la concurrence du monde entier, le géant du logiciel a officiellement racheté le dernier fabricant européen de smartphones, pour un peu plus de cinq milliards et demi d’euros. Selon l’accord, Microsoft utilisera probablement la marque Nokia pendant encore quelques mois avant de la faire disparaître, probablement au profit de Microsoft Mobile. Il est bon de noter que Nokia, qui continue à exister au travers de ses autres activités et notamment de Nokia Solutions and Networks (NSN), a l’interdiction de vendre des téléphones durant cette même période.
Mais ce n’est pas cette histoire qui m’intéresse.
En effet, lorsque le géant du logiciel a décidé ce rachat, il s’est essentiellement agi d’une opération commerciale et boursière. On peut bien évidemment parier sur d’intenses négociations entre les différentes parties prenantes, tant les firmes finlandaise et américaine ont intérêt à s’accorder. Mais en tout cas, les autorités finlandaises ne sont pas intervenues. Peut-être, compte tenu de la taille du conglomérat finlandais, y a-t-il eu des pressions ou des arrangements entre le gouvernement et les dirigeants de Nokia, mais rien n’en a filtré. Plus simplement, on peut aussi admettre que ce gouvernement a laissé les actionnaires se débrouiller selon leur meilleur intérêt.
En France, on observe un événement assez similaire : on apprend, de source incertaine mais tout de même, avec des petits bouts de rumeur bien insistante, que General Electric, le conglomérat américano-canadien, aurait proposé de racheter Alstom, pour la modique somme de 9,4 milliards d’euros – soit 25% de plus que le cours de bourse, au passage –, somme bien vite démentie par le groupe de Patrick Kron qui ne veut pas du tout être dilué dans un truc beaucoup plus gros que lui.
La rumeur une fois connue et confirmée, deux phénomènes apparaissent : d’une part, les journalistes s’empressent de fourrer leurs gros micros mous sous le nez des politiciens, à commencer par celui de Valls et de Montebourg, le frétillant ministre de l’industrie et des pilules bleues qui aident à la reproduction, afin de bien leur faire comprendre qu’il était impératif qu’ils s’expriment. D’autre part, ces mêmes politiciens ont évidemment répondu aux questions posées en apportant une saine dose de « Pas De Ça Chez Nous » à laquelle, il faut bien le dire, les journalistes s’attendaient.
Si je souligne ces deux acteurs (les journalistes d’un côté, les politiciens de l’autre), c’est parce que leur interaction est ici essentielle : les journalistes n’auraient pas été titiller les politiciens s’ils n’avaient pas senti que ces derniers s’empresseraient de réagir ainsi, et les politiciens se seraient probablement bien passés de faire le moindre commentaire si les journalistes n’étaient pas venus les voir. Et c’est d’autant plus vrai que chacun des deux a un intérêt à réagir ainsi : les pisse-copies ont bien du mal, actuellement, à enchaîner la moindre analyse pertinente sur la situation politico-économique française (ou, pire encore, sur les enjeux de la prochaine élection européenne) et les politiciens, de leur côté, n’existent pas s’ils n’ont pas leur nom quelque part dans l’un des milliers d’articles que la presse subventionnée produit tous les jours pour faire semblant d’informer son lectorat.
La situation ainsi campée, il était donc inévitable que Valls puis Montebourg s’expriment.
Pour Valls, l’affaire fut réglée par une pirouette : « je m’exprime bruyamment pour dire que je ne vais rien dire. Ainsi, j’existe médiatiquement et mon non-communiqué sera amplement repris pour dire, après analyse, que je n’ai rien dit » avec le bonus de se laisser une voie d’intervention possible : « Nous sommes attentifs », ce qui veut dire que si jamais General Electric devait fauter, hop hop hop, le gouvernement interviendrait. Epic win et tout ça.
