TOUT EST DIT

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samedi 27 août 2011

Détruire pour le plaisir


Après Hambourg, Berlin est victime à son tour d’un phénomène de plus en plus fréquent : toutes les nuits, depuis quelques semaines, des voitures sont brûlées dans la capitale allemande. Plus la gauche radicale marque ses distances à l’égard de ces incendies en série, plus l’affaire occupe de place dans l’agenda politique. 

Christine O. et Kai K. sont deux agents de police en mission spéciale. Ils appartiennent à la brigade de protection des mineurs et ne se considèrent pas uniquement comme des enquêteurs, mais aussi comme des travailleurs sociaux. Par le dialogue et par un contact régulier, ils sont censés dissuader les jeunes de commettre des infractions graves. Avec eux, la police de Hambourg joue l’une de ses dernières cartes pour venir à bout d’un phénomène inquiétant : les incendies criminels en série de voitures en stationnement.
Depuis 2004, plus de 1 400 véhicules sont partis en fumée sur le territoire de la commune. Rien que sur l’année en cours, les enquêteurs dénombraient plus de 330 incendies de voitures à la mi-août. Et depuis quelques jours, on découvre à Berlin aussi que cette "terreur par le feu" peut angoisser une ville entière. Plus de soixante voitures y ont été embrasées, et les quartiers chics, comme ceux de Charlottenburg et de Zehlendorf, n’ont pas été épargnés. Très vite, ces sournois forfaits ont évolué en affaire politique, et même Angela Merkel est intervenue dans le débat, se déclarant inquiète que des vies humaines soient ainsi "froidement mises en danger".
Pendant longtemps, les attaques perpétrées dans la capitale allemande se sont concentrées sur les véhicules haut de gamme ; elles entraient dans le cadre d’une lutte idéologique visant à récupérer des quartiers résidentiels prisés et ont été pour la plupart imputées à la gauche radicale. Mais, depuis peu, les forfaits observés à Berlin ressemblent de plus en plus à ceux de Hambourg, dont n’importe qui peut être la victime : les propriétaires de luxueux coupés sportifs vivant en centre-ville comme les possesseurs de citadines ou de familiales vivant dans les lotissements de maisons mitoyennes en banlieue. Même les motos et les Vespa ne sont plus à l’abri du vandalisme.

L'opération coûte cher, mais les résultats se font attendre

"Un jour ou l’autre, on aura des morts", s’inquiète Andreas Lohmeyer, 49 ans, chef du bureau de lutte contre la criminalité de Hambourg. Le commissaire divisionnaire est soumis à des pressions considérables. La mission insoluble dont il est investi – protéger contre le vandalisme la voirie de Hambourg, soit 4 000 km de voies pour près de 720 000 véhicules immatriculés – le met chaque jour à rude épreuve.
Andreas Lohmeyer est coresponsable de l’une des plus grandes opérations de police de l’histoire de la ville. La lutte contre les incendiaires mobilise d’ores et déjà plus d’agents que jadis les enquêtes sur les terroristes de la Fraction Armée Rouge ou les émeutes du squat de la Hafenstraße [théâtre de mouvements sociaux dans les années 1980]. Si le coût de l’opération est à la mesure de son envergure, les résultats, eux, se font attendre.
Les espoirs sont désormais fondés sur une nouvelle stratégie qui consiste à dissuader les fauteurs de troubles de passer à l’acte. Puisque nous ne parvenons pas à prendre les incendiaires en flagrant délit, raisonne la police, essayons au moins de ne pas quitter des yeux ceux que nous jugeons suspects. "Nous voulons leur envoyer un signal", résume Reinhard Chedor, chef de la police judiciaire du Land de Hambourg. "Le message que nous voulons faire passer tient en ces mots : nous ne vous oublions pas, les amis, alors tenez-vous à carreau. Nous vous avons à l’œil".

6 000 personnes dans le collimateur de la police

Par équipes de deux, les agents du groupe "Incendies" – soit 20 policiers, en plus de Christine O. et Kai K. – visitent ainsi des centaines d’adresses de la mégapole hambourgeoise. Ils rappellent à l’ordre, mettent en garde, rédigent des rapports. Dans leur collimateur, on retrouve les quelque 6 000 personnes dont l’identité avait été relevée lors des descentes de police nocturnes de l’année dernière, mais aussi des suspects qui se sont déjà fait remarquer par leurs incartades : tagueurs, consommateurs de haschich, casseurs, membres de bandes violentes.
Les jeunes filles y sont rares. Une dizaine de gangs de rappeurs, nommés RGK (Reisegruppe Kiez), NSK (North Street Klan) ou encore 187 (le numéro de l’article de loi qui définit le meurtre dans le code pénal californien), dont la présence ne passe pas inaperçue dans certains quartiers de la ville, exercent une attraction particulièrement forte sur ces jeunes.
On est frappé de constater que, contrairement à Berlin, les groupes d’extrême-gauche sont peu représentés. Dans le milieu autonome, d’où étaient autrefois issus les incendiaires, et pour lequel la destruction de voitures de luxe entrait dans le cadre de la lutte des classes, ce mode d’action est devenu controversé. Seuls 31 des 297 incendies de voitures commis l’année dernière ont été attribués aux radicaux de gauche par la police. Les motivations des incendiaires sont floues. S’agit-il de simple vandalisme ? De jalousie à l’égard des classes supérieures ? De coups d’audace pour se faire bien voir d’un gang ? De démonstrations de pouvoir de la part d’individus qui n’en ont pas dans la vraie vie ?

"Qu'est-ce que vous diriez de faire cramer quelques voitures?"

Martin W. est l’un des rares incendiaires à avoir atterri au tribunal à Hambourg. En raison d’une addiction aux drogues, il est en arrêt-maladie depuis des mois. En l’absence de son père et de sa mère, le visage encore marqué par une bagarre à laquelle il a participé la veille, il raconte sans détours son histoire ; comment lui et ses "potes" Christopher et André, un samedi de septembre 2010, après avoir bu six ou sept bières, de la vodka, et fumé quelques joints, ils se sont rendus à la fête du quartier de Schanze, où ils s’attendaient, comme chaque année, à trouver du grabuge avec la police.
Lorsque les premières pierres et les premières bouteilles se sont mises à voler sur les forces de l’ordre, les trois compères se sont spontanément joints au mouvement, en tête desquels Martin W., qui est certes totalement apolitique, mais qui ne peut pas sentir les "poulets". Son comparse Christopher a été interpellé, et les autres ont continué leur chemin.
Lors de l’édification des barricades contre les canons à eau, Martin W. et André ont sympathisé avec Tom et Kai, deux frères qui ne sont jamais à court d’idées. Qu’est-ce que vous diriez de faire cramer quelques voitures ? Cool. Une Mercedes est bientôt la proie des flammes dans une rue adjacente. Valeur à l’état neuf : 50 000 €. Une BMW est sauvée de justesse. "Mais pourquoi vous faites ça ?", leur crie un riverain depuis son balcon. "Parce que ça nous amuse !", lui rétorque Tom.

