TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

jeudi 24 mars 2011

Le commentaire politique de Christophe Barbier




Inquiétudes

La première menace qui pèse sur l'intervention aérienne en Libye c'est l'oubli de ce qui l'avait justifiée : le sauvetage in extremis de la population de Benghazi. Avec les jours qui passent au rythme des frappes contre les moyens militaires du colonel, c'est maintenant l'incertitude sur la suite de cette aventure qui constitue la menace essentielle. Le large soutien des parlementaires lors du débat d'hier, n'est pas exempt d'inquiétudes auxquelles François Fillon et Alain Juppé ont répondu. En partie du moins.

Les divergences qui se sont exprimées en Europe, en Afrique, dans certains pays arabes ont provoqué une sorte de brouillard dangereux qui risque de saper la légitimité de cette opération, donc d'encourager Kadhafi pourtant affaibli militairement. Le flou sur le commandement, source de bien des réticences, devrait être levé prochainement par la mise en place d'un pilotage politique, associant notamment les états arabes. Même si ses capacités sont utilisées, ce n'est donc pas l'Otan qui dirigerait cette intervention annoncée de courte durée.

Le risque d'enlisement, ou même de semi-échec, menace pourtant la coalition. Intervenue au titre de la protection du peuple libyen, elle dispose d'un mandat assez extensible, du moins à court terme, pour autoriser des actions militaires offensives, mais dont les limites vont vite apparaître. Car ce ne sont pas les frappes qui vont automatiquement obtenir le départ de Kadhafi ni instaurer par magie la démocratie. Tout va donc dépendre, une fois restauré un meilleur équilibre des forces, des protagonistes eux-mêmes.

Là est l'incertitude la plus lourde. Pour la rébellion, la reconquête ne s'annonce pas facile. Car, s'il survit, Kadhafi peut avoir les moyens de jouer l'embrouille. La coalition lui propose la fin des opérations militaires en échange d'un cessez-le-feu et du retrait de ses troupes. En somme, il lui est demandé de laisser les insurgés regagner partout le terrain perdu. Comme on le voit mal, sauf heureux imprévu, prêt à ce genre de reddition, le scénario de la paix et de la démocratie n'est ni écrit ni visible sur les écrans radars des avions.

Course en avant

Le ministre de l’Industrie, Éric Besson, ne manque pas d’air. Il dément « catégoriquement » la perspective d’une hausse de 30 % des tarifs d’EDF, d’ici 2015… en annonçant, en même temps, une « légère augmentation » pour l’été prochain. Augmentation qui s’ajoutera aux 6,4 % déjà appliqués depuis un an ! À ce rythme, les 30 % visés par EDF sur cinq ans seront pulvérisés… avec la bénédiction du gouvernement. Mais chut, il ne faut pas le dire. Pierre Gadonneix, l’ancien PDG d’EDF, a été remercié parce qu’il réclamait 20 % d’augmentation sur trois ans. Son successeur Henri Proglio a des exigences encore plus élevées, sauf qu’il s’arrange plus discrètement pour obtenir gain de cause.

EDF et le gouvernement expliquent les besoins d’argent de l’électricien national par les investissements dans les énergies renouvelables et par la nécessaire modernisation du parc de centrales nucléaires. Ils oublient volontairement de citer deux autres motifs d’inflation beaucoup moins avouables : la privatisation partielle d’EDF a fait entrer des investisseurs qui veulent être – fortement – rémunérés. Et la libéralisation du marché de l’électricité tire les prix vers le haut. Grâce au nucléaire, nous payons notre électricité 30 % moins cher que nos voisins européens. Comme c’est bizarre : c’est justement ces 30 % qu’EDF réclame pour s’aligner sur ses concurrents. Il s’agit, pour le groupe français, de lutter à armes égales pour acquérir des participations dans d’autres pays. La priorité de la société nationale n’est plus de proposer le meilleur service au meilleur prix possible en France. Elle est d’arracher des parts de marché aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Pologne…

EDF a déjà connu beaucoup de déboires dans la conquête des Eldorados étrangers, notamment américain. Elle risque d’en connaître encore beaucoup plus à l’avenir. La catastrophe de Fukushima, au Japon, n’est pas une publicité pour l’énergie nucléaire, qui est le point fort du groupe. Celui-ci va être, très vite, engagé sur deux fronts, avec une mise en sécurité sans doute plus coûteuse que prévu pour ses centrales déjà en service, et des pertes de contrats à l’étranger, au profit d’autres énergies. Les tarifs n’ont pas fini de grimper. Malheureusement, les investissements en France ne justifient qu’une partie de cette course en avant dans la libéralisation effrénée du marché de l’électricité.

