Le candidat socialiste à la présidentielle de 2012 est aujourd'hui en position de force. Mais pour faire quoi?
C’est entendu. Un: à l’heure qu’il est, le candidat du PS, que ce soit Dominique Strauss-Kahn ou Martine Aubry, bat Nicolas Sarkozy en 2012. Rien n’est joué bien entendu mais, pour l’instant, l’alternance va conduire les socialistes au pouvoir. Deux, le PS n’a aucun programme. Je dis bien «aucun». Ni en matière de politique étrangère: que ferait un(e) présidente socialiste en Afghanistan? Sur la bombe iranienne? Quelle idée sur l’Europe? Ni en matière de politique intérieure: que propose-t-il pour l’école? Pour la justice? Pour l’aménagement du territoire? Les banalités sur la sécurité entendues ce week-end à La Rochelle ne sont écoutées que parce que Nicolas Sarkozy s’est mis, y compris sur son sujet favori, dans une impasse aux yeux des Français. Et le PS n'a bien entendu, aucun programme en matière économique et sociale.
Le PS travaille à son projet, dit-on. Ce n’est pas encore le moment de faire des propositions, elles viendront en temps et en heure. Sans doute, sans doute… Mais quand on regarde le travail de préparation, les études plus ou moins en coulisse et les premiers éléments qui sortent, on comprend que la construction du «projet» s’annonce longue, ardue, dissensuelle et que, vraisemblablement, elle n’aboutira jamais. Le PS fera semblant d’avoir un programme. Il va en réalité se contenter de jouer en «contre». Pour deux raisons. D’abord parce que toute proposition un peu précise, se voit immédiatement contrée par tous les autres «courants» ligués contre elle. Ensuite et surtout car au fond le socialisme est et reste, idéologiquement, à poil.
Prenez le Care, la seule «idée» avancée officiellement aujourd’hui par le parti. Avec d’ailleurs de longs coups de trompes comme s’il avait miraculeusement trouvé «la» voie du socialisme du XXI ème siècle. Nous en avons souligné ici le caractère anachronique: le pays n’a simplement pas les moyens de donner aux seniors et à tout un chacun, des nouveaux droits et des nouveaux avantages sans dire quels autres on supprime. Il y a un aveuglement du PS à ne pas admettre l’état catastrophique des finances du pays.
Mais, la critique du Care la plus meurtrière revient à François Hollande, l’ancien Premier secrétaire. Il suffit de citer la descente en flamme du projet Aubry qu’il fait dans un excellent petit livre édité par Libération, autour d’un débat lancé par Jacques Julliard (Pour repartir du pied gauche). Hollande explique: «la deuxième tentation [les erreurs à ne pas faire pour les socialistes] est celle des bons sentiments. Puisque le capitalisme est écrasant, le marché violent, la mondialisation impitoyable et la compétition féroce, pourquoi ne pas en revenir aux recettes tombées injustement en désuétude, du socialisme utopique: l’attention aux autres, le partage, la production hors système, la coopérative. Bref, la conjugaison d’attitudes altruistes au plan individuel avec les vertus collectives de l’économie non marchande. Le mouvement est respectable mais il n’est pas de taille. Il place la confrontation sur un terrain moral mais il ne permet de gagner que des batailles qu’à la marge». Puis François Hollande donne le coup de grâce: «Il appelle à un nouvel humanisme, à un mouvement citoyen, à une mobilisation généreuse mais il ne donne pas un sens à une nation, une priorité à l’Europe, un ordre du monde. Au mieux c’est un apaisement conjoncturel. Au pire, une illusion sympathique».
Je souligne le dernier mot «sympathique» car il démolit ce qui est, à mon sens, la première raison au vide idéologique de nombre de militants PS (et des sympathisants sympathiques): le côté bobo, bisounours, la conviction que le monde va mal à cause des méchants (les banquiers, Sarkozy, les riches..) et qu’il suffit de rétablir des impôts et de la morale. Qu’il faille parler des «valeurs», sans doute. Mais je crains que Marx, et Hollande avec, n’ait raison et que ce discours sur la «citoyenneté», sur la dévotion aux autres, ne soit, au-delà de certains choix personnels admirables, que préchi-précha de dîners en ville et que cela ne conduise directement à la désillusion.
Il faut s’attaquer au cœur du système, aux «structures» économiques et sociales. Sur ce sujet, les socialistes sont creux. Leur seul discours est de dire qu’il faut changer le capitalisme et que cela passe par un gouvernement mondial. On l’entend sur la finance, sur les bonus, sur les rendements du capital etc... C’est une argumentation qui est juste mais qui est juste impossible: il n’y a pas de gouvernement mondial et il n’y en aura pas avant belle lurette. La compétition entre les Etat-nations est le modèle qui demeure et qui a été, contrairement aux espoirs émis lors des G20, renforcé par la crise. Alors? Alors il faut être modeste et commencer au niveau européen, disent les socialistes. Mais hélas, déjà à ce niveau, ça coince. La seule et unique politique sérieuse que devrait conduire le PS dans ce cadre, serait de s’entendre avec le SPD allemand. Mais l’arrogance socialiste française vis-à-vis de ces sociaux-démocrates «sociaux- traîtres» est telle qu’on n’en voit pas le début du commencement depuis trente ans!
