"Nous ne sommes pas des monstres!" C'est pour prouver à leurs détracteurs qu'on peut être sain d'esprit et ne pas vouloir d'enfant que Théophile de Giraud et Frédérique Longrée organisent ce samedi 15 mai la seconde édition de la fête des non-parents, la première en France.
Qui sont ces non-parents, qui se disent victimes du conformisme social ambiant? "Le phénomène touche tout le monde, estime Théophile de Giraud, mais il est bien sûr plus facile de résister à la pression quand on a des connaissances et une certaine éducation. Dans mon entourage, les childfree sont des gens très ouverts, de bon niveau scolaire. Ce sont souvent des idéalistes".
Concrètement, il existe trois "types" de non-parents.
Il y a les simples childfree - appellation venue des Etats-Unis: ceux-là ne veulent pas d'enfants et entendent qu'on les laisse tranquilles. Et puis il y a les anti-natalistes et les dénatalistes, qui prônent une diminution de l'espèce humaine, notamment pour la protection de l'environnement. Les trois courants seront représentés à la fête par trois personnalités, invitées d'honneur: Noël Godin, humoriste belge anarchiste, Corinne Maier, psychanalyste et auteur du très controversé No Kid, quarante raisons de ne pas avoir d'enfants. Sera également présente Laure Nouahlat, journaliste à Libération et feu Siné-Hebdo, partisane de la décroissance économico-démographique.
A en croire l'organisateur de la fête des non-parents, le mouvement childfree est en pleine expansion et s'étend au-delà de l'Atlantique. Et de confirmer cette impression par un chiffre: "Une étude publiée par Philomag l'année dernière, révélait que 10% des Français n'ont pas d'enfants et n'en veulent pas."
Service rendu à l'humanité, protection de l'environnement, envie de jouir de sa propre existence sans entrave, tels sont les principaux arguments de ces citoyens à contre courant. Mais s'ils assument pleinement leur choix de vie, celui-ci n'est pas toujours facile à vivre: il leur vaut de fréquentes remarques, parfois des insultes. "En tant qu'homme je n'ai pas à me plaindre, d'autant que je vis dans un milieu artistique et anarchiste, précise Théophile de Giraud, auteur du pamphlet L'art de guillotiner les procréateurs. Mais les femmes subissent beaucoup de pressions".
"C'est au niveau sociétal que nous voulons agir, renchérit le militant. Partout est véhiculé le modèle d'une famille heureuse ; dans les publicités, les médias. Il faut briser ce tabou, que nous puissions être respectés dans notre choix." Tous les jours, l'anti-nataliste reçoit dans sa boîte mail - outre des injures - des témoignages de childfree victimes de cette pression, dont celui de Didier. Lui qui ne voulait pas d'enfants, au grand dam de sa femme et même de sa sœur, a fini par être envoyé chez un psy, un véritable choc pour lui. "Ce qui est le plus dommage, ce sont les gens qui ne sont pas fait pour avoir des enfants, mais cèdent à la pression. Je ne pense pas que les enfants soient forcément malheureux par la suite, mais c'est malsain de pousser à cela."
Dénoncer cette pression sociale en s'amusant, tel est le but du rassemblement. Une première édition de la fête des non-parents, organisée l'année dernière à Bruxelles, avait déjà remporté un certain succès.
dimanche 16 mai 2010
Ceux qui ne veulent pas d'enfants envahissent Paris
Tout va beaucoup trop vite
Dans son derneir essai, Jean-Louis Servan-Schreiber instruit le procès d'une société atteinte par le "court-termisme". Une maladie qui frappe la politique, la finance, et chacun d'entre nous.
Un SMS arrive sur l’iPhone de Jean-Louis Servan-Schreiber. Le journaliste interrompt l’interview pour y répondre. "C’est l’époque. Il y a toujours quelque chose de nouveau à gérer." Textos intempestifs, coups de fil incessants, rafales d’e-mails… Dans son dernier essai, Trop Vite! Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme (Albin Michel), l’homme de presse et fondateur de Psychologies Magazine (groupe Lagardère, propriétaire du JDD), dénonce justement les ravages du manque de temps. Ou comment le progrès technique, loin de nous libérer, nous emprisonne dans ses fers virtuels.
