Et voici qu'ils deviennent europhobes. Selon un sondage, 56 % des Britanniques voudraient quitter l'Union européenne si un référendum était organisé sur le sujet. Avec un tel climat qui pèse sur sa majorité politique, le Premier ministre britannique, David Cameron, se montre intraitable et a fait capoter un sommet européen, la semaine dernière, sur le budget de l'Union : il voulait des coupes dans les dépenses. Coupes que ses partenaires n'ont pas acceptées.
Eh bien, qu'ils s'en aillent, entend-on désormais à Bruxelles et à Paris. L'Europe sans les Britanniques n'en fonctionnerait que mieux. Ne se sont-ils pas exemptés de la discipline commune en exigeant un opting out pour l'euro, pour les accords de Schengen, pour le traité de stabilité signé au début de l'année ? Dès qu'un nouvel accord européen est signé, c'est la guerre de Cent Ans pour négocier avec l'Angleterre. Quel que soit le sujet, elle veut rester une île et ralentit le rythme de l'intégration.
Étrange procès. L'Europe n'est-elle pas justement l'expérience de la différence, le patient travail de polissage des cultures qui a permis de dépasser le nationalisme et ses travers ? Qu'y aurait-il de plus ennuyeux qu'une Europe d'entre soi, de plus barbant qu'un congrès de sociaux-démocrates continentaux ? Et de plus coûteux, avec des hommes politiques français toujours prompts à lever l'impôt et à créer des postes de fonctionnaires ? Si les Britanniques n'étaient pas entrés en Europe en 1973, la bureaucratie aurait prospéré sans contre-pouvoir. Nous paierions déjà d'innombrables impôts européens au titre d'une prétendue solidarité qui n'est pas autre chose que le manteau de la paresse politique.
La querelle budgétaire illustre bien la plus-value britannique. Est-il normal que le budget européen continue à progresser, alors que les États cherchent partout des économies en ces temps de disette ? Est-il tolérable que l'argent public file sans contrôle à Bruxelles, alors que la Cour des comptes européenne a refusé de certifier le budget pour la dix-huitième année consécutive à cause de manquements dans l'exécution ? Alors que les exemples d'aberrations relevés par le comité d'experts Open Europe se multiplient : une maison close baptisée 7e Ciel qui touche une subvention de 54 000 euros, un Danois qui reçoit 100 000 euros pour construire une piste de ski sur une île plate où il ne neige qu'une fois par an, 411 000 euros attribués à un centre de remise en forme pour les chiens en Hongrie... Réjouissons-nous qu'il y ait encore des hommes politiques pour poser ces questions ingrates, qui n'intéressent pas la classe dirigeante française, tout à sa religion de la redistribution.
De façon plus fondamentale encore, une Europe sans la City de Londres ne serait plus qu'une puissance financière de second rang. Une Europe amputée de l'armée britannique serait moins crédible et écoutée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Pour Paris, Londres est un partenaire militaire autrement plus puissant que Berlin. C'est, en Europe, le seul pays qui possède une industrie d'armement de premier plan, avec lequel la France peut mutualiser certains programmes. Ex-puissance mondiale et ex-empire, le Royaume-Uni est aussi l'un des rares pays qui restent, comme la France, attachés à une forme de souveraineté nationale. Sans cette grande île exotique qui a le nez planté dans l'Atlantique, la France serait plus seule en Europe.