Alors? alors, il faut bien en revenir à la France. Dans ce même petit livre déjà cité Jean Peyrelevade déplore: «la mauvaise habitude de toute la gauche française de s’abriter derrière les méfaits du capitalisme international pour ne pas traiter un certain nombre de faiblesses propres à la France qui sont ainsi masquées et ont donc toutes les chances de n’être jamais résolues». Et de souligner que la désindustrialisation est plus rapide en France qu’ailleurs, que notre pays accumule des mauvais scores sur l’emploi comme sur les déficits. Pourquoi? Il faudrait y répondre et ne pas se tromper de diagnostic. Or, les socialistes retournent en permanence à leur même indécrottable confort intellectuel d’opposer toujours et encore le capital et le travail, le méchant et le bon. Il serait temps d’arrêter par exemple la langue de bois sur la fiscalité: taxer les riches comme solution à tout. Sans doute, cette manie d’accuser les entreprises, par effet historique culbuto, a-t-elle quelque chose à voir avec la composition sociale d’un PS parti de fonctionnaires.
La vérité est que la pensée socialiste est aujourd’hui régressive. Tantôt dans l’utopisme bobo, tantôt dans une analyse sommaire qui voudrait combattre un capitalisme revenu aux temps durs du XIXième siècle par un socialisme lui aussi de cette époque, étatiste et fiscal. Il reste moins d’un an pour rompre avec ces faciles vacuités, pour découvrir que la société complexe, individualiste, mondialisée et technologique mérite des réponses modernes. Est-ce possible ?
Eric Le Boucher
lundi 30 août 2010
Le PS n'a aucun programme
Au secours ! Tout va trop vite !
L'homme contemporain remonte désespérément une pente qui s'éboule. Nous fonçons pour rester à la même place, dans un présent qui fuit sans cesse. Car si nous arrêtons une seconde de courir – après le travail, nos courriels, nos rendez-vous, nos obligations, notre argent, après le temps qui file – nous tombons. Dans le chômage, la pauvreté, l'oubli, la désocialisation.
Voilà le portrait du moderne, selon le sociologue allemand Hartmut Rosa. Le temps désormais s'accélère et nous dévore, comme hier Cronos ses enfants. L'accélération technique, au travail, sur les écrans, dans les transports, la consommation, a mené à l'accélération effrénée de notre rythme de vie. Puis a précipité le changement social. Rien n'y résiste.
Les métiers changent en quelques années, les machines en quelques mois, aucun emploi n'est assuré, les traditions et les savoir-faire disparaissent, les couples ne durent pas, les familles se recomposent, l'ascenseur social descend, le court terme règne, les événements glissent.
L'impression de ne plus avoir de temps, que tout va trop vite, que notre vie file, l'impression d'être impuissant à ralentir nous angoisse et nous stresse. Ainsi Hartmut Rosa, 45 ans, professeur à l'université Friedrich- Schiller d'Iéna, développe sa "critique sociale du temps" de la "modernité tardive" dans sa magistrale étude, Accélération (La Découverte).
Après les études inquiètes de Paul Virilio sur la vitesse, Hartmut Rosa examine la dissolution de la démocratie, des valeurs, de la réflexion, de notre identité, emportées par la vague de l'accélération. Entretien de rentrée, alors que déjà, tous, congés derrière nous, on se magne.
C'est la rentrée, le moment où on ressent avec le plus d'acuité la façon dont nos vies s'accélèrent. Nous avons même souvent le sentiment que les vacances se sont passées à toute allure. Comment expliquer ce sentiment d'urgence permanent ?
Hartmut Rosa : Aujourd'hui, le temps a anéanti l'espace. Avec l'accélération des transports, la consommation, la communication, je veux dire "l'accélération technique", la planète semble se rétrécir tant sur le plan spatial que matériel.
Des études ont montré que la Terre nous apparaît soixante fois plus petite qu'avant la révolution des transports. Le monde est à portée de main. Non seulement on peut voyager dans tous les coins, rapidement, à moindres frais et sans faire beaucoup d'efforts, mais on peut aussi, avec l'accélération des communications, la simultanéité qu'elle apporte, télécharger ou commander presque chaque musique, livre ou film de n'importe quel pays, en quelques clics, au moment même où il est produit.
Cette rapidité et cette proximité nous semblent extraordinaires, mais au même moment chaque décision prise dans le sens de l'accélération implique la réduction des options permettant la jouissance du voyage et du pays traversé, ou de ce que nous consommons. Ainsi les autoroutes font que les automobilistes ne visitent plus le pays, celui-ci étant réduit à quelques symboles abstraits et à des restoroutes standardisés.
Les voyageurs en avion survolent le paysage à haute altitude, voient à peine la grande ville où ils atterrissent et sont bien souvent transportés dans des camps de vacances, qui n'ont pas grand-chose à voir avec le pays véritable, où on leur proposera de multiples "visites guidées". En ce sens, l'accélération technique s'accompagne très concrètement d'un anéantissement de l'espace en même temps que d'une accélération du rythme de vie.
