TOUT EST DIT

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samedi 26 mai 2012

In vodka veritas

La Russie à gueule de bois de Zakhar Prilepine

Edouard Limonov a essaimé, et pas simplement dans le ventre de ses maîtresses. Son disciple littéraire le plus convaincant a largement dépassé le maître, au point de rafler le plus prestigieux prix littéraire russe et de se payer le luxe de diriger l’édition nijni-novgorodienne de la revue Novaya Gazeta tout en militant au Parti National-Bolchévique. Ce surdoué des lettres à l’allure de skinhead s’appelle Zakhar Prilepine. A 37 ans, là où d’autres résument leur angoisse existentielle à une ligne de coke sniffée place Saint-Germain et au traumatisme d’une nuit en cellule, Prilepine a déjà accompli deux guerres comme engagé volontaire en Tchétchénie, expérience qui lui inspira le décapant Pathologies (Syrtes, 2007). Ajoutez à son curriculum vitae un engagement nazbol de longue date, dont il tira le splendide roman Sank’ia (Actes sud, 2009), ses engouements littéraires pour Mishima et Jünger, une sérieuse tendance à défriser les bonnes consciences occidentales, et vous commencerez à entrevoir l’étoffe de Prilepine.
Cet automne, Actes Sud a publié sa quatrième œuvre traduite en français : un recueil de onze nouvelles mystérieusement intitulé Des chaussures pleines de vodka chaude. L’expression désigne une recette de grand-mère pour détendre des chaussures trop serrées, exercice auquel s’adonnera le héros en plein restaurant dans l’une des nombreuses histoires alcooliques qui ponctuent ces 180 pages.
Ces récits autobiographiques, Zakhar Prilepine les a voulus déliés de son engagement militant, à l’instar du roman polyphonique Sanki’a, qui narrait l’épopée héroïque et suicidaire de jeunes nazbols exaltés par la décrépitude de leur patrie outragée, brisée et martyrisée par les années Eltsine, sans cautionner leur réponse violente à la barbarie d’Etat. Gilka, première nouvelle du recueil, confirme le statut dégagé de son auteur au crâne rasé, soucieux d’apparaître en hooligan de la plume plutôt qu’en coryphée d’une brigade des lettres nationale-bolchévique.
Prilepine a beau être insaisissable de subtilité, il reste l’habile peintre du paysage social russe de l’après-Perestroïka, ravagé par la faillite des petits vieux et l’effacement de l’avenir chez une jeunesse désabusée : « Nous conduisions ensemble, côte à côte, des colonnes de jeunes gens passionnées et sans peur, dans les rues des villes les plus diverses de notre empire fourvoyé, jusqu’à ce que le pouvoir nous traite d’ordures et de charognes qui n’avaient pas et ne pouvaient avoir de place dans ce pays ».
La littérature au foie
A l’indignation pavlovienne, les jeunes dépeints par Prilepine préfèrent la franche rébellion, non sans compromissions avec l’ordre moral dépravé promu par le marketing et la publicité. Or, comme tout bon dialecticien des mots et des âmes, le styliste de Nijni-Novgorod sait allier les contradictions et chevaucher le tigre d’une modernité liquéfiée par les bains d’alcool. Cela donne de belles images éthyliques (un « mois d’août tiède, mou comme un lendemain de cuite »), où l’ivresse se fait le papier pH d’une société perpétuellement à côté de ses pompes. La littérature au foie produit aussi de joyeuses scènes ubuesques, où la fantasmagorie se mêle au pathétique, comme dans la nouvelle Viande de chien, dans lesquels le narrateur, son frère et leur indécrottable ami Roubtchik servent un barbecue …canin aux jeunes filles qu’ils convoitent. Après une balade mouvementée dans la neige, leurs quelques grammes d’alcool dans le sang aidant à tenir la température, l’enjeu sera d’entrer dans leur immeuble gardé par une concierge patibulaire, qui ne laisse rien passer, surtout pas de jeunes loups pleins de sève et de vodka. Pénétrer dans ce cloaque ne sera pas chose aisée et nécessitera l’art du grimage et du système D propres aux hommes éméchés.
Il est vrai que la littérature russe considère le zapoï comme un genre romanesque à part entière. Ces errances d’ivrogne, s’étalant parfois sur plusieurs jours, inspirent une métaphore aérienne filée à Prilepine : « La sortie de l’ivresse est un miracle que l’on peut reproduire sans cesse et qui n’en finit pas de nous étonner ; les sensations ne s’émoussent pas. Ce doit être comparable – en aviation – à la sortie d’un piqué. Le grondement dans la tête enfle, la terre plate se rapproche de plus en plus, on est pris de vertige et soudain, ce sont des saccades, les yeux se ferment une seconde, la tête se renverse ».
Mais derrière les verres de vodka frelatée, les mœurs légères et les balades campagnardes au clair de lune, se cachent les faces burinées des hommes. Ces chiens de paille aux visages indistincts imprègnent l’imaginaire du narrateur, au point de ne plus être qu’une masse informe, les parents d’un voisin proche devenant aussi méconnaissables que les passagers anonymes d’un trolley.
Love on the bitume
Quand l’amour apparaît chez Prilepine, c’est par effraction, telle une grenade dégoupillée au nez et à la barbe des populations civiles. Hâtivement lu, le préambule laconique de la brève Histoire de putes exprime la misogynie masculine dans toute sa splendeur : « Les hommes pensent que les femmes sont intéressées par le sexe. Mais les femmes, ce sont les hommes qui les intéressent. Tout le reste, elles le font par jeu ou par pitié. Les femmes croient que ce sont les femmes qui intéressent les hommes. Or c’est le sexe qui les intéresse. Le reste est le fruit du hasard ou le résultat d’un accès de légère excitation qui, d’ailleurs, peut se prolonger toute une vie. C’est là que s’achèvent les différences entre les sexes ». Mais ce jugement ne prend son sens qu’à la lumière de la meilleure nouvelle de l’opus, Le meurtrier et son jeune ami. Dans ce récit à la chute poignante, le couple asymétrique formé par un soldat priapique ultraviolent surnommé le « Primate » et sa jeune épouse se brise au détour d’une balle perdue tchétchène.
Pour susciter l’appétit du lecteur sans dévoiler le sel de l’intrigue, nous ne ferons qu’esquisser le dilemme tragique de la digne et inconsolable épouse. Aimer son défunt mari volage envers et contre tout, respecter ses viles amitiés passées au péril de son confort quotidien, voilà le chemin de croix de la veuve éplorée. Une quête de l’absolu en proie à tous les nihilismes : c’est aussi cela, le génie dostoïevskien du grand Zakhar Prilepine.
Zakhar Prilepine, Des chaussures pleines de vodka chaude, traduit par Joëlle Dublanchet, Actes Sud.

Christine Lagarde sans concession avec les Grecs

La directrice générale du FMI estime que les Grecs ont une part de responsabilité dans leur situation. Elle leur demande de payer leurs impôts et déclare être bien plus compatissante à l'égard des enfants d'Afrique.

Intransigeante. Dans une interview au quotidien britannique The Guardian, Christine Lagarde estime que les Grecs ont une part de responsabilité dans la situation qui est la leur aujourd'hui. Évoquant les problèmes d'évasion fiscale, fléau de la péninsule hellénique, le directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) estime que les Grecs, pour solutionner leurs problèmes, devraient «commencer par s'entraider collectivement» en «payant tous leurs impôts».