Les poignards sous les toges

La grande université d’été des socialistes à La Rochelle devrait être un épisode important des primaires, pourtant il risque de ne pas s’y passer de choses décisives, du moins en public.
Par essence, les primaires poussent au crime, puisqu’il s’agit pour chacun des trois principaux candidats de s’affirmer comme le meilleur au détriment de ses deux rivaux selon le mode de la publicité comparative. Mais, en même temps, chacun des protagonistes sait que le peuple de gauche qui se prononcera au mois d’octobre a une profonde envie d’unité et de rassemblement pour tenter de gagner l’élection présidentielle dans les meilleures conditions. Dès lors, même si La Rochelle ne doit pas être le festival « des chochottes » pour M. Cambadélis et « qu’il ne s’agit pas d’être sympa », comme le dit l’ancienne ministre de Mitterrand Yvette Roudy, les poignards des candidats auront tendance à rester sous les toges pour éviter de tomber dans le vieux principe selon lequel le premier qui dégaine est mort ; ce qui n’empêchera pas les porte-flingues des uns et des autres de distiller en coulisse quelques méchancetés bien senties. Il est certain en effet que l’avance importante de François Hollande exaspère les autres, que le camp Aubry a tendance à se durcir et à faire feu de tout bois, quitte à utiliser prématurément la cartouche en or du soutien de Jacques Delors.


Il est non moins certain que Mme Royal ne s’avoue pas vaincue et ne renonce à rien, que la crise économique oblige tous les candidats à des ajustements, voire à des révisions importantes par exemple sur le retour à la retraite à 60 ans et, qu’enfin, l’ombre de DSK qui planera sur La Rochelle peut porter tort aux tenants du grand pardon si l’on en juge par les réactions de l’opinion.

Fillon s’en prend au PS

A l’heure du chômage, le Premier ministre a consacré vendredi son premier déplacement de rentrée au thème de l’emploi. Et « taclé » les socialistes.
Après l’annonce jeudi des très mauvais chiffres du chômage pour le troisième mois consécutif et la présentation la veille du plan de rigueur –dont certains craignent qu’il ne casse une croissance déjà faible, François Fillon a sciemment choisi de faire de l’emploi « le » thème de sa rentrée. Cinq ministres l’accompagnaient à Beauvais (Oise) : Xavier Bertrand (Travail), Luc Chatel (Education), Nadine Morano (Apprentissage), Laurent Wauquiez (Enseignement supérieur) et Jeannette Bougrab (Jeunesse). Façon de montrer que le gouvernement tout entier est mobilisé, et que la bataille contre le chômage est plus que jamais l’une de ses priorités. Au même titre que la lutte contre les déficits.
Sous un temps automnal, le Premier ministre s’est arrêté dans les travées de l’entreprise d’électricité Telecoise, qui mise avec succès sur l’apprentissage. C’est l’un des leviers d’action sur lesquels l’exécutif entend mettre l’accent pour développer l’emploi. « Nous avons l’objectif d’avoir 800.000 jeunes en alternance en 2015 », a affirmé Fillon.
Devant un parterre d’élus UMP rassemblés à la mairie de Beauvais, François Fillon est longuement revenu sur la situation « difficile », et il a attribué les difficultés d’emploi à une « population active de plus en plus nombreuse, et à une forte démographie ». Il s’est ensuite montré préoccupé par les jeunes. « En cette période, notre jeunesse est en droit de s’interroger sur son avenir », a-t-il lancé. Et de dérouler quelques mesures spécifiques, malgré une marge de manœuvre financière étroite.
Des fleurs pour Woerth

Pour ne pas être accusé de grever encore un peu plus le budget de l’Etat, il est revenu sur la philosophie de ces dispositifs : « Ce ne sont pas des allocations financées sur l’endettement ni des idées démagogiques, mais des mesures concrètes », a-t-il déclaré. Puis il a insisté : « On n’a pas le droit de mentir à la jeunesse et de lui promettre tout et n’importe quoi. »

Alors que les ténors du PS sont réunis à La Rochelle, le Premier ministre leur a lancé quelques messages, endossant pour l’occasion son costume préféré de politique responsable et crédible : « Présenter les mesures, ce n’est pas le rôle le plus agréable, mais je le préfère à celui qui consiste à combattre la réforme des retraites. » Après avoir salué l’ex-ministre et désormais député UMP Eric Woerth – présent dans la salle – comme « l’artisan de la réforme des retraites si importante », il a enfoncé le clou : « Tant que l’opposition n’aura pas reconnu la nécessité d’une telle réforme, son discours sur la réduction des déficits n’aura aucune crédibilité. »

Apothéose

Dans France-Soir, hier, notre envoyée spéciale à New York, Sandrine Briclot, expliquait que Nafissatou Diallo, la femme de chambre du Sofitel, risquait maintenant son emploi, des poursuites judiciaires pour avoir menti, voire l’expulsion des Etats-Unis. Telle serait l’apothéose de l’affaire Strauss-Kahn dont La Fontaine reste le meilleur chroniqueur : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Puisque M. Strauss-Kahn est désormais libre et que l’on ne risque plus de tirer sur une ambulance, on peut librement se prononcer, voire s’indigner, quand on entend Martine Aubry déclarer que « la preuve est faite que cet acte de viol n’a pas eu lieu ». Je me bornerai à citer quelques déclarations de journalistes entendues sur les radios ou télés depuis 48 heures.

