Le gouvernement présente ce mercredi son programme pluriannuel de finances publiques. Alors que les impôts et cotisations sociales atteignent déjà le record de 46% du PIB, les dépenses publiques flirtent avec les 57%. Un décalage que le seul déficit public, qui s'établit un peu en dessous de 5%, ne suffit pas à expliquer...
Le gouvernement va présenter mercredi son programme pluriannuel de finances publiques. Alors que Pierre Moscovici a confirmé une nouvelle hausse des impôts en 2014, le taux de prélèvements obligatoires, c’est-à-dire le total des impôts et des cotisations sociales de tous ordres représentera 46,5% de la richesse nationale, du PIB, l’an prochain, contre 45% fin 2012. Le poids des dépenses de l’Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales atteint quand à lui 56,9% du PIB. Comment expliquez-vous les 10 points de décalage entre le montant de la dépense publique et le montant des prélèvements obligatoires ?
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Les trois zozos optimistes |
Gérard Thoris : Il y a ici trois concepts en jeu. La différence entre les recettes publiques et les dépenses publiques est simple à comprendre. Elle renvoie à la notion toute traditionnelle de surplus ou de déficit budgétaire. Pour l’année 2012, l’INSEE annonce ainsi un déficit public de 4,8 %. Mais la comptabilité publique comme la comptabilité privée doit jongler avec la réalité. Pour la même année, les recettes publiques sont ainsi supérieures de 6,8 points du PIB aux prélèvements obligatoires. Sous réserve d’une évaluation chiffrée, la différence provient pour une part des recettes non fiscales. On y trouve les dividendes versés par les entreprises dont l’État est actionnaire, des produits des amendes, sanctions et autres pénalités ou frais de poursuite ou encore les produits du domaine de l’Etat. On pourrait facilement désarmer cette impression d’opacité en présentant un tableau synthétique du passage de l’un à l’autre concept[i].
Marc Touati : Ce décalage est simplement lié au fait que l'Etat n'a pas que des recettes fiscales. Il a aussi des recettes liées aux activités de ses entreprises, des autoroutes, du loto, de la CDC... En 2012, le total des recettes publiques a ainsi atteint 51,5 % du PIB. Avec des dépenses de 56,4 %, nous retrouvons donc un déficit public d'environ 5 %. CQFD.
Eric Verhaeghe : D'abord parce qu'il ne faut pas tout mélanger dans ce rapprochement. D'un côté on a les prélèvements obligatoires, qui ne sont pas toute la recette publique au sens de Maastricht. Les prélèvements obligatoires, ce sont les prélèvements non consentis auprès des citoyens. Cela exclut deux catégories de ressources publiques, qui représentent grosso modo 4,5 points de PIB.
D'abord un certain nombre de taxes ne sont pas considérées comme des prélèvements obligatoires. C'est par exemple le cas de la redevance télévisuelle, que tous les Français sont obligés de payer lorsqu'ils ont une télévision... mais les eurocrates considèrent que l'achat d'une télévision n'est pas obligatoire. Donc la redevance audio-visuelle ne fait pas partie des prélèvements obligatoires.
Ensuite, il y a ce que les maastrichtiens appellent les recettes de production. C'est par exemple le tiers payant que vous laissez à l'hôpital, ou encore les dividendes de l'Etat actionnaire, ou bien le droit d'entrée à la piscine municipale.
Au total, les administrations publiques perçoivent 90 milliards d'euros non comptabilisés comme prélèvements obligatoires. Ils expliquent en gros la moitié du différentiel entre les prélèvements et les dépenses. L'autre moitié s'explique par du déficit public.
Présenté ainsi, vous voyez que le véritable déficit public français se situe autour de 5%.
En 2012, le déficit public s'est établit à 4,8 % (et non 10%). Quels vices ce décalage vient-il cacher ?
Marc Touati : Ce n'est pas un vice. En revanche, le vrai danger réside dans le fait que le poids des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques dans le PIB atteint des niveaux stratosphériques et prohibitifs pour la bonne marche de l'économie française.C'est d'ailleurs pourquoi, j'ai lancé la pétition www.SauvezLaFrance.com qui appelle à une baisse de ces poids vers les niveaux moyens de la zone euro (c'est-à-dire 41 % pour les prélèvements obligatoires et 49 % pour les dépenses). Tant que ces efforts n'auront pas été effectués, la France restera enfermée dans la récession et la crise de la dette.