Plus d'accès aux services publics

Depuis deux ans, le pays est régulièrement touché par de vastes mouvements de grève et de protestation contre les mesures d'austérité imposées par la «troïka» BCE/UE/FMI, afin de restaurer les finances publiques. Pour Christine Lagarde, les parents et citoyens qui se plaignent des conséquences des coupes budgétaires drastiques, notamment pour leurs enfants, vont trop loin. «Les parents sont responsables non? Donc les parents doivent payer leurs impôts», explique-t-elle, interrogée sur les difficultés quotidiennes rencontrées par les citoyens. Beaucoup d'entre eux se plaignent en effet de ne plus avoir accès aux services publics.
«En ce qui concerne les Grecs, je pense aussi à tous ces gens qui essaient tout le temps d'échapper aux taxes», répond sans concession l'ancienne ministre française de l'Économie et des Finances. «Je pense plus à ces jeunes enfants dans un petit village du Niger qui vont deux heures par jour à l'école, partageant une chaise pour trois, et qui rêvent d'avoir une bonne éducation. Je pense à eux tout le temps. Car j'estime qu'ils ont encore plus besoin d'aide que les gens à Athènes», poursuit-elle.

Leçon de civisme

Par cette leçon de morale et de civisme, la dirigeante de l'institution internationale entend faire comprendre aux Grecs que le bon temps est passé et «que l'heure est venue de rembourser». Mais alors que les élections législatives du 6 mai ont abouti à une impasse politique, pas sûr que son auditoire accepte ce discours sans sourciller. Les derniers sondages montrent que le pays, qui s'apprête à voter de nouveau dans trois semaines, se montre encore indécis et que la probabilité d'un vote anti-austérité domine.
D'ici là, le FMI fait donc monter la pression en plaçant le lutte contre la corruption et l'évasion fiscale au cœur de son discours. Fin 2011, un rapport d'experts grecs chiffrait à 13 milliards d'euros le coût annuel de la corruption dans le pays. Trois mois plus tard, le ministre de la santé avait alarmé ses concitoyens sur les fraudes aux aides sociales: 111 millions d'euros en 2011, rien que dans la santé. Et pour les retraites, le chiffre grimpe à 800 millions d'euros. Aucune raison donc, pour Christine Lagarde, de faire de cadeau. La dirigeante qui conclut que les termes du plan de rigueur imposé au pays en février dernier ne seront pas assouplis. Celui-ci, chiffré à 130 milliards d'euros, prévoit en contrepartie une baisse de 22 % du salaire minimum et de 40 % de celui des fonctionnaire, ainsi que l'embauche de nouveaux inspecteurs des impôts pour lutter contre la fraude fiscale (entre autres).

Jean-Marc Ayrault : les syndicats, le patronat et les polémiques

Le Premier ministre recevra mardi les leaders des syndicats et du patronat pour aborder la retraite à 60 ans et la hausse du smic.

Qui morituri te salutante
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, recevra mardi les leaders des syndicats et du patronat pour fixer avec eux l'agenda des réformes sociales sur fond d'une première polémique concernant le décret de retour à la retraite à 60 ans pour certains salariés et la hausse du smic. "Je vais écouter attentivement la manière dont ils voient l'instauration dans la durée du dialogue social et la démocratie sociale", affirmait mercredi le Premier ministre sur RTL en annonçant le calendrier de ses rencontres avec les partenaires sociaux. Le Premier ministre va recevoir séparément les dirigeants des cinq centrales syndicales représentatives (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) et des trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA). Il verra les jours suivants d'autres organisations : l'Unsa, la FSU.
Ces rencontres seront suivies d'une conférence à Matignon avec l'ensemble des partenaires sociaux pour définir les chantiers devant figurer au menu de la grande conférence sociale, prévue avant le 14 juillet à l'Élysée, sous l'égide du président François Hollande. L'emploi est forcément en haut de l'agenda, alors que se précisent les craintes de plans sociaux dans les télécoms, la grande distribution, la sous-traitance automobile. Air France se dit en sureffectif. La formation professionnelle, le contrat de génération - idée phare du candidat François Hollande -, les salaires, la retraite, l'égalité salariale homme/femme, autant de chantiers qui "devront précisément faire l'objet d'une négociation en termes de méthode et de calendrier", a souligné le Premier ministre.

L'ère du dialogue

Après leurs rapports houleux avec l'ex-président Nicolas Sarkozy, les syndicats se réjouissent de cette nouvelle ère de dialogue social sous l'égide d'un gouvernement de gauche. Le patronat en revanche a exprimé son inquiétude, un "risque de décrochage" menaçant des entreprises incapables de supporter de nouvelles charges, a prévenu la patronne du Medef, Laurence Parisot. D'ores et déjà la première mesure annoncée - un décret permettant le départ à la retraite à 60 ans des salariés ayant commencé à travailler tôt - a suscité un tollé à droite et au Medef. Laurence Parisot a averti des dangers d'une telle mesure pour les régimes de retraite complémentaires du privé. La CGPME a proposé, pour financer la mesure, d'augmenter le taux de CSG des retraités pour l'aligner sur celui des salariés. Les syndicats en revanche veulent négocier pour que son périmètre soit élargi aux périodes de chômage et de maladie.
Autre sujet sensible : la hausse du smic, promesse de campagne de François Hollande. Le ministre du Travail, Michel Sapin, a promis un geste mais pas "de saut" eu égard aux PME. La CGT et FO, plaident, elles, pour une hausse progressive de l'ordre de 250 à 300 euros, ce que rejette François Chérèque, numéro un de la CFDT, qui préfère une incitation à la hausse des salaires. "Il ne faut pas être dans la surenchère sur le smic, savoir raison garder", renchérit Pascale Coton, numéro deux de la CFTC. Carole Couvert, secrétaire générale de la CFE-CGC, exprime la "crainte que le smic augmente et que le reste de la grille des rémunérations reste plate". "Attention à la classe moyenne qui est au bord de l'asphyxie", prévient-elle. "Tout coup de pouce trop généreux pourrait avoir un impact considérable sur l'emploi", affirme Laurence Parisot. Jean Lardin, président de l'Union professionnelle artisanale, accepte une hausse, mais "modérée". Le gouvernement réfléchit, à plus long terme, à une modification du calcul de la revalorisation du salaire minimum qui progresserait non pas seulement en fonction de l'inflation mais aussi de la croissance.