Car, même en vacances, nous devons tout faire très vite, de la gymnastique, un régime, des loisirs, que nous lisions un livre, écoutions un disque, ou visitions un site. Voilà pourquoi on entend dire à la rentrée : "Cet été, j'ai fait la Thaïlande en quatre jours." Cette accélération des rythmes de vie génère beaucoup de stress et de frustration. Car nous sommes malgré tout confrontés à l'incapacité de trop accélérer la consommation elle-même.
S'il est vrai qu'on peut visiter un pays en quatre jours, acheter une bibliothèque entière d'un clic de souris, ou télécharger des centaines de morceaux de musique en quelques minutes, il nous faudra toujours beaucoup de temps pour rencontrer les habitants, lire un roman ou savourer un air aimé. Mais nous ne l'avons pas. Il nous est toujours compté, il faut se dépêcher. C'est là un des stress majeurs liés à l'accélération du rythme de vie : le monde entier nous est offert en une seconde ou à quelques heures d'avion, et nous n'avons jamais le temps d'en jouir.
Selon vous, l'accélération de la vie se traduit par l'augmentation de plus en plus rapide du nombre d'actions à faire par unité de temps. C'est-à-dire ?
Ces jours-ci, les gens rentrent de congés et déjà tous, vous comme moi, se demandent comment ils vont réussir à venir à bout de leur liste de choses "à faire". La boîte mail est pleine, des factures nouvelles se présentent, les enfants réclament les dernières fournitures scolaires, il faudrait s'inscrire à ce cursus professionnel, ce cours de langue qui me donnerait un avantage professionnel, je dois m'occuper de mon plan de retraite, d'une assurance santé offrant des garanties optimales, je suis insatisfait de mon opérateur téléphonique, et cet été j'ai constaté que je négligeais mon corps, ne faisais pas assez d'exercice, risquais de perdre ma jeunesse d'allure, si concurrentielle.
Nous éprouvons un réel sentiment de culpabilité à la fin de la journée, ressentant confusément que nous devrions trouver du temps pour réorganiser tout cela. Mais nous ne l'avons pas. Car les ressources temporelles se réduisent inexorablement.
Nous éprouvons l'impression angoissante que si nous perdons ces heures maintenant, cela serait un handicap en cette rentrée sur les chapeaux de roue, alors que la concurrence entre les personnes, le cœur de la machine à accélération, s'aiguise.
Et même si nous trouvions un peu de temps, nous nous sentirions coupables parce qu'alors nous ne trouverions plus un moment pour nous relaxer, passer un moment détendu avec notre conjoint et nos enfants ou encore aller au spectacle en famille, bref profiter un peu de cette vie. Au bout du compte, vous voyez bien, c'est l'augmentation du nombre d'actions par unité du temps, l'accélération du rythme de vie qui nous bouscule tous.
En même temps, chaque épisode de vie se réduit…
En effet, la plupart des épisodes de nos journées raccourcissent ou se densifient, au travail pour commencer, où les rythmes s'accélèrent, se "rationalisent". Mais aussi en dehors. On assiste à une réduction de la durée des repas, du déjeuner, des moments de pause, du temps passé en famille ou pour se rendre à un anniversaire, un enterrement, faire une promenade, jusqu'au sommeil.
Alors, pour tout faire, nous devons densifier ces moments. On mange plus vite, on prie plus vite, on réduit les distances, accélère les déplacements, on s'essaie au multitasking, l'exécution simultanée de plusieurs activités. Hélas, comme nos ressources temporelles se réduisent, cet accroissement et cette densification du volume d'actions deviennent vite supérieurs à la vitesse d'exécution des tâches.
Cela se traduit de façon subjective par une recrudescence du sentiment d'urgence, de culpabilité, de stress, l'angoisse des horaires, la nécessité d'accélérer encore, la peur de "ne plus pouvoir suivre". A cela s'ajoute le sentiment que nous ne voyons pas passer nos vies, qu'elles nous échappent.
Nous assistons, dites-vous, à une "compression du présent", qui devient de plus en plus fuyant. Pouvez-vous nous l'expliquer ?
Si nous définissons notre présent, c'est-à-dire le réel proche, comme une période présentant une certaine stabilité, un caractère assez durable pour que nous y menions des expériences permettant de construire l'aujourd'hui et l'avenir proche, un temps assez conséquent pour que nos apprentissages nous servent et soient transmis et que nous puissions en attendre des résultats à peu près fiables, alors on constate une formidable compression du présent.
A l'âge de l'accélération, le présent tout entier devient instable, se raccourcit, nous assistons à l'usure et à l'obsolescence rapide des métiers, des technologies, des objets courants, des mariages, des familles, des programmes politiques, des personnes, de l'expérience, des savoir-faire, de la consommation.
Dans la société pré-moderne, avant la grande industrie, le présent reliait au moins trois générations car le monde ne changeait guère entre celui du grand-père et celui du petit-fils, et le premier pouvait encore transmettre son savoir-vivre et ses valeurs au second.