Serge July, ex-directeur de Libération : « Contrairement à ce que disent certains socialistes, DSK n’est pas blanchi, la justice américaine n’a pas dit qu’il est innocent. »

Nicole Bacharan, spécialiste des Etats-Unis : « On ne peut pas dire que DSK a été blanchi, il n’aurait pu l’être que par un jury, moi je ne sais toujours pas si cette femme a été violée. »

Hervé Chabalier, fondateur de l’agence Capa : « C’est une justice qui ne résout pas l’affaire, la suspicion restera pour nombre de gens. »

Patrick Poivre d’Arvor : « La tache existe et restera toujours. »

Christophe Hondelatte, de Faites entrer l’accusé : « Moi, je ne sais pas s’il est innocent. »

Yves Tréard, du Figaro : « Il n’est ni blanchi ni réhabilité. »

Ghislaine Ottenheimer, de Challenge : « Il y a un doute. »

On pourrait multiplier les commentaires de ces journalistes de haut niveau. Mme Aubry a de la chance d’avoir la foi du charbonnier, mais elle est bien seule.

Primaires pliées au PS ?

François Hollande est-il en passe de gagner les primaires socialistes du mois d’octobre ? C’est l’opinion qui prévaut chez de nombreux responsables socialistes avant l’université d’été de La Rochelle.

D’abord, il y a les chiffres des sondages : non seulement M. Hollande fait la course en tête depuis l’autodestruction de DSK, mais son avance s’accroît sur ses rivaux, au point de devenir irréversible. Selon la dernière enquête Harris Interactive, François Hollande augmente le différentiel avec Martine Aubry chez les sympathisants de gauche, 42 % pour lui, 28 % pour elle, mais il décolle aussi chez les sympathisants socialistes où il obtient 49 % contre 30 % à l’ancienne première secrétaire. C’est un véritable décrochage pour Martine Aubry qui espérait combler son retard pendant l’été et qui a multiplié les initiatives, avec interview au 20 heures de TF1 et lettre aux électeurs. Certains fabiusiens proches de Mme Aubry déplorent en privé son décrochage et l’absence de dynamique politique en sa faveur.

Est-ce pour autant plié en faveur de François Hollande ? Pas tout à fait, il reste 50 jours de campagne pour les primaires, mais déjà l’exercice de comparaison entre les candidats pour être le meilleur adversaire face à Nicolas Sarkozy joue en faveur de François Hollande. Le choix des électeurs qui voteront aux primaires se fera davantage, semble-t-il, sur la personnalité du futur champion de la gauche que sur les mesures contenues dans les programmes. Pour Martine Aubry, le fait d’avoir remplacé au pied levé Dominique Strauss-Kahn, qu’elle s’apprêtait à soutenir, n’est pas du tout un avantage et l’appui éventuel de DSK ne pourrait que lui être fatal.

Le jeu des cinq familles socialistes

Dans la vie du PS, l'Université d'été de La Rochelle est à la fois un petit théâtre où s'exercent les rivalités, et une grand-messe où l'on scande les vertus de l'unité et les espoirs de conquête. Rarement elle aura été aussi semée d'embûches et eu autant valeur de test de crédibilité. La première raison - déjà, les crispations sont palpables - est qu'elle marque l'entrée en scène des cinq candidats à l'investiture. Ils sont engagés dans une primaire qui pousse plus à la division qu'au rassemblement. Une compétition qui les oblige à afficher leurs différences sans trahir le projet du parti, avec le risque que les chicayas l'emportent sur le débat d'idées. C'est source de confusion, quand bien même l'ouverture s'est déroulée dans une ambiance somme toute feutrée. La deuxième raison tient au mano a mano entre une patronne du PS reléguée au rang de challenger, et François Hollande, l'outsider promu favori. Martine Aubry n'a plus le choix, elle doit faire décoller une campagne largement parasitée. Enfin, la crise financière condamne le PS à adapter, sinon à revoir, son projet, et donc à sortir du brouillard programmatique. Les sondages le disent à l'envi : les Français souhaitent une victoire de la gauche mais ils ne font pas plus confiance aux socialistes qu'à Sarkozy pour les sauver de la crise. C'est une épreuve de responsabilité qui attend le PS ce week-end, sa « présidentiabilité » qui se joue. Il ne faudra pas désespérer le peuple de gauche, ni se tromper d'adversaire. Si l'esprit d'unité ne devait être qu'un slogan lénifiant et ce rendez-vous un hymne à la fraternité, comme dirait Royal, qui sonne faux, alors les Français sauraient s'en souvenir.

Un parfum de crise

Et si l’Allemagne à son tour faisait défaut en pleine tourmente financière, en réduisant à néant les plans de sauvetage laborieusement établis pour la Grèce et les autres pays en difficulté, jusqu’à refuser le Fonds européen de stabilité (FESF) ? Non pour des raisons économiques: notre voisin reste de loin le meilleur élève de la classe européenne. Mais par malaise politique proche de la crise gouvernementale.

D’abord, il y a eu l’admonestation du président fédéral Wulff dénonçant la Banque centrale de Francfort qui outrepasserait son mandat et renierait son indépendance en rachetant les obligations des sinistrés de la zone euro... avec l’aval tacite du gouvernement Merkel. Des critiques inattendues de la part d’un personnage normalement réduit aux fonctions protocolaires, chrétien-démocrate de surcroît. Mais elles reflètent une opinion largement partagée outre-Rhin: l’Allemagne payerait pour les autres, dans une zone euro qui se transformerait en «union de transfert», contrairement au traité de Lisbonne, contrairement aux textes fondateurs de la monnaie unique. D’où plusieurs requêtes déposées auprès de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. Elle doit commencer à se prononcer en novembre, laissant planer une épée de Damoclès sur tout le système politique : voir s’installer un «gouvernement des juges».

A cette inconnue s’ajoute la grogne de nombreux députés CDU/CSU-FDP. La chancelière prendrait de plus en plus d’engagements, encore le 16 août à Paris auprès de Nicolas Sarkozy, sans le Bundestag. Or l’Allemagne est une pure démocratie parlementaire où le poids de l’assemblée fédérale pèse lourd. Cette grogne pourrait déjà se manifester fin septembre, lors du vote sur le fameux FESF...

Plus inattendue était la volée de bois vert administrée par l’ancien chancelier Helmut Kohl à celle qu’il appelait sa «gamine». Il a fallu que cet octogénaire en ait vraiment gros sur le cœur pour sortir de sa réserve ! Helmut Kohl reproche à la chancelière son manque de solidarité européenne («elle casse mon Europe») et au gouvernement actuel de naviguer «sans boussole», en citant aussi les sacrifices que lui a su consentir pour la réunification allemande. Et en vilipendant la politique étrangère de Berlin qui dans l’affaire libyenne s’est désolidarisée de Paris et de Washington, les alliés traditionnels de l’Allemagne.

