Élu face à Aubry, c’est le député de Corrèze que Sarkozy va devoir affronter. Un sacré cactus pour l’UMP. Et le pire des scénarios pour le président sortant.
« Regardez ce sucre, il paraît solide. Mettez-le dans votre café, il disparaît. C’est comme Hollande. » Devant ses proches, Nicolas Sarkozy fait mine de s’accommoder, voire de se réjouir, de la désignation du député de Corrèze comme candidat PS à la présidentielle. « Hollande ? Ce n’est rien », commente encore Jean-François Copé. « Sans épaule », « sans stature », « sans carrure », « sans caractère », « sans expérience internationale » : hors quelques exceptions, comme Patrick Devedjian, pointant un « candidat dangereux », voilà ce qu’on entend aujourd’hui en boucle à l’UMP. Il n’y aurait, à les écouter, « pas photo » entre le chef de l’État et son futur adversaire – tellement insignifiant que les Français, ouvrant enfin les yeux, le “zapperont” aussi sûrement dans six mois qu’ils l’avaient fait avec Ségolène Royal en 2007. Jusqu’à ce conseiller de l’Élysée qui « n’exclut pas » un « nouveau 21 avril », éliminant Hollande du second tour ! La vérité est tout autre : l’ancien premier secrétaire du PS est tout sauf le candidat idéal pour le chef de l’État. Sa désignation constitue même le pire des scénarios pour Sarkozy. Un véritable piège…
Pour s’en défaire, la droite aurait tort, comme elle le fait aujourd’hui, de traiter Hollande par le mépris. Ceux qui, à gauche, s’y sont risqués, comme Laurrent Fabius si convaincu, lui aussi, de sa supériorité, en sont réduits à jouer les supplétifs.
« Flamby »,
« Chamallow »,
« Monsieur petites blagues » : on ne compte plus les quolibets dont a été victime, dans son propre camp, celui qui, pourtant, s’est toujours “rêvé” à l’Élysée.
« Dès 10 ans, a raconté sa mère, récemment décédée,
il disait qu’il voulait être président. » Loin, très loin, de son image de
« gros méchant mou » – un autre de ses surnoms – , c’est un adversaire hypercoriace que va devoir affronter Sarkozy. Nullement “mitterrandolâtre”, c’est d’abord le conquérant qui l’a séduit chez l’homme du 10 mai.
« En dépit des apparences, confie-t-il,
je n’ai guère aimé Mitterrand. Sa pratique du pouvoir m’a souvent scandalisé. Son cynisme m’a longtemps heurté. Je garde un souvenir très mitigé du passage que j’ai fait, en 1981 et 1982, à son cabinet de l’Élysée. La suite ne m’a pas dé menti. Mais, en dépit de tout cela, je le considère comme un modèle. Non pour sa politique. Très peu pour sa vision de la gauche. Mais pour son acharnement, son coup d’oeil, son professionnalisme, sa capacité à entraîner les hommes et les foules. »
Dans son livre,
François Hollande, Itinéraire secret (Fayard), Serge Raffy raconte cette anecdote qui confirme la détermination sans faille du personnage. Nous sommes en 1981. Alors âgé de 27 ans, totalement inconnu, il est pour la première fois candidat aux législatives en Corrèze contre Jacques Chirac… qu’il décide d’aller “provoquer” dans l’une de ses réunions :
« Qui êtes-vous, monsieur ? lui lance Chirac.
Ayez au moins l’amabilité de vous présenter ! – Je suis François Hollande, monsieur le premier ministre, je suis conseiller à la Cour des comptes et le candidat du Parti socialiste. Je suis celui que vous comparez au labrador de Mitterrand… »
« Un ange passe dans la salle tendue comme un arc, écrit Raffy.
Les regards, alentour, se durcissent. Quel toupet, ce gamin ! Venir narguer Chirac, le seigneur et maître des lieux ! »
Crédité de… 3 % dans les premiers sondages sur la primaire socialiste, c’est avec la même condescendance dont l’affuble aujourd’hui la droite que Hollande était accueilli il y a moins de sept mois dans les fédérations PS. Gare, donc, à ne pas reproduire la même erreur ! Gare, aussi, à ne pas partir trop tard en campagne : pas sûr, face à ce marathonien, que la stratégie de la
« campagne la plus courte possible » préconisée à l’Élysée soit la mieux adaptée : il n’y a pas que dans la fable que le lièvre ne rattrape pas la tortue… Que n’entend-on, encore, sur sa posture de “monsieur Tout-le-monde” censée se fracasser, durant la campagne, sur le mur des réalités ?