Nuage invisible, peurs perceptibles

Il est passé par ici, il repassera par là. Le « nuage » de Fukushima poursuit sa rotation autour de la terre, dispersant ses poussières dont la dangerosité diminue avec la distance. Autant on a pu mesurer hier une inquiétante hausse de la radioactivité près du site nucléaire, autant le risque sanitaire que son survol de la France pourrait entraîner est a priori « négligeable ». Les scientifiques sont formels. Ils ont déclenché la contre-offensive des mots. Qu'on se le tienne pour dit, il ne faut plus parler de « nuage » ou de « panache » mais de microparticules, tellement infimes qu'on n'est pas sûr de pouvoir les détecter ! Pour preuve, elles se sont promenées incognito au-dessus de l'Amérique. Il n'empêche... Depuis le mensonge de Tchernobyl, lorsqu'on avait, comme dans un manga, stoppé le vrai nuage pile à nos frontières, la confiance dans les experts est rompue. L'accident du Japon soulève de légitimes inquiétudes, le danger nucléaire étant loin d'être écarté. Pour en revenir à l'intriguant « nuage », force est de nous en remettre aux... experts. Ils n'affirmeront certes jamais le risque zéro mais ils banalisent le phénomène. Si la peur qu'il suscite parfois chez nous n'est pas raisonnée, quoique compréhensible, l'angoisse des Japonais est, elle, des plus rationnelle, tant la situation se révèle critique. Le danger de contamination sur la chaîne alimentaire est sans comparaison. Pensons que 35 millions d'habitants de la région de Tokyo sont suspendus au sens du vent, victimes potentielles de substances redoutables. Aussi l'achat de précaution observé en France avec les pastilles d'iode ressemble-t-il à une farce franchouillarde à une heure où les Tokyoites, stoïques dans la catastrophe, ne peuvent plus donner de l'eau du robinet aux bébés ni consommer de légumes.

Fukushima, centrale mondiale

Qui aurait pu l’imaginer il y a seulement quinze jours ? Hier, les Français ont regardé le ciel tout bleu avec une pointe d’inquiétude et cette nuit combien ont-ils été, avant de se coucher, à scruter le ciel étoilé en se demandant quel danger invisible il pouvait dissimuler ? Car on n’a parlé que de lui, le « nuage » radioactif venu du Japon, à la représentation presque enfantine dans notre imaginaire, et de son passage au-dessus de la France, en vérifiant encore et encore qu’il serait, de toute façon, parfaitement inoffensif.

On a calculé et recalculé les niveaux potentiels de radioactivité. Il paraît même que les compteurs Geiger sont introuvables. Rupture de stock… Sans compter les ventes de pastilles d’iode, qui ont explosé depuis quelques jours.

Une psychose évidemment grotesque, consternante de nombrilisme, mais qui suffit à montrer à quel point le flou qui entoure encore les risques de l’énergie nucléaire, et les approximations de l’information officielle sur les accidents de sa production, peuvent générer des peurs irrationnelles. Les mensonges de Tchernobyl — dont les retombées ont été près de 1 000 fois plus importantes que celles en provenance du Japon — ont laissé des traces dans les esprits européens. La confiance dans les messages rassurants reste fragile et relative.

Cette anxiété hexagonale met en évidence la dimension planétaire de la centrale de Fukushima. A plus de 10 000 kilomètres de l’Europe, elle reste perçue comme une menace presque voisine. Plus rien ne sera jamais comme avant ce 12 mars, où son explosion a réveillé les doutes sur une énergie qui ne déclenchait plus les passions depuis longtemps. Beaucoup moins en tout cas que les périls du réchauffement climatique… Il y aura un avant et un après. Voilà qu’Angela Merkel déclare, et répète, que « plus tôt on sortira (du nucléaire), mieux ce sera ». Et même le gouvernement de Silvio Berlusconi — un ultra du nucléaire s’il en est — instaure un moratoire d’un an dans le programme de construction des centrales qui doit marquer le retour de l’Italie dans le club atomique.

Jour après jour, le doute s’installe, y compris dans les propos des ministres français, nettement plus prudents qu’il y a… une semaine sur la pérennité du choix nucléaire. La contamination des légumes de la région d’Ibaraki, et de l’eau de Tokyo, impropre à la consommation pour les bébés, a surpris par leur intensité inattendue. Le monde mesure que les conséquences de l’accident de Fukushima sont bien plus rapides et plus incontrôlables que prévu. Quelque chose est en train de se rompre dans l’idée que l’humanité se faisait jusque-là d’une énergie qu’elle pensait maîtriser.