Evidemment, pour l’opposition SPD-Grünen portée par les sondages, cette polémique est pain bénit. Bien que le SPD accuse à son tour Angela Merkel de «trahir l’héritage de Konrad Adenauer et de Willy Brandt», l’idée d’une «grande coalition» n’est plus à exclure, au cas où la chancelière se débarrasserait de son insignifiant allié libéral (lire ci-dessous). Les sociaux-démocrates plaident pour une Europe – et une zone euro – plus solidaire et ne rejettent pas, pour sortir de la crise des dettes, les «euro-obligations» honnies par le FDP et les ultras du camp chrétien-démocrate.

Mais Angela Merkel qui a toujours su écarter ses rivaux et mettre au pas ses grognards n’a pas dit son dernier mot. On verra lors de la prochaine plénière du Bundestag. En attendant, l’ambiance reste électrique...

Vers un idéal qui rassemble

« Jette-leur du grain, ils se battront. Fais-les construire une cathédrale, ils s'uniront » (Saint-Exupéry).

N'est-ce pas un peu ce qui nous arrive avec cette société de consommation qui produit énormément et gaspille à tout va ? N'est-ce pas cela qui attise les convoitises, provoque les surenchères funestes autant que les frustrations redoutables ? En effet, dans cette course, il y a les gagnants qui peuvent profiter de nombreux biens et facilités, mais aussi les perdants qui vont, tôt ou tard, tenter de s'en emparer par la ruse ou par la violence.

C'est un peu ce que l'on a vu se produire dans nos sociétés riches : combien de pillages lors de manifestations tournant à l'émeute, ces dernières années à Londres, Paris, Los Angeles, etc. C'est ainsi que l'on voit se déliter la cohésion sociale et se renforcer les individualismes, en même temps que s'accroissent les peurs et le sentiment d'insécurité.

Ce que l'on constate aussi à l'intérieur de nos sociétés occidentales commence à attiser les rivalités et les divisions d'un pays à l'autre, ainsi qu'entre les sociétés riches du Nord et celles du Sud moins développées.

Tout cela est renforcé par la mondialisation qui, du coup, est fortement critiquée, au point que certains en appellent à une sorte d'hypothétique repli sur soi, avec fermeture plus ou moins hermétique des frontières aux produits et aux ressortissants étrangers.

Un grand projet

Quelles cathédrales faudrait-il donc bâtir, aujourd'hui, pour rassembler les citoyens dans un effort commun auquel chacun serait appelé à contribuer selon ses qualités et ses compétences, pour l'amélioration du sort de tous ? Répondre à cette question est d'autant plus urgent que la crise actuelle est plus lourde de menaces en tout genre.

Bien sûr, nous vient à l'esprit l'Union européenne, ce merveilleux et considérable projet qui, peu à peu, a pris forme en soixante ans. Il paraît malheureusement un peu essoufflé aujourd'hui ; moins enthousiasmant car, au lieu de constater les avancées, on y voit surtout des problèmes. Certes, ces problèmes existent en Europe comme dans le monde entier, où nous ressentons de plus en plus directement des soubresauts.

Mais appeler à la « démondialisation », comme on l'entend de plus en plus ces temps-ci, ne résoudra rien, bien au contraire. D'abord parce que la « démondialisation » ne se décrète pas plus que la mondialisation ne le fut. Celle-ci est une résultante de l'ensemble des évolutions techniques et relationnelles à travers les moyens de transport rapides et les réseaux de communication instantanée qui couvrent la planète et atteignent les lieux les plus reculés, les moins accessibles. Cela ne s'arrêtera pas, même si un pays ou un groupe de pays tente de sortir du jeu planétaire.

Dans cette mondialisation, l'Europe est une réalité toute nouvelle. C'est le moment de lui donner vie davantage. C'est-à-dire plus de présence aux hommes d'aujourd'hui, plus d'audace dans les réformes du système financier mondial, plus de rigueur dans la gestion, plus de liens avec les autres pays, plus de soutien des pays pauvres où l'on meurt encore de faim.

Voilà les cathédrales que notre siècle devrait construire, pour que l'homme, tout homme, tous les hommes, grandissent sur les chemins de la montée humaine.

La revue Études va consacrer son numéro de septembre à ces questions. 14, rue d'Assas, 75006 Paris.

Les plus belles planques de la République

Malgré la crise et les déficits publics, les favoris du pouvoir continuent à décrocher des jobs tranquilles et bien payés.

Un diplôme d’infirmière permet rarement de décrocher une sinécure. Sauf, bien sûr, quand on est une militante politique dévouée comme Isabelle Deleu. Cette femme dynamique de 48 ans, qui a débuté sa carrière au très chic Hôpital Américain de Neuilly, a été bombardée par décret, en avril dernier, «contrôleuse générale économique et financière de première classe», l’un des postes les plus convoités de la haute fonction publique, attribué à vie, et rémunéré 8 000 euros par mois.
Il est vrai que cette militante RPR depuis 1983 avait depuis longtemps abandonné sa blouse blanche et ses seringues pour être nommée chargée de mission auprès de Nicolas Sarkozy, alors secrétaire national à la jeunesse du parti. Devenue plus tard attachée de presse, puis conseillère parlementaire, Isabelle Deleu était ces derniers temps en poste au cabinet de Christine Lagarde, à Bercy. Son agenda est aujourd’hui nettement moins chargé : début juillet, elle ne s’était toujours pas installée dans son nouveau bureau et le standard indiquait ignorer sa date d’arrivée.
Bah ! Cette chanceuse n’est pas la première à trouver refuge dans une planque de la République : voilà des lustres qu’amis et obligés du pouvoir se font offrir des jobs pas trop harassants et souvent très bien payés. Avec, en prime, la garantie de l’emploi et une retraite aux petits oignons. Dans un contexte de crise et de chasse aux déficits publics, ce favoritisme passe de plus en plus mal dans l’opinion, comme l’a montré l’affaire Ferry. Certes, en signant à tour de bras des décrets nommant ses protégés dans la haute fonction publique, Nicolas Sarkozy ne fait que perpétuer la pratique du «tour extérieur», largement répandue sous Mitterrand et Chirac. «Après tout, il est normal d’ouvrir les grands corps à d’autres profils que les énarques, commente le député socialiste René Dosière, grand pourfendeur des gaspillages de l’Etat. Mais encore faudrait-il que les personnalités choisies possèdent les compétences requises.»
Ce n’est pas toujours le cas… Ainsi, en dépit de l’avis défavorable émis le 10 janvier par une commission d’aptitude, Dominique Tiberi, le fils de l’ancien maire de ¬Paris, a été catapulté contrôleur général économique et financier, comme notre infirmière. A en croire les mauvaises langues, François Fillon, qui rêve de conquérir la mairie de Paris aux prochaines municipales, aurait ainsi voulu se ménager le soutien de Jean Tiberi.
Encore faudrait-il aussi que les emplois publics généreusement distribués ne soient pas fictifs. Agacé par de fréquentes dérives, Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, n’a pas hésité à écrire à François Fillon, il y a quelques mois, pour s’interroger sur la réalité du travail fourni par deux inspecteurs généraux de l’Education nationale nommés au tour extérieur. En dix-huit ans, Jean Germain, actuel maire PS de Tours, n’a pondu que dix courtes lettres manuscrites et un mince rapport.
Quant à l’élu UMP guyanais Léon Bertrand, ex-ministre du Tourisme sous la présidence Chirac, il a attendu dix-huit mois pour se rendre à une réunion de travail de son corps d’inspection, en 2009. Il était temps : quelques jours plus tard, il était mis en examen pour «délit de favoritisme et corruption passive». Le coup de semonce de la Cour des comptes n’y changera sans doute rien : dans les allées du pouvoir, de multiples occasions permettent d’obtenir de belles planques.