Mortelle cohabitation

La gauche doit gouverner et la droite se recomposer

Le problème de la cohabitation empoisonne la vie politique française depuis qu’en 1978, le président Giscard d’Estaing déclara qu’il resterait à l’Élysée en cas de victoire de la gauche aux élections législatives, et surtout, depuis qu’en 1986, Jacques Chirac, leader de la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale, accepta de devenir premier ministre de François Mitterrand en vue de la présidentielle de 1988, mais au risque, assumé, d’abîmer en profondeur la Ve république. Avec ses chausse-trappes, ses pièges innombrables, ses poignards dissimulés dans des bouquets, ses byzantinismes et ses non-dits, ses jeux tortueux autour de la lettre et de l’esprit de la constitution, avec le capiteux parfum d’hypocrisie qui l’accompagne toujours, on conçoit que l’homme de Jarnac, le plus florentin de nos chefs d’État, dût en raffoler. Mais on imagine à quel point la couleuvre fut dure à avaler pour un Chirac qui se donnait encore, à l’époque, pour un gaulliste pur sucre, et qui se vit obligé, à trois reprises, de sacrifier ses convictions sur l’autel de ses ambitions. Et tel est encore le sentiment que donne le plaidoyer pour la cohabitation qu’Henri Guaino a fait paraître dans Le Figaro du 24 mai.
Interrogé par un journaliste qui n’y va pas par quatre chemins en lui demandant carrément si la cohabitation n’est pas nocive, celui qui fut jadis l’homme lige de Philippe Séguin répond, un peu gêné : « C’est aux Français d’en décider ! Je n’imagine pas leur dire : « Ne votez pas pour nous, parce que la cohabitation, ce n’est pas bien.» Ce qui serait nocif, ce ne serait pas la cohabitation, poursuit Guaino, ce serait que les socialistes aient tous les pouvoirs pour appliquer leur programme. » Donc, qu’il n’y ait pas de cohabitation, laquelle, par comparaison, lui paraît bénéfique… En acceptant de se présenter aux élections, Guaino se condamnait à prendre de telles positions. Pourtant, nul doute qu’au fond de lui-même, il ait bien conscience que, dans le cadre de la Ve république, une telle cohabitation serait désastreuse à long terme, et sans grand intérêt à brève échéance.
A court terme, en effet, les bénéfices politiques d’une cohabitation seraient peu significatifs. Elle aurait évidemment l’avantage, et ce n’est pas rien, avouons-le, de permettre aux personnalités éminentes qui siégeaient dans le précédent gouvernement, les Frédéric Lefebvre, les Éric Besson, les NKM, les David Douillet, les Benoist Apparu, de retrouver les maroquins dont une décision inconsidérée des Français vient de les priver indûment; peut-être même permettrait-elle à François Fillon de retourner à Matignon, ce qui aurait au moins l’intérêt d’apaiser la guéguerre des chefs qui se profile à l’UMP. Mais sur le fond, une telle cohabitation aurait surtout pour effet de « rétablir un équilibre », comme le soulignent fréquemment les ténors de la droite modérée, c’est-à-dire, en clair, d’instituer au sommet de l’État une situation de paralysie. D’un côté, en effet, le président de la république se verrait effectivement privé de la plupart des fonctions qu’il assume en temps ordinaire, lorsqu’il dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale, et donc, d’un premier ministre et d’un gouvernement de la même couleur politique que lui. On retrouverait ainsi, pour cinq ans, la figure pathétique du roi fainéant telle que l’assuma Jacques Chirac entre 1997 et 2002. Mais en face, la droite modérée, majoritaire à l’Assemblée et en mesure d’imposer un premier ministre, se retrouverait elle aussi dans une situation inconfortable, dans la mesure où elle resterait par ailleurs minoritaire au Sénat.
Dans ces conditions, elle ne pourrait pas réviser la constitution, et, par exemple, imposer la fameuse « règle d’or » : pour cela, il lui faudrait en effet l’appui du président et de la majorité du Sénat. Elle ne pourrait plus légiférer à sa guise par voie d’ordonnances comme elle en a pris l’habitude ces dernières années, les ordonnances exigeant la signature du chef de l’État. Elle se verrait, enfin, considérablement bridée en matière de politique étrangère et européenne, laquelle, même en période de cohabitation, relève en partie du domaine réservé du président. En somme, même à ne considérer que le court terme, une cohabitation ferait entrer la France dans un état de coma politique – jusqu’à ce que le Président se décide enfin à dissoudre l’Assemblée nationale. A tout cela, de bons esprits pourront évidemment rétorquer qu’une majorité de droite à l’Assemblée aurait au moins l’intérêt d’empêcher la gauche de réaliser son programme : certes, mais vu ce qui sépare objectivement le programme de la droite modérée post-sarkozyste de celui de la social-démocratie à la Hollande, on est en droit de se demander ce que cela change.
Plus fondamentalement, alors que les avantages immédiats s’avèrent bien maigres, les inconvénients à long terme paraissent considérables – du moins, aux yeux de personnalités que l’on peut supposer attachées à l’héritage du général De Gaulle.
Au regard du principe démocratique, d’abord, il paraîtrait assez choquant que le président, que la majorité du peuple vient d’élire afin qu’il puisse agir et gouverner, se trouve aussitôt dans l’incapacité d’assurer le mandat qui lui a été confié du fait d’élections législatives dont le résultat dépend largement des modalités du découpage électoral, des déséquilibres démographiques, de questions de lieux et de personnes, bref, des innombrables considérations locales ou conjoncturelles qui président à la désignation des 577 membres de l’Assemblée. Qu’on le regrette ou non, la valeur démocratique de l’élection présidentielle est sans commune mesure avec celle des législatives : c’est pourquoi il serait en définitive attentatoire au principe démocratique que celles-ci puissent invalider celle-là.
Mais le pire est ailleurs : dans l’altération profonde de la fonction présidentielle et de la stature du chef de l’État qui résulterait inévitablement d’une cohabitation longue. C’est ce qu’ont pu constater les Français en 2002, lorsque Jacques Chirac fut réélu après cinq ans de cohabitation avec Lionel Jospin : à la place du président de plein exercice qu’ils avaient connu en 1995, ils se sont retrouvés avec un homme habitué à jouer les potiches et à inaugurer les chrysanthèmes, bref, avec un président paresseux qui laissera la bride sur le cou à Raffarin, à Villepin et à Nicolas Sarkozy. La cohabitation longue, c’est, à terme, le risque de voir renaître ce que l’on appelait dans les années 1950 « les délices et les poisons » du parlementarisme absolu et du régime des partis. C’est la possibilité de voir disparaître cette « monarchie populaire », selon le mot du général De Gaulle, qui constitue l’essence et fait tout l’intérêt de la Ve république.
Au total, plutôt qu’une cohabitation forcément désastreuse, sans doute serait-il plus raisonnable de laisser à la gauche le risque de gouverner, à la droite, la possibilité de se recomposer, et à la Ve république, une chance de survivre.