Fatigues électorales


Et si on revenait au vrai débat ? Au lieu de s'effrayer, à longueur de temps, du « raz-de-marée » FN, la classe politique devrait s'inquiéter des causes de son spectaculaire désaveu.

Le seul vainqueur, l'abstention, fait monter, en pourcentage, le score des partis les plus mobilisés. Plus la marée participative descend, plus on voit affleurer les récifs. En nombre de voix, les grandes formations s'effondrent, l'UMP surtout, le Parti socialiste dans une moindre mesure. Le Front national gagne, mais seulement en apparence, surtout par défaut.

Juste quelques chiffres pour confirmer ce constat ignoré des observateurs : entre les cantonales de 2004 et celles d'aujourd'hui, le FN ¯ il est vrai avec moins de candidats ¯ a perdu 110 000 voix ; le PS, 940 000 ; et l'UMP un million. Ainsi, le parti « majoritaire » n'a réuni, dimanche, que 1,5 million de suffrages, sur un corps électoral de vingt et un millions d'inscrits ! Leurs alliés fondent dans les mêmes proportions.

Même si les écologistes améliorent un peu leur score, mais avec davantage de candidats, la vérité est nette et cruelle : les Français se sont détournés massivement de cette élection et de la politique. Beaucoup de raisons objectives expliquent que les cantonales les découragent. Il n'empêche que notre démocratie, dont on fait miroiter les charmes dans les pays en révolution, est malade de cette abstention croissante au fil des scrutins. L'idée que tout aurait été essayé conduit soit à l'abstention, soit à l'extrémisme.

Un sentiment d'abandon

La confusion des jours derniers autour de l'attitude à adopter au second tour risque même d'être terrible. Les artifices tactiques renforcent l'idée que les grands partis sont incapables de se déterminer par eux-mêmes et tout juste capables de petites connivences pour se sauver des eaux. Ils valident la thèse de « l'UMPS » chère à l'extrême droite. Ils font oublier que si l'on gagne une élection avec un pourcentage, on ne peut durer sans adhésion de l'opinion.

Les électeurs se fichent pas mal qu'untel, dimanche, vote PS, blanc ou s'abstienne. Ils se moquent de consignes de désistement de moins en moins suivies. Ils ne demandent pas, en priorité, que l'on débatte ¯ autre aveu d'incapacité à agir ! ¯ de laïcité ou d'identité. Ils veulent des réponses précises à des problèmes concrets de pouvoir d'achat, de logement, de chômage, d'inégalités, de sécurité.

Le dernier rapport du Médiateur le confirme : les Français ne croient plus guère en leurs institutions et en leurs représentants. Ils sont fatigués, depuis de nombreuses années, de promesses non tenues, de mises en scène trompeuses, de réformes tourbillonnantes, de calculs électoraux, d'administrations kafkaïennes... Le sentiment d'abandon, d'isolement, d'impuissance et d'injustice gagne toutes les couches de la population.

Qu'une majorité, de droite ou de gauche, soit désavouée fait partie de la démocratie. Le plus inquiétant, c'est que l'alternance ne suscite pas davantage d'espoir. De ce point de vue, majorité et opposition portent la même et lourde responsabilité devant les attentes des citoyens. Mais les électeurs, au lieu de se lamenter des résultats qui sont de leur fait, ont aussi le devoir de sortir d'une certaine paresse pour s'informer ¯ jamais les projets des partis n'ont été aussi accessibles ¯ et pour courir voter en connaissance de cause.





Dernière


Frédéric Mitterrand, notre ministre de l’Emphase creuse et Prince du Lieu commun, n’a laissé hier à personne d’autre le soin de prononcer l’oraison funèbre: Elizabeth Taylor, a-t-il pleuré de sa voix de théâtre, était «la dernière star»... Nous ne discuterons pas ici des talents d’Elizabeth Taylor, ni de la beauté de ses yeux. Mais pourquoi «la dernière», Monsieur Mitterrand ? Curieuse époque, qui à chaque décès d’un grand salue le départ du «dernier» - comme si le partant refermait derrière lui la porte d’accès à la grandeur. Non, Elizabeth Taylor n’est pas la dernière star. Il en est d’autres qui brillent aujourd’hui, et il en naîtra d’autres encore, heureusement. Ainsi va la vie, même chez les étoiles. Et si nous comprenons que vous pleuriez votre jeunesse, Monsieur Mitterrand, pourquoi confondre votre ministère avec la célébration d’une culture de nostalgie de midinette ?