Difficile en France d’aborder la question des 35 heures sans déclencher une tempête. En perdition idéologique, la gauche s’accroche à cet ultime totem comme à une planche de salut. Par manque de courage, la droite tergiverse, paralysée par la popularité des RTT. Résultat, les uns et les autres modulent, détricotent et assouplissent sans jamais oser démolir ce carcan maléfique, étouffeur de croissance. Un réformisme honteux qui interdit tout débat…
En finir avec la loi Aubry serait pourtant une œuvre de salubrité publique. L’abandon des 35 heures marquerait d’abord la fin d’une illusion malthusienne : le partage du temps de travail n’entraîne pas de boom de l’emploi, au contraire – notre taux de chômage record parle de lui-même. Il symboliserait ensuite le grand retour dans l’arène mondiale d’une France compétitive, à la productivité revigorée et au coût du travail allégé, quand les 35 heures ont miné notre compétitivité et précipité le décrochage avec l’Allemagne. Il projetterait enfin la France dans l’économie du XXIe siècle, celle du silicium et des algorithmes, des start-up et des ETI, en enterrant pour toujours l’archétype de la réglementation nocive à force d’être trop rigide, uniforme et complexe – une manière de réhabiliter le contrat sur la loi.
C’est vrai, les conditions pour déroger aux règles, via des accords collectifs, se sont tant multipliées qu’il peut paraître contre productif de se focaliser sur la durée légale actuelle. Mais refuser de tordre le cou à certaines vieilles lunes, n’est-ce pas refuser d’utiliser un marqueur politique pour déverrouiller le système ? Il est temps de renverser le totem.
Rémi Godeau