Les premiers servis ? Ceux qui, comme Léon Bertrand, ont perdu leur job à la suite d’un remaniement. Conseillers obscurs mais dévoués de ministres en vue, ils sont des dizaines à obtenir le Graal : un poste de haut fonctionnaire, comme les vrais énarques. Benoît Parayre, titulaire d’un Deug de philosophie, a ainsi été nommé, en décembre dernier, inspecteur général de l’administration du développement durable. Fidèle collaborateur de Jean-Louis Borloo, dont il était le conseiller presse depuis 2005, il a pu profiter à plein du départ du gouvernement de son patron. En quittant leurs fonctions, les ministres eux-mêmes ont aussi droit à des lots de consolation. Roger Karoutchi, ex-secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, peut en témoigner. Quelques semaines à peine après son éviction du gouvernement, il s’est vu offrir le poste d’ambassadeur auprès de l’OCDE. «Ne croyez pas que je me tourne les pouces toute la journée ! Je prends mon job très au sérieux», se défend-il.
Il n’est pas le seul à profiter des largesses du corps diplomatique : à son grand dam, le Quai d’Orsay doit régulièrement ouvrir aux recasés du pouvoir ses postes peu stratégiques, mais garantis sans soucis. Xavier Darcos en sait quelque chose. Après avoir quitté le ministère du Travail en mars 2010, pour cause de défaite aux régionales, il a commencé par exiger la présidence du château de Versailles, occupée par l’ex-ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon. Ce dernier s’étant défendu comme un beau diable, Darcos a dû se rabattre sur un poste d’«ambassadeur pour l’action culturelle extérieure de la France». Avant de prendre la présidence de l’Institut de France, la nouvelle vitrine internationale tricolore lancée au début du mois de janvier.
Autre ministre en rupture de gouvernement, Rama Yade a, elle aussi, trouvé un havre au Quai. Un mois après avoir été remerciée par Sarkozy, elle a été propulsée, en décembre dernier, ambassadrice auprès de l’Unesco à Paris. Avant d’être contrainte de démissionner par son ministre de tutelle, Alain Juppé, pour cause de soutien trop affiché à Jean-Louis Borloo. Cette effrontée aurait mieux fait de refuser d’emblée cette -faveur empoisonnée… A noter que les sinécures du Quai ne font pas forcément saliver tout le monde. Ainsi, Fadela Amera, qui s’était vu proposer à sa sortie du gouvernement un poste d’ambassadrice auprès de l’Union pour la Méditerranée, dont le siège est à Barcelone et l’activité en sommeil, a balayé l’offre d’un revers de main : elle a préféré se faire nommer par décret inspectrice générale des Affaires sociales.
Mais laissons là les hochets diplomatiques. Pour se faire recaser, les pistonnés du pouvoir peuvent aussi compter sur les commissions de réflexion et autres comités Théodule. Le Conseil d’analyse de la société, l’un des innombrables organismes publics consultatifs, a ainsi été créé sur mesure en 2004 pour son président, l’ex-ministre de l’Education Luc Ferry. En plus de ses livres, chroniques et autres conférences tarifées dans les entreprises ou congrès divers, le philosophe a pu cumuler cette nouvelle fonction avec un siège au Conseil économique et social.
Au Palais d’Iéna, personne ne se souvient cependant l’avoir jamais aperçu durant son mandat de cinq ans, achevé en décembre dernier. Sans la tempête médiatique qu’il a lui-même déclenchée en juin dernier, le philosophe continuerait aussi à être payé par la fac Paris-VII (4 500 euros mensuels), où il était officiellement dispensé de cours pour cause de détachement au Conseil d’analyse de la société. Une planque peut en cacher une autre… On le sait, Matignon a accepté de rembourser les sommes versées par l’université Paris-Diderot, l’employeur du philosophe fantôme.

Faut-il toujours être un chouchou du pouvoir ou un petit soldat méritant des cabinets ministériels pour bénéficier de placards dorés ? Même pas. Ceux qui agacent et font des bourdes parviennent, eux aussi, à décrocher des avantages, pourvu qu’ils débarrassent le plancher. Ainsi l’ancien ministre de la Santé, Jean-François Mattéi, coupable d’avoir mal géré la canicule de l’été 2003. Pour le consoler de l’avoir congédié comme un laquais du gouvernement, Jacques Chirac l’a expédié au Conseil d’Etat, en service extraordinaire. Il y pointe toujours.
Pas à plaindre non plus, Gilles Dufeigneux, l’ex-chef adjoint de cabinet de François Fillon à Matignon. En septembre dernier, ce sanguin avait dû démissionner après avoir insulté des policiers lors d’un contrôle d’alcoolémie. Quelques semaines plus tard, il a été propulsé délégué interministériel aux grands événements sportifs. Ce qui entraîna au passage un jeu de chaises musicales : ce poste envié était en effet occupé par un autre proche de François Fillon, Frédéric Jugnet, président du club de basket de Sablé-sur-Sarthe, ville dont le Premier ministre a longtemps été maire. Qu’à cela ne tienne : ce prof de gym est entré à l’inspection générale de la Jeunesse et des Sports, où il gagne 6 000 euros net par mois. Il y est, paraît-il, très bien dans ses baskets.