Hollande ne mérite pas l’investiture

Le bilan déjà catastrophique du président élu

On les avait pourtant prévenus, ces veaux d’électeurs. Pour commencer, François Hollande a été élu avec une majorité ridicule, à peine un gros million de voix d’avance. Il faudra d’ailleurs songer à se débarrasser un de ces jours de l’Outre-Mer. Ces îles où personne ne fout rien, où tout le monde vit avec un RSA, où des milliers de fonctionnaires nationaux, territoriaux, municipaux nous coûtent les yeux de la tête et nous ne rapportent rien et se permettent en plus de voter massivement à gauche.
Cette courte victoire, si le président Hollande avait été un peu sport, il l’aurait concédée à son adversaire, Nicolas Sarkozy dont la fausse défaite est en fait un vrai triomphe. Tout le monde sait que le sortant a réussi une formidable remontée et que ce n’était qu’une question de calendrier (encore une ou deux petites semaines de campagne) pour qu’il double sur le fil l’usurpateur François Hollande.
C’est donc la conception sectaire du socialiste qui l’a empêché dans son premier discours du Tulle, le soir du 6 mai, d’accomplir ce qui aurait été un vrai geste d’homme d’Etat, qui l’aurait fait entrer dans l’histoire en annonçant son retrait de la vie politique puisque son coup de chance privait le peuple invisible de son candidat naturel, Nicolas Sarkozy.
Ensuite, les bourdes indignes se sont enchainées. Plutôt que de rentrer à Paris dans un convoi de Scénic, ou pourquoi pas à pied, ce qui aurait été un symbole fort de sa « normalité » pour arriver à Paris vers cinq heures ou six heures du matin, il s’est cyniquement dirigé vers l’aéroport de Brive-Dordogne où l’attendait une véritable armada de Falcon (au moins trois d’après Jean-François Copé qui est un garçon sérieux et de bonne foi, c’est bien connu.)
Evidemment, ce n’est pas tout. A peine arrivé à Paris, il s’est rendu place de la Bastille et n’a pas hésité à remercier le peuple de France, ce qui ne manque pas d’air, puisque la place était remplie d’allogènes à drapeaux, comme autant de prodromes de la guerre ethnique qu’il se fera un plaisir d’entretenir pour mener sa politique, digne héritière de l’Anti-France. Ce n’est pas difficile, on n’avait pas vu ça depuis l’élection de Chirac en 2002 où, au moins, face à la marée de drapeaux tunisiens, algériens, palestiniens, la première dame de France, Bernadette Chirac, avait eu sa tête des mauvais jours alors que son mari, comme d’habitude, faisait semblant de ne rien voir. Mais Chirac n’a-t-il pas appelé à voter Hollande ? Tout se tient, on vous dit…
Comme il a du être soulagé, en revanche, François Hollande, devant cette foule de la Bastille après celle de Tulle qui ne brandissait, elle, que des drapeaux tricolores et devant une cathédrale. C’est qu’on aurait pu le prendre pour le président d’une France repliée, rurale, presque gaulliste et si peu ouvert au vent du grand large européen. Et il faut tout de même parler du statut conjugal de François Hollande. Une concubine à l’Elysée. Sarkozy n’était que divorcé. Il fera comment Hollande, quand il sera invité par le Pape et qu’il sera toujours à la colle avec une journaliste de la presse people ? Il ira seul comme Sarkozy, en se faisant accompagner de personnalités incontestables comme Bigard ? Mais trouvera-t-il l’esprit et la finesse d’un Bigard dans son propre camp empli de faux humoristes pavloviens tout à coup privé de leur os sarkoziste ?
Mais le cauchemar ne s’arrête pas là : l’arrivée de François Hollande semble par ricochet, sérieusement ébranler la politique de rigueur et d’austérité germano-bruxelloise qui commençait tout juste à montrer ses résultats heureux sur le continent. Dans ce domaine, le bilan de François Hollande est proprement terrifiant : il a réussi, alors qu’il n’est même pas officiellement en fonction, à faire revenir les Indignés sur la Puerta del Sol et dans toute l’Espagne, il vient de rendre la Grèce définitivement ingouvernable en mettant en tête de la gauche Syriza, un genre de Front de Gauche hellène et last but not the least il a provoqué une lourde défaite du parti d’Angela Merkel dans le land de Rhénanie-Nord-Westphalie qui perd onze points et connaît son score le plus bas depuis la guerre.
Point de détail, sans doute, mais qui ne manquera pas d’alerter les partisans du bon goût en matière d’art qui firent florès sous le précédent quinquennat, la première exposition que visita François Hollande fut une exposition Buren. Si, si celui qui par ses odieuses colonnes a défiguré le Palais Royal. Avec raison, Guy Debord voyait en Buren, la plus sure expression « d’un néo dadaïsme d’Etat. »
Et on sait de Dada à Ubu, il n’y a qu’un pas. Et dire que son investiture n’a même pas eu lieu…

La «drachmatisation» de la situation grecque

Ce qui se passe en Grèce ressemble à ce qui était arrivé en Argentine il y a dix ans. En pire.
Comparaison n'est pas raison. Mais il est frappant de voir combien l'enchaînement des événements qui se déroulent à Athènes ressemble à ce qui s'est passé il y a dix ans en Argentine. Une sorte d'inéluctable toboggan conduit la Grèce vers la sortie de l'euro comme l'Argentine a été poussée vers l'abandon de la parité fixée entre son peso et le dollar.
De même que Buenos Aires a été forcée à la «pesofication» (retour au peso avec dévaluation et défaut sur la dette), de même Athènes est menacé d'en venir à une «drachmatisation», jeu de mots compris. Les deux pays ont beaucoup de ressemblances: peu fiables, ils ont fait défaut maintes fois dans l'histoire, leur Etat est faible, leur classe politique aussi. Quelles leçons tirer de Buenos Aires?
L'Argentine vit dans les années 1990, comme la Grèce dans les années 2000, au-dessus de ses moyens. Elle a l'illusion d'une prospérité ensoleillée et éternelle. Les gouvernements embauchent des fonctionnaires, les coûts salariaux grimpent, comme les prix. Les comptes internes (déficit public) et externes (balance extérieure) se dégradent. Le choc de la crise des «subprimes» va heurter la Grèce de plein fouet.
L'Argentine est, elle, prise en tenaille par la hausse du dollar, la dévaluation du real brésilien (de 66%!) et la baisse des prix des matières premières. Sa dette ne représente que 50% du PIB (155% en Grèce), mais comme elle est beaucoup exprimée en dollars, les marchés commencent à douter de sa soutenabilité. Dès novembre 2000, les taux d'intérêt augmentent et on assiste à des premiers retraits dans les banques.
En décembre, le gouvernement présente un plan dit «bouclier», qui installe l'austérité et demande aux créditeurs des aménagements de remboursement. La stratégie est de maintenir le PEG (le lien peso-dollar), mais de procéder à une «dévaluation interne» par baisse des salaires et des coûts pour regagner en compétitivité et en exportation; c'est la stratégie actuellement adoptée (imposée) par les pays du Sud européen.
En juillet, le gouvernement resserre la ceinture, baisse les retraites et les rémunérations des fonctionnaires de 13%. Les syndicats de la fonction publique mobilisent. Emeutes, valse des ministres... Des provinces se mettent à imprimer leur propre monnaie pour compenser la rigueur centrale. Les taux d'intérêt grimpent encore. Des élections provinciales sont un désastre pour le pouvoir. Le gouvernement arrache au FMI un chèque de 8 milliards de dollars et renégocie avec les créditeurs privés. Le ministre des Finances, Domingo Cavallo, réussit l'exploit de sécuriser la moitié de la dette. Mais peine perdue.
En décembre, devant la panique des épargnants, il doit bloquer les retraits des banques, l'économie s'assèche. Les manifestations contre l'austérité grossissent, on relèvera 31 morts. Une «rumeur» sur la réticence du FMI à poursuivre met le feu aux poudres. Le gouvernement saute, quatre présidents se succèdent en dix jours.
Le président de la République par intérim, Edouardo Duhalde, doit annoncer l'abandon du PEG. L'Argentine sort de la zone dollar et sa monnaie flotte. Le peso, qui valait 1 dollar, tombe à 25 cents. Le PIB chute encore (-5%), le chômage passe de 18 % à 24 %. L'inflation grimpe à 40% en 2002, les revenus réels des Argentins sont réduits... au tiers! La croissance va revenir dès 2003, mais «ce n'est pas dû à la dévaluation, selon Domingo Cavallo. La clef est la remontée des cours des matières premières».
Quelles leçons tirer? L'austérité ne fonctionne pas lorsqu'un pays est dans une récession. Elle a toutes les chances de l'aggraver. La Grèce ne peut pas s'en sortir sans retrouver de la croissance. Mais comment? Athènes est dans une situation bien pire que Buenos Aires. Sa dette est trois fois plus lourde en proportion du PIB. Une dévaluation ne peut fonctionner que si le pays dispose d'une capacité productive. Or, l'Argentine a une industrie, c'est un grand pays agricole, mais que peut produire la Grèce? Sur quelle économie peut-elle repartir?
D'où la double conclusion. Si les Grecs décident de quitter l'euro, leur chute de revenu sera très forte (de deux tiers pour les Argentins) et pour longtemps (à cause du manque de base productive). Ils devront effacer leur dette, aux frais de l'Europe. Mais, de l'autre côté, s'ils restent, l'Europe paiera aussi, elle devra maintenir le pays sous perfusion pour ranimer d'une façon ou d'une autre la croissance.

