2012 aura été une année difficile pour les Français avec une baisse notoire du moral des ménages et une croissance économique en berne. Il existe pourtant de nombreuses réformes à entreprendre, et qui permettraient aux Français de reprendre espoir.
2012 aura été une année difficile pour les Français avec une baisse notoire du moral des ménages, comme si un constat d’impuissance face à la crise s’était durablement installé. Peut-on dire que cette morosité est aujourd’hui une fatalité dans l’Hexagone ?
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Florence Servan-Schreiber |
Florence Servan-Schreiber : Je pense que non, puisque tout dépend ici de la perception que l’on a du phénomène. On peut effectivement enregistrer à l’échelle nationale une tendance croissante du pessimisme face à l’avenir du monde et plus particulièrement de la France, mais cela ne se retrouve pas selon moi à l’échelle individuelle dans les contacts que l’on a au quotidien. Même si le chômage augmente, on peut affirmer que la situation de la majorité des Français reste relativement inchangée depuis 2008 (quand on la compare par exemple aux cas portugais, espagnol ou grec ndlr) et qu’il n’y a pas encore de bouleversement massif de nos modes de vie. On peut dire par conséquent qu’une bonne partie de la population a encore une emprise sur son existence, ce qui modère pour l’instant le constat d’impuissance face aux réalités économiques.
Cela ne contredit pas cependant l’idée que les gens ont intégré le ralentissement de la croissance et que cela pourrait à terme menacer leur emploi, même pour ceux qui sont en poste depuis longtemps. La montée galopante du chômage devient effectivement une évidence annoncée plutôt qu’un risque lointain, on le voit tous les jours dans les entreprises qui s’inquiètent d’une contraction de leur activité qui pourrait à terme mener à des plans de restructuration entraînant de nombreux départs. Il y a donc bel et bien une épée de Damoclès qui plane au-dessus de la tête de beaucoup de Français mais il ne faudrait pas oublier qu’au-delà de cet épisode inquiétant, le véritable enjeu se trouve être notre capacité d’adaptation aux changements mondiaux. Que ce soit à l’échelle individuelle ou collective, les ressorts psychologiques pour mieux rebondir existent, et possèdent une puissance créatrice qu’il ne faut pas négliger. Nous sommes actuellement dans la situation où nous nous apprêtons à recevoir un coup de bâton et la peur générée par cette imminence nous empêche d’agir, mais ce sera seulement une fois que le coup aura été pris que nous serons capables d’envisager des perspectives d’avenir porteuses. Cela prouve qu’à terme l’inquiétude et le pessimisme ne sont qu’une étape vers les changements nécessaires à notre adaptation.
Le pessimisme se caractérise souvent par une peur de l’environnement et du changement. Peut-on dire par conséquent que la peur des Français face à la mondialisation explique notre scepticisme actuel ?
Florence Servan-Schreiber : Malgré une certaine inquiétude, il y a toujours à mon avis une certaine capacité de raisonnement et d’anticipation qui fait que nous ne sommes pas exactement désemparés face à l’évolution des tendances économiques globales. Il y a effectivement la sensation que la marche du monde ne s’arrêtera pas sur commande et que des conséquences douloureuses déboucheront de ces bouleversements. Encore une fois, on se retrouve confronté à la sensation d’impuissance évoquée plus haut combinée à une peur de l’inconnu qui peut justifier notre immobilisme actuel. Il serait cependant absurde de parier sur une disparition du modèle français, et il faudrait sortir des procès en pessimisme pour se concentrer sur nos capacités de rebond, qui sont bien réelles.
A l’échelle individuelle on peut prendre l’exemple des personnes recouvrant d’un deuil : il s’agit d’un choc qui nous force à accepter le présent tel qu’il est, le but étant de surmonter le souvenir. Si l’on réussit cela on construit de fait une base plus solide permettant de restaurer notre confiance en soi et d’affronter les problématiques quotidiennes avec cran et réactivité. Cet exemple personnel peut s’appliquer au collectif, dans le sens où les Français doivent faire le deuil de la France telle qu’elle se définissait au XXe siècle pour accepter le présent et reconstruire son identité collective. Bien que l’on ne mesure pas encore toute l’étendue des bouleversements qui nous attendent, je tablerai davantage sur une amélioration de notre situation plutôt que sur une dégradation.