Olivier Drouin
Le très confortable Conseil économique et social
Ce Conseil ne sert à rien, il faudrait le supprimer», fulmine le député UMP Hervé Mariton. Que les 233 membres de l’assemblée consultative se rassurent : leur institution, rebaptisée en 2008 Conseil économique, social et environnemental (Cese), n’est pas près de disparaître. Non que nos gouvernants se passionnent pour les débats des représentants syndicaux, patronaux ou associatifs qui y somnolent. Mais parce que le Cese est bien pratique pour distribuer les récompenses : l’Elysée peut y nommer 40 amis tous les cinq ans au titre de «personnalités qualifiées». Parmi les heureux PQ (comme on les appelle au Palais d’Iéna) de la dernière fournée figurent ainsi quelques cas édifiants : Hervé Marseille, maire UMP de Meudon, récompensé pour avoir laissé sa place à Jean Sarkozy au conseil d’administration de l’Epad ; Danièle Dussaussois, ex-élue des Hauts-de-Seine, remerciée pour avoir cédé sa place aux dernières cantonales à Isabelle Balkany (qui a été battue) ; ou encore l’ancien conseiller de l’Elysée Pierre Charon, reconduit pour cinq ans dans la noble institution bien qu’il y mette rarement les pieds. Pour leurs excellents services (quelques-uns y travaillent vraiment), tous perçoivent une indemnité de 3 800 euros brut par mois.
Conseil supérieur de l’audiovisuel : 10.000 euros net par mois
Christine Kelly : Auteur de l’hagiographie «François Fillon, le secret et l’ambition», l’ex-journaliste de LCI est devenue en 2009 membre du CSA pour une durée de six ans.
Francine Mariani : Epouse du patron de Dexia, proche de Sarkozy, cette énarque, nommée conseillère d’Etat au tour extérieur, a été choisie par le président pour siéger au CSA.
Contrôle général économique et financier : 8.000 euros net par mois
Isabelle Deleu : Cette conseillère de Christine Lagarde a eu de la chance : trois mois avant le départ au FMI de l’ex-ministre, elle avait été nommée au tour extérieur dans un grand corps de l’Etat.
Dominique Tiberi : Malgré l’avis défavorable d’une commission d’évaluation, le conseiller municipal et fils de Jean Tiberi a été bombardé par décret contrôleur général de 1re classe.
Conseil d’Etat : 7.500 euros net par mois
Arno Klarsfeld : L’ex-avocat et conseiller à Matignon n’a jamais été un bourreau de travail. Nommé au Conseil d’Etat en octobre 2010, il n’y vient que par intermittence.
Inspection générale des affaires sociales : 6.500 euros net par mois
Fadela Amara : Non reconduite au gouvernement, l’ex-présidente de Ni putes ni soumises a été nommée par décret en janvier dans l’un des grands corps d’inspection de l’Etat.
Inspection générale de l’éducation nationale : 4.500 euros net par mois
Fabrice Larché : Ex-chef de cabinet de Valérie Pécresse à l’Enseignement supérieur, il a été nommé par décret en 2007 à l’aca-
démie de Paris. Une décision fustigée par la Cour des comptes.
Christophe Borgel : Cet élu socialiste bénéficiait d’un emploi de complaisance comme inspecteur de l’académie de Paris.
Il a pu régulariser sa situation en passant un simple oral.
Conseil économique et social : 3.800 euros brut par mois
Maud Fontenoy : Très appréciée de Sarkozy, la navigatrice avait décliné un poste au gouvernement en 2007. Mais,
entre deux voyages, elle ne refuse pas de venir siéger au Palais d’Iéna.
Pierre Charon : Renouvelé pour un mandat de cinq ans, l’ex-conseiller de Sarkozy est aussi président du domaine de Chambord et chargé de mission au Grand Paris.

Au revoir et merci, Steve Jobs

L'un des hommages les plus remarqués après l'annonce du départ, jeudi 25 août, de Steve Jobs de son poste de PDG d'Apple pour raisons de santé a été rendu par un homme qui lui a donné beaucoup de fil à retordre : Paul Allen, cofondateur, avec Bill Gates, de Microsoft, éternel rival d'Apple. Paul Allen, qui avait lui-même dû quitter Microsoft dans les années 1980 pour combattre un cancer, a salué en Steve Jobs "l'un des plus grands innovateurs de notre industrie".

Ce ne sont pas les quelque 110 millions d'utilisateurs d'iPhone, ni les 300 millions de paires d'oreilles branchées sur la musique de leur iPod, ni les heureux propriétaires du dernier-né des produits Apple, la tablette iPad, ni même ceux qui ont découvert les joies de la souris reliée à l'ordinateur personnel grâce au premier Macintosh, lancé en 1984, qui le contrediront.

Grand innovateur de la technologie informatique, comme ses deux compatriotes de la Côte ouest Bill Gates et Paul Allen, Steve Jobs a aussi été un génie du marketing et du design, un visionnaire et un révolutionnaire. Il est l'homme qui a tiré d'une technologie complexe et – malgré toute l'agilité de la souris – rébarbative des objets de consommation de masse simples, ludiques, lumineux, et formidablement utiles.

Il est aussi le patron qui a, dans un retournement spectaculaire, sorti de l'ornière à partir de 1997 une entreprise emblématique de la Silicon Valley dont il s'était fait éjecter douze ans plus tôt par des financiers. Cette même entreprise qu'il avait fondée, à l'âge de 21 ans, avec Stephen Wozniak, autre génie de l'informatique, est aujourd'hui, grâce à lui, un colosse financier de 350 milliards de dollars, dont la capitalisation a même dépassé un moment celle du géant pétrolier Exxon.

A tous ces égards, dans la lignée de Thomas Edison ou d'Henry Ford, Steve Jobs symbolise l'excellence de l'innovation américaine et le génie qui a donné ses lettres de noblesse à la Silicon Valley. Avec, aussi, l'arrogance qui caractérise parfois les capitaines d'industrie américains : ses détracteurs lui reprochent un penchant de plus en plus autoritaire et, peut-être accentuée par la maladie, une obsession du contrôle. Sous son impulsion, Apple est devenu un partenaire impitoyable en affaires, profitant au maximum de sa position de supériorité sur le marché.