Dans la haute modernité, la première moitié du xxe siècle, il s'est contracté à une seule génération : le grand-père savait que le présent de ses petits-enfants serait différent du sien, il n'avait plus grand-chose à leur apprendre, les nouvelles générations devenaient les vecteurs de l'innovation, c'était leur tâche de créer un nouveau monde, comme en Mai 68 par exemple.
Cependant, dans notre modernité tardive, de nos jours, le monde change plusieurs fois en une seule génération. Le père n'a plus grand-chose à apprendre à ses enfants sur la vie familiale, qui se recompose sans cesse, sur les métiers d'avenir, les nouvelles technologies, mais vous pouvez même entendre des jeunes de 18 ans parler d'"avant" pour évoquer leurs 10 ans, un jeune spécialiste en remontrer à un expert à peine plus âgé que lui sur le "up to date". Le présent raccourcit, s'enfuit, et notre sentiment de réalité, d'identité, s'amenuise dans un même mouvement.
C'est septembre, nous reprenons le travail. Au début de l'été, le directeur général de France Télécom reconnaissait que le suicide d'un de ses employés était un accident du travail. Il y a eu près de cinquante suicides au sein du groupe depuis 2008. Comment en sommes-nous arrivés là ?
L'accélération au travail en est-elle la cause ?
Evidemment, pour l'économie capitaliste, que nous le voulions ou non, l'équation simple selon laquelle "le temps c'est de l'argent" se vérifie partout. Pour les employeurs, gagner du temps revient à améliorer leurs bénéfices, et ils y réussissent en accélérant la production et la circulation des biens, c'est-à-dire en faisant travailler ouvriers et employés plus vite, avec toutes les techniques de "gestion par le stress" qui vont avec.
Dorénavant, lorsqu'une entreprise ou une administration licencie des gens, cela ne signifie pas qu'il y a moins de travail à faire, mais que ceux qui restent en auront plus à réaliser. Tout cela conduit à une polarisation malsaine, bien montrée par les études de sociologie, entre ceux qui sont surchargés de travail et ceux qui sont exclus du système d'accélération par le chômage.
Car le chômage est aujourd'hui une forme de décélération forcée, et mal vécue. Cependant, ce n'est pas simplement parce que les gens ont beaucoup de tâches à faire et doivent travailler plus vite qu'ils tombent malades ou sont victimes de dépression. Ce qui fait aller vraiment mal, jusqu'au "burn-out" et au suicide, c'est le sentiment général de courir de plus en plus vite sans jamais aller nulle part et que la valeur de leur travail se déprécie rapidement.
Un être humain peut encaisser de grands efforts dans le but d'atteindre un objectif, ou de se construire une carrière où il déploiera un talent. Mais l'impression dominante des salariés actuels, au moins dans nos sociétés occidentales, c'est qu'ils doivent courir de plus en plus vite simplement pour faire du surplace, juste pour ne pas tomber du monde du travail, pour survivre…
C'est votre image du travailleur d'aujourd'hui, un homme courant sur un tapis roulant, s'épuisant pour rester immobile…
De nos jours, même en Allemagne les entreprises ont commencé à imposer la "flexibilité" au détriment des emplois stables. Des études récentes ont révélé une érosion constante des emplois durables depuis les années 1990, une réduction sensible de la durée d'emploi au sein d'une même entreprise, une augmentation des déplacements d'une entreprise à l'autre, une recrudescence des contrats à court et moyen terme.
Ajoutez la dérégulation des conditions de travail, les nouvelles formes d'emploi intérimaire, à temps partiel, à la maison, etc., qui renforcent cette impression d'insécurité professionnelle et de course vers nulle part. Si on ne court pas, nous en sommes persuadés, on décline, on perd en qualification, le chômage nous guette, la dépression, la misère.
A l'accélération technique, à celle des rythmes de vie, il faut ajouter une accélération sociale. Aujourd'hui, aucune situation n'est assurée, la transmission n'est pas garantie, le précaire règne. Il est symptomatique de constater que les parents ne croient plus que leurs enfants auront des vies meilleures que les leurs. Ils se contentent d'espérer qu'elles ne seront pas pires.
Il existe une autre raison pour laquelle les gens se sentent si mal, déprimés, voire suicidaires au travail. Régulièrement, les dirigeants des entreprises présentent de nouveaux projets, des stratégies pour gagner du temps et de l'argent, rentabiliser la production, dégraisser les effectifs. Ou encore, ils mettent en place de nouveaux outils informatiques plus performants, ou des concepts marketing présentés comme innovants, ou réorganisent les chaînes de travail, et ainsi de suite.
Les marchés financiers saluent ces mouvements comme autant de signes positifs d'activité. Mais très souvent, ces formes frénétiques d'accélération et de réorganisation ne procèdent pas d'un processus d'apprentissage à l'intérieur de l'entreprise, ou d'une meilleure utilisation des talents, il s'agit presque toujours de changements aléatoires, erratiques, caractériels, des changements pour le changement, dépourvus de sens.
Et comme la plupart du temps ils ne débouchent sur aucune amélioration réelle, ils accroissent le sentiment de dévalorisation et d'anxiété chez les travailleurs concernés. Dans le même temps, les directions d'entreprise entendent conserver leurs "normes de qualité", ajoutent toujours de nouvelles formes de classement, d'évaluation et de notation des employés, créant une tension supplémentaire qui finit par rattraper les dirigeants eux-mêmes.