"La charge de ce que nous avons à vivre est tellement forte en accélération, le présent nous absorbe tellement que nous n’avons plus la capacité de réfléchir au-delà de la journée, de la semaine", explique-t-il. Le livre publié cette semaine est l’aboutissement d’un questionnement quasi obsessionnel entamé en 1983 avec L’Art du temps et poursuivi en 2000 avec Le Nouvel Art du temps. "La question du temps est pour moi la seule qui compte. C’est la matière première de la vie. Tant que l’on n’a pas commencé à traiter le temps comme ce qu’il est, fugace, précieux, irremplaçable, on est à la dérive du temps", souligne ce lecteur assidu de Montaigne. Au fil d’une série d’entretiens avec des intellectuels, des chefs d’entreprise, des hommes politiques, Jean-Louis Servan-Schreiber, 72 ans, a trouvé la confirmation que le malaise ressenti par tous entraînait une faillite collective: "Au-delà du stress, le plus grave, c’est la perte de réflexion et de perspective que l’accélération entraîne. Ceux qui décident de ce qui va affecter nos vies semblent rebondir de crise en crise."
Le passé rétrécit, le futur se raccourcit
Si le constat n’est pas neuf, la lecture de la crise actuelle sous l’angle unique du manque de temps se révèle stimulante. L’auteur montre comment cette "pandémie de court-termisme" est à l’œuvre dans l’économie et la finance, mais aussi dans la vie privée et la politique: "Notre passé semble avoir rétréci, en même temps que notre futur se raccourcit." Le chapitre consacré à la politique s’ouvre sur une collision temporelle. Mars 2009, Nicolas Sarkozy se rend en voyage en Afrique. Le journaliste moque ce Président pressé dont la frénésie fait écho à la nôtre: "Six heures à Kinshasa, six heures à Brazzaville, six heures à Niamey. Trois pays en trente-six heures chrono! Sur un continent où le temps s’appréhende plus lentement, comment ont réagi ses homologues? Se sont-ils sentis honorés ou traités par-dessus la jambe? Ce jeune Président, élu pour un mandat raccourci à cinq ans, veut imprimer sa marque à la politique par la vitesse." L’impopularité actuelle de Nicolas Sarkozy signe peut-être la faillite de cette tendance "speed politique" brocardée par JLSS: "Certains sujets peuvent se traiter vite, d’autres non. Il faut varier les temps."
L’autre intérêt de l’essai est d’offrir de nombreuses pistes au lecteur. Comme l’atteste la bibliographie fournie, l’auteur a puisé aux meilleures sources théoriques pour alimenter sa réflexion. Il a notamment lu l’ouvrage que consacre Hartmut Rosa à la société de l’accélération*. Comme le philosophe et sociologue allemand, Servan-Schreiber s’inquiète de la désynchronisation entre la folle vitesse de notre vie publique et le temps nécessaire à la décision politique. "Les véritables processus politiques permettant l’articulation et la synthèse des intérêts et de la délibération démocratique deviennent de plus en plus difficiles", écrit Hartmut Rosa. Peut-on encore ralentir? JLSS le souhaite mais ne propose aucune solution. "Je ne suis qu’un simple journaliste", conclut-il. Aux politiques d’apprendre à conjuguer le futur.
* Accélération, une critique sociale du temps, La découverte.
L'iPad, planche de salut pour Gutenberg
Ce début de février, glacial à New York, la rumeur court. Steve Jobs est en ville. On le dit reçu au New York Times, chez Time Warner, on l'a vu avec Rupert Murdoch. Il a invité à dîner certains chez Pranna, un restaurant indien bio. Dans un salon privé, forcément. Avec une réservation faite sous un autre nom. Un Steve Jobs décontracté, à en croire un des invités, immuablement vêtu de son polo noir, de son jean 501 et de ses chaussures de sport.
