Le combat contre la réforme des retraites sera-t-il le nouveau ciment de la gauche ? « Sur la retraite à 60 ans, on peut mener une campagne unitaire en assumant des divergences de points de vue », estime en tout cas Olivier Besancenot. « L'histoire d'augmenter les annuités, je ne la partage pas mais, ceci étant, on est pragmatique et il y a des choses qu'on peut dire ensemble », relève le jeune leader du Nouveau Parti anticapitaliste.
Cette volonté d'union contre la retraite à 62 ans, adoptée vendredi par les députés, a été reprise tout au long du week-end par les différents responsables des partis de gauche sur l'estrade de la Fête de l'Humanité. Et tant pis si Jacques Dutronc et Alain Souchon ont été les têtes d'affiche de cette 80e édition malgré leurs 67 et 66 ans printemps respectifs !
Sur les retraites, « rien, nous ne lâcherons rien, nous allons vous battre M. Sarkozy » par « une mobilisation sociale phénoménale », a ainsi lancé, très applaudi, Pierre Laurent dont c'était la première fête de l'Huma en tant secrétaire national du PCF. Peu auparavant, Benoît Hamon, porte-parole du Parti socialiste, avait comme Olivier Besancenot reconnu que les différents partis de gauche ont « des positions différentes sur des aspects de la réforme », notamment sur l'allongement de la durée des cotisations. Mais « personne ne brisera ni le front syndical (...) ni le front politique », a-t-il assuré car il y a un « accord général à gauche sur la remise en cause de cette réforme-là ».
A Mulhouse, dans le cadre de la Fête de la concorde (qui rassemble « le peuple de gauche » du département, selon ses organisateurs), Arnaud Montebourg a également réaffirmé l'engagement officiel du PS à revenir sur la réforme actuelle si les socialistes gagnent les élections en 2012. Une position déjà défendue jeudi par Ségolène Royal, présidente de Poitou-Charentes, et hier par Martine Aubry, numéro un du PS. « Aujourd'hui, c'est 95 % de l'effort pesant sur les salariés et 5 % sur les actionnaires. Ce sera 50-50. On est tous unis sur cette ligne très forte pour nous. C'est la position de l'unanimité du bureau national (du PS) », a répété le député de Saône-et-Loire. Seul, François Hollande a semblé faire entendre une petite musique dissonante sur le refrain des retraites. Le député de Corrèze et ex-premier secrétaire du PS a mis en garde ceux qui croient « au grand soir » avec une grève générale contre la réforme des retraites et il a dit que « le devoir » des socialistes était « de montrer qu'il y a non pas un contre-projet mais une autre réforme des retraites ».
« Un miroir aux alouettes », selon Woerth
La promesse socialiste de réintroduire la possibilité de partir à la retraite à 60 ans en cas de victoire en 2012 est un « miroir aux alouettes », dénonce Eric Woerth. « Jamais la gauche ne reviendra là-dessus », assure-t-il en déplorant « l'agressivité folle du Parti socialiste qui masque le manque d'idées ». Les manifestations sont la preuve que « dans le domaine des retraites, il faut beaucoup de pédagogie », relève le ministre du Travail. Interrogé lors du Grand Rendez-Vous » Europe 1/Le Parisien, Eric Woerth a, en revanche, esquivé à plusieurs reprises des questions sur une possible évolution de son projet de réforme, notamment au Sénat après la nouvelle journée de grèves et de manifestations organisée par l'ensemble des syndicats le 23 septembre. « Aucun débat parlementaire n'est totalement verrouillé, heureusement (...) mais ce que je veux dire, c'est qu'on a beaucoup pesé l'équilibre et les fondamentaux de cette réforme », a-t-il dit.