Pour Montebourg, bien sûr, il s’agissait de montrer que la France, éternelle et merveilleuse, n’allait pas se laisser faire ainsi. Dès la rumeur connue, les coulisses s’agitèrent. L’idée générale est toujours la même : les actionnaires d’Alstom, parmi lesquels on put compter l’État avant qu’il revende ses parts à Bouygues, ne sont pas assez malins pour savoir ce qui est bon pour eux. Le gouvernement, fermement cornaqué par le fier Arnaud, lui, sait qu’il ne faut pas qu’un groupe étranger, à plus forte raison américain, entre au capital ou le rachète entièrement, parce que… parce que c’est mal, voyons, c’est évident. Dès lors, une saine « préoccupation et une vigilance patriotiques » sont nécessaires, ce qui se traduit par des approches de plus en plus lascives vers… Siemens.
Tout ceci est confus ? Rassurez-vous, tout est hors contrôle, Montebourg est aux commandes et appuie sur tous les boutons, les gros leviers et les petites volants pour obtenir un truc, n’importe quoi, qui puisse se médiatiser sous la forme d’une réussite, de près ou de loin. Et si ce n’importe quoi passe par l’exacte antithèse de ce qui nous a été vendu il y a quelques années par Sarkozy (qui s’est, rappelons-le, « battu » – avec l’argent des autres – pour qu’Alstom reste 100% français), eh bien tant mieux : allons voir Siemens qui sera certainement ravi de former un « partenariat » avec la société française, pardi ! Partenariat d’autant plus fructueux que là où General Electric peut s’avérer complémentaire à Alstom en Europe, Siemens lui est directement concurrent, ce qui promet des décisions douloureuses au niveau des salariés…
Décidément, rien de plus jouissif pour un politicien que faire l’exact contraire de ce qu’un concurrent fit jadis, surtout si cela permet, même vaguement, de modifier le cours normal des choses et d’intervenir avec fracas dans la vie de milliers de personnes ! Peu importe que le résultat soit probablement sous-optimal pour ceux qui ont un intérêt direct dans la société (actionnaires, salariés, fournisseurs et clients) : l’État (et en particulier Montebourg) a une idée précise de ce qu’il convient de faire (à savoir s’agiter), idée bien mieux renseignée que ces différentes parties prenantes, évidemment !
Il est particulièrement éclairant de voir le calme et la pondération qui ont accompagné le rachat de l’activité téléphonique de Nokia par Microsoft d’un côté, et l’effervescence journalitico-politique lorsqu’il s’est agit d’Alstom par General Electric. Que le premier rachat se situe en Finlande et le second en France explique seulement en partie la différence de traitement ; ne nous leurrons pas, les Français sont latins et on les voit mal rester de marbre lorsqu’un changement d’importance arrive. Mais comment qualifier l’intervention de l’État et de ses sbires dans cette affaire si ce n’est par « ingérence » ? Sous prétexte de « sauver » de l’emploi en France, des tractations et des pressions sont faites en dépit de tout respect du droit de propriété et, surtout, de toute discrétion qui devrait entourer des affaires de cette importance.
Pire : comment justifier ces changements de politique industrielle (un coup Siemens est le diable, un autre un partenaire valable) ? Comment n’y pas voir la frénésie du court-terme, les petits arrangements à la va-vite, la connivence, le bricolage voire la panique ? Comment croire que toute cette agitation n’aura aucun impact sur la viabilité de l’entreprise ? Et surtout, comment imaginer, avec l’historique catastrophique de l’État en général, et de Montebourg en particulier, que ces excitations se termineront bien ?
Un plan d’économie qui fouette du chaton mignon
C’est l’effervescence ! Maintenant que les décisions du premier ministre ont été adoubées d’un vote (purement formel et sans danger), toute la France va pouvoir bondir dans une nouvelle direction : la bonne, bien sûr.
