TOUT EST DIT

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jeudi 22 décembre 2011

La crise expliquée aux enfants

“Dis papa, c’est quoi la crise de l’euro ?” Plutôt que de citer taux d’intérêts et dette publique, un économiste suggère de répondre en faisant le parallèle avec le célèbre conte des trois petits cochons et du grand méchant loup. 

Les crises nous surprennent toujours. Mais  le plus surprenant, c’est sans doute la ressemblance des comportements qui en sont la cause. Leur répétition est tellement fréquente que la sagesse populaire en a cristallisé le processus sous la forme de fables et de contes.
Si on relisait avec nos lunettes d’aujourd’hui le célèbre conte des Trois petits cochons, on y trouverait les tenants et les aboutissants de la crise de l’euro : ce serait, en somme, la crise de l’euro racontée aux enfants.
Le conte présente une métaphore évidente de la crise – le grand méchant loup –  et de ses causes - – le comportement des trois little pigs [sic ! PIGS – ”cochons” étant l’acronyme de Portugal, Italie, Grèce, Espagne, les pays les moins vertueux de la zone euro]. Mais il est rempli d’aspects tout en finesse et sa morale ne va pas de soi.

La maison en paille : les plus faibles

D’abord, il y a les apparences multiformes  de l’imprévoyance – la cabane en paille et la maison en bois – , qui montrent que l’affaiblissement de la construction économique et sociale peut être atteint en empruntant des voies multiples.

Ensuite, on apprend qu’il n’est pas nécessaire d’être excessivement prudent et prévoyant : la maison en briques ne suffit pas à se protéger du loup qui est capable de s’introduire en passant par le conduit de la cheminée.
Enfin, la morale signifie que, sans ruse et sans clairvoyance - – la marmite qui attend le loup dans la cheminée – , même les constructions sociales les plus solides ne sont pas à l’abri.
Symbolisées par la maison en paille, les sociétés les plus fragiles sont celles qui ont manqué de compétitivité, de croissance et de cohésion sociale.
Depuis l’introduction de l’euro, en 2002, l’Italie, le Portugal et l’Espagne ont accusé une perte de compétitivité par rapport à l’Allemagne respectivement de 9%, 12% et 19%.
Les privilèges des corporations –  largement représentés dans les Parlements et les gouvernements de ces trois pays - – ont empêché la réalisation de réformes qui auraient attaqué certaines rentes, au bénéfice de la collectivité.
Là où ces rentes ont prospéré, la compétitivité, la structure productive et la balance des paiements en ont subi les conséquences. Le maintien du bien-être a demandé de plus en plus de désinvestissements de la richesse ; et les inégalités sociales ont augmenté.

La maison en bois : l'Italie et la Belgique

Comme la maison en bois du conte, les sociétés qui ont laissé croître démesurément leurs dettes publiques et privées sont elles aussi fragiles. Les cas de l’Italie et de la Belgique sont exemplaires : en 1999, ces deux pays présentaient le rapport le plus élevé de la zone euro entre dettes publiques et PIB (113%).
La baisse considérable des taux d’intérêts rendue possible par l’adoption de l’euro a permis des économies importantes en terme de service de la dette que les gouvernements de la Belgique – contrairement à ceux de l’Italie – ont utilisé pour réduire cette dernière plutôt que pour financer les dépenses courantes.
Les Trois petits cochons de Walt Diseny se termine en happy ending : les cochons qui ont construit leur maison en paille ou en bois échappent aux crocs du grand méchant loup grâce à l’hospitalité de leur frère, plus rusé et plus prévoyant qu’eux.
Nous venons de voir les formes que peuvent prendre la prévoyance et l’imprévoyance, mais qui est le grand méchant loup ? Qu’est-ce qui excite son appétit ? Et quelles ruses peuvent le neutraliser ?

Le loup : la spéculation

Le loup du conte incarne ce que l’on obtient lorsque l’on nie un danger manifeste. Il revêt une apparence extérieure   – dans notre cas, celle de la spéculation – , mais, en réalité, il est la conséquence d’un refus d’acceptation de la réalité (en anglais, on parle de denial).
Ce déni, s’il dure trop longtemps, entraîne une accumulation de déséquilibres de plus en plus difficiles à contrôler. Ainsi, plus la société, ou la classe politique, continue à ignorer la réalité, plus le loup – la spéculation – est dangereux.
C’est la succession des événements qui fait de la fable un modèle éclairant : elle nous rappelle que, lorsque l’imprévoyance des imprévoyants a réveillé l’appétit du loup-spéculation, la seule prévoyance ne suffit plus pour protéger qui que ce soit, y compris les prévoyants.
Nous en avons pour preuve les signes de contagion de ces derniers jours, qui s’étendent aux pays les plus vertueux du Nord de l’Europe et que ces derniers ne parviennent pas à enrayer.