lundi 13 septembre 2010
Même refrain à gauche contre la retraite à 62 ans
Claude Chabrol connaissait bien la bourgeoisie - il en était, de naissance. Il savait qu'un bourgeois, c'est l'argent, le pouvoir, et la bonne conscience nécessaire à une jouissance discrète, sereine et convenable. C'est d'ailleurs là que commence un film de Chabrol, au moment où s'effrite la bonne conscience, où la jouissance devient scandaleuse. On enterre aujourd'hui Chabrol sous les compliments… C'est bien, mais l'on pourrait aussi se demander où sont passés les bourgeois. Car on n'en parle plus, dans notre pays. On moque les bourgeois-bohème, les bobos, mais on les devine plus ridicules que puissants. Et l'on fait comme si le bourgeois s'était fondu dans la classe moyenne qu'il convient de défendre, parce qu'elle se lève tôt. Au fait, parlant de bourgeois, savez-vous que Chabrol préparait un film sur l'affaire Woerth-Bettencourt ? Rien que pour cela, on regrette qu'il soit parti…
On ne sait s'il faut le voir comme une récompense annonciatrice de lendemains glorieux, ou comme un cadeau de départ pour solde de tout compte. Le sondage Ifop JDD, qui consacre François Fillon comme premier ministrable préféré des Français après le remaniement de novembre, symbolise la revanche d'un second resté longtemps confiné dans un effacement frisant la disparition. Il préfigure, aussi, un problème politique qui avait échappé à ses théories minimalistes sur la fonction. Ses 55 %, loin devant une MAM disciplinée et un zélé Borloo, pourraient bien mesurer une réussite un peu trop éblouissante pour ne pas être zappée.
Voilà presque deux ans et demi que le chef du gouvernement est nettement plus populaire que le chef de l'État. Une apparente anomalie dans une Ve république où Matignon faisait traditionnellement office de rempart pour protéger l'Élysée. Mais c'était avant le bouleversement de la géographie des pouvoirs provoqué par le quinquennat et intensifié par l'hyperprésidentialisation. Désormais, le président, qui monte lui-même en ligne pour se battre sur tous les fronts, est à découvert, laissant à son premier ministre l'arrière et son relatif confort. L'intelligence de François Fillon, c'est d'avoir su donner de la consistance à cette mission d'intendance. Toujours calme, bien que ferme, il parvient à distiller un sentiment de sagesse après les passages à la hussarde de son chef. Loyal, il a réussi, avec une subtilité jésuite que les connaisseurs apprécient à sa juste valeur, à faire entendre la petite musique de sa différence. Solide et constant, il s'est discrètement mais constamment démarqué de l'agitation présidentielle.
C'est ainsi qu'il a imposé sa figure rassurante dans l'opinion. Jusqu'à l'inversion des rôles. Quand le président gesticule et tempête dans les polémiques, il expose tranquillement sa vision de la réforme des retraites. Jeudi soir, sur France 2, sa décontraction et son aisance furent presque royales. Des attributs que les Français aiment à trouver chez leur monarque républicain... et qu'ils cherchent désespérément dans le personnage enflammé d'un Nicolas Sarkozy, perpétuel candidat.
Le président fera-t-il payer à ce Premier ministre insolemment présidentiel ce renversement de hiérarchie en le congédiant avec fleurs et couronnes ? Que faire de celui qui apparaît déjà aux électeurs UMP comme un candidat de rechange bien plus prometteur que ne l'est aujourd'hui le vainqueur de 2007 ? Plébiscité par les siens, il serait sans doute encore plus dangereux en liberté que dans la cage du pouvoir. Pourvu, espère-t-on auprès du chef de l'État, qu'il ne se mette pas en tête de régner sur ses « populaires » après avoir mis dans sa poche tous leurs députés. Le roi, alors, serait nu.
Menacée, touchée, vulnérable. Au lendemain du 11 septembre 2001, c'était une évidence : l'Amérique avait beau être la première puissance militaire et économique du monde, son territoire n'était plus inviolable, ses moyens de défense imparables. C'est le propre du terrorisme, faire vaciller plus fort que soi. Les stratèges d'Al-Qaida y sont parvenus, au-delà probablement de leurs propres espérances. Le monde de l'après 11-Septembre n'est plus le même, l'Amérique non plus.
Neuf ans, deux guerres et une crise économique plus tard, il est un autre aspect qui ressort avec davantage de relief qu'en 2001. L'amalgame croissant, dans l'opinion publique, entre le terrorisme et l'islam. Comme si les attaques aériennes des commandos de Ben Laden avaient inoculé une « question musulmane » dans les veines de la démocratie américaine, pourtant viscéralement attachée à la liberté religieuse la plus large possible.