Et cette direction est, évidemment, celle des économies, de la dépense maîtrisée, des budgets finement ouvragés et des lignes comptables millimétrées. Manuel Valls l’a rappelé : il s’agit d’un effort sans précédent (c’est-à-dire comme l’emprunt Sarkozy et le plan d’économie sous Villepin, mais encore plus). Vraiment, on sent l’impulsion ferme qui a été donnée au pays. Il y a dix jours, lorsque j’évoquais ce plan, je le taxais, naïf et sarcastique que je suis, de flou et d’insuffisant. Quel méchant je fus, de croire qu’il serait incapable de tenir ses engagements, aussi mous soient-ils ! Pas de doute, ce plan fouette du chaton mignon.
Et depuis, Manu les bons tuyaux a largement prouvé qu’il n’était pas prêt à ergoter sur les efforts, à minimiser les nécessaires ajustements pour revenir dans la rigueur budgétaire. On parlait, jadis, d’austérité, mais à l’évidence c’est bien de rectitude qu’il faut parler ici : le plan Valls d’économie sera gravé avec la précision du laser dans la solidité de l’airain. Bon, et puis pour éviter la grogne des députés, le laser en profitera pour arrondir les angles ici, là et là, en rabotant les économies qui, sinon, risquent de porter une partie de la population à l’animosité envers notre bon président, alors qu’il caracole pourtant en tête des sondages. Ce serait dommage.
Alors on ne va pas toucher aux petites retraites. Le RSA augmentera comme prévu. Et on conservera le gel du point d’indice des fonctionnaires, sauf qu’on vérifiera qu’il doit bien être gelé tous les ans. Des fois, il pourra être gelé à la baisse, des fois, à la hausse, en fonction des performances du pays, ce qui évitera un gel total avec une absence de mouvement. Ce sera un gel dynamique, en quelque sorte, si vous me suivez bien.
Bon. Moyennant donc ces quelques ajustements, on va pouvoir commencer à bien économiser, à bien redresser, à bien faire attention aux dépenses publiques. Parce que bon, ça suffit les dépenses irréfléchies. C’est fini, ça, monsieur, le temps des distributions gratuites de pognon des autres ! C’est fini, ça, madame, les semaines sans lundi matin et sans vendredi après-midi ! Il va falloir se retrousser les manches gouvernementales et bien tout mettre dans les petits tiroirs et les petites armoires, proprement, et s’assurer qu’il n’y a plus rien qui dépasse.
Voilà, c’est dit.
Vous pouvez retourner à vos activités. Travaillez bien. Consommez. N’oubliez pas de payer votre tiers d’impôts.
Voilà voilà.
Hem.
Et concernant les quartiers difficiles, dans certaines banlieues, au fait, on fait quoi ?
Ah oui mais pour ça, c’est différent. On doit absolument faire quelque chose, et on y consacrera donc 600 millions d’euros. C’est la copine de Manu, Najat, qui l’a expliqué : histoire d’apporter à grosses louches un « développement économique dans les quartchiers » qui n’ont pas toujours eu de la chance, la ministre de la Ville a décidé que l’État (comme un grand et en partenariat avec la CDC, c’est-à-dire lui-même) allait consacrer une enveloppe, pardon, une valise, pardon, une piscine de 600 millions d’euros sur une période de 6 ans pour inciter les investissements privés (les entreprises françaises adôôôôrent quand l’État investit avec elles l’argent qu’elles ont dû auparavant lui donner) sur des « projets structurants » comme, je cite, « des pépinières d’entreprises ou des maisons de santé », les quartiers étant, comme chacun le sait, les endroits bucoliques rêvés pour les maisons de santé et les entreprises. Et on consacrera 75 millions d’euros à la revitalisation des centres commerciaux et artisanaux des quartiers concernés, parce qu’un bon coup de peinture (à 75 briques), c’est fou ce que ça donne envie aux gens qui n’ont pas un rond d’aller se précipiter à Carrouf pour acheter des yaourts.
Voili voilà, pas de quoi fouetter un chaton (même mignon).