« Les circonstances actuelles nécessitent plus que jamais un homme exceptionnel, pas un “président normal” », affirme notamment Claude Guéant. Non sans raison. Il n’empêche : se raccrocher à ce constat, comme à une bouée, ne règle pas “le” problème de Sarkozy : son impopularité record reposant, en grande partie, sur sa propre personnalité. Pour l’heure, l’hostilité à l’encontre du président emporte tout sur son passage, y compris ses succès sur la scène internationale. À la question “Nicolas Sarkozy défend-il bien les intérêts de la France à l’étranger ? ”, 69 % des Français, interrogés par l’Ifop, répondent “oui”. Mais ils sont dans le même temps, et selon la même étude, quasiment le même nombre (65 %) à… “ne pas approuver” sa politique ! Confirmation de ce désamour qui profite à son adversaire : selon un autre sondage Ipsos-
le Point, Hollande, pourtant néophyte, devance aujourd’hui Sarkozy de vingt points (48 % contre 28 %) en matière de “crédibilité” pour “sortir la France de la crise” ! Plutôt que de s’appliquer à dénigrer la “normalité” de François Hollande, l’UMP ferait mieux de s’interroger sur les raisons de ce rejet sans précédent du chef de l’État. Et d’y trouver des réponses. Vite.
Après avoir dénoncé, puis raillé l’organisation de la primaire socialiste, espéré que l’affaire DSK la plomberait, rêvé que les candidats en lice s’étriperaient, puis tablé sur une victoire de Martine Aubry, voire un succès “ric-rac” de Hollande, l’UMP s’est lancée dans un pilonnage en règle du programme socialiste. Il y a de quoi
(lire page suivante). Mais, là encore, le député de Corrèze a tout du “candidat
piège” pour la droite. Comment l’attaquer, par quel bout le prendre ? En en faisant “l’otage” d’Arnaud Montebourg et de ses « dingueries », comme l’a fait Copé ? C’est oublier que Hollande, contrairement à Aubry, a refusé de céder à une quelconque
“surenchère gauchiste”. Dans sa lettre adressée entre les deux tours de la primaire au chantre de la “démondialisation”, Hollande écrit :
« La France a besoin du monde et celui-ci a besoin d’elle, mais les Français ont besoin d’être protégés contre les excès de la mondialisation. » Presque mot pour mot ce qu’affirmait… Sarkozy dans son programme de campagne de 2007 : pas question, estimait-il alors,
« d’une mondialisation réduite à la circulation des capitaux et des marchandises, [l’Europe devant]
protéger ses peuples dans la mondialisation ». Difficile, dans ces conditions, de faire pas ser Hollande pour un disciple de Montebourg !
Pour la première fois (primaire “ouverte” oblige), c’est par la droite, et non par la gauche, que le PS a été conquis. Inutile de le nier : avec Hollande, c’est l’aile sociale-démocrate du parti qui l’a emporté. La revanche de la “deuxième gauche” de Michel Rocard. S’il doit continuer de pointer, comme Sarkozy s’apprête à le faire, son déni des réalités en matière sociétale (immigration et islamisme notamment), le discours de l’UMP sur les “vieilles lunes” égalitaristes et étatistes du PS doit, lui, être entièrement revu. Faute d’apparaître lui-même totalement dépassé. À nouveau candidat, nouveaux arguments.
“Incapable de prendre une décision courageuse”
Reprenant les critiques d’Aubry, la droite qualifie désormais Hollande de représentant de la “gauche molle”. “Mou” : sous-entendu manquant d’autorité… Les sondages commandés par l’Élysée font apparaître une vraie faiblesse du candidat PS sur ce point. Révélée par
le Figaro, une étude polémique identifie Hollande au film
le Corniaud. Saura-t-il, comme Sarkozy, décider et trancher ? imposer ses choix ? Selon Copé, le candidat PS
« a une caractéristique : il est incapable de prendre une décision courageuse ». Ses onze ans à la tête du PS ne plaident pas en sa faveur.
« Quand il dit “oui, oui” en regardant ailleurs, ça veut dire non », ironise l’un de ses proches.
L’angle d’attaque est jugé
« porteur » par les proches de Sarkozy, qui attendent la
« grande confrontation » entre les deux hommes pour démontrer la
« faiblesse » du premier au regard de
« l’autorité » du second. Mais gare, là encore, au retour de manivelle : la “gauche molle”, ce n’est pas celle qui fait peur. Et puis, c’est aussi le centre. Les électeurs de Bayrou, les orphelins de Borloo… Ceux-là mêmes dont Sarkozy aura un besoin vital au second tour !