Depuis l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, les ministres du gouvernement ont contracté une fièvre interventionniste. Pour ces derniers, il s’agit de contrebalancer le pacte de compétitivité qui décidément passe mal. En attendant, les dégâts collatéraux vont être nombreux.
Personne ne sait si cette fièvre interventionniste fait partie d’un plan stratégique de communication élaboré par l’Élysée et par Matignon pour adoucir le discours néolibéral de la compétitivité. Personne, sauf qu’on se doute bien qu’il n’arrive pas par hasard. Tout commence évidemment par Arnaud Montebourg qui va intervenir grossièrement dans le dossier de consolidation des télécoms. Le ministre de l’Économie n’accepte pas que le réseau SFR, vendu par Vivendi, soit racheté par Numericable et pas par Bouygues. Arnaud Montebourg ne décolère pas d’avoir perdu cette première partie de Monopoly.
Deux semaines plus tard, il « apprend » que le même Martin Bouygues cherche à vendre sa participation dans Alstom, et que General Electric serait le mieux placé. Le ministre, vexé de ne pas avoir été au courant, pousse une grosse colère et laisse dire qu’il se vengera. Sa vengeance c’est d’aller chercher Siemens au nom de la stratégie européenne. Oui, cet Arnaud Montebourg qui n’a pas cessé de se plaindre des ambitions allemandes et de la nécessite de s’en protéger.
Comme tout cela ne coule pas de source, on apprend que Ségolène Royal trouve la solution américaine plus intéressante et que l’Élysée a également donné son accord de principe à General Electric à condition que GE fasse un petit effort sur la présentation de ses garanties d’emplois. Enfin, on apprend à ce moment-là, de source allemande, que Siemens n’est pas forcement intéressé par Alstom : ça tombe très bien.
Mais comme il ne peut pas refermer le dossier comme cela et avaler son chapeau, Arnaud Montebourg va à Berlin pour essayer de convaincre son homologue de trouver une solution européenne. Il n’obtiendra rien. Le ministre de l’Économie, appuyé par la Chancelière, fera dire que ces affaires ne concernent que les entreprises et que les gouvernements n’ont rien à y faire. Arnaud Montebourg n’abandonne pas. Il suggère à Siemens de présenter une offre et, cerise sur le gâteau, il réveille un vieux décret pour permettre au gouvernement de contrôler et même de s’opposer à une prise de contrôle d’un groupe français par des intérêts étrangers. C’est le bouquet de ce feu d’artifice.
Arnaud Montebourg, toujours lui, a convoqué les patrons des banques pour leur reprocher des rémunérations trop élevées, et surtout leur reprocher de ne pas intervenir assez vigoureusement dans le financement des PME. Le ministre de l’Économie annonce sur le champ qu’il doit s’entretenir avec les syndicats et les grands patrons. François Hollande fait mine d’avoir organisé tout cela en convoquant son Premier ministre, Ségolène Royal, qui a des avis sur beaucoup de choses, et Arnaud Montebourg. Pour dire quoi ? Dire que le dossier est important. On rêve !
Cette chasse croisée, qui ferait croire que les éléphants du gouvernement auraient contracté une fièvre protectionniste, n’a pas beaucoup de sens. Le gouvernement n’a pas à se mêler du quotidien des entreprises privées sauf à veiller à ce que les textes régulateurs soient appliqués. Cette frénésie là, n’a pas de sens sauf si on considère que le gouvernement essaie de répondre à une demande politique qui n’est pas satisfaite. Le discours sur la compétitivité et les projets de réformes en faveur de l’entreprise passent mal auprès des militants socialistes et ce faisant auprès de la majorité parlementaire.
Les ministres parlent fort pour compenser leur impuissance. Arnaud Montebourg a essuyé échec sur échec. Il s’est trompé sur SFR, il s’est trompe sur Alstom, il va se tromper sur les banques. Les rémunérations ont été décidées par le conseil d’administration. Elles sont beaucoup plus élevées en Grande-Bretagne et en Allemagne. Arnaud Montebourg n’obtiendra guère de résultats concrets en ressortant ce décret protectionniste qui ne sera pas appliqué.
En attendant, le gouvernement parle à ses électeurs, ou à ce qu’il en reste. A quelques jours des élections européennes, qui vont enregistrer une poussée des eurosceptiques, Manuel Valls laisse se diffuser une parole protectionniste histoire de dire que le Parti Socialiste n’est pas prêt à brader l’industrie française. Ca ne mange pas de pain, ça ne changera rien mais ça va avoir trois séries de conséquences.
La première, c’est que cela va refroidir, voire réfrigérer, les investisseurs étrangers. Ensuite, ça nous exonère de réfléchir à une véritable politique industrielle. Or, c’est ce dont nous aurions besoin plus que d’une partie de Monopoly improvisée au gré de l’actualité des entreprises. Enfin, ça peut décrédibiliser l’ambition de redresser la compétitivité. S’il y a bien quelque chose de contreproductif pour l’entreprise, c’est bien l’interventionnisme permanent et un peu désordre d’un gouvernement.