Un nombre croissant d'Américains, près d'un sur deux, pensent que l'islam encourage ses fidèles à la violence plus que les autres religions. Les épisodes de vandalisme se multiplient contre les mosquées ou de plus modestes centres de prière. La parole publique, sur Fox News mais pas seulement, s'embarrasse de moins en moins de précautions pour assimiler la religion musulmane à la pratique terroriste, voire au nazisme comme l'a fait récemment l'ancien président de la Chambre des représentants.
Plus encore qu'en 2001, on assiste ainsi à une montée d'islamophobie, exacerbée par le projet de construction d'un centre musulman près de Ground Zero, ou encore les délires d'un pasteur désireux de brûler le Coran. Ce regain d'intolérance religieuse nous en dit long sur l'état de fragilité de la société américaine, neuf ans après les attentats.
On aurait même l'impression d'y retrouver certains réflexes xénophobes si répandus actuellement en Europe. On peut aisément, il est vrai, repérer de sérieuses affinités entre les militants des Tea Party, rageusement déchaînés depuis l'arrivée d'Obama au pouvoir, et les populistes de tous poils qui, en Europe, prospèrent sur les répercussions sociales de la crise économique.
Sans faire de l'histoire des États-Unis un long fleuve tranquille de cohabitation religieuse, le Nouveau Monde s'est toujours distingué du Vieux Continent par son ouverture à toutes les églises et toutes les sectes imaginables, par un déisme amplement partagé, affiché même jusque sur le fameux billet vert. Tous les credo étaient admis autour du drapeau. Même l'islam. Pour de nombreux Américains, ce n'est plus vraiment le cas depuis un certain 11 septembre.
Il y va pourtant d'une des valeurs fondatrices de la démocratie américaine, et le président Obama a cru de son devoir, samedi, de préciser : « Ce n'est pas une religion qui nous a attaqués. » L'engagement dans ce sens de la très grande majorité des responsables religieux du pays est plutôt rassurant. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est la propension de franges de plus en plus radicales de la droite chrétienne américaine à occuper le champ politique laissé vacant par le parti républicain, qui ne s'est toujours pas remis des années Bush.
Direction de l'UMP : les trois cartes de Nicolas Sarkozy
Le chef de l'Etat ne va pas seulement changer de gouvernement à l'automne. Il souhaite remanier la direction de l'UMP afin de refaire de la formation une machine de guerre pour la campagne présidentielle. Trois hypothèses sont actuellement envisagées.
C'est l'autre remaniement à venir. Et il est, aux yeux de Nicolas Sarkozy, tout aussi important que celui qui affectera le gouvernement. A moins de deux ans de la présidentielle, le chef de l'Etat veut donner un nouveau souffle à l'UMP. Encore lui faut-il pour cela trouver l'homme idoine. Faire confiance à Jean-François Copé, l'homme pressé, offrir l'appareil à François Fillon, le secret, ou maintenir à son poste Xavier Bertrand, le dévoué. Telles sont les hypothèses actuellement à l'étude à l'Elysée, qui observe à distance les positionnements des uns et des autres. « Dans le jeu de taquin actuel, c'est le sujet clef », confie un ministre qui insiste : « Le jour où vous donnez les clefs du parti, vous donnez les clefs de votre propre vie. »
Leurs relations ont longtemps été tendues ; pourront-ils marcher main dans la main ? Pour Nicolas Sarkozy, propulser Jean-François Copé est à la fois tentant et risqué. A la tête du groupe des députés UMP et avec son club Génération France, Jean-François Copé a fait la preuve de son dynamisme et de sa capacité à avancer des idées. « J'ai une marque de fabrique », s'enorgueillit-il. D'un autre côté, bien des sarkozystes doutent encore de sa bonne foi, trouvant un peu surjouée sa promesse de tout faire pour assurer la réélection du chef de l'Etat sortant. Le chef de file des députés UMP a en tout cas changé son fusil d'épaule et convoite ouvertement le