Eric Verhaeghe : Ayons bien à l'esprit que tous les gouvernements pratiquent systématiquement des arrangements avec le ciel budgétaire pour cacher la misère du Trésor public. La cavalerie budgétaire en est l'exemple le plus typique: elle consiste à repousser à l'année suivante les dépenses qu'on n'a pas les moyens de payer durant l'année en cours. Certains ministères ou établissements sont des spécialistes invétérés de cette technique. Beaucoup d'universités par exemple payent les premiers salaires ou les premières vacations des nouveaux recrutés avec plusieurs mois de retard. C'est toujours ça de gagner...
Ensuite, il y a la fameuse technique du hors bilan, dont les variantes sont nombreuses. Elle consiste à repousser les déficits dans des organismes qui ne figurent pas au budget de l'Etat. Jean-Pierre Raffarin fait figure de véritable Ponzi de cette méthode: ses lois de décentralisation ont permis de transférer aux collectivités locales des quantités colossales de mission, sans transférer le financement qui les accompagnaient. Cette technique a permis de faire supporter aux collectivités les réductions budgétaires de l'Etat.
Faut-il en conclure que les comptes publics ne sont pas sincères ?
Marc Touati : Ce qui n'est pas sincère c'est que les prévisions gouvernementales sont constamment fausses, ce qui permet de ne pas faire les réformes indispensables pour moderniser la puissance publique et par là même l'économie française.
Gérard Thoris : Les comptes publics sont une construction institutionnelle à destination de la représentation parlementaire. Cette construction a été profondément modifiée par la loi organique (LOLF) relative aux lois de finance et chacun reconnaît qu’il s’agit d’un progrès. Mais, comme dans toute entreprise, les comptes futurs sont fondés sur des prévisions. A ce titre, il faut effectuer une multitude d’hypothèses sur l’évolution macroéconomique aussi bien à l’intérieur du pays que dans le monde. Il faut estimer l’influence des changements de politiques publiques. Tout cela est un travail bien complexe.
Depuis Montesquieu, on sait que la séparation des pouvoirs est la meilleure des protections contre l’arbitraire. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, les prévisions officielles du ministère de l’Economie et des Finances d’une part, de l’Insee d’autre part, avaient été doublées par celles de l’Observatoire Français de Conjoncture Economique (OFCE) et de Rexecode. Aujourd’hui, les pouvoirs publics et, de manière plus surprenante, les grands médias eux-mêmes ne font pratiquement plus référence aux prévisions de ces organismes, pourtant dotés de subventions publiques en vue de produire ces études ! Cela rend le mensonge public plus facile. N’est-ce pas Jérôme Cahuzac lui-même qui dénonce ce mal profond en refusant la frontière entre le mensonge privé par omission et le mensonge public par affirmation : « On me dit que j'ai menti sur ma situation personnelle. Cela veut dire quoi ? Qu'il y aurait des mensonges indignes et d'autres qui seraient dignes ? Quand on ment sur ordre, et pour des raisons politiques, à l’Assemblée, est-ce digne ? A ce compte-là, j'ai menti devant l'Assemblée, sur la possibilité de réaliser 3 % de déficit en 2013. »
Eric Verhaeghe : Voici une question intéressante! Personne n'a jamais véritablement osé la poser, pourtant elle est vitale. Je me souviens d'avoir vu un budget ministériel qui était pipeauté de A à Z. On inscrivait en loi de finances des sommes fantaisistes à chaque ligne budgétaire. La direction financière se chargeait ensuite de réaffecter les sommes au bon endroit, c'est-à-dire là où les fonctionnaires l'avaient décidé.