L'eau bouillante : la ruse

Et c’est ici qu’intervient la ruse : dans la capacité à reconnaître que l’engagement des plus forts ne peut se limiter à un devoir civique d’assistance, mais qu’il doit au contraire revêtir le caractère d’une mobilisation d’urgence.
Ce n’est pas le sens civique du contribuable germano-finlandais ou autrichien qui établira la dimension du Fonds européen de stabilité financière (FESF), ou les responsabilités de la BCE  en termes de stabilité financière.
C’est la ruse qui doit être le moteur d’interventions exceptionnelles capables de menacer de façon crédible la spéculation – capables de l’échauder, pour reprendre les images du conte – et de la mettre en fuite.
C’est seulement si les imprévoyants deviennent prévoyants et si les prévoyants deviennent plus rusés, nous apprend le conte, que les pays de la zone euro connaîtront un happy end et que l’euro sera promis à un bel avenir.

Dégradations

Si l'heure n'était pas aussi grave, si l'euro, dix ans après sa création, n'était pas menacé, on pourrait s'amuser du contorsionnisme politique.

Ne voulait-on pas nous faire croire, il y a deux mois, à la sincérité d'une loi de finances bâtie sur une croissance de 1,75 % ? Il a fallu ramener vite la prévision à 1 %, tailler dans la dépense et relever les impôts. Et, alors que budget et plan de rigueur se croisent au Parlement pour un vote ultime, l'Insee déclare la récession.

La dégradation de notre note n'était-elle pas une catastrophe, selon Nicolas Sarkozy ? Opération déminage : depuis que la digue de la confiance cède sous les assauts des agences de notation, elle devient un obstacle presque banal.

N'avait-on pas trouvé, le 9 décembre à Bruxelles, la solution pour restaurer la confiance ? En dépit de son intérêt à long terme, le projet de traité ne règle en rien la dette qui continue d'enfler. Ce n'est pas en prêtant aux banques - qui ne prêtent plus aux États - que la BCE va sauver les pays en difficulté.

Le gouvernement ne nous assure-t-il pas que notre système bancaire est invulnérable ? Faute de dépôts publics suffisants, voici qu'il ne parvient pas à prendre totalement le relais de feu Dexia. C'est une autre bombe à retardement : il risque de manquer des milliards de liquidités pour financer les collectivités et les hôpitaux.

Il faut dire que la menace dégradante des agences de notation rend l'exercice politique infernal. Si le pouvoir l'ignore, il est soupçonné d'irresponsabilité. S'il dit la vérité, il déclenche la panique. S'il anticipe la récession, il l'accroît. Ce qu'on appelle un processus autoréalisateur.

Gros dos

La multiplication des plans de rigueur et des sommets - tous de la dernière chance - achève de miner la confiance. Les Français voient bien que l'austérité décrétée partout en Europe ralentit les exportations, freine l'investissement et la consommation - les épargnants doivent piocher dans leur assurance-vie ! - et propulse le chômage vers les 10 %.

Devant cette spirale infernale, présidentielle oblige, le pouvoir feint la sérénité. L'opposition la lucidité.

En réalité, la majorité a décidé de faire le gros dos et de n'admettre la récession que lorsqu'elle aura eu lieu, après deux trimestres dans le rouge. Elle espère, sans trop y croire, que la réserve budgétaire de six milliards permettra d'atteindre mai, malgré plus de dépenses sociales, moins de recettes et des emprunts plus chers. Nicolas Sarkozy, sous le prétexte opportun qu'il ne peut pas quitter le pont, retardera autant que possible sa candidature.

L'opposition poursuivra son offensive antisarkozyste. Mais la critique d'une politique prise à contre-pied par la crise masque mal son embarras programmatique et ses divisions. Sans le clamer, François Hollande va s'éloigner du programme socialiste et de ses « amis » de gauche pour annoncer, le plus tard possible lui aussi, un projet étalé dans le temps et centré sur des orientations plus que sur des propositions.

On ignore à qui profitera la crise. Le verdict des urnes sera peut-être différent de la photographie des sondages. En revanche, on sait qu'il faudra payer. Car d'autres plans sont prévus dont la facture tombera... après le 6 mai.