Contrairement aux grands patrons de la Silicon Valley qui sont toujours accompagnés d'une suite conséquente, Jobs était seul, tout juste suivi par l'ombre discrète d'un garde du corps. Steve Jobs, c'est Apple et Apple, c'est Steve Jobs.
Deux mois avant le lancement officiel de l'iPad aux Etats-Unis, l'une des rares personnes à avoir été invitée au siège d'Apple, à Cupertino, en Californie, pour une prise en main dûment encadrée cache mal son enthousiasme avant de se reprendre : "Je viole déjà l'accord de confidentialité que j'ai signé en admettant que j'ai pu m'en servir."
Quelques semaines plus tard, il signera une nouvelle brassée de documents garantissant que l'exemplaire qui lui est confié à deux semaines de la sortie, à des fins de test, reste bien dans une pièce fermée, protégée par un code, et que l'appareil est en permanence fixé à un câble.
Apple est une entreprise paranoïaque et obsessionnelle.
L'obsession est perceptible dans les moindres détails de l'iPad. Une coque en aluminium anodisé d'un côté, une plaque de verre de l'autre. La netteté et les couleurs de l'écran sont exceptionnelles. Un avantage pour la lecture mais aussi pour les photos et les vidéos en HD. Tout est fluide, rapide, précis au pixel près.
A la différence de l'iPhone lancé en 2007, le succès de l'iPad ne dépend pas de sa seule sophistication technologique. Loin s'en faut. L'iPhone portait dans sa conception même le moteur de son succès. A peine connecté au réseau, il constituait à lui seul une révolution dans l'usage du mobile, grâce à une facilité inégalée pour naviguer sur le Web qui lui a conféré deux ans d'avance.
Car, on l'oublie, les applications ne sont apparues qu'un an plus tard, après que Steve Jobs – qui avait dans un premier temps juré qu'il n'autoriserait pas les logiciels réalisés par d'autres – eut changé d'avis. Trois ans après le lancement de l'iPhone, un ensemble de 185 000 applications téléchargées 4 milliards de fois a transformé l'iPhone en ordinateur personnel, au sens premier du terme.
Aujourd'hui, deux tiers des consultations de sites Internet pour mobiles sont faites depuis le téléphone d'Apple. Chaque utilisateur d'iPhone a téléchargé en moyenne une cinquantaine d'applications qui sont consultées environ trente minutes par jour. Un média enregistrera cinq à dix fois plus de visites grâce à son "appli" que sur un site vaguement optimisé pour le mobile. Aucun doute : Steve Jobs a donné une nouvelle dimension à la communication nomade.
* GRANDS FANTASMES
Pour l'iPad, ce sera plus compliqué. "Sans les applications, ce n'est qu'un dessous-de-plat fragile et cher, au mieux un cadre numérique pour mettre ses photos", analyse l'éditeur d'un grand site américain. Certes, le jour de son lancement aux Etats-Unis, le 3 avril, l'iPad avait déjà 3 500 logiciels conçus pour lui (dont l'application du monde.fr) ; un mois (et 1 million d'exemplaires vendus) après, il en a plus de 5 000 (lire l'encadré).
Mais leurs éditeurs doivent trouver un modèle économique : l'iPhone, où le prix moyen d'une application est de seulement 3,82 dollars (2,89 euros), vit de l'abonnement télécom. L'iPad, lui, vivra ou mourra par ses contenus monétisés et par les modes d'utilisation qui s'imposeront. Mais lesquels ? Avec le baladeur iPod lancé en 2001, la fonction était tellement évidente qu'il s'en est vendu 240 millions d'exemplaires. Idem pour l'iPhone six ans plus tard.