Bon, je vous l’accorde, le coup du saupoudrage de pognon gratuit dans les quartiers, cela fait un peu 40 ans que ça dure, et que les résultats sont particulièrement pastels si vous m’autorisez l’euphémisme. Je suppose donc que Najat a plus d’un tour dans sa besace pour transformer une recette qui a sur-performé en matière de ratage pendant plusieurs décennies en succès avec happy ending.
Et apparemment, c’est le cas : elle compte pas mal sur un petit tour de magie économico-sociale baptisée Emplois-Francs qui consiste à subventionner à hauteur de 5000 euros l’emploi d’un jeune chômeur résidant dans une zone urbaine sensible. De façon fort bizarre, les entreprises ne se sont pour le moment pas ruées dans la bonne combine et alors que le gouvernement avait prévu de financer 10.000 de ces contrats en trois ans (ça fait un peu plus de 3300 par an, donc), les dix premiers mois n’ont permis de n’en signer que… 130.
Allez. Plus que 9870, et c’est bon, Najat ! Moi, je le sens bien le frémissement sur ce sujet. Et je sens que cette fois, l’ouverture des robinets à pognons sur nos quartchiers sensibles va vraiment faire la différence ! Et tant pis pour les zéconomies budgétaires, il y a des endroits, il y a des secteurs où je dis : No Pasaran !
…
D’ailleurs, j’en ai un autre qui me vient immédiatement à l’esprit : la masse salariale à la charge de l’État.
Économiser sur les trombones, passe encore. Raboter sur les dotations en essence des patrouilles de gendarmerie ou de police, c’est évidemment pénible. Surveiller de près les dépenses des soldats, des magistrats et des diplomates, c’est vexant, mais on comprend que chacun doit faire des efforts. Mais la masse salariale, c’est non, il ne faut pas pousser. En vertu de quoi, la fonction publique compte fin 2012 un petit 0.3% d’effectifs en plus, ce qui est une augmentation rikiki, austère même si on veut absolument employer un adjectif. De façon intéressante, on note que cette tendance à l’augmentation est un changement (on avait prévenu que c’était maintenant, et le voilà !) : en hausse continue depuis les années 1980, les effectifs de la fonction publique s’étaient stabilisés pour la première fois en 2008 pour accuser une légère baisse en 2010 et 2011.
Apparemment, en 1980, la France subissait l’anarchie, les gens mourraient sur les trottoirs, les élèves sortaient majoritairement analphabètes et la société était fort malheureuse puisqu’il a fallu toute cette masse de nouveaux fonctionnaires pour arriver au paradis que nous connaissons actuellement. Et comme il est hors de question de tripoter les paramètres du paradis (au risque de le transformer en enfer), admettons qu’il faut donc continuer ainsi.
Le souci, bien sûr, est que ces nouveaux arrivants dans la fonction publique représentent un coût non négligeable qui gomme à peu près tous les efforts que Manu tente de mettre en place. Certains, hardis, l’estiment à 77 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien comparé aux 17 milliards prochainement économisés à la sueur du front de Valls (et de tous les Français derrière lui).
…
Zut et zut, ce n’est pas simple, cette histoire de plan d’économie. D’un côté, on nous annonce des mesures viriles qui vont sauver la France. De l’autre, les bonnes habitudes ne se sont toujours pas perdues et les petits robinets à subventions, les grosses cohortes d’embauches publiques ne se sont toujours pas taries. Certes, il faudra voir si, en 2013, l’État, prenant conscience de son obésité, n’avait pas décidé de lourder quelques dizaines de milliers de fonctionnaires. Mais à vue de nez, je pense que ça n’a pas été le cas. Et peut-être, dans les mois qui viennent, Najat, frappée soudainement de lucidité, se dira que son plan de dépenses pour les quartiers et la bricole sur les emplois-francs sont un échec lamentable et qu’il est bon d’arrêter les frais.