Le résultat peut être observé dans presque toutes les sphères du travail contemporain, à tous les niveaux des entreprises. Les employés se sentent non seulement stressés et menacés, mais encore sous pression, désarmés, incapables de montrer leur talent, bientôt découragés. Voyez comme partout les enseignants se plaignent de ne plus avoir de temps pour apprendre à leurs étudiants, les médecins et infirmières pour s'occuper humainement de leurs patients, les chercheurs pour se concentrer sans être soumis à des évaluations permanentes.
D'où ce sentiment de courir sur un tapis roulant ou une pente qui s'éboule. Au final, nous éprouvons tous ce que le sociologue Alain Ehrenberg nomme la "fatigue d'être soi" (Odile Jacob, 1998) tandis que, constate-t-il, la dépression devient la pathologie psychique la plus répandue de la modernité avancée.
Le mois de septembre sera difficile en France comme en Europe, avec tous les plans d'austérité annoncés. Selon vous, la plupart des crises actuelles, écologiques ou économiques, sont liées à la désynchronisation induite par l'accélération générale…
La grave crise écologique actuelle est sans conteste une crise de désynchronisation. On épuise les ressources naturelles à un rythme bien plus élevé que la reproduction des écosystèmes tandis qu'on déverse nos déchets et nos poisons, on l'a vu cet été dans le golfe du Mexique, à une vitesse bien trop élevée pour que la nature s'en débarrasse.
D'ailleurs, le réchauffement de la Terre signifie littéralement qu'on accélère l'atmosphère, parce qu'une augmentation de la température équivaut à une augmentation de l'agitation des molécules qui la composent. Mais il existe d'autres formes de désynchronisation, tout aussi graves.
Je prendrai la désynchronisation entre la démocratie politique d'une part, et l'économie mondialisée d'autre part. Le débat politique prend du temps, il ne peut en être autrement pour qu'il reste démocratique. Il faut beaucoup de discussions, d'arguments, de réflexions, de délibérations pour construire un consensus politique dans une société pluraliste et organiser la volonté démocratique.
Par contraste, avec la mondialisation et l'accélération technologique, la vitesse de la transaction économique et financière s'accroît sans cesse. Le résultat immédiat est la désynchronisation des sphères politiques et économico-technologiques, que l'administration Obama a dénoncée à plusieurs reprises.
Depuis les années 1980, les néolibéraux ont tout fait pour réduire le contrôle politique et étatique sur le monde financier afin d'augmenter la vitesse des transactions économiques et des flux du capital. Nous connaissons le résultat, la désynchronisation radicale entre le monde des bénéfices instantanés de la finance assistée par la haute technologie, et celui de l'économie réelle, du logement, de la consommation, beaucoup plus lent.
Il a fallu que la bulle éclate pour parvenir à un ralentissement – en anglais, une récession économique est un slowdown – non seulement des flux de la finance, ce qui a failli aboutir à une débâcle du système bancaire, mais aussi de l'économie. Actuellement, suite aux risques d'effondrement consécutifs à la crise mondiale débutée en 2007, les politiciens se mobilisent.
Nous sommes dans la phase de re-synchronisation, et cela coûte une fortune aux Etats et aux populations qui doivent désormais subir un plan de rigueur sans précédent. Mais si on regarde de près, on constate que les politiciens n'arrivent à proposer que d'éteindre les feux ou de tenter d'installer des garde-fous à l'accélération financière comme à Wall Street.
L'accélération affecte aussi les actualités, les événements et même, dites-vous, la mémoire.
Il est frappant de constater combien des successions d'événements du mois précédent, ou de quelques jours auparavant, parfois même de quelques heures, auxquels nous donnions tant d'importance, qui nous semblaient chargés de signification, disparaissent de notre mémoire.
Parfois, ils ne semblent même pas laisser de trace. Ainsi, que reste-t-il de la Coupe du monde de football, cet été, ou de la crise européenne, il y a six mois, lorsque la Grèce s'est retrouvée au bord du défaut de paiement ?
Tous ces événements nous apparaissent déjà comme voilés par la brume de l'histoire accélérée. Ces épisodes ne semblent plus faire partie de nos vies, ils ne sont plus reliés à notre présent, encore moins à notre présence au monde. Ils ne nous disent plus rien sur ce que nous sommes, ils ne nous concernent plus ou si peu.
Notre époque se montre extrêmement riche en événements éphémères et très pauvre en expériences collectives porteuses de sens. Des épisodes aussi importants que la disparition de l'URSS ou la première guerre d'Irak appartiennent déjà à un passé lointain. L'histoire depuis s'est encore accélérée.
Si les premiers journaux quotidiens s'étaient donné pour objectif de nous offrir les "nouvelles du jour", ils ne suffisent plus aujourd'hui. Les médias d'information en continu comme CNN sont apparus, les "JT" sont réactualisés tout au long de la journée, nourris en permanence par un texte défilant donnant, minute par minute, les toutes dernières news. L'actualité du monde est devenue un flux constant de nouvelles offert 24 heures sur 24.