Avec l'iPad, personne ne se hasarde à un pronostic. Cet écran de 25 cm de diagonale offre de multiples possibilités. Connecté à un réseau Wi-Fi (plus tard au réseau mobile 3G, en attendant le 4G), c'est un ordinateur catégorie "tablette", pesant 680 g, doté d'un clavier virtuel. Mais pour sophistiqué et élégant qu'il soit, un "ultraportable" à 250 euros fait presque aussi bien pour trois fois moins cher (le prix officiel de l'iPad en France, annoncé le 10 mai, s'échelonne de 499 à 799 euros).
Seconde fonction possible : la qualité de l'image fait de l'iPad un téléviseur personnel idéal pour dévorer en égoïste films ou séries. Aux Etats-Unis, un des usages les plus prometteurs est d'ailleurs la VOD, vidéo à la demande, comme la proposent là-bas le site Hulu ou le supervidéoclub en ligne Netflix.
* "NOTRE BOUÉE DE SAUVETAGE"
Mais ce sont les applications et les usages liés au texte qui éveillent les plus grands fantasmes. Car l'iPad est attendu comme un saut qualitatif dans le livre numérique pour lequel il a déjà suscité 400 applications dédiées (lire l'encadré), et surtout comme la plate-forme ultime pour la presse numérique.
D'où la tournée de Steve Jobs chez les éditeurs de journaux et magazines afin de les pousser à innover. Si possible rapidement. Partout dans le monde, les patrons de presse placent de grands espoirs dans la tablette numérique d'Apple. "C'est notre bouée de sauvetage", clamait le 24 mars devant un parterre de patrons de presse français Franz-Olivier Giesbert, le directeur du Point. Dans tous les groupes de médias, on s'échine sur de nouveaux concepts. Chez Lagardère Active, qui publie 200 magazines dans le monde, dont 40 en France, on a beaucoup hésité sur le premier titre qui servirait de cobaye.
C'est finalement Paris Match qui a été choisi. Un choix à la fois bizarre et logique. Bizarre, car ce magazine n'a jamais réussi sur Internet. Face au Nouvel Observateur par exemple, Match a une audience près de deux fois supérieure sur le papier, mais presque quatre fois inférieure sur le Web.
"Mais l'iPad est un choix logique car Match c'est le storytelling à l'état pur, note Delphine Grison, directrice de la stratégie du groupe. Or, l'Internet a ses limites pour la mise en scène de l'information – ce qui est précisément la marque de fabrique de Match. Le web et l'iPad sont à ce titre totalement différents." Après Match viendront d'autres titres de Lagardère comme Elle à table, dont le contenu éditorial sera prolongé par des services en ligne.
Tous les éditeurs de magazines jouent la même partition : au travers d'applications, ils veulent proposer leur publication, mais bien plus encore, avec de "vraies" expériences multimédias, des animations, des galeries photo, des compléments d'information, un peu à la manière des bonus d'un DVD.
Dans les semaines qui ont précédé le lancement, chacun y est allé de sa vidéo de démonstration mise en ligne sur YouTube ou DailyMotion. On fait rêver en mettant la barre toujours plus haut. Earl Wilkinson, directeur de l'International Newsmedia Marketing Association (INMA), qui regroupe des centaines de publications, met en garde : "Il faut sortir de cette obsession de la presse magazine où 'plus' signifie obligatoirement 'meilleur'. L'enjeu n'est pas d'en donner plus, mais de faire différent."
* NOUVELLE GRAMMAIRE
La mise en musique risque pourtant de ne pas être facile. C'est une chose de concevoir le design d'un journal ou d'un magazine et de le décliner chaque jour, chaque semaine ou chaque mois. C'en est une autre d'imaginer une nouvelle grammaire, une nouvelle façon de présenter l'information.
Non seulement l'effort conceptuel sera plus exigeant, mais la mise en œuvre nécessitera le déploiement de compétences techniques rares et chères. Il faudra aussi compter avec des capacités de recherche et développement variables selon les titres. La division numérique du New York Times compte environ 150 ingénieurs et techniciens, parmi lesquels quelques dizaines affectés aux applications pour l'iPad, tandis que le groupe de recherche et développement de la compagnie teste et explore, multipliant les prototypes sur tous les appareils possibles (une vingtaine de tablettes, concurrentes de l'iPad, sont attendues dans l'année à venir).