Peut-être.
Factuellement, cependant, je continue de constater que le plan est toujours aussi microscopique, qu’il est déjà raboté avant même d’avoir été appliqué, et que de nombreuses fuites sont toujours ouvertes. Moyennant quoi, ma conclusion est sans appel.
Ce pays est foutu.
Plan de rigueur. Ils ont voté… Et après ?
Plan de rigueur. Ils ont voté… Et après ?
265 voix pour, 232 contre, 67 abstentions dont celles, tout de même, de 41 députés socialistes.
Comme nous l’avions prévu, les députés PS, après quinze jours de psychodrame, ont finalement approuvé, avec une majorité relative et certes plutôt parcimonieuse, le plan d’économie de 50 milliards d’euros soumis par le Premier ministre à l’Assemblée nationale, mardi 29 avril. Fin du suspens un peu factice qu’ils entretenaient habilement depuis quinze jours. « Ça va péter », annonçaient certains élus socialistes d’un air bravache. Mais la grenade annoncée s’est transformée, au moment du vote, en un pétard de 14 Juillet. Avec tout de même, dans les rangs du PS, 41 abstentions. Un caillou dans la chaussure de Manuel Valls qui risque de faire boiter le Premier ministre de sa jambe gauche.
Mardi après midi ce dernier, reprenant, poursuivant et amplifiant le ton mélodramatique qui régnait ces derniers jours entre l’exécutif et sa majorité, avait dramatisé à l’excès son discours. « Je vous parle avec mon cœur, avec mes tripes ! » Mais devant un hémicycle à demi vide, ce qui donnait encore plus de résonance à ses vigoureux propos, beaucoup de députés socialistes ayant choisi de rejoindre leurs pupitres avec un temps de retard visiblement calculé. Un discours commencé par une vibrante et solennelle déclaration :« Le vote d’aujourd’hui est un instant de vérité. Ce n’est pas un vote indicatif, c’est un vote décisif. » Et conclu, une demi-heure plus tard, sur une anaphore – mode oratoire décidément à la mode chez les socialistes – fougueuse mais plutôt grandiloquente : « J’assume, oui j’assume le choix qui est fait, j’assume, car c’est le choix de la cohérence, du courage, j’assume, car c’est le choix de la croissance et de l’emploi. (…) J’assume, car c’est le choix de la confiance. » Il assume mais, comme me le suggère Alain Sanders, il assomme également beaucoup. Notamment les classes moyennes qui devront « assumer » elles aussi l’essentiel des efforts demandés. « C’est la crédibilité de la France qui est en cause. (…) La France est en train de décrocher, nous sommes là pour la redresser. » Y a-t-il une barre à mine dans la boîte à outils de François Hollande ? Un discours à la tonalité, en fait, très sarkoziste, reprenant plusieurs thèmes chers à l’ancien président. Et Valls, défiant les élus de gauche, de les exhorter : « Ce n’est pas à la droite de faire la majorité. C’est à vous de faire cette majorité. » Ils l’ont faite, mais d’extrême justesse. Sur le fil du rasoir…
Avec 205 votes contre (192 UMP, 7 centristes de l’UDI, 6 non inscrits), 21 abstentions (17 UDI, 3 UMP et un non inscrit) et 4 votes pour (3 UDI et un UMP, en l’occurrence Frédéric Lefebvre, l’ancien snipper de Nicolas Sarkozy reconvertit façon peace and love dans le consensuel mièvre), la droite s’est certes divisée. Mais la gauche bien plus encore. Avec des conséquences beaucoup plus graves pour elle : 261 votes pour (242 PS, 13 radicaux de gauche, 3 écologistes, 2 apparentés communistes et un non inscrit), 46 abstentions(41 PS, 2 écologistes, 2 radicaux et un apparenté communiste) et 28 votes contre (13 communistes, 12 écologistes, 3 chevènementistes). Question : les écologistes sont-ils encore dans la majorité ? Avec des amis comme eux, c’est sûr, Manuel Valls n’a pas besoin d’ennemis. Ceux de son propre parti devraient lui suffire…
Contestataires, mais pas trop !