Ici encore, l'accélération technique contribue à celle du changement social. En effet, la diffusion de plus en plus rapide des informations induit des réactions de plus en plus rapides, que ce soit dans les marchés financiers ou dans les médias. La connaissance de l'état du monde à midi est déjà dépassée à 16 heures, la durée de vie d'une actualité se réduit jusqu'à tendre vers zéro, les journalistes ont à peine le temps de la décrire et l'analyser, les gens de la comprendre.
Au final, nous avons tous l'impression de vivre dans une instabilité permanente, un présent court où des faits rapportés en début de journée semblent avoir perdu toute leur valeur le soir même, et dont nous ne savons plus quoi penser…
L'accélération touche donc aussi notre capacité de comprendre notre époque en profondeur.
Oui, nous perdons notre emprise théorique sur le monde, la réflexion de fond régresse, nous n'arrivons plus à appréhender le sens et les conséquences de nos actions. Nous n'avons plus le temps de délibérer, de réfléchir, de formuler, de tester et construire des arguments. C'est pourquoi, en politique, le parti victorieux n'est plus celui qui présente les meilleurs arguments ou le meilleur programme, mais celui qui sera doté des images les plus frappantes.
Car les images vont vite, les arguments lentement. Ainsi, nous assistons au règne de l'opinion rapide, des décisions politiques réactives. Au règne de l'aléatoire et de la contingence : un seul aspect d'un problème important se voit retenu par les médias, souvent par hasard, ou parce qu'il fait réagir et donne des images, puis il devient peu à peu le sujet unique du débat.
Prenez le débat actuel sur l'islam en Europe. En France on ne parle plus que du voile, en Allemagne des minarets, un thème devient très vite le point central des analyses menées par les commentateurs, puis par les hommes politiques.
Ainsi, le point de vue illusoire et réactif, la doxa, n'est elle-même que la conséquence aléatoire d'une constellation d'événements eux-mêmes aléatoires. C'est pourquoi j'en arrive à comparer l'accélération sociale à une forme inédite de totalitarisme.
Elle affecte toutes les sphères de l'existence, tous les segments de la société, jusqu'à affecter gravement notre soi et notre réflexion. Personne n'y échappe, il est impossible d'y résister, et cela génère un sentiment d'impuissance.
Si l'Eglise catholique a été accusée de produire des fidèles enclins à la culpabilité, au moins proposait-elle du réconfort : "Jésus est mort pour porter vos péchés, vous pouvez en être absous par la confession et l'absolution." Rien de tel n'existe dans la société contemporaine. Nous n'échappons pas à l'accélération.
Le grand problème du spectacle politique, c'est l'ennui. Tout y est tellement prévisible avec ses répliques téléphonées, ses indignations programmées, ses tirades épuisées. De congrès de droite en congrès de gauche et de dimanche en dimanche, on pourrait s'amuser à écrire les textes à l'avance sans prendre le risque d'être démenti par les propos tenus. Mêmes images, même film, mêmes brochettes de tontons flingueurs (et tatas flingueuses) sur les prie-Dieu du premier rang. On baille.
Le discours de clôture de Martine Aubry à La Rochelle n'a pas échappé à la torpeur de ce registre ordinaire, finalement très consensuel, qui peine, décidément, à renouveler le genre. Attaques contre Nicolas Sarkozy avec l'aide du dictionnaire de rimes, cocoricos unitaires parfaitement incantatoires, promesses que la gauche fera - évidemment - mieux que la droite, espoir qui change de camp, forcément, etc. : la première secrétaire du Parti socialiste a puisé dans les classiques pour atteindre son objectif. Et elle y est parvenue : pour les JT, c'était parfait ! Du travail de professionnelle.
Ce lundi de rentrée est pour elle plus beau que samedi. Entre-temps, elle est apparue comme une vraie candidate pour les socialistes. Comme elle a du métier, elle a su faire comprendre à ses camarades concurrents (ou concurrents camarades) qu'elle n'était pas arrivée à la tête du parti simplement par défaut.
L'ancienne ministre du Travail n'a pas une âme d'intérimaire. Et « La dame des 35 heures », longtemps snobée par les siens, n'est pas du genre à choisir le temps libre plutôt que l'ambition. Elle a pris toute sa place. La voilà même qui se lâche en tribune - qui n'a pas toujours été son point fort - pour bien montrer qu'elle est bel et bien compétitive pour 2012. Moins à l'aise dans ce genre d'exercice, DSK, le Fmiste américain, aura compris qu'il a du souci à se faire. Est-ce le stress devant l'avènement d'une coriace rivale ? Ses amis ne sont même pas restés pour écouter la patronne. L'union ne va pas encore jusqu'à l'élégance.
Il y a bien eu des propositions. Beaucoup de propositions. Plus ou moins abouties, ce n'était pas le problème. Martine Aubry sait que le PS ne pourra pas se contenter de faire de l'opposition primaire. Dans une société que tout encourage dans son individualisme - y compris les politiques - la crédibilité fera la différence. Alors, proposons, camarades ! Si on en croit le sondage (Viavoice/Libération) publié la semaine dernière, qui montrait que 55 % des Français considéreraient que la gauche « ne ferait pas mieux que la droite », ce n'est pas gagné. Il ne sera pas si facile de prendre des parts de marché au Sarko Show avec des numéros déjà vus.