Dans la presse française, la R&D est inexistante. Tout juste commence-t-on à s'organiser collectivement autour de Media 21, un think tank à l'objectif encore flou, piloté par le ministère de la culture ; un de ses premiers ateliers portera justement sur l'iPad. Avec celui-ci, les éditeurs espèrent passer enfin de la culture de la gratuité universelle qui caractérise l'économie du Net à une culture payante.
Car, c'est le vilain secret des médias en ligne, la publicité sur le Net n'a pas répondu aux attentes ; elle se révèle incapable de financer une information en ligne de qualité. Son évolution est confrontée à une implacable tendance déflationniste. En premier lieu, les prix unitaires des modules (les bannières) se sont effondrés à la suite de la crise de 2008 ; en Europe comme en Amérique du Nord, cette chute est estimée à 30 % environ au cours des dix-huit derniers mois. Ensuite, la loi de l'offre et de la demande joue contre les producteurs d'information.
Chaque jour, le tentaculaire NYTimes.com croît d'environ un millier de pages de toute nature. Cela fait autant d'emplacements à vendre. Par conséquent, le ratio entre les espaces commercialisés et les "invendus" ne cesse de diminuer ; il n'est pas rare de voir de grands sites d'information commercialiser à un prix correct seulement 20 % ou 30 % de leur stock de pages. Le reste est confié à des soldeurs du Net, qui revendent ces espaces pour une fraction de leur valeur.
Avec, en outre, la crise économique qui plombe les investissements publicitaires, les médias se trouvent dans une situation plus dégradée que n'importe quelle industrie. Aux Etats-Unis, les chiffres sont vertigineux : non seulement les quotidiens ont perdu 57 % de leurs revenus publicitaires sur le papier depuis 2005, mais leurs espoirs de se rattraper sur le Net se sont évaporés. Depuis le record de la fin 2007, les recettes de la publicité en ligne ont fondu de 26 %. Comme le résume Clay Shirky, professeur de communication à l'université de New York : "L'ancien modèle se dégrade bien plus vite que le nouveau ne se met en place." C'est le moins qu'on puisse dire. Au cours des quatre dernières années, à chaque fois qu'un journal américain augmentait de 1 dollar ses recettes sur le Web, il en perdait 55 sur le papier.
* LE "DILEMME DE L'INNOVATEUR"
Trouver un relais économique est donc une urgence vitale. Mais selon quelles modalités ? Combien faire payer sur l'iPad par rapport au kiosque ? Les éditeurs en ligne, qu'ils soient issus de la presse traditionnelle ou de ce qu'on appelle les pure players (qui n'ont pas de support papier), se trouvent confrontés au "dilemme de l'innovateur". Ce terme est né des travaux d'un économiste de Harvard, Clayton Christensen, qui, le premier, avait posé crûment la question : comment gérer l'irruption d'une technologie susceptible de bouleverser un secteur ? Faut-il accompagner son déploiement de façon progressive ou provoquer la rupture ? En d'autres termes, doit-on accélérer le déclin naturel d'un modèle présumé en fin de vie afin de favoriser l'émergence d'un nouveau ?
L'iPad pose le problème en termes concrets. Aux éditeurs de choisir. S'ils parient sur la tablette associée à des contenus payants, ils ne peuvent maintenir en l'état un site Web gratuit (la qualité supérieure de la lecture ne sera pas une motivation suffisante). Dès lors, ils devront réduire drastiquement l'offre gratuite et mettre en place un péage. Les éditeurs interrogés pour cet article, en Europe, aux Etats-Unis et en Australie, estiment que la migration vers l'iPad et autres tablettes numériques va accélérer fortement le déploiement de zones payantes sur les sites.