Comment pourrait-on surmonter cet état d’esprit pour retrouver une attitude positive à l’échelle nationale ?
Florence Servan-Schreiber : Le tout serait d’abord de mesurer jusqu’où va notre peur du changement, pour la comparer ensuite à nos capacités réelles : lorsque ce procédé s’opère, on arrive généralement à reprendre une approche plus mesurée de notre environnement et c’est à partir de ce moment que la mécanique de confiance s’opère à nouveau.
On conseille aussi généralement à un individu sous choc psychologique de faire l’inventaire des différentes crises auxquelles il a survécu pour prendre conscience de sa capacité de résistance. Cela peut aussi fonctionner à l’échelle du pays, puisque l’on remarque que la France a connu de nombreuses crises dont elle s’est toujours relevée de manière positive, les Trente Glorieuses n’étant qu’un exemple de ce phénomène.
Un autre procédé permettant de renouer avec le positivisme est d’intégrer et pratiquer le concept de solidarité, j’aide l’autre donc je m’aide moi-même, ce qui encore une fois peut se retranscrire à l’échelle nationale : le développement d’une solidarité dépassant les intérêts corporatistes de telle ou telle profession ou encore de telle ou telle formation politique peut largement nous aider dans l’ensemble à redresser la tête.
Quelles seraient aujourd’hui les 10 réformes qui permettraient à la France de reprendre espoir dans l’actuel contexte international ?
Pierre Maxime : Les mesures à prendre sont nombreuses… mais l’on peut isoler 10 sujets sur lesquels l’Etat peut agir et ainsi améliorer la situation :
1 – Coût du travail
Il s’agit bien sûr d’un problème récurrent de la société française, et cela repose sur la coexistence de deux constats. Tout d’abord on remarque qu’aujourd’hui le chômage touche massivement trois catégories : les jeunes, les seniors et les femmes. Ensuite le fait que le marché du travail soit segmenté par l’utilisation de deux contrats : le CDD et le CDI. Les catégories citées plus haut sont ainsi souvent contraintes d’enchaîner plusieurs CDD ou de travailler à temps partiel, ce qui précarise logiquement le salarié.
La réforme du travail doit être, pour ces raisons, orchestrée au niveau européen afin d’assurer une plus forte harmonisation à travers la création d’un contrat de travail unique : il s’agira ici d’une réforme courageuse puisque cela coûtera aux personnes actuellement en CDI qui perdront une partie de leurs avantages.
Ces mesures d’ajustement en appellent d’autres, notamment sur la protection des chômeurs, puisque la simple adoption d’un texte de loi isolé sur un sujet précis n’aura aucun impact sur le contexte macro-économique dans son ensemble.
2 – Formations des chômeurs
Face à l’émergence de nouveaux marchés et au déclin de certains secteurs économiques (la sidérurgie par exemple), il y a non seulement un risque d’explosion du chômage mais aussi celui d’une installation du chômage de longue durée avec la mise à l’écart d’une masse salariale dont le savoir-faire n’est plus en phase avec les nouveaux besoins de l’économie.
Il y a un an, jour pour jour, Nicolas Sarkozy évoquait déjà ce thème lors de ses vœux à la nation et cela avait suscité une légère polémique, certains assimilant formation à précarisation. L’idée serait donc de démontrer que la période de formation est davantage une période de transition pour le salarié qu’une période de chômage. On pourrait imaginer ici une agence d’Etat qui aurait une logique similaire à celle des cabinets de recrutements en essayant d’accompagner au mieux le salarié dans le perfectionnement de son CV. A terme cela pourra assurer une conversion de la masse salariale des secteurs déclinants dans le but de la rendre plus adéquate aux évolutions économiques actuelles.
