En allant ainsi marcher sur les plates-bandes de l’intouchable Nespresso, l’américain Sara Lee, propriétaire de Maison du Café, mais aussi de Senseo, savait qu’il jouait très serré. Nestlé croyait avoir trouvé la martingale imparable avec son fameux duo machine plus dosette, sa gamme de parfums à rallonge et ses boutiques de luxe. Et voilà qu’un coucou est venu faire son nid chez lui. Avec un allié redoutable : la grande distribution, pas mécontente de reprendre la main sur ce marché extrêmement juteux. Aujourd’hui, avec ses doses 10% moins chères (29 centimes au lieu de 33, en moyenne, chez Nespresso) et, surtout, accessibles dans des milliers de magasins, Sara Lee aurait déjà chipé 10% du business de Nestlé en France.
De quoi donner un sacré coup de fouet à ce groupe méconnu. L’américain est devenu le troisième torréfacteur mondial, avec un chiffre d’affaires de 3,2 milliards de dollars. Et son résultat d’exploitation, en hausse depuis trois ans, a atteint 586 millions de dollars en 2010. Ses plus belles performances, il les enregistre en France, son deuxième marché. Depuis 2002, ses ventes y ont plus que doublé (de 165 à 350 millions d’euros) et sa part de marché est passée de 16 à 25%, pour partie aux dépens du leader, Kraft (Carte noire, Grand’Mère…). «Et ce n’est qu’un début», pronostique Luc Van Gorp, le patron France.
Cette soif de conquête, Sara Lee l’avait un peu perdue ces dernières années. Après le rachat de Maison du Café, en 1977, le groupe ronronnait sur un marché français atone. Certes, il avait bien créé L’Or, une marque premium 100% arabica (plus subtil que le robusta), mais son business restait cantonné au paquet de moulu pour cafetière filtre classique.
Début 2000, changement de décor. Philips et les chercheurs du centre R & D de Sara Lee, à Utrecht (Pays-Bas), inventèrent avec Senseo une nouvelle façon de préparer le petit noir : une machine spécifique et abordable (moins de 100 euros), à basse pression (1 bar, contre 15 bars pour le percolateur professionnel), conçue pour accueillir une dosette en papier. A la clé, un café plus crémeux et nettement amélioré, à mi-chemin entre le filtre et l’expresso. Et surtout, plus rentable : le café moulu est vendu à peine 11 euros le kilo en format familial, mais plus du double en dosette individuelle.
Pour doper ses ventes, le torréfacteur n’a pas lésiné sur les moyens dans ses trois centres de recherche, aux Etats-Unis, en Asie et aux Pays-Bas, où travaillent des centaines d’ingénieurs, d’agronomes et d’experts en arômes. Leur job : imaginer les blockbusters de demain, à l’image de la Senseo, qui représente aujourd’hui 150 millions d’euros de chiffre d’affaires rien qu’en France et équipe un foyer sur cinq. Plus récemment, les cerveaux de Maison du Café se sont inspirés des blocs de lessive pour lave-vaisselle en créant la «pépite», une pastille de café compressé à déposer dans sa machine à filtre. Trois ans de recherche et plusieurs millions d’euros d’investissement ont été nécessaires pour industrialiser cette trouvaille, qui devait tout à la fois se dissoudre facilement et ne pas être friable.
Un parcours de santé, néanmoins, comparé à l’étape suivante, à savoir l’élaboration de capsules «Nespresso compatibles». Comprenez, utilisables sur les machines du concurrent, sans tomber sous le coup de la contrefaçon. Juristes et ingénieurs ont consacré quatre ans à éplucher les 1 700 brevets de Nestlé et à tester toute une batterie de mécanismes. «Ce projet a dû leur coûter une cinquantaine de millions d’euros», estime un ancien de Nestlé. L’astuce ? Cette dosette L’Or, plus petite que celle de George Clooney, est surtout prépercée, contrairement à celle du concurrent. Cette différence de technologie ne convainc pas le groupe suisse, qui vient d’attaquer Sara Lee pour viol de brevets. En attendant le verdict, l’américain peut regarder les profits pleuvoir ; on estime à 7%, voire 10%, les marges nettes dégagées sur ces petites doses.
Quatre experts effectuent chaque jour plus de 5 700 prélèvements tout au long de la chaîne et dégustent 400 tasses selon un cérémonial bien précis, proche de l’œnologie : ils hument le café très chaud, en prennent une gorgée, la roulent en bouche et la recrachent. Ils s’assurent ainsi d’obtenir un goût constant, production après production, même si les assemblages de cafés verts varient un peu.
En amont, chaque lancement est précédé d’une série d’études. En France, deux fois par an, les équipes se réunissent pour un brainstorming général sur les nouvelles tendances repérées sur les cartes des restaurants, dans les rayons des supermarchés ou les magazines de cuisine. Quatre groupes d’une dizaine de consommateurs sont ensuite interrogés plusieurs heures pour affiner les idées. Le projet retenu est développé, puis soumis à nouveau à 500 clients potentiels. En cas de doute, Sara Lee s’autorise même un test grandeur nature en magasin. «C’est rare, car très compliqué à organiser, explique Martine Loyer. Mais cela nous est arrivé récemment pour un cappuccino.» Un projet de capsules à briser qui s’est révélé par trop audacieux.
Mais, une fois un projet validé, l’industriel sort le grand jeu promotionnel. Le dispositif déployé par Sara Lee pour soutenir ses capsules l’illustre. En magasins, une armada de 50 commerciaux ont installé dans 500 hypermarchés des présentoirs en carton pour les mettre mieux en valeur en rayon. Et, en 2010, le groupe est devenu le plus gros annonceur du secteur avec 28 millions d’euros de budget. Sans égérie : «Nous n’avons pas besoin de George Clooney, note, piquant, Luc Van Corp. Chez nous, la star, c’est le produit.» Sûr de son succès, le groupe prévoit déjà d’élargir sa gamme avec quatre nouveaux parfums et d’attaquer d’autres pays européens. «What else ?»
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire