TOUT EST DIT

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dimanche 26 septembre 2010

Le clan des sarkoziens

Ils se retrouvent chaque mercredi matin dans le repaire élyséen du chef de la bande : Nicolas, dit le Hongrois, dit le Seph', dit Carla's boy. C'est un petit gars intelligent et nerveux, à qui les ministres sont conscients de devoir leur pouvoir et leur confort. Raison pour laquelle ils ont cet air tendre et un peu craintif quand ils se retrouvent, à l'occasion d'une photo ou d'une conférence de presse, à ses côtés ? Leur arrivée dans la planque du boss est aussi discrète que possible. Ils sont à bord de voitures noires à vitres teintées, de façon que les piéton et les autres automobilistes soient dans l'incapacité de les reconnaître et d'alerter la foule sur leur présence, ce qui pourrait donner lieu à divers cris et horions. Une fois extraits du véhicule par un des hommes de main du grand manitou, aussi appelés huissiers, ils se précipitent chez le proprio, craignant, s'ils s'attardaient dans la cour, d'être shootés par les photographes en planque devant l'Elysée. Nul ne sait ce qui se dégoise entre le chef et sa bande pendant les heures qu'ils passent ensemble autour d'une grande table ovale qui ressemble à une table de casino sans roulette au milieu, loin des oreilles et des yeux indiscrets. Pour essayer de deviner ce qui s'est décidé derrière les murs épais de la planque, il faut analyser les divers braquages, extorsions et castagnes auxquels la bande se livre dans la semaine qui suit la réunion au sommet. Ces derniers temps, les sbires de Nicolas se sont attaqués à une organisation étrangère venue des Balkans et connue sous le nom de Roms. Les petits gars de Roumanie s'étaient installés un peu partout sans autorisation sur le territoire de la clique à Sarko : la France. C'est Brice, dit le Roux, l'un des favoris du boss, qui s'est occupé de les faire dégager, avec l'aide d'Eric, dit le Félon, d'autant plus zélé qu'il est le transfuge d'une bande locale adverse et doit par conséquent donner davantage de preuves d'allégeance à Nicolas que n'importe quel autre sarkozien d'origine. S'est aussi posé dernièrement le problème des pensions que la bande verse aux Français devenus trop vieux pour bosser à son profit. C'est sur Woerth, l'autre Eric de la compagnie, dit la Finance, qu'est tombée la charge d'expliquer à ces fainéants qu'ils devront travailler désormais deux ans de plus avant de toucher leur rente. La bande étant une fois de plus à court de cash - au point que le chef passe ses vacances d'été chez sa belle-mère italienne -, l'un des deux François, celui qu'on appelle le Fils à cause de son père, s'attaque aux niches fiscales pour grappiller quelques milliards d'euros.

Quand ils descendent les marches du gourbi de Nico, serrés les uns contre les autres comme des légionnaires romains perdus dans le désert, les ministres savent que c'est pour eux un moment délicat, celui où ils peuvent se faire arrêter par les cameramen et torturer par les journalistes. Ils baissent la tête, serrent les coudes, durcissent les mâchoires, ferment la bouche. Chacun fonce vers sa tire sans même prendre le temps de dire au revoir. Dès que les ministres sont installés sur la banquette arrière du véhicule, ils ordonnent au chauffeur de décrocher fissa. Chacun retourne dans son territoire pour le gérer en fonction des directives de Sarkozy, au risque de se faire passer un savon par le boss le mercredi suivant si les résultats demandés ne sont pas au rendez-vous. On peut être rétrogradé du jour au lendemain, voire exclu du groupe lors d'une purge, qui, dans ce milieu, se dit remaniement. Elle n'est pas de tout repos, la vie, dans le clan des sarkoziens


Jacques Julliard, l'argent et le pouvoir

Jacques Julliard a toujours rêvé d'être Bernanos, Péguy ou Georges Sorel. Les saintes colères du premier, les nobles fulminations du deuxième, les fulgurances intermittentes du troisième le fascinent et le façonnent. Elles légitiment sans doute à ses yeux sa vocation de polémiste furieux et féroce, elles autorisent, elles encouragent même non seulement ses réquisitoires mais aussi ses injustices et ses falsifications. Ainsi, dans un long article intitulé " Les riches, le pouvoir et la droite " qui fait la couverture du Nouvel Observateur du 2 au 8 septembre, me prend-il à partie pour une chronique parue dans Le Point sous le titre " L'argent-diable " (n° 1972). J'avais tenté de comprendre l'allergie spécifique des Français à l'argent du voisin, à l'argent comme symbole social. Pourquoi aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Italie ou en Espagne, ces nations latines, ou encore au Japon et maintenant en Chine, admire-t-on volontiers les capitaines d'industrie et les réussites matérielles, classe-t-on avec soin les grandes fortunes, regarde-t-on l'argent comme un critère certes non exclusif ni toujours dominant mais positif, alors qu'en France la détestation, l'exécration l'emportent rituellement, innervant la littérature et le théâtre, submergeant le débat public ?