parti, lui qui avait juré qu'il « ne bougerait pas » de son poste à l'Assemblée, puisque ses « amis députés » l'ont « élu à leur tête pour cinq ans ». La question demeure : déjà candidat pour 2017, Jean-François Copé a-t-il véritablement intérêt à une victoire de Nicolas Sarkozy en 2012 ? « Si tu lui donnes les clefs du parti, pense à faire un double », avait glissé Jean-François Copé au chef de l'Etat, lorsqu'il avait confié l'UMP à Xavier Bertrand. L'actuel porte-parole adjoint de la formation majoritaire, Dominique Paillé, a déjà prévenu : « Si Jean-François Copé prend l'UMP, inutile de garder un double : il aura déjà changé les serrures. »
L'hypothèse Fillon au secrétariat général de l'UMP, envisagée par Nicolas Sarkozy, « résout beaucoup de problèmes en même temps », souligne un ministre. Plus légitimiste que Jean-François Copé et aussi populaire que lui chez les parlementaires, François Fillon qui a été secrétaire national aux fédérations du RPR, connaît la mécanique partisane. Il n'a donné aucun signe sur ses intentions mais aurait d'entrée, dixit un proche, une « autorité » sur le mouvement. L'arrivée d'un Premier ministre sortant à la tête de l'UMP ne sonnerait pas comme un désaveu de Xavier Bertrand. Et, même si 55 % des Français souhaiteraient voir François Fillon rester Premier ministre selon un sondage Ifop pour le « JDD », lui confier l'UMP serait, pense-t-on à l'Elysée, un moyen pour Nicolas Sarkozy, de tenir dans son giron un homme qui apparaît de plus en plus comme un recours à droite. Il y a bien eu des accrochages entre le président et le chef du gouvernement, mais ce dernier a (presque) toujours fini par s'incliner. Pour l'avenir, la question est bien là : si François Fillon prend les rênes de l'UMP, acceptera-t-il d'être aussi discipliné qu'à Matignon, alors qu'il prend désormais plaisir à assumer ses « différences » avec Nicolas Sarkozy ? Et, s'attellera-t-il pour le compte d'un autre, à la tâche ingrate d'animateur d'un appareil politique ? Même parmi ses proches, les avis sont partagés.
Les risques inhérents aux options Copé et Fillon pourraient éventuellement conduire le chef de l'Etat à choisir le statu quo. Laisser le député de l'Aisne, son ex porte-parole de campagne et ex-ministre du Travail à la tête du parti présente pour Nicolas Sarkozy un avantage : Xavier Bertrand est d'une fidélité sans faille. Depuis 2007, et plus encore depuis qu'il a été propulsé à la présidence de l'UMP en 2009, l'ex-chiraquien a mis ses pas dans ceux du chef de l'Etat. Sans jamais dévier de la ligne, ni faire entendre une autre musique que celle du chef de l'Etat, quels que soient les changements de partition. Mais Xavier Bertrand est-il encore le mieux placé pour faire fonctionner la machine de guerre que doit être l'UMP dans une campagne présidentielle ? Même chez les très proches de Nicolas Sarkozy, certains en doutent. Le secrétaire général s'est sans conteste bien acquitté de la tâche ingrate qui consiste à faire le tour des fédérations pour les mobiliser. Mais il n'a pas pu enrayer la baisse du nombre d'adhérents et n'est guère parvenu à alimenter la boîte à idées. Surtout, il n'a pas réussi à contrebalancer, comme le souhaitait l'Elysée, l'influence prise par Jean-François Copé… celui-là même qui a lancé l'offensive contre son maintien à l'UMP.
ELSA FREYSSENET ET PIERRE-ALAIN FURBURY
Utiliser les données chiffrées fournies par la comptabilité nationale publiée par l’INSEE, correction faite de leurs erreurs de double emploi, permet de jauger ce qui est dit être le « modèle social français ». Alors est évidente l’imposture de la promotion faite de ce « modèle » par l’appareil d’État.
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Aujourd'hui à l'heure où Flamands et Wallons parlent d'édifier des frontières, sinon des murs entre eux, et où des groupes ciblés sont par avions entiers reconduits hors du territoire français, quelle image d'elle-même l'Europe donnet-elle au monde ?
La crise politique, identitaire et avant tout morale que traverse la Belgique est-elle une nouvelle « histoire belge », une exception tragi-comique somme toute secondaire, ou reflète-t-elle une crise européenne plus générale et plus grave, dont le royaume de Belgique est l'expression la plus extrême ?
Le statut particulier de Washington DC aux Etats-Unis a du sens dans le cadre du système fédéral américain. Mais Bruxelles peut-elle demeurer la capitale de l'Union si elle cesse d'être la capitale d'un Etat membre de l'Union ?
En Italie, on a coutume de dire que la nation italienne, en cent cinquante ans d'histoire, n'a toujours pas réussi à se doter d'un Etat digne de ce nom. En Belgique serait-ce l'Etat, créé en 1830, de par la volonté d'une élite wallonne avec le soutien de la France de Louis-Philippe, qui aurait échoué dans sa tentative de créer une nation, en dépit de la stabilité de la monarchie, de l'empire colonial… et du football ?
« Entre Flamands et Wallons, il y a autant de similarités qu'entre Esquimaux et musulmans… » Lorsque l'on écoute aujourd'hui à la télévision française certains commentaires extrêmes de Flamands et désormais de Wallons sur l'unité de la nation belge, on ne peut que se demander ce qui est advenu à l'identité européenne, et ce qui peut-être encore fait pour sauver la Belgique. Belges et Irakiens sont désormais unis dans une même incapacité à former un gouvernement d'unité nationale depuis de longs mois. La situation est certes plus désespérée en Irak, du fait de la violence, mais serait-elle au fond plus grave encore en Belgique, en termes d'identité nationale ? La nation est un référendum de chaque jour disait Ernest Renan. Si, jour après jour, le référendum est négatif, un divorce devient inéluctable.
Il n'est plus temps de revenir sur les causes bien connues de la situation présente. L'arrogance irresponsable des uns, l'humiliation des autres, l'inversion des complexes de supériorité et d'infériorité entre les deux communautés, la complexité du problème bruxellois, la « trahison » de politiques, qui, n'ayant pas suffisamment le sens de l'Etat, ne peuvent « redonner vie » à la nation… Tout a été dit. Et si ses habitants ne se définissent plus comme belges, la Belgique est morte.
Crise belge et crise européenne se renforcent l'une et l'autre dans une dialectique négative qui conduit au blocage. En réalité l'Europe a tout autant besoin de la Belgique que la Belgique de L'Europe. Est-ce la déprime européenne qui gagne la Belgique ou l'implosion de la Belgique qui menace l'Union européenne ? Sont-ce les ondes négatives de Bruxelles qui irradient l'Europe ? La création éventuelle d'une république des Flandres et d'une république de Wallonie constituerait un encouragement fort pour la Catalogne et l'Ecosse…
Un univers mental et politique se traduit sur le plan architectural. Le grand architecte français Christian de Portzamparc a été chargé de recréer autour de la rue de la Loi à Bruxelles un nouveau quartier qui exprime la confiance et l'espoir de l'Europe en son avenir et ses institutions. La mission semble être devenue impossible aujourd'hui. Chaque pays exerce des pressions pour avoir son quartier et son architecture. Ce n'est pas l'Europe qui se projette dans l'avenir avec un projet ambitieux et unitaire, ce sont les nations européennes qui célèbrent leur passé au sein d'une métropole qui se demande si elle a encore un futur. Ne risque-t-on pas de créer ainsi sur le plan architectural l'équivalent contemporain d'une tour de Babel ? En termes d'image et de réalité, le désir ou la résignation au divorce de la Belgique est désastreux pour l'Europe. L'Europe amoindrie d'aujourd'hui ne peut suffire à redonner aux Belges l'envie et le goût de vivre ensemble. Mais Flamands et Wallons, quel que soit leur destin demain, doivent demeurer des Européens, c'est-à-dire des citoyens ouverts et respectueux de l'autre. S'il existe encore des Belges, ils doivent se faire entendre et vite pour la Belgique comme pour l'Europe.