"Ce n'est pas sans risque, avertit Jack Matthews de Fairfax Digital, dont le groupe exploite 289 sites Web en Australie et en Nouvelle-Zélande. L'expérience montre que réduire la voilure d'une plate-forme au profit d'une autre peut avoir des effets néfastes : cela ouvre la porte aux concurrents et affaiblit votre marque." Chez Lagardère, on estime que le réglage sera délicat. Pas question d'abandonner précipitamment l'exposition que confère le Web gratuit et les 50 millions de visiteurs mensuels qu'il génère dans le monde pour le groupe, dit-on.
Il est vrai que les prédictions incitent à la prudence. Même s'il a démarré en fanfare au point de susciter une pénurie de production, Apple devrait vendre 5 à 7 millions d'iPad cette année et 10 à 12 millions l'année prochaine. En comparaison, la marque a vendu 85 millions d'iPhone et d'iPod Touch. Mais même ces chiffres restent ridicules par rapport à la taille de l'audience du Web : 1,8 milliard de personnes connectées, dont presque 700 millions pour la zone Europe - Etats-Unis, à fort pouvoir d'achat.
* L'INCONNUE DU TEMPS DE LECTURE
Enfin, la question du prix subsiste. Pour l'heure, seulement une centaine d'applications d'information est disponible pour l'iPad, et le prix moyen (hors abonnement éventuel aux contenus) stagne à moins de 5 dollars. Le New York Times devrait attendre le basculement de toute son offre numérique en mode payant, prévu en janvier 2011, pour décider de sa tarification ; le groupe Time Warner a décidé de vendre son magazine numérique au même prix que le papier. Enfin, le Wall Street Journal espère faire payer 17 dollars par mois pour la version iPad – même à ses abonnés actuels papier ou Web. Mais Rupert Murdoch n'est pas réputé pour son sens de la mesure – et il est capable de spectaculaires volte-face.
"Mieux vaudrait parier sur la simplicité tarifaire, estime Earl Wilkinson de l'INMA. Plus un système de prix est simple, mieux il fonctionne." Comme d'autres experts, il défend une offre numérique dite "triple play" avec un journal ou un magazine accessible sur le Web au bureau, sur un téléphone mobile dans les transports et sur un iPad chez soi. A chaque moment son mode de consommation.
Malgré tout, rares sont les professionnels des médias qui se bercent d'illusions. Voir une ardoise électronique révéler soudainement au grand public les vertus de la valeur éditoriale tiendrait du miracle. En premier lieu, parce que la concurrence des médias est plus féroce que jamais, le temps des utilisateurs n'étant pas extensible. Selon les données de l'US Census Bureau (l'Insee américain), le nombre d'heures annuelles consacrées par les Américains aux médias a peu varié depuis 2002 : + 3,6 % (avec tout de même 3 500 heures par an dont 45 % de télévision).
Mais les disparités sont fortes. Les perdants du tsunami numérique sont les grands réseaux de télévision (–37 %) et les journaux (–18 %), alors que trois médias connaissent une forte croissance : les jeux vidéo (+77 %), l'Internet (+39 %) et la télévision par câble (+20 %). Quant à la consommation de livres, elle reste stable et représente 3 % du temps passé. En second lieu parce que d'après le cabinet d'étude NPD, les ménages dépensent déjà 115 dollars par mois (89 euros) en abonnements médias divers.
Quoique ce chiffre augmente trois fois plus vite que l'inflation, espérer que les consommateurs voudront lui ajouter quelques dizaines de dollars pour une information déjà gratuite depuis une décennie, même avec une tablette magique en aluminium et en verre… ce n'est pas gagné.
Frédéric Filloux
Pour Merkel, l'Europe ne fait que "gagner du temps"
La chancelière allemande Angela Merkel a estimé dimanche que la zone euro n'avait fait que "gagner du temps" avec les plans d'aide à la Grèce et celui pour éviter la contagion à d'autres pays en difficulté. Selon elle, les vrais problèmes - les disparités économiques entre les Etats membres et leur endettement - restent à régler.