Nul ne sait encore si l'état de santé de cet homme de 56 ans, atteint d'une forme rare de cancer du pancréas, lui permettra de continuer à inspirer les talentueuses équipes d'Apple. Steve Jobs a conservé le titre de président, et son successeur, Tim Cook, a déjà tenu les rênes de l'entreprise avec succès lors des précédentes absences du PDG. Le charisme et la magie personnelle de Steve Jobs vont, bien sûr, cruellement manquer à la "firme à la pomme".

Mais on peut aussi parier que, en bon chef d'entreprise et se sachant malade depuis huit ans, Steve Jobs a mis en place le dispositif susceptible de perpétuer le succès d'une société qui, à l'ère de la mondialisation, a révolutionné la vie de dizaines de millions de gens à travers la planète.

Femmes ne devenez pas des hommes comme les autres !

Caroline de Haas nous offre, dans une tribune parue récemment dans le Monde.fr, une longue et laborieuse argumentation destinée à écraser définitivement les derniers "sursauts réactionnaires" - entendez par là l'opinion des malheureux catholiques qui n'ont pas la chance de penser comme elle. Désormais, c'est l'Eglise qu'on met à l'index, avec une rhétorique digne des plus belles caricatures de l'Inquisition. Le sous-titre de cet écrit - "Existe-t-il des pseudo-essences féminine ou masculine ?" - annonce parfaitement l'ouverture intellectuelle de la discussion qu'il propose. Quand une question contient autant sa propre réponse, on croirait lire un petit catéchisme totalitaire...

Mais ne nous arrêtons pas à la forme, qui est plus maladroite sans doute que réellement méchante. Comme l'auteur le remarque elle-même, l'enjeu dépasse largement l'opinion des "catholiques de droite." Cette tribune est réellement intéressante pour ce qu'elle révèle d'une confusion fondamentale qui pèse largement sur ces débats de genre. Caroline de Haas veut lutter pour l'égalité de l'homme et de la femme ; combat légitime s'il en est, nécessaire, urgent même, et auquel tout être humain qui n'est pas totalement aveugle ou barbare ne peut que s'associer. Considérer que l'un des deux sexes soit supérieur à l'autre (quel qu'il soit – et combien de fois je me suis senti, en tant qu'homme, ravalé au rang d'être inférieur, primaire, violent, obsédé et dominateur, par des féministes emportées par leur sainte colère !), c'est incontestablement à la fois une erreur objective et une faute morale grave.
Mais pourquoi faudrait-il, pour être sûr de l'établir définitivement, confondre cette égalité indéniable avec une identité plus que douteuse ? Pourquoi faudrait-il, pour assurer que la femme n'est pas inférieure à l'homme, s'évertuer à démontrer qu'elle n'est pas différente de lui ? Pourquoi fragiliser un combat aussi légitime, une démonstration aussi solide, en voulant le fonder sur un raisonnement aussi absurde ? Oui, l'homme n'est pas une femme, la femme n'est pas un homme. Alors que notre société prend conscience, enfin, de la nécessité de respecter vraiment la nature telle qu'elle est, de renoncer à la modeler selon les excès de son désir de toute-puissance, pourquoi ne pas respecter notre propre nature, telle qu'elle est, sans chercher à la nier ? On condamnerait à raison une entreprise qui, pour exploiter une nappe de pétrole, chercherait à cacher l'existence des différentes espèces qu'elle mettrait en danger ; de la même façon, poursuivre le projet politique de l'homoparentalité, par exemple, n'autorise personne à nier la réalité naturelle de la différence sexuelle. Oui, l'homme est la femme sont différents ; ne soyons pas indifférents à cette dualité essentielle de notre nature, sachons au contraire l'apprivoiser, l'aimer, comme nous apprenons à respecter et à admirer la nature telle qu'elle est.
Egalité ne veut pas dire nécessairement identité ; pour tomber dans cette confusion élémentaire, Caroline de Haas fragilise son beau combat, et tombe souvent à côté de la plaque. Elle veut prouver que nous avons les mêmes cerveaux, également réceptifs à la culture ambiante ; personne n'en doute... Mais nous ne sommes pas que des cerveaux ! L'être humain est un corps, doté de sa part d'animalité, d'instinct, de sensibilité ; et ce corps est sexué. Cette réalité physique ne dépend pas de notre culture. Partageant une égale rationalité, comment ne pourrions-nous pas reconnaître que l'homme et la femme sont génétiquement, organiquement, charnellement différents ? Et de même que la biodiversité est reconnue comme un patrimoine à protéger, pourquoi ne pas regarder cette différence comme un trésor à protéger et à découvrir ?
Reconnaître l'évidence biologique, et l'expérience psychologique, de la différence des sexes, n'empêche pas d'affirmer leur égalité, bien au contraire. Méfions-nous : le combat du gender pour affirmer une identité illusoire pourrait bien constituer, par une ruse de l'histoire, la victoire paradoxale de la phallocratie, et apporter une réussite encore jamais atteinte aux forces d'aliénation de la femme. Lorsque le féminisme en vient à nier l'existence de la femme, on est en droit de se demander qui y gagne dans son long et légitime combat. Lorsque Caroline de Haas exige que la femme soit considérée comme identique à l'homme, elle renonce à construire un modèle d'individualité propre, autonome, et se laisse finalement aliéner par le modèle masculin, succombant à l'ancestrale prédominance qu'elle dénonce. La liberté de la femme ne consiste pas à ne pas pouvoir être elle-même !
Le féminisme du gender partage le projet du machisme le plus inégalitaire : fermer toute possibilité de dialogue. Je n'ai rien à échanger avec celui qui m'est identique, comme avec mon inférieur. Dans l'un et l'autre cas, rien à apprendre, rien à recevoir – rien à donner non plus. Mais de l'être qui est mon égal sans être identique à moi-même, de celui-là seulement, je désire la relation, car elle est la promesse d'une découverte et d'un enrichissement mutuel. Femmes, vous nous fascinez pour ce que vous êtes ; notre différence est le difficile trésor qu'il nous appartient d'apprivoiser ensemble. Pour y parvenir, reconnaître et vivre notre égalité est une nécessité concrète ; mais proclamer notre identité serait notre commun échec. Femmes, ne vous laissez pas aliéner, ne devenez pas des hommes comme les autres !