Dominique Moïsi
En dédaignant les amendements apportés par l'exécutif à la réforme des retraites, les syndicats font la fine bouche. Mesurent-ils bien ce qu'ils ont obtenu ? Certes rien sur le recul des âges légaux de la retraite. Mais rien de moins que l'introduction d'un nouveau droit social : celui de pouvoir partir en retraite anticipée, dès 60 ans, pour cause de travail pénible. Un droit que l'Etat français, décidément jamais en retard d'une providence, s'apprête à consacrer alors qu'il est sans équivalent dans les pays de l'OCDE.
Le principe était affirmé dans le projet initial sous la forme d'un maintien de l'âge légal de départ à 60 ans pour les travailleurs ayant eu un métier pénible au point d'être reconnus en incapacité physique pour au moins 20 %. De cette mesure assez restreinte au départ, Nicolas Sarkozy a fait un dispositif plus large en décidant, la semaine dernière, d'abaisser à 10 % le seuil d'incapacité pris en compte, et de l'étendre aux agriculteurs. Cette seule décision a déjà triplé la cible théorique de départ, passée en une nuit de 10.000 à 30.000 personnes.
D'un point de vue financier, l'enjeu n'est pas anecdotique. Il en coûtera, en effet, plus d'un demi-milliard d'euros par an à la branche d'indemnisation des accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Une branche dont le déficit cumulé 2009-2010 devrait être compris entre 1 milliard et 1,5 milliard d'euros. Même si cela paraît peu de chose en comparaison du déficit colossal que s'apprête à connaître l'ensemble du régime général de Sécurité sociale cette année (27 milliards d'euros), la « mise de départ » est loin d'être négligeable.
Elle représente le tiers de celle du revenu de solidarité active (RSA), lancé voici tout juste deux ans. Manifestement réticent à ouvrir une nouvelle boîte de Pandore sociale, le gouvernement a pris la précaution d'encadrer ce nouveau droit de trois manières, en veillant à ce qu'il soit attribué de façon individuelle et non pas collective, conditionnelle et non pas automatique, et enfin à partir d'éléments constatés et non pas présumés - comme c'est d'ailleurs, naturellement, la règle en matière de réparation d'un dommage. La solution prisée par les organisations syndicales, soutenue par une partie de la gauche et des éléments de l'aile sociale de la droite consistait, au contraire, à arrêter des critères de pénibilité applicables à tous sans que chacun ait à devoir soumettre son cas à une commission d'experts.
Ainsi, aurait-il dû suffire d'avoir été exposé un certain temps à des conditions de travail particulières. La liste des facteurs de pénibilité est du reste assez consensuelle : travail à des horaires décalés, fractionnés ou nocturnes, exposition au bruit, aux vibrations ou au port de charges lourdes, manipulation de substances toxiques, cancérigènes, travail dans des conditions extrêmes - de froid, par exemple, comme dans les abattoirs.
Pour certains, le seul fait de justifier d'un ou plusieurs de ces éléments devrait suffire à qualifier la pénibilité, donc sa réparation sous forme de droit à la retraite anticipée. « Des dizaines d'années de marteau-piqueur ont sur l'organisme humain des incidences délétères que ne peuvent compenser ni la gratuité des soins ni le système de retraite actuel », écrit ainsi, dans « Le Figaro » du jeudi 9 septembre, l'ancien député Jean-Frédéric Poisson (UMP), auteur d'un rapport sur le sujet. L'approche gouvernementale consiste, au contraire, à objectiver l'effet de la pénibilité, par la reconnaissance d'une incapacité.
C'est cette précaution qui passe mal, y compris au sein de la majorité. Ainsi, le président du Sénat n'est-il pas loin, lui non plus, de réclamer une reconnaissance a priori de la pénibilité lorsqu'il se demande si l'on ne devrait pas, tout simplement, parvenir, à des listes de métiers pénibles. Cette approche « verticale » plutôt que « transversale » (par le biais des professions plutôt que par celui des conditions de travail) trouve cependant peu de partisans, car elle reviendrait à rebâtir des régimes spéciaux.