L'affaire serait pliée s'il suffisait de s'en tenir au rejet de Nicolas Sarkozy et à la prestation de Martine Aubry à La Rochelle. À l'abri du calendrier qui impose jusqu'aux primaires cette non-agression qu'on appelle l'unité, la première secrétaire du PS a joué habilement sur tous les tableaux. Patronne des socialistes elle était, chef de l'opposition elle est. Elle repart aussi avec le statut, non déclaré, mais plus affirmé, de présidentiable. En se projetant sur 2012 et en présentant aux Français, bien entendu au nom du parti, les grandes lignes du projet, elle incarne implicitement la candidature socialiste.
Bien joué, mais évidemment pas gagné, malgré l'embellie sondagière du PS. L'ascension à partir du camp de base de La Rochelle s'annonce périlleuse. La cordée socialiste risque de se désunir jusqu'aux primaires et rien ne dit que la course sera facilitée si elle est finalement rejointe par le guide DSK, venu de l'autre voie, celle de la finance internationale, modérément appréciée au PS et à gauche en général. Le vainqueur des primaires pourra compter sur une légitimité et une dynamique nouvelle, mais la crédibilité tant nécessaire ne sera pas assurée d'office.
Car le projet d'une « autre France » avec son catalogue de propositions, annoncé pour le printemps prochain, ne sera pas seulement délicat à négocier entre partenaires disparates. Sa noble ambition et sa cohérence risquent de se heurter à deux écueils dont les candidats du PS sont conscients : la gravité de la situation économique et le déroulé de plus en plus rapide et imprévisible des événements. Pas facile d'être porteur d'espoir, mais aussi de sang et de larmes.
La crédibilité sera à ce prix, mais sans certitude de victoire finale. Car, sauf accident industriel, toujours possible, Nicolas Sarkozy devrait être au rendez-vous. Nul ne sait dans quel état quand on voit sa faiblesse actuelle. Mais ses adversaires savent que tout président sortant dispose d'un avantage, surtout en période de crise. De surcroît, Nicolas Sarkozy a la capacité d'adapter discours et promesses aux situations du moment. La lutte de l'autre France contre un caméléon hyperréactif s'annonce serrée.
Il faut être né sous la benne et avoir eu pour tour Eiffel un chevalement et ses poulies, pour comprendre l'angoisse qui saisit les pays miniers quand la nouvelle de l'incident « au fond » courre entre les petites maisons comme vent mauvais. Le « fond », ce monde peuplé de lampes frontales, où des hommes nus dans la chaleur moite tapent avec leur marteau pneumatique dans les galeries boisées pour extraire le minerai. Ce monde où l'on chiquait le tabac par peur du grisou. Cet univers irréel d'yeux noirs, de muscles brillants de sueur où le courage forge les fraternités et les solidarités, dures comme la silice qui dévore les poumons. Monde de morts en sursis, trop souvent enterrés sous les amas de la richesse des autres.
La leçon d'espoir des trente-trois mineurs chiliens depuis les profondeurs de la mine de San José et la fierté heureuse de ce peuple qui n'a jamais eu que le cuivre pour horizon, nous fait l'effet d'une éclaircie de fraîcheur dans le ciel sombre de nos archaïques replis identitaires. Tous vivants ! Les rescapés des entrailles du désert andin se sont donné un chef pour très vite s'organiser et profiter des savoir-faire de tous avant d'affronter l'épreuve de la longue et terrifiante attente qui suivra l'euphorie. L'autorité quand elle est partagée et juste n'a pas besoin de roulements de tambours pour être efficace.
Au pays de la poésie, sur la terre des Nobel, Pablo Neruda, et Gabriela Mistral, du martyr Victor Jara, de la liberté piétinée par la dictature obscurantiste de Pinochet, on sait la souffrance et l'horreur. À Copiapo, à Atacama, à Chuquicamata, on a connu la guerre du cuivre et du lithium entre le Chili et la Bolivie? De là le bonheur des Chiliens en apprenant le miracle de la Cordillère.
Vous imaginez, un peuple tout entier qui danse dans les rues et qui chante son hymne national pour soutenir les mineurs emmurés ? Vous imaginez un pays à qui la voix de Luis, le leader du groupe, fait entendre la petite musique de l'espoir, un pays qui fond en larmes en écoutant la lettre d'amour du vétéran Mario à sa femme qu'il craignait de ne pas revoir. Non ? Vous avez du mal ? C'est peut-être que les plus emmurés ne sont pas ceux que l'on croît.
En quelques semaines estivales, l'opposition a acquis la conviction qu'elle pouvait l'emporter en 2012. Cette perspective est le résultat de trois facteurs : une politique qui trouble, déçoit ou exaspère ; une instrumentalisation trop suspecte du thème sécuritaire qui heurte les humanistes de tout bord ; et un travail de reconstruction des gauches qui relance leur dynamique.