L'euro est en train de tuer le sud de l’Europe

L’Espagne, le Portugal, la Grèce et les leçons du modèle argentin.   L'Espagne est dans la crise jusqu’au cou. Son taux de chômage (24,4%) est plus élevé que celui des Etats-Unis au pire de la crise de 1929 et, cette fois-ci, aucun New Deal n’est prévu pour renverser le cours des choses. La longue malédiction du chômage de masse va dégrader les compétences des travailleurs et empêcher les jeunes d’acquérir de l’expérience. Les Espagnols les plus compétents et audacieux vont émigrer à l’étranger et les sociétés espagnoles vont (en toute logique) cesser d’investir dans l’amélioration de la productivité de leurs employés. Cette sombre perspective va décourager les investisseurs et le gouvernement espagnol, à court d’euros, va alors s’embarquer dans une nouvelle vague de hausses d’impôts et de réductions de budgets, ce qui va encore affaiblir un peu plus l’économie nationale. En plein essor il y a quelques années encore, l’Espagne semble aujourd’hui courir à sa perte.

La leçon argentine

Il existe peut-être toutefois une solution pour sortir de cette crise, comme nous le laisse penser l’expérience récente de l’Argentine, pays qui connaît le plein emploi à l’heure actuelle.
L’Espagne et l’Argentine font face à des problèmes similaires. Toutes deux anciennes dictatures, elles sont réputées pour leur climat agréable, leur cuisine savoureuse, leur population sympathique, leur mauvaise gestion macroéconomique et leur faible productivité. Et après s’être débattus quelque temps avec leurs problèmes, les deux pays ont trouvé une solution similaire: externaliser leur gestion macroéconomique.
La stratégie de l’Argentine a été celle du taux de change fixe: un engagement ferme, inscrit dans la loi, à toujours changer le peso argentin à un taux fixe avec le dollar américain. Celle de l’Espagne a été d’adopter l’euro: techniquement parlant, c’est un projet commun de tous les Etats membres, mais, de l’avis général, il s’agit plutôt d’un moyen pour les pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal de souscrire à une gestion macroéconomique à l’allemande.
Comme pour souligner ce point, la Banque centrale européenne a d’ailleurs été installée à Francfort, où se trouve déjà la Bundesbank, plutôt qu’à Bruxelles, la capitale européenne.
Dans les deux cas, cela a marché. Pourtant, ni le taux de change fixe en Argentine ni l’union monétaire en Espagne n’ont changé la structure de base de ces économies un peu faibles. Leurs bases industrielles sont restées de deuxième ordre et les services n’ont pas été plus efficaces.

Tout va bien, puis, en 2001...

Mais il faut croire qu’une stabilité monétaire basique, un climat propice et une culture européenne accessible peuvent faire beaucoup. Les unions monétaires ont entraîné un boom des investissements, faisant grimper l’emploi et les salaires à mesure que les capitaux étrangers affluaient.
Cependant, en 2001, le rouage de l’économie mondiale s’est grippé. Et l’Argentine a déchanté. Des risques cachés sans rapport sont apparus ailleurs dans le paysage de l’investissement mondial et tout le monde est devenu nerveux.
Les capitaux étrangers ont commencé à délaisser l’Argentine, réduisant l’investissement, l’emploi et les revenus. Cela a réduit à son tour les recettes fiscales du gouvernement argentin et encouragé une politique de stricte consolidation budgétaire. Mais les hausses d’impôts et les réductions de dépenses n’ont fait qu’affaiblir un peu plus la demande intérieure et exacerber la crise sociale.
En décembre 2001, la crise a atteint son paroxysme. Le FMI a refusé de transférer les fonds d’un prêt préalablement consenti au prétexte que l’Argentine ne respectait pas ses engagements en matière budgétaire. S’en est suivi une période de manifestations et d’émeutes. Le Président, Fernando de la Rua, a vu sa cote de popularité s’effondrer au point de démissionner. Puis l’Argentine a cessé de rembourser sa dette extérieure, mis fin au lien rigide existant entre peso et dollar et est revenue à une politique monétaire indépendante.

Le mirage de l'austérité

Reportez-vous maintenant 10 ans plus tard et vous verrez de nombreuses leçons à tirer de l’expérience argentine. Coupé des marchés financiers internationaux, le gouvernement n’a eu d’autre choix que de vivre sur ses propres moyens. Avec l’effondrement du cours de leur monnaie, les ménages argentins n’ont pu que délaisser les produits d’importation pour dépenser leur argent dans des biens ou services produits localement. D’un seul coup, l’Argentine est devenue très bon marché pour les étrangers, ce qui a entraîné la hausse des exportations et du tourisme. C’est ainsi que l’austérité est censée fonctionner: la société consomme moins, mais produit plus.
La cessation de paiement et la dévaluation n’ont pas été des solutions miracles. Elles ont détruit le système bancaire du pays et ont balayé les économies de nombreux Argentins. Mais cela a marché. L’Argentine a connu une croissance rapide dans les années qui ont suivi et son taux de chômage est redescendu petit à petit à 6,7%, taux que les Américains envient aujourd’hui.
Mais ce n’est vraiment pas la panacée. L’abandon du taux de change fixe par rapport au dollar n’a fait que renforcer la mauvaise réputation de l’Argentine auprès des investisseurs étrangers. Les gouvernements de Nestor et Cristina Kirchner se sont engagés dans une série de politiques énergétiques discutables et ont donné au pays un air de dynastie népotique. En dépit de tous nos problèmes, les Etats-Unis sont bien plus riches et profitent de meilleures institutions que l’Argentine. Et rien ne vaut de bonnes institutions.
Aussi, quelle leçon peut en tirer l’Espagne? S’aligner sur le dollar a fini par nuire à l’Argentine, tout simplement parce que cela n’a pas transformé l’Argentine en nouvel Etat des Etats-Unis.
De la même manière, l’alignement sur les politiques macroéconomiques faites à Francfort et Berlin n’a pas permis à l’Espagne de profiter des structures fondamentales allemandes. Cela n’a fait qu’encombrer l’Espagne avec des politiques destinées à l’Allemagne.

Et... quitter l'euro?

Une union monétaire n’est pas la même chose qu’un taux de change fixe et l’abandon de l’euro créerait à court terme encore plus de remous que la cessation de paiement de l’Argentine. Mais un pays économiquement souverain a au moins la chance de pouvoir essayer de remettre les choses en ordre, tandis qu’un pays dépendant des choix macroéconomiques d’une autre nation ne peut qu’espérer qu’on lui fasse l’aumône.
Si en Espagne, et ailleurs, les gouvernements n’ont pas encore songé à la possibilité de quitter la zone euro, ils devraient peut-être y réfléchir…
Matthew Yglesias

 

Argentine - Grèce, retour sur expérience

Les affrontements de ces dernières semaines en Grèce ressemblent aux manifestations de désespoir dans les rues de Buenos Aires fin 2001, quand l’Argentine, acculée au défaut, a explosé, abandonnée de tous. Dix ans après, le pays, qui se prépare à réélire le 23 octobre sa présidente Cristina Kirchner, s’est redressé, seul.