Préalable à l'obtention du droit à une retraite dès 60 ans, le passage de chaque demandeur devant une commission mixte, composée de médecins et de partenaires sociaux, devrait apporter enfin une protection face aux abus comme il y en a eu, et en grand nombre, dans l'attribution - parfois sur la base d'une simple attestation de travail -du droit au départ anticipé pour carrières longues. Il n'est pas certain, toutefois, que cette sage précaution suffise à empêcher ce droit social nouveau de gagner du terrain. La présence dans ces commissions de représentants syndicaux accrédite ce risque.
Et ce ne sont pas les précédents qui manquent, à commencer par celui de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), instituée le 1 er janvier 2002 par le gouvernement Jospin. Attribuée elle aussi après examen par une commission médico-sociale, l'APA devait couvrir une population potentielle de 800.000 personnes âgées dépendantes. Elle est versée aujourd'hui à près de 1,2 million et son coût global - à la charge des départements -a doublé en sept ans.
Même si le nombre de Français théoriquement concernés par la retraite anticipée pour pénibilité est sans commune mesure, il n'est pas négligeable. Ce sont quelque 115.000 personnes de tous âges qui arrêtent de travailler, chaque année, au titre de l'inaptitude au travail. Et le montant total de rentes permanentes pour incapacité versées par la Sécurité sociale dépasse pour la première fois, depuis la fin de 2009, 4 milliards d'euros.
A nouveau, l'Etat providence s'apprête à ajouter une couche au mille-feuille social plutôt qu'à en retirer, à réparer un dommage collectif plutôt qu'à le prévenir et à payer pour en compenser le résultat -une espérance de vie réduite -plutôt que pour éviter d'en arriver là.
Que l'on vende du textile, des voitures ou des téléphones mobiles ne change rien à l'affaire. Dans le nouveau monde du business le théorème du sandwich s'applique à tous. A Hermès comme à Zara, à BMW comme à Logan, mais aussi à Apple comme à Nokia, qui, incapable de se plier aux règles du jeu de cette nouvelle réalité, vient de se résoudre à changer brutalement de patron.
En ce début de XXI e siècle, l'avenir ne semble plus appartenir aux généralistes mais bien aux spécialistes. Pour dominer, voire survivre, l'industriel ne doit plus être dans un milieu de gamme qui assura longtemps la prospérité, mais dans le haut ou dans le bas de gamme, qui grâce au progrès technique n'est plus synonyme de mauvaise qualité, mais bien d'excellent rapport qualité-prix. Sur des marchés saturés tirés par une demande de renouvellement, l'important n'est plus de répondre à un besoin mais bien de contribuer à faire rêver le consommateur ou de lui permettre de faire des économies en lui fournissant un produit certes relativement banal mais robuste et abordable.
Pour n'avoir pas réussi à faire face à cette nouvelle réalité, Nokia se retrouve pris en sandwich entre les iPhone à plusieurs centaines d'euros et les mobiles à prix cassés de concurrents chinois. Le géant finlandais reste certes profitable et sa survie est loin d'être en cause mais une part croissance de la valeur est désormais captée aux deux bouts de la chaîne par Apple et des concurrents asiatiques.
Le temps où la réussite d'un groupe tenait à la performance de son outil industriel, à sa capacité à améliorer régulièrement de façon incrémentale ses produits et à son accès au capital est révolu. Aujourd'hui, les usines de sous-traitants chinois peuvent tout produire, l'innovation se fait plus par rupture que par petites touches et la finance moderne est capable de soutenir toutes les bonnes idées. Qu'elles émanent d'une start-up comme d'un acteur historique.
Le positionnement est désormais clef. Et celui de Nokia est bien flou. En dépit de ses atouts considérables (sa marque, sa taille, sa présence mondiale, sa culture...), le géant finlandais doit choisir. A-t-il les moyens technologiques de rivaliser avec Apple dans un monde des télécoms désormais plus tiré par le « soft » que le « hard » ? Ou doit-il au contraire faire le pari des volumes en devenant le Zara ou la Logan du mobile ? Le temps presse en tous les cas, s'il ne veut pas finir pris en sandwich.