En durcissant le ton au point de mettre mal à l'aise la droite humaniste, de respectables anciens Premiers ministres et nombre d'hommes d'Église, Nicolas Sarkozy facilite la tâche de Martine Aubry et d'Eva Joly, sans convaincre l'extrême droite, comme en attestent les sondages.
En opposant plutôt qu'en rassemblant, il donne à Dominique de Villepin des raisons politiques d'exister et ouvre un espace à Hervé Morin, ministre de la Défense en partance, qui rêve de compter les troupes centristes en 2012.
En isolant la majorité, au seuil d'une rentrée à hauts risques sociaux, en plein débat sur les retraites, et à hautes incertitudes économiques, le président de la République se met dans la plus mauvaise des configurations.
Cette seule possibilité d'une victoire de la gauche, dans vingt et un mois, accélère le travail de rassemblement à l'oeuvre chez les écologistes d'un côté, chez les socialistes de l'autre. On l'a mesuré à Nantes, il y a une semaine, à La Rochelle, ce week-end : l'idée de devoir gouverner ensemble les pousse soudain à privilégier la réussite collective sur les enjeux individuels, les convergences sur les désaccords.
Cette alternance reste pourtant théorique tant que ses acteurs n'auront pas déjoué trois dangers.
Primo, les enquêtes d'opinion montrent que Dominique Strauss-Kahn ou Martine Aubry sont davantage les bénéficiaires d'un rejet du sarkozysme que d'un désir de socialisme. Les Français souhaitent majoritairement un changement de politique, mais déplorent tout aussi majoritairement l'absence d'alternative crédible. Le discours bourratif, et médiatiquement intraduisible, de la patronne du PS, hier, à La Rochelle, n'est pas de nature à combler cette faiblesse.
Secundo, l'hypothèse d'une victoire ne peut qu'attiser la compétition entre ceux qui peuvent prétendre l'incarner. Que l'un grille la politesse à l'autre en imposant précipitamment sa candidature, et le PS risque de voir se rouvrir de mortelles blessures, à peine cicatrisées. En outre, elle ne peut que faire monter les enchères programmatiques et électorales avec les écologistes qui réclament plusieurs dizaines de circonscriptions.
Tertio et surtout, il faudra s'entendre sur ce qu'est un projet écolo-socialiste dans une France anémiée par la dette et la crise. Une rigueur de gauche serait-elle plus douce qu'une austérité de droite ? Où place-t-on le curseur budgétaire et fiscal pour financer la sécurité, l'école, l'environnement ou l'aménagement du territoire ? Quel degré d'engagement de l'État dans l'entreprise ?
L'esprit de justice et la promesse d'une autre gouvernance, dont on peut créditer la gauche, ne répondent pas à ces questions dont l'impréparation fut à l'origine, en 1983, d'une dévaluation et d'un plan de rigueur conduits par un certain Jacques Delors, le père de Martine Aubry, à l'époque ministre des Finances de François Mitterrand. Pour convaincre et surtout pour durer, il faudra alors une gauche très... adroite.
La parenthèse estivale se referme. C’est l’heure du retour aux affaires et par la même occasion du retour des affaires. Après quelques semaines de répit, les auditions dans le cadre des enquêtes sur l’affaire dite « Woerth-Bettencourt » viennent tout juste d’être relancées, et ce week-end deux nouveaux éléments ont remis en pleine lumière un dossier tentaculaire : la décision de Liliane Bettencourt de renoncer à faire de l’artiste François-Marie Banier son légataire universel, d’une part, et d’autre part, la possible saisine de la Cour de justice de la République sur les infractions présumées d’Éric Woerth, qu’envisagerait le procureur général près la Cour de cassation, selon Le Journal du dimanche.
Tout indique que ce domino judiciaire n’en est qu’à ses débuts. On compte ainsi à ce jour pas moins de quatre enquêtes préliminaires pour « atteinte à la vie privée et vol de documents », « blanchiment de fraude fiscale », « trafic d’influence », et enfin « financements politiques illégaux ». Quatre enquêtes donc, mettant principalement en cause une milliardaire, un ministre, un artiste, un gestionnaire de fortune, et conduites par deux magistrats qui manifestement se cherchent querelle… On pourrait dire de l’affiche qu’elle est complète si les effets délétères d’un tel mauvais feuilleton n’interdisaient toute légèreté.
Interrogé hier sur la possible saisine de la Cour de justice de la République, Laurent Fabius qui, après le procès du sang contaminé, sait mieux que personne les enjeux d’une telle procédure, a souhaité d’abord « une instruction sérieuse ». Un appel réconfortant de la part d’un membre de l’opposition. Car le « sérieux » est probablement ce qui manque le plus dans cette affaire où les enregistrements illégaux et les pressions politiques le disputent aux allégations sans preuves et aux ressentiments divers. Le Parlement abordera dans quelques jours l’examen de la réforme des retraites avant de préparer un budget rigoureux, sinon de rigueur ; puis viendra le temps de ce qui devrait être pour le gouvernement le dernier remaniement avant l’élection présidentielle de 2012. Que la politique fasse ; que la justice passe.
Florence Couret