Helmut Kohl fait la leçon à Angela Merkel

Partenaire infidèle, politique fautive : dans une interview au bimestriel allemand Internationale Politik, l'ancien chancelier allemand Helmut Kohl déplore le manque de prévisibilité de la politique (intérieure et extérieure) allemande sous Angela Merkel. Le "chemin clair" suivi par l'ancien Chancelier vers la réunification et l'intégration européenne chancelle: Nous "risquons de tout perdre aujourd'hui", prévient Kohl. Nous devons retrouver notre fiabilité d'antan. Les relations transatlantiques, l'Europe unifiée et l'amitié franco-allemande sont "des piliers élémentaires. Si nous perdions cet ancrage, les conséquences seraient catastrophiques."
L'ancien chef du gouvernement constate un "degré effrayant de manque de courage" et se déclare convaincu que "les grandes transformations du monde actuel ne sauraient excuser le manque de vision et d'idées sur le camp à qui on appartient, et la direction que l'on veut prendre", critiquant de manière indirecte son successeur et ancienne protégée Angela Merkel. Pour remplir un rôle de leader européen, il faut de la passion et de la dureté : "Si on ne les a pas, on n'est pas à sa place".
A propos de la crise grecque, Helmut Kohl considère que "on ne doit même pas se poser la question de savoir si l'on est solidaire avec la Grèce." "Si j'avais été Chancelier, je n'aurais pas donné mon accord à l'entrée de la Grèce dans la zone euro sans réformes fondamentales dans ce pays", assure l'ancien dirigeant. "Avec moi, l'Allemagne n'aurait pas violé les critères de stabilité de l'euro. Ces fautes ont été commises. Mais la bonne nouvelle est qu'elles sont réparables. Toutefois, nous ne devons pas faire comme si c'était uniquement une question d'argent. L'Europe dans la crise a besoin d'un paquet de mesures préventives, pas idéologiques par lequel on peut remettre l'euro sur le droit chemin et assurer son avenir."
Pour l'instant, il est difficile d'évaluer l'impact de ces critiques sur les débats au sein de la CDU. Pour la Frankfurter Allgemeine Zeitung, traditionnellement proche du parti chrétien-démocrate, Helmut Kohl a réclamé "des points de vue et des principes" clairs, car le parti n'apporte aucune réponse à la question de savoir "si quelqu'un qui refuse les euro-obligations peut être un bon Européen." En réponse aux critiques de Kohl, la FAZ note que "l'intégration a atteint un point où les différences fondamentales de mentalité et de culture entre les Vingt-Sept ne peuvent être masquées par les références à l'histoire (…) et beaucoup d'argent allemand."

Le mauvais calcul d’Helsinki

En demandant à la Grèce de garantir le prêt qu'elle recevra pour l'aider à rétablir ses finances, la Finlande créé un précédent dangereux en Europe pour des raisons purement électorales, déplore le Helsingin Sanomat.
Le désordre créé par les garanties sur les prêts demandées à la Grèce constitue une exception majeure à la traditionnelle attitude finlandaise au sein de l'Union [Helsinki a obtenu que la Grèce verse des garanties financières en échange de sa participation au plan de sauvetage]. La confiance accordée à la Finlande, les compromis faits par elle, et son image de bâtisseuse et partisane de la communauté qu'elle s’était forgée, tout cela est mis à mal.
Envisager une vengeance des autres pays de l'UE sur le terrain politique ou économique est peut être une crainte inutile, mais sur la scène internationale, il est important de savoir comment les actions de chacun sont interprétées par les autres. La Finlande a perdu sa position de force : son poids a diminué et son habileté à promouvoir ses propres ambitions s’est réduite. Ce n'est pas seulement un coup porté à son image, mais aussi à sa capacité de négociation.
Quand le Premier ministre, Jyrki Katainen (Parti de la coalition nationale, conservateur) se rendra aux sommets européens pour expliquer les objectifs de la Finlande, il sera pour longtemps considéré comme le représentant d’un pays qui prend ce qui est bon et laisse le reste. La ministre des Finances, Jutta Urpilainen (sociale-démocrate) sera considérée comme celle qui fait passer les intérêts de son pays avant ceux de l'ensemble de la zone euro.
Bien sûr, parfois, une ligne dure, égoïste et qui ignore tous les autres points de vue peut être défendue par un pays s'il s'agit d'un intérêt national majeur. Mais cette fois-ci, la ligne a été uniquement choisie pour des raisons politiques internes à court terme. Il s’agissait de promettre quelque chose pour satisfaire le peuple pendant la campagne électorale et la formation du gouvernement [au printemps dernier] afin d’éviter que les Vrais Finlandais [le parti populiste anti-européen] ne remporte une victoire.
On peut donc imaginer l’état d’esprit des ministres finlandais pendant les négociations avec la Grèce : d’un côté la raison et la justesse, de l’autre la politique. Dans cette situation, il est possible qu’obtenir des garanties de prêt soit finalement ce qui pouvait arriver de mieux. Mais cela ne correspond pas aux exigences d’unité de l’Union européenne. La réponse de l'Europe était attendue : cela ne fonctionne pas.
Moins enthousiaste au sujet des garanties de prêt, le Parti de la coalition nationale ne peut pas aisément modifier sa position car cela enflammerait les relations avec les Sociaux Démocrates (SDP) et affaiblirait le Premier ministre. Katainen a en effet exigé des garanties, y compris au sommet.
Maintenant que la Chancelière allemande, Angela Merkel, a rejeté l’accord entre Helsinki et Athènes, le gouvernement a le temps de choisir une alternative. Il est cependant impossible pour la Finlande de se retirer du soutien financier apporté à la Grèce, car cela ouvrirait la porte à d’autres pays qui ne souhaitent plus participer pour des raisons de politiques intérieures. Il est difficile de reculer quand cela représente un revers politique à la fois au niveau national et international.

Opinion

Du danger de faire cavalier seul

La Finlande doit décider si elle veut s’investir au niveau européen ou rester sur la touche. Les responsables politiques, eux, doivent clarifier la façon dont les intérêts du pays seront servis en choisissant une option ou l’autre. Les hommes politiques doivent arrêter de suivre aveuglement les chemins tracés par les populistes et expliquer clairement les raisons pour lesquelles rester au sein d’une équipe est la meilleure option.
L'avenir de l’Union européenne ne dépend pas de ses organisations distantes et apparemment effrayantes, mais plutôt des Etats membres et de leurs responsables politiques. La Finlande en est un bon exemple. Nous sommes en danger si nos responsables se réfugient dans des questions secondaires telles que les garanties apportées par la Grèce, et ne s’engagent pas à défendre l’idée que le bien-être de chaque Finlandais est complètement dépendant de ce qui se passe dans le reste du monde, et qu’agir seul aujourd’hui nous fera échouer demain.
Olli Kivinen (Helsingin Sanomat, extraits)