PAR DAVID BARROUX
Oui, il faut stabiliser les prix des matières premières. C'est du moins cette conviction qui avait amené, il y a un demi-siècle, les pays producteurs de pétrole à créer l'Opep (l'organisation des pays exportateurs de pétrole). C'est la même conviction qui amènera la France à proposer de nouvelles mesures lors de sa présidence du G20, qui commencera en novembre prochain. Le président Nicolas Sarkozy l'a dit fin août. Son ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, a avancé ce week-end l'idée d'un encadrement des positions prises par les investisseurs sur les marchés à terme. L'un et l'autre s'inscrivent dans une longue tradition française de doute à l'égard des signaux donnés par les prix. Mais ils s'inscrivent aussi dans une interrogation nouvelle qui émerge à l'échelon mondial : les mécanismes de formation des prix sont-ils vraiment optimaux sur les marchés de matières premières ? La nouvelle flambée des cours du blé cet été, après celle de 2008 qui avait provoqué des émeutes de la faim dans nombreux pays, a relancé le débat. Il ne paraît plus raisonnable de laisser aux seules forces du marché les prix des matières premières, ces matières à la base de la nourriture des hommes - et de leur production.
Comme dans les années 1950 et 1960, quand des initiatives mondiales avaient été lancées pour maîtriser les cours du blé, du coton, du cacao ou de l'étain, parfois sous l'égide des Nations unies. Mais il serait tout aussi déraisonnable de nier ces forces du marché, comme le montrent les échecs des accords du passé.
Trois voies méritent d'être explorées. D'abord, l'amélioration de la supervision financière des marchés de matières premières. C'est là que sont nés les marchés à terme, pour limiter la volatilité les prix - une volatilité qu'ils semblent parfois aujourd'hui accroître. Et leur réputation sulfureuse ne date pas d'hier. Comme le demande Nicolas Sarkozy, ils doivent être aussi bien surveillés que les marchés d'actions. Ensuite, il est nécessaire de renforcer la liberté des échanges, du côté des exportations comme du côté des importations. Les barrières à l'export, comme celles érigées sur le blé par la Russie le mois dernier, accroissent la volatilité des prix. Enfin, il faut envisager de développer le stockage des produits essentiels pour amortir les chocs. Une idée défendue par… Keynes, dès les années 1920.
Jean Marc Vittori
Les députés ont décidé vendredi de faire passer l’âge de la retraite de 60 à 62 ans d’ici à 2018, à raison de quatre mois par an. Avec ce vote, c’est le symbole de la retraite à 60 ans, une des premières mesures du premier mandat présidentiel de François Mitterrand, qui est tombé. La réforme des retraites devrait se poursuivre selon le calendrier annoncé en juin dernier par le premier ministre, François Fillon. Dans les jours qui suivent, l’Assemblée nationale devrait faire passer de 65 à 67 ans l’âge pour bénéficier d’une retraite à taux plein, quel que soit le nombre d’annuités.
L’importante mobilisation syndicale de mardi dernier n’a pas fait fléchir la détermination du gouvernement. Le chef de l’État souhaite mener à son terme la réforme, ne serait-ce que pour affirmer sa capacité de passer de la promesse à l’action et de réformer la France en profondeur. Les confédérations syndicales ont été consultées. Mais dans une lettre ouverte adressée au président de la République, aux membres du gouvernement et aux parlementaires, datée du 9 septembre, sept responsables syndicaux (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, Unsa, FSU, Union syndicale Solidaires) ont demandé « solennellement » à pouvoir faire entendre leur point de vue, notamment au sujet des carrières longues, des parcours professionnels discontinus, de la pénibilité et du chômage des travailleurs âgés. « La méthode utilisée qui a consisté pour l’essentiel à recevoir les syndicats sans jamais réellement les entendre a contribué à accroître les tensions », écrivent-ils encore.
Les syndicats savent qu’ils n’ont rien à gagner à s’engager dans un conflit social dur. Les salariés des secteurs non protégés ne s’engageront pas dans la grève tout en subissant les débrayages dans les transports. Le front syndical n’y résisterait pas. Le gouvernement aussi le sait et peut dès lors considérer comme superflu d’entrer dans une phase de négociation. Mais ce serait aussi réduire la réforme des retraites à de simples ajustements techniques. Or elle est bien plus que cela, et c’est pourquoi la demande des syndicats à être mieux associés aux négociations mérite d’être entendue.