C’était il y a dix ans. En décembre 2001, le Fonds Monétaire International (FMI) refuse à l’Argentine un prêt d’1,26 milliard de dollars. Etranglé par ses dettes, ce pays industrialisé de 40 millions d’habitants, qui fut l’un des douze plus riches du monde dans les années 50, ne peut plus assumer ses obligations.
Pour tenter d’enrayer la fuite des capitaux, le gouvernement instaure le «corralito», autrement dit le gel des avoirs bancaires, officiellement pour 90 jours (il durera jusqu’en décembre 2002). Cette décision jette dans les rues de Buenos Aires des dizaines de milliers de personnes, petits épargnants et, plus globalement, toute une classe moyenne exaspérée et appauvrie par 4 années de récession et d’austérité. L’agitation culmine les 18 et 19 décembre avec la multiplication des barrages de «piqueteros» (des groupes de chômeurs bloquant les routes), des émeutes et une répression policière très dure qui fait plus de 20 morts.
Le 20 décembre, le président Fernando De La Rua démissionne, remplacé par Adolfo Rodriguez de Saa. Ce dernier sidère le monde entier en annonçant un moratoire de l’Argentine sur ses 132 milliards de dollars de dette. Ce sera d’ailleurs sa seule décision de Président puisqu’il est débarqué à son tour 7 jours plus tard et remplacé par le sénateur péroniste Eduardo Duhalde. Le peso, qui était arrimé au dollar depuis 10 ans, est dévalué de 70%.
Durant les 6 premiers mois de 2002, le pays s’enfonce dans le chaos, au rythme des grèves, des manifestations, des saccages de commerces, mais aussi de l’essor des «assemblées de quartier». Les gens conspuent leur classe politique en criant le célèbre «Que se vayan todos!» (qu’ils s’en aillent tous), maudissent les banques, les Etats-Unis et, par-dessus tout le FMI, dont l’Argentine fut une élève si zélée. Les usines sont arrêtées ou tournent au ralenti, les rues de Buenos Aires se vident de leurs voitures…
Quand Nestor Kirchner, alors obscur gouverneur de la province Santa Cruz en Patagonie, est élu à la présidence en 2003, le pays est exsangue : la moitié des Argentins vit dans la pauvreté et le quart est au chômage.

La Grèce face au scénario argentin

La comparaison avec la Grèce d’aujourd’hui, dont «le sauvetage» est toujours en suspens au sein de l’Union européenne, est assez nette pour que plusieurs économistes se soient déjà livrés à l’exercice. Les deux pays ont un PIB comparable, même si le déficit budgétaire grec (10% du PIB en 2010) est bien plus lourd que celui de l’Argentine d’alors (autour de 3%). Les créanciers argentins n’ont récupéré qu’un tiers de leur mise et de même, le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker envisage désormais une décote de 60% de la dette grecque.
Surtout, souligne une étude de Natixis, les deux pays ont tous les deux été écrasés par un taux de change fixe. En Grèce, il s’agit de son entrée dans la zone euro en 2001 (sur la base de comptes maquillés) et en Argentine, de l’instauration en 1991 de la parité peso-dollar par son président Carlos Menem. Cette mesure va certes permettre de juguler l’hyperinflation qui minait le pays mais se révèle vite un piège lorsque le dollar se met à monter en 1998 et que le Brésil, son principal partenaire dévalue sa propre monnaie, le réal.
La compétitivité de l’industrie argentine est laminée, les exportations s’effondrent, les déficits s’emballent, l’accès aux capitaux internationaux se ferme et le FMI entre en scène. Sous son égide, Menem a déjà privatisé une bonne partie des services publics. L‘organisation internationale conditionne la poursuite de son aide à des mesures d’austérité toujours plus drastiques (dont une baisse sévère des salaires et des pensions des fonctionnaires) qui entrainent dès 1998 le pays dans une récession dont il ne sortira qu’en 2002. Une fuite en avant qui ressemble beaucoup au scénario grec.

Manifestation hostile au président de la Rua, en novembre 2001. REUTERS/Enrique Marcarian
Mais la comparaison a ses limites, ne serait-ce que parce que la Grèce peut encore compter sur la solidarité européenne et que la crise systémique qu’entrainerait sa chute la protège, non d’un défaut, mais au moins d’une débâcle à l’argentine. Au contraire, quand ils évoquent la fin 2001, les Argentins parlent d’un sentiment vertigineux d’abandon, et d’une fureur dirigée contre la planète entière.

L’aubaine des matières premières

Cette colère d’un pays lâché par le reste du monde explique en partie la façon délibérément hétérodoxe et souvent jugée intransigeante avec laquelle Nestor Kirchner a conduit son spectaculaire redressement du pays, avec l’aide cruciale de son ministre de l’Economie Roberto Lavagna (jusqu’en 2006). Dès 2002, la croissance a rebondi fortement pour atteindre 7,8% en 2003 (un ordre de grandeur qui se maintiendra — 2009 excepté — jusqu’à aujourd’hui).
Le pays a bénéficié évidemment à plein du coup de fouet que la dévaluation de 70% du peso donne à sa compétitivité, assez pour relancer l’appareil économique. Mais il profite surtout d’une nouvelle donne: la flambée des prix des matières premières. La puissante agroindustrie du pays (le «campo»), soja en tête, voit ses recettes d’exportation s’envoler et le tandem Kirchner-Lavagna invente alors l’impôt super efficace qui va remplir les caisses de l’Etat: les taxes à l’exportation.
Les exportateurs protestent contre ces «rétenciones» qui peuvent atteindre 20%, voire 40% mais Lavagna est inflexible: « la dévaluation du peso leur a offert des bénéfices extraordinaires; il est naturel que l’Etat en prélève une partie», expliquait-il aux Echos en 2005, non sans ajouter que ces taxes permettaient aussi de lutter contre l’inflation.
Aujourd’hui, les cours sont toujours hauts et le campo continue de s’enrichir avec ses excédents tout en payant la rage au ventre de fortes retenciones (1). Quant au peso, la banque centrale le surveille comme le lait sur le feu, soucieux de maintenir la parité autour d’1 dollar contre 4 pesos.
Fort de la reconstitution de ses réserves dès 2002, Buenos Aires a négocié sans états d’âme la restructuration de la dette, au tiers de sa valeur. En 2006, elle a ainsi remboursé crânement par anticipation sa dette de 10 milliards de dollars au FMI, pour se libérer d’une tutelle honnie et affirmer son indépendance.
Un an avant, les trois quarts des créanciers privés (très diversifiés) avait accepté le deal. L’Argentine a attendu juillet dernier pour proposer aux autres (20 milliards de dollars de créances) un nouvel accord un peu plus favorable — une moins-value de 50% — qu’ils ont été de nouveau 70% à accepter. Quant aux négociations sur la créance du Club de Paris (7,5 milliards de dollars) bloquées depuis plusieurs années en raison du refus de l’Argentine de laisser le FMI auditer ses comptes, elles devraient démarrer enfin, le Club de Paris ayant, semble-t-il, fini par accepter de se passer de l’avis du Fonds. Une bonne nouvelle pour l’Argentine, qui, ayant restructuré plus de 90% de sa dette, devrait bientôt pouvoir se financer de nouveau sur les marchés internationaux.
Avec les entreprises étrangères aussi, Nestor Kirchner s’est montré inflexible. De grandes entreprises françaises comme Suez, EDF ou France Telecom, qui s’étaient jetées sur les concessions de service public lors des privatisations de Carlos Menem, se sont retrouvées dans l’impasse après la dévaluation, leurs dettes restant libellées en dollars et leurs recettes en pesos, d’autant plus réduites que toute hausse de tarifs a été exclue d’emblée par Buenos Aires. Elles n’obtiendront rien et partiront plus ou moins piteusement.
Le bras de fer entre Suez, qui gérait la distribution d’eau de Buenos Aires, durera même jusqu’en 2005. Les plaintes déposées au Cirdi, l’instance d’arbitrage international de la Banque Mondiale, se multiplient, et le gouvernement Kirchner les ignore superbement. Cette brutalité n’a néanmoins pas longtemps refroidi les investisseurs, attirés par les taux de croissance du pays et la reconstitution du marché intérieur.