3 – Stratégie industrielle
Bien qu’il existe déjà un ministère du Redressement Productif, l’établissement d’une stratégie industrielle de pointe est un enjeu qui reste l’un des gros dossiers pour 2013. La France est un pays qui possède un fort capital de recherche et développement et il est par conséquent nécessaire d’établir un plan d’orientation économique comme l’avait fait le Général de Gaulle dans les années 60 en pariant sur la haute technologie (nucléaire, défense, etc…).
Il s’agit ici de décider quels secteurs seront porteurs dans les 10 ou 20 prochaines années pour permettre de créer des emplois stables et d’assurer un positionnement économique solide face à la croissance des pays émergents. Selon moi l’investissement dans le haut-de-gamme convient aux capacités de notre économie et semble bien plus supportable pour la société française qu’un choix de compétitivité passant par la baisse des salaires et la réduction des dépenses sociales pour s’aligner sur la concurrence asiatique.
4 – Réforme de la fiscalité
Au-delà de toute volonté de polémique, je ne peux m’empêcher de remarquer que l’épisode Depardieu révèle un clivage béant de la société française sur la question de la fiscalité. De manière plus générale, on observe qu’à l’échelle mondiale les dettes croissantes des pays développés incitent les Etats à taxer davantage, entre autres les grandes fortunes, sur une longue période. Cela crée à l’échelle globale une augmentation de l’émigration fiscale qui génèrera bientôt une compétition mondiale visant à attirer les riches particuliers, comme c’est déjà le cas aujourd’hui à l’échelle des entreprises.
Face à cette hémorragie, il y a un risque de voir s’établir un fossé toujours plus béant entre riches et pauvres, ce qui ne fait qu’augmenter les revendications corporatistes et les blocages politiques. Il faudra donc que le concept d’impôt citoyen réapparaisse légitime aux yeux de tous, et le moyen pour cela est bien de mettre en œuvre une grande réforme fiscale. Cela pourrait passer notamment par une taxation plus grande de la consommation plutôt que du revenu, avec notamment une TVA renforcée sur les produits de luxe pour assurer un minimum d’équité, fût-elle symbolique.
5 – Dépenses publiques
Il s’agit ici d’une mesure qui devrait être adoptée en parallèle de la réforme fiscale pour assainir les caisses de l’Etat. Des efforts peuvent être faits notamment en termes de gaspillage des ressources publiques, mais il faudrait pour ce faire mettre en place une réforme intelligente intervenant à tous les niveaux. Tout d’abord la question du millefeuille administratif doit être sérieusement revue : il est en effet étonnant de se dire qu’il y a aujourd’hui trois niveaux de représentation de l’Etat à l’échelle locale (région, département et commune) lorsque l’on sait qu’il y a dans la plupart des cas un chevauchement des compétences qui peut aller jusqu’à créer un syndrome de compétition contre-productive entre les différentes structures.
Il est donc important de réfléchir à une ré-attribution des compétences pour permettre une intervention plus efficace, avec notamment une segmentation nettes des tâches centrales, qui seraient traitées par l’Etat, et des taches locales. Une révision du statut de fonctionnaire est aussi à envisager dans le but de motiver les salariés publics, on pourrait ainsi réfléchir à une modification du statut d’emploi habilité à vie, puisqu’il s’agit là d’un privilège qui nourrit chaque jour un peu plus le ressentiment de la population à l’égard des fonctionnaires.
6 – Protection sociale
La société française, comme le reste de l’Europe, est fortement touchée par le vieillissement de sa population, ce qui provoquera logiquement une hausse importante des consommations de santé alors que la Sécurité Sociale se trouve déjà mal en point. Il sera donc important de se pencher sur l’inflation galopante des médicaments et des traitements médicaux en mettant en place une réforme solidaire basée sur le revenu de chacun. Dans cette optique on pourrait envisager le maintien du remboursement à 100 % pour les classes les moins favorisées, couplée à un échelonnement du taux de remboursement pour les revenus plus importants, voire au développement de la couverture privée pour ces derniers. Cela permettrait d’améliorer au moins pour un temps les défauts structurels de la Sécu de manière juste et supportable pour l’opinion.