L’abstention socialiste, que certains au PS annonçaient « massive », s’est donc émoussée au fil des heures. Sans doute sous le double effet de quelques concessions bidons de Manuel Valls et les menaces encore plus convaincantes de Jean-Christophe Cambadélis. La semaine dernière, ils étaient une centaine de parlementaires PS à demander la limitation des efforts réclamés par le plan de 50 milliards d’euros d’économie proposé par Manuel Valls. Efforts provenant de l’Etat (18 milliards), des collectivités locales (11 milliards) et de la protection sociale (10 milliards). Onze milliards restant à trouver sous les sabots d’on ne sait quel cheval. Quel canasson fourbu ?
Combien de frondeurs maintiendraient-ils jusqu’au bout leur protestation ? Hollande, qui connaît bien ses troupes pour les avoir dirigées durant onze années, avait rassuré son Premier ministre. « Ils râlent mais ils éviteront la scission du groupe ou la dissolution. Ils ne lâcheront jamais leurs indemnités. » Une vision plutôt terre à terre des élus socialistes, dont l’intérêt personnel passerait, selon le président de la République, avant leurs convictions… Mais qui au final, s’est révélée assez juste.
Lundi encore, un ténor de la majorité roucoulait avec une fatuité lyrique : « Le marais socialiste a mal au cœur. (…) On nous demande le vote le plus difficile du quinquennat et tout ce qu’on entend venir de l’Elysée, c’est le cliquetis des brosses à cirage. » Pas reluisant, en effet. En tout cas le marais socialiste, qui ne pardonne pas à François Hollande la défaite des municipales, a quelque peu ravalé ses aigreurs et ses spasmes d’indignation. L’exécutif donne peut-être « mal au cœur » aux coassants amphibiens du marais socialiste mais pas au point que ceux-ci, comme le pronostiquait François Hollande, vomissent leurs mandats. Et leurs indemnités…
La gauche et l’entreprise : sortir du psychodrame
La gauche et l’entreprise : sortir du psychodrame
La journée de mardi a apporté deux bonnes nouvelles. La première : en France, les entreprises n’écoutent plus le gouvernement. Après Vivendi qui, malgré la désapprobation officielle, cède sa téléphonie mobile à Numericable, voici Alstom qui, en dépit des coups de menton d’Arnaud Montebourg, engage des négociations avec l’américain General Electric. Il faut s’en réjouir, car ce n’est pas en faisant la guerre aux investisseurs étrangers qu’on favorisera la croissance. Seconde bonne nouvelle : la majorité de gauche a voté, cahin-caha, un programme de stabilité pour trois ans, passant par des économies de 50 milliards d’euros et une baisse des charges sur les entreprises.
Dans les deux cas, ce qui était en jeu, c’était la confiance des entrepreneurs, clé de leur propension à investir et donc de leur capacité à créer de l’emploi. Par leur vote, les députés socialistes, du moins la grande majorité d’entre eux, ont posé un premier jalon pour réconcilier la gauche de gouvernement avec la réalité : ce sont les entreprises, en créant de la richesse, et non l’Etat, en générant de la dette, qui garantissent notre prospérité future. Certes, il en faudra beaucoup plus pour construire un centre de production France compétitif, lutter contre le chômage de masse et combattre le découragement des entreprises qui, depuis deux ans, votent avec leurs pieds en délocalisant sièges sociaux et cadres dirigeants. Ce qui annonce d’autres déchirements au PS. Mais 55 ans après le congrès de Bad Godesberg du Parti social-démocrate allemand, la grande conversion de la gauche socialiste française à l’économie de marché a enfin débuté. On doit l’encourager, même si on n’a plus que ses yeux pour pleurer le temps perdu.
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