Le système «K»

Parallèlement, les «K» (Nestor et son épouse Cristina, qui lui a succédé en 2007) ont multiplié les initiatives de relance de la consommation, entre programmes sociaux et soutien de l’emploi, souvent à coups de décrets. Parmi les mesures sociales les plus populaires, la renationalisation des retraites, une allocation universelle pour enfant créée en 2009 qui a bénéficié à 4 millions d'enfants pauvres selon Buenos Aires — enrichie cette année d’une allocation pour les femmes enceintes en difficulté — ou la réforme de la loi sur les faillites.
Dernière mesure en date: l’obligation pour les entreprises implantées en Argentine d’équilibrer leurs importations avec des exportations ou, à défaut, des investissements dans le pays. Objectif: défendre, en ces temps troublés, l’industrie nationale et, surtout, l’excédent commercial, source vitale de devises pour le pays. «Les Kirchner incarnent l’essence même du péronisme, estime un bon connaisseur du pays : un mélange de nationalisme antiaméricain, de caudillisme, d’interventionnisme d’Etat et de populisme, fortement teinté de protectionnisme».
C’est tout ce que les économistes de banques ou de l’OCDE détestent, qui prédisent périodiquement la rechute de l’Argentine.
A tort jusqu’à présent. A quelques jours des élections générales du 23 octobre prochain, le système «K» parait plus fort que jamais. La présidente sortante Cristina Kirchner, 58 ans, est créditée par tous les sondages de plus de 50% des voix, score qui lui permettrait même de se passer de second tour. La plupart des analystes expliquent cette popularité, certes par la division de l’opposition et par son réel charisme (accru depuis la mort brutale de son mari il y a un an) mais avant tout par son bilan économique et social.
Le pays a, il est vrai, très vite récupéré après la crise mondiale de 2008, affichant dès l’an dernier une croissance de 9,1%, un taux de chômage maitrisé autour de 7%, un budget quasi équilibré, un taux d’endettement de l’ordre de 45% du PIB et des perspectives à l’international portées par des cours du soja toujours très hauts. La classe moyenne, particularité historique de l’Argentine dans la région, s’est «refaite» et consomme de nouveau à l’américaine.

Inflation, évasion fiscale

Et pourtant, l’économie est en surchauffe permanente depuis 2006. Les dépenses publiques augmentent bon mal an de 35% (plus que jamais en cette année électorale) et l’inflation atteint au moins 25%, selon tous les experts indépendants, 10% selon l’institut de statistiques argentin, l’Indec. La crédibilité internationale de l’Argentine est écornée mais « l’inflation réelle est quasi stabilisée et l’ensemble de l’économie, y compris informelle, s’est peu ou prou indexée sur elle, relativise, sous couvert d’anonymat, un analyste étranger qui juge que «l’Argentine peut vivre avec».
Autre gros point noir, la pauvreté, qui touche entre 4 millions (9,9% de la population) selon l’Institut national et de 10 millions de personnes (25,6 à 29,6%) selon l’UCA qui relativise tout de même la portée du miracle argentin.
On pourrait citer d’autres ombres au tableau, tel le niveau de corruption encore élevé au sein des partis politiques et, surtout, l’évasion fiscale, véritablement inscrite dans les gènes d’une Argentine toujours profondément inégalitaire. On retrouve là deux points de comparaison avec la Grèce. A chaque alerte ou avant chaque élection, les Argentins les plus aisés «se dollarisent». «On sort les drapeaux tout en plaçant son argent à Miami ou en Europe», ironise un observateur. Il y aurait aujourd’hui 200 milliards de dollars de capitaux à l’étranger. C’est toute l’ambivalence du patriotisme des Argentins dont, selon le sociologue Anibal Jozami, 25% possèderaient toujours un passeport étranger, en général de leur pays «d’origine»...
Anne Denis
(1) Le campo a cependant fait subir, en 2008, un interminable conflit à la présidente Cristina Kirchner, quand celle-ci a voulu rendre ces taxes mobiles, réforme à laquelle elle a dû finalement renoncer.

Ayrault peut être fier de sa Ministre : elle descend au Martinez à Cannes

Les bobos socialistes détenteurs de la morale et gardiens du bien vous expliquent les choses : « le Fouquet’s pour Sarkozy, c’est une injure faite aux classes modestes. Le Martinez pour la Ministre Yamina Benguigui, c’est bien »
Gauche normale, oui, le caviar surtout, pas de l'osciètre !!
La Ministre déléguée aux Français de l’étranger va passer deux nuits au Martinez, le Palace le plus symbolique de la richesse insolente et dégoulinante, pendant le Festival de Cannes, mais ce ne sera pas un dérapage : les journalistes, largement de gauche, n’ont rien vu et rien entendu, ils avaient piscine.
Jean-Marc Ayrault doit être fier de sa Ministre. Après tout, il a à charge de maintenir la réputation de la gauche caviar.
Il y a un mois, j’écrivais « si vous votez pour la gauche caviar, vous aurez la gauche, et eux le caviar ». Les gens ont bien ri. Là ils rient moins… « vous avez voté pour la gauche Palace, vous avez la gauche, et eux les palaces »
Reproduction autorisée, et même vivement encouragée, avec la mention suivante et impérativement le lien html ci dessous :

Les eurobonds existent déjà et ils ne sont pas la solution

C’est grâce aux taux bas en Europe, permis par le « parapluie » du sérieux germanique que des pays comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal ont pu mener des politiques d’endettement massif. L’euro comme monnaie a donc bien fonctionné comme des Eurobonds… avec le succès que l’on connait.
Alors que le débat politique est en train de virer au psychodrame franco-allemand, j’échangeais avec un ami sur le risque que faisait peser sur l’or la mise en place des eurobonds. Sa réponse a été un grand rire. Mais non, pas d’inquiétude, quelque part la monnaie unique c’est déjà des eurobonds et on ne peut pas dire que ça marche vraiment.
Effectivement, tout le monde l’a déjà oublié, mais souvenons-nous pourquoi la Grèce a pu emprunter au delà de toute raison. Il est vrai que la banque Goldman Sachs a apporté son aide à « l’optimisation des comptes publics » dirons-nous pudiquement afin de nous éviter d’employer le mot « triche ».