7 – Réforme des retraites
Il s’agit là du deuxième problème majeur lié au vieillissement de notre population : nous allons vivre plus longtemps et nous nous attendons à vivre mieux. Face à ces réalités démographiques il apparaît donc inévitable de repousser l’âge de départ à la retraite (65 ans serait un bon chiffre), à l’exception des carrières réellement pénibles (les conducteurs de TGV ne rentrant pas dans cette catégorie selon moi, alors que c’est le cas pour les ouvriers travaillant dans les hauts-fourneaux par exemple).
De plus, l’adoption d’un système de retraites par points, comme c’est le cas en Allemagne par exemple, pourrait être intéressante, bien qu’il faille se méfier de ses éventuels effets pervers, car cela risque de créer à terme une classe de retraités précarisés qui pourrait, au-delà des conséquences sociales évidemment regrettables, impacter négativement la consommation. Il faudra en conséquence cibler les catégories fragiles et prévoir un moyen viable de les supporter intelligemment.
8 – Transition énergétique
Depuis la campagne électorale, notre actuel président s’est engagé à réduire la part du nucléaire de 75 à 50% du bouquet énergétique d’ici 2025. Cette promesse, que l’on peut juger salutaire ou non, semble aujourd’hui déboucher sur l’impasse lorsque l’on regarde les blocages idéologiques qui animent la société française aujourd’hui. La première illustration de ce phénomène navrant est la question du gaz de schiste qui continue de diviser massivement la classe politique, mais l’on ne peut s’empêcher de remarquer qu’à une échelle moindre le même schéma s’applique aux énergies renouvelables. La France a été pendant des années un pays d’innovation sur l’énergie et il est dommage de voir que cette époque risque aujourd’hui de toucher à sa fin alors que les Américains et les Chinois s’engagent de manière extrêmement volontaire sur leur propre transition énergétique.
9 – Logement
Un rapport très intéressant publié récemment par le National Intelligence Council américain (Global Trends 2030) annonce une tendance croissante à l’urbanisation à l’échelle mondiale, et la France est loin d’échapper à ce phénomène. Cela a pour conséquence de drainer les ressources humaines et économiques dans les grandes villes, ce qui provoque une désertification dans les zones rurales : désertification des services et désertification médicale notamment.
L’Etat Français se devrait de palier ce phénomène en lançant une politique de construction de logements dans les territoires ruraux plutôt que de miser sur des métropoles déjà saturées sur le plan démographique. Cette politique devra cependant être pensée dans son ensemble pour éviter de faire la même erreur que dans les années 60, lorsque nous avons construit des banlieues mal desservies qui sont devenues des enclaves territoriales générant de la précarisation et de l’insécurité.
10 – Un apaisement social
Le dernier point, et non des moindres, porte effectivement sur les clivages croissants de la société française, où l’écart idéologique se creuse sur la plupart des sujets que nous avons évoqués. On retrouve aujourd’hui une sorte de crispation des classes qui fait que les pauvres voient les riches comme des profiteurs et que dans l’autre sens les pauvres sont considérés comme des assistés gâtés. Cette logique de polarisation est extrêmement préjudiciable et favorise les blocages politiques incessants qui sont les nôtres (dernier en date, l’impossible consensus entre partenaires sociaux sur la flexibilité, ndlr). Ces désaccords constants sont très bien illustrés par l’actuelle impopularité du gouvernement, accusé à la fois d’être trop libéral par la gauche et d’être trop socialiste par la droite.
Ces divisions mettent aujourd’hui la société française sous pression, et il m’apparaît donc urgent de surmonter le fossé idéologique pour rétablir la notion d’intérêt général et permettre d’affronter une année 2013 qui s’annonce agitée, que ce soit sur le front économique ou politique.