A trois semaines du premier tour de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy continue d'effeuiller son programme sans le dévoiler entièrement. Lundi 2 avril, il a ainsi esquissé, dans un entretien à L'Est Républicain, le financement de son projet pour 2012, sans le détailler.
Le président-candidat promet ainsi "115 milliards d'euros d'efforts, 75 milliards sur les dépenses, 40 milliards sur les recettes", dont 32 milliards sont, selon lui déjà votées via les plans de rigueur de 2011.
Quand le quotidien régional demande plus de précision sur le volet baisses des dépenses (75 milliards d'euros), Nicolas Sarkozy ne donne pas beaucoup plus de détails mais évoque tout de même une piste : "Il faut désormais que les collectivités territoriales s'y mettent. Les régions ont augmenté leurs effectifs de 175 % en dix ans sans avoir acquis de compétences nouvelles. Les intercommunalités ont accru leur personnel de 174 %. Martine Aubry a 32 vice-présidents à la communauté urbaine de Lille, Laurent Fabius 45 vice-présidents pour sa communauté d'agglomération [Rouen]. Est-ce raisonnable ?"
Autant d'attaques qui ne sont pas nouvelles : l'UMP fustige régulièrement les collectivités locales, en majorité contrôlées par la gauche, qu'elle rend en partie responsables de l'augmentation du déficit. Les choses sont pourtant plus complexes.
LES EFFECTIFS ONT AUGMENTÉ AVEC LA DÉCENTRALISATION
De fait, le nombre de fonctionnaires régionaux a explosé, passant de 8 600 en 1996 à 74 800 en 2008, dont 58 800 titulaires, selon l'Insee. Soit un taux de croissance annuel moyen de 21,2 % entre 1998 et 2009. Mais cette hausse très forte s'explique en grande partie par la décentralisation.
Depuis la loi du 13 août 2004, les régions ont en effet pris en charge une somme de compétences nouvelles, dont la formation professionnelle ou l'ensemble des personnels TOS des lycées (techniciens et ouvriers de services). Au total, selon le rapport public annuel de la Cour des comptes, "133 000 personnels, comptabilisés en équivalents temps plein [ETP] travaillant dans les services de l'Etat, ont été transférés aux collectivités territoriales dans les années 2006-2009".
Ces transferts de compétence n'expliquent pas l'ensemble de la hausse. Selon une étude du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), en 2009, 61,5 % des effectifs régionaux correspondaient à des agents transférés, 11,7 % à des agents recrutés en lien avec les transferts, et 26,8 % à des agents non concernés par les transferts. En effet, accueillir des TOS, par exemple, nécessite de créer de nouveaux postes... pour les gérer.
Les 175 % évoqués par Nicolas Sarkozy sont donc une simplification. Si on tente de mesurer la hausse hors transferts de compétences, elle est moindre. Selon le rapport 2011 sur les transferts financiers de l'Etat aux collectivités, la hausse - hors personnels directement liés à des transferts - fut de 111,9 % entre 2002 et 2009, soit 13 634 agents supplémentaires. Un chiffre qui, de plus, selon les régions, intègre une part de postes induits par les transferts de compétences. Et ces derniers sont mal compensés par l'Etat, dénonce l'association des régions de France.
Ce sont les communes et les intercommunalités qui sont, en numéraire, les plus concernées : elles concentrent 69 % des effectifs de la fonction publique territoriale, selon un rapport récent, qui pointe le fait que la création massive de communautés de communes n'a pas fait baisser les effectifs des communes elles-mêmes (Lire La hausse des effectifs des collectivités est critiquée dans un contexte de crise)
LA DETTE DES COLLECTIVITÉS LOCALES, 12,5 % DE CELLE DE L'ETAT
Peut-on faire des économies fortes sur les collectivités locales, comme le propose le chef de l'Etat ? Celles-ci contribuent pour 12,5 % à la dette de l'Etat. Au quatrième trimestre 2011, selon l'Insee, elles totalisaient 166,3 milliards d'euros de dette, contre 1 335,2 milliards pour l'Etat central, et 205,4 milliards pour la Sécurité sociale.
Quant au déficit, il est limité. Les collectivités locales n'ayant pas le droit de présenter des budgets en déséquilibre, elles ne peuvent s'endetter que sur leurs investissements. De fait, comme le rappelle un rapport de l'assemblée des départements de France, alors que l'administration centrale a creusé son déficit, passé de 2,6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2007 à 5,8 % en 2010, les administrations locales ont réussi à le réduire dans le même temps, de 0,4 % en 2007 à 0,1 % du PIB en 2010.
Depuis, la situation semble plus difficile pour les collectivités. Mais souvent, plutôt que creuser les déficits au sens comptable, les régions ont en fait augmenté leur fiscalité, de manière parfois importante en dix ans, comme le dénonce aussi régulièrement l'UMP.
Comment, dès lors, les faire contribuer au remboursement de la dette et à la lutte contre les déficits ? Nicolas Sarkozy ne l'a pas expliqué pour l'instant. Plus précis sur cette question, le projet de l'UMP - qui n'est pas celui de son candidat - prévoyait une baisse de la dotation de l'Etat aux collectivités locales, avec une modulation de l'aide "en fonction des efforts réalisés" pour assurer l'équilibre des finances.
En clair, l'enjeu selon l'UMP est de faire appliquer la révision générale des politiques publiques (RGPP), et le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, à l'échelle locale. Le parti propose aussi de fusionner "les services des conseils généraux avec ceux des conseils régionaux", sans plus de précisions.
Mais au final, le message n'est pas seulement comptable, mais aussi politique : les collectivités locales sont en majorité socialiste et pointer leur supposée mauvaise gestion peut avoir un intérêt électoral, au-delà des économies potentielles réelles.
En 2011, la dotation de l'Etat aux collectivités locales s'élevait à 50,3 milliards d'euros, un montant gelé en valeur depuis 2010 et jusqu'en 2013. La modulation de ce montant, qui représente environ 35 % des ressources des collectivités locales, représente un montant relativement faible, comparé aux 75 milliards d'euros d'économies de dépenses promises par le candidat Sarkozy.