M'engueule pas, Angela, j'suis pas aussi vif que Sarko,moi !!!!
Mais il n’y a pas que le maquillage des comptes. Il y a eu une véritable convergence des taux d’emprunt des différents pays depuis la mise en place de l’euro. Le risque pays qui était différencié et pris en compte par les marchés lorsque les monnaies étaient nationales est une notion qui a été progressivement oubliée.
C’est donc essentiellement grâce au fait que les taux en Europe étaient partout bas, car profitant du « parapluie » du sérieux germanique que des pays comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal ont pu mener des politiques d’endettement massif sans que cela ne pose de problème.
L’euro comme monnaie a donc bien fonctionné comme des eurobonds… avec le succès que l’on connait.
Dans la même logique, le FESF qui est le Fonds Européen de Stabilité Financière, fonctionne également sur un principe intellectuel similaire à la démarche des eurobonds. Il s’agit là encore d’une mutualisation du risque, et les « meilleurs » emprunteurs se portent caution pour l’ensemble de la structure pour faire bénéficier cette dernière de leur taux bas.
Or là encore cela ne fonctionne pas vraiment bien.
Le FESF, qui devait emprunter sur les marchés avec la caution des États actionnaires, a le plus grand mal pour lever des fonds.
Cela est compréhensible pour une raison de bon sens. Si tout le monde a bien saisi que le préteur est garanti par les États. Mais quels sont les revenus du FESF ?
Faisons une petite analogie. Lorsqu’un ménage va voir son banquier pour acheter une maison, on va lui demander quels sont ses revenus, car c’est à partir des revenus que le remboursement du crédit sera possible. Or le FESF n’a pas de revenus.
Pour les États, les revenus ce sont au sens large les impôts. Toute idée ou notion d’eurobonds butera sur la mise en place d’une véritable fiscalité européenne. Des emprunts obligataires européens ne seront possible que si cela s’accompagne de la mise en œuvre d’une politique fédérale, avec un abandon de souveraineté budgétaire, mais aussi de la création d’impôts européens.
Non seulement cette étape sera techniquement, juridiquement et constitutionnellement très complexe à franchir mais de surcroit rien ne dit que les États ou les peuples soient prêt à le faire.

La rigueur, c'est maintenant


Quel que soit l'élu, le prochain quinquennat sera celui de la rupture avec l'ère de la croissance à crédit. En couverture
Le déclin de la France n'a jamais été aussi marqué depuis les années 1930. 
La croissance potentielle se situe désormais au-dessous de 1 % compte tenu de l'euthanasie de la production privée, du retard de l'investissement et de l'innovation provoqué par la chute des profits, de l'effondrement de la compétitivité dont témoignent la diminution des parts de marché mondial de 4,7 à 3,4 % depuis 2000 et un déficit commercial record de 70 milliards d'euros en 2011. La dette atteindra 90 % du PIB en 2012, seuil à partir duquel elle détruit l'activité et l'emploi. Le chômage touche 10 % de la population active depuis trois décennies. Le blocage de la croissance et le chômage permanent entraînent la paupérisation des Français, dont le revenu par tête est désormais inférieur à celui de l'Union européenne. La nation se désintègre et ne parvient plus à intégrer ni les jeunes - 20 % d'une classe d'âge étant rejetée chaque année du système éducatif sans formation aucune - ni les immigrés et leurs descendants. La dégradation financière de la France, loin d'être anecdotique, acte la perte de la maîtrise de son destin par un pays qui se trouve désormais placé sous la tutelle des marchés financiers et de l'Allemagne.
La préférence pour la dépense publique est au fondement du modèle de croissance à crédit qui a ruiné la France et en fait l'homme malade de l'Europe. Cinq ans après le choc de 2007, notre pays n'a pas retrouvé son niveau de production d'alors. Contrairement aux autres pays développés, son décrochage a été accéléré, mais non provoqué, par la crise. Il résulte d'un modèle de croissance par la dette publique où le seul moteur de l'activité réside dans la consommation, tirée par des transferts sociaux qui atteignent 33 % du PIB. L'Etat providence a phagocyté l'Etat régalien et la redistribution évincé la production. La montée parallèle des dépenses et des recettes publiques, qui culminent à 56,6 % et 49 % du PIB, minent la production et l'emploi marchands.
La France sera l'épicentre du prochain choc sur la zone euro. En dépit du faux calme qui a prévalu depuis la dégradation de sa notation financière, le télescopage du mur de la dette se rapproche. La France doit lever 180 milliards d'euros en 2012 et 240 milliards en 2013 sur les marchés, dont 70 % auprès des investisseurs internationaux. Le ciseau entre l'ascension de la dette publique et la chute de la croissance se poursuit, tandis que le chômage frappe plus de 10 % des actifs. Notre pays est par ailleurs pris en étau entre l'Allemagne d'Angela Merkel, leader de l'Europe du Nord compétitive, et l'Italie de Mario Monti, symbole de l'Europe du Sud qui se réforme. Les investisseurs, y compris les banques françaises, ont déjà commencé à vendre massivement les titres de la dette française, avec pour conséquence une tension sur les taux d'intérêt et un écart de 125 points de base avec le Bund allemand. L'Espagne de Mariano Rajoy préfigure la situation de la France au lendemain de l'élection présidentielle. En dépit d'un effort d'économies de 27 milliards d'euros et de 12 milliards de hausses d'impôts, en dépit de la libéralisation du marché du travail au prix d'une grève générale, le dérapage du déficit budgétaire de 4,4 à 5,3 % du PIB a été violemment sanctionné par les marchés. Les taux d'intérêt sont remontés à 5,7 %, soit un niveau insoutenable pour une économie en récession où le taux de chômage atteint 23 %. La dette publique française constitue la prochaine cible. Avec à la clé un nouveau choc sur le système bancaire, dont les bilans sont intimement liés aux risques souverains, et la relance de la crise de l'euro, dont les mécanismes de secours, limités à 800 milliards, sont insuffisants pour garantir la dette française (1 700 milliards d'euros).
Volontaire ou subie, la rigueur s'imposera au prochain président de la République. La rigueur passe par la baisse des dépenses publiques et non par la hausse des impôts, qui n'est jamais que la préférence pour la dépense poursuivie par d'autres moyens. Elle s'impose autant pour sauver l'euro que pour rétablir la souveraineté de la France, casser le cycle de son déclin, refonder la nation autour de perspectives d'avenir crédibles. Elle constitue la face cachée de la campagne électorale. Les programmes de retour à l'équilibre pour 2016 ou 2017 sont biaisés par des hypothèses de croissance exagérément optimistes (2 à 2,5 %, contre 1,2 % en moyenne depuis 2000), des hausses d'impôts massives (de 14 à 50 milliards d'euros) qui porteront les recettes publiques au-delà de 50 % du PIB, des promesses de dépenses nouvelles et un flou persistant sur d'éventuelles coupes budgétaires. Quel que soit l'élu, le prochain quinquennat sera celui de la rupture avec l'ère de la croissance à crédit. Le temps des déficits et de l'argent public abondant et bon marché est révolu. Voilà pourquoi le prochain président, de gré ou de force, devra s'inspirer de Gerhard Schröder et de Mario Monti. Voilà pourquoi il ne suffit pas de dire que l'on va baisser les dépenses, mais lesquelles et comment. Voilà pourquoi il faut assumer politiquement la rigueur.
Dès maintenant.
post déjà ancien, mais il est salutaire de le relire

Debré: "J'ai demandé à Fillon de fermer sa gueule"