"Tous ce que nous avons fait avec (ces plans), c'est gagner du temps pour que les disparités en termes de compétitivité et d'écarts de déficits entre les pays de la zone euro soient réglés", a déclaré Mme Merkel lors d'un discours à l'occasion du congrès de la confédération syndicale allemande (DFB). "Ce qui est arrivé en Grèce est complètement inadmissible : que pendant des années on puisse falsifier ses statistiques" officielles, a-t-elle dénoncé. "Mais c'est également un fait que la spéculation (qui a fait chuter l'euro) n'a été et n'est possible que parce qu'il y a d'énormes disparités dans la solidité économique et dans l'endettement respectif des états membres de la zone euro", a-t-elle ajouté.
Samedi, la chancelière avait averti, dans un entretien au quotidien Süddeutsche Zeitung, que pour redresser ses finances publiques, l'Allemagne devrait faire "des choix très difficiles". Vendredi, à l'occasion de la rencontre oecuménique annuelle entre les catholiques et les protestants allemands, Mme Merkel avait même estimé que les Allemands "ne pouvaient pas vivre indéfiniment au-dessus de leurs moyens".
L'Union européenne a dû mettre sur pied un dispositif d'aide à la Grèce de 110 milliards d'euros sur trois ans associant les Etats européens et le Fonds monétaire international. Ce plan a été suivi le week-end dernier d'un second à hauteur de 750 milliards d'euros à destination de la zone euro, afin d'éviter une contagion de la crise grecque à d'autres Etats en difficulté. En contrepartie de ce plan, un renforcement des mesures de surveillance des budgets par la Commission européenne est actuellement en négociation.
Ce n’est encore qu’un bruit de fond dans les cours de récréation. Un clapotis. Mais il suffirait que la rumeur, qui ces derniers jours a filé à l’allure de l’Internet, se propage encore un peu pour que la clameur protestataire franchisse les grilles d’une majorité de collèges et lycées. En cause ? Un projet du gouvernement qui ambitionnerait de supprimer « un mois de vacances scolaires ». En réalité, il n’en est rien. Mais… Ce qui est vrai, en revanche, c’est que le ministre de l’éducation nationale a bel et bien inscrit le sujet à l’ordre du jour de la conférence nationale sur les rythmes scolaires qui doit avoir lieu en juin, inspiré en cela par une récente étude de l’Institut Montaigne, préconisant la suppression de (seulement) 15 jours de congé.
La question n’est pas nouvelle, comme nombre de débats qui agitent régulièrement le monde éducatif. Depuis des décennies, chronobiologistes et sociologues s’accordent à dire que la longue césure estivale n’est ni scolairement favorable – la remise en route en septembre est pour certains élèves particulièrement laborieuse – ni socialement juste – faute de moyens les enfants de milieux défavorisés sont souvent livrés à eux-mêmes. Le paysage scolaire français se distingue ainsi par une année scolaire trop courte – la plus courte d’Europe même –, une semaine trop ramassée, surtout lorsqu’elle s’organise sur quatre jours, et enfin des journées trop longues : la question des rythmes n’est certes pas neuve mais vaut à l’évidence d’être posée.
Faut-il néanmoins s’emparer du dossier dans la minute ? Est-ce l’urgence du moment ? À feuilleter le rapport que vient de publier la Cour des comptes, on se dit, un peu abasourdi, qu’il conviendrait assurément de s’attaquer d’abord à la déréliction qui ronge certains établissements, ou en toute priorité à la maîtrise de la lecture qui ne progresse pas, ou encore très vite au service et à l’affectation des enseignants, ou s’atteler, sans tarder, à l’échec universitaire. Constat vertigineux, qui appelle, si l’on tient pour fiable le diagnostic de la Cour des comptes, une refonte globale de l’école à la française. Le bateau prend l’eau ; on ne peut plus se contenter de colmater les brèches.
Florence Couret