Ce problème est crucial sur la question des primes variables versées aux fonctionnaires. Il faudrait vérifier que les primes réellement versées aux hauts fonctionnaires correspondent bien aux sommes inscrites en loi de finances. Techniquement, rien ne s'oppose à des réimputations dans le dos de la représentation nationale, qui permettent des augmentations salariales plus importantes que celles qui sont affichées. J'ai encore récemment entendu des fonctionnaires se vanter de gagner 5.000 euros nets en travaillant un gros mi-temps. Tôt ou tard, la productivité de la fonction publique devra être abordée. Je trouve très bien que les fonctionnaires soient bien payés s'ils sont productifs et efficaces. Mais le sujet n'est pas véritablement documenté aujourd'hui et surtout il fait l'objet d'une opacité totale.
Ce niveau de dépense publique place la France au 2ème rang sur 27 en Europe, juste en dessous du Danemark, mais au-dessus de la Suède. Est-elle l’Etat le pays le plus socialisé du monde ? Pour quel résultat relatif ?
Marc Touati : C'est bien là le drame : en dépit d'une gabegie de dépenses publiques, la croissance économique est nulle depuis six ans et le chômage ne cesse de flamber. Cela prouve que ce n'est pas un problème de quantité de dépenses publiques, mais de qualité de ces dernières. Autrement dit, il faut mieux d’État. Tant que nos dirigeants n'auront pas compris cette règle de bon sens, la France restera menacée par un triple chaos : économique, social et politique.
Gérard Thoris : De toute évidence, le taux de prélèvements obligatoires est un reflet du degré de socialisation. Mais il est loin d’en être l’unique indicateur. Si nous sommes dans les mêmes eaux que le Danemark ou la Suède, notre système de prélèvements et de redistributions s’enfonce dans l’étatisme quand celui de nos deux références a fait l’objet d’ajustements constants pour simplifier les règles fiscales et sociales. Au fond, on peut prélever beaucoup avec des barèmes d’imposition simples, comme le montre la CSG en France même et prélever peu avec des taux élevés comme le montre l’impôt sur le revenu. Toujours en France, les allègements de charges sociales sur les bas salaires sont représentatifs d’une socialisation de la rémunération que personne ne veut voir. Plus encore, le fait de choisir le crédit d’impôt compétitivité-emploi plutôt qu’un transfert de charges sociales sur la TVA montre à l’envi que l’objectif ultime est peut-être d’alléger les charges sociales. Mais il s’agit surtout d’ouvrir à la représentation syndicale une possibilité de contrôle sur les sommes reversées par l’Etat. L’entrepreneur prudent se gardera donc de les utiliser sans discernement. Bref, le socialisme français se manifeste moins par son taux de prélèvement, effectivement élevé, que par son refus des règles simples qui constituent l’essence même de l’état de droit.
Eric Verhaeghe : L'Etat, en France, est en expansion constante et incontrôlée, comme l'univers. Il nous place dans une spirale extrêmement négative.
De ce point de vue, il faut ouvrir un débat transparent avec les keynésiens. A titre personnel, je suis assez d'accord pour dire qu'un investissement public est, d'une façon ou d'une autre, un accélérateur de croissance. Par exemple si la France décidait d'investir massivement dans les réseaux de fibre optique, la dépense publique contribuerait fortement à des gains de productivité dans le secteur privé.
Le problème est que cette théorie est détournée de son sens. Elle est invoquée pour justifier n'importe quelle dépense publique, comme si gaspiller l'argent dans le service public allait par principe contribuer à la croissance. Evidemment, recruter des fonctionnaires sans savoir à quoi ils vont effectivement servir est une saignée dans le corps de la nation, qui ne sert absolument à rien, sauf à produire des boulets que le secteur privé doit traîner derrière lui pendant 40 ans. Cela n'a rien à voir avec de l'investissement public.
Globalement, depuis vingt ans, les Français paient de plus en plus pour une administration qui fonctionne de moins en moins bien. Le plus grand scandale est celui de l'école, dont le coût est sans cesse plus élevé, et dont la performance est sans cesse plus basse. Se ruiner en impôts pour financer des écoles qui décérèbrent nos enfants est une aberration.
Peu à peu, la présence envahissante de l'Etat dans la vie privée et dans les esprits neutralise toute capacité à prendre des risques pour innover. La France se fonctionnarise. C'est probablement son handicap majeur aujourd'hui.