Que n'avais-je pas écrit ? Brandissant sa plume aiguisée comme une faucheuse, Julliard me métamorphose sans appel en domestique des puissants, en majordome des grandes fortunes, en ennemi du peuple, en persécuteur des pauvres. J'avais eu beau prendre en compte la violence du capitalisme financier, les cruautés de la mondialisation, les dérèglements du système financier, les responsabilités des banquiers anglo-saxons ou de spéculateurs de tout poil, l'indécence de l'affaire Woerth-Bettencourt, l'extrême maladresse du Fouquet's, le danger d'incarner dans notre douce France l'alliance du pouvoir et de l'argent, cela ne suffisait pas. Nous sommes en 1793, Fouquier-Tinville a besoin de coupables. Au Nouvel Observateur, il y a Jean Daniel pour l'altitude et pour la rectitude, notamment vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme lui, et il y a Jacques Julliard pour l'étoupille et les mousquetades, le plaisir de tirer l'emportant grandement sur l'utilité de viser juste.

Ce qui est dommage avec les pamphlétaires, surtout quand ils ne manquent ni de culture ni de profondeur, c'est qu'ils détruisent le débat au lieu de le stimuler. Jacques Julliard a été dans ses vertes années l'un des piliers de la " deuxième gauche ", presque son intellectuel organique. Il conseillait Edmond Maire ou Michel Rocard. Il incarnait une forme de modernisme mais aussi de réalisme par rapport à la gauche traditionnelle, au grand courroux de François Mitterrand, qui, à son sujet, pestait contre les éternels embarras des catholiques de gauche. Voilà qu'il considère aujourd'hui que la " deuxième gauche " court le risque de la compromission, voire de la soumission aux lois du marché. Il juge que la social-démocratie, elle, est déjà tombée dans le traquenard partout en Europe. Il appelle désormais à une social-démocratie de combat, refusant tout compromis avec un libéralisme qu'il définit comme une " vaste entreprise d'asservissement de l'homme à son gagne-pain, de l'ouvrier à son emploi, du consommateur à son pouvoir d'achat ". Il appelle en France à un grand rassemblement contre le néocapitalisme, de l'extrême gauche au centrisme. C'est politiquement assez candide, l'extrême gauche récusant par principe le réformisme et les centristes n'entendant absolument pas rompre avec le capitalisme. Derrière ces thèses, il y a la conviction d'une dérive définitive et tragique du capitalisme dont la France serait, avec le sarkozysme, l'allégorie caricaturale. Cela vaudrait au moins discussion. La " France-fric ", c'est son expression, cette quintessence supposée de l'égoïsme et de la cupidité, consacre tout de même 54 % de ses ressources aux dépenses publiques et de solidarité. Il n'y a pas cinq pays au monde où le bouclier social demeure aussi complet.

Julliard ne croit pas à la capacité du système à tirer les conséquences de ses crises, de ses dérives, de ses outrances. Pourtant, les Etats-Unis de Barack Obama et l'Union européenne, la semaine dernière, se sont justement dotés d'instruments de surveillance, de contrôle et de pilotage. A partir de novembre, le G20 va pendant un an tenter de les compléter, de les renforcer sous la houlette de cette France que Julliard voit aujourd'hui hideusement défigurée. En fait, derrière les bûchers que dresse violemment Jacques Julliard, il y a l'éternelle nostalgie d'une nouvelle et introuvable utopie, l'espérance de contribuer personnellement à son invention et la poursuite d'un combat sans fin contre les élites françaises, chargées de tous les péchés du monde et dont il voit l'emblème scandaleux dans les visages de Nicolas Sarkozy, d'Eric Woerth et de la famille Bettencourt. Jacques Julliard aimerait tant devenir l'alchimiste d'une troisième gauche enfin morale, enfin généreuse, une fée capable de surmonter par enchantement les contradictions du possible et du souhaitable, une fée réconciliant les espérances populaires et les contraintes gestionnaires. Mais pourquoi ces idéalistes démontrent-ils si souvent leur amour de l'humanité par la haine de leurs adversaires ?

Le salut et la perdition


Si Nicolas Sarkozy comptait prendre quelques points dans les enquêtes d'opinion en décrétant la chasse aux Roms, c'est raté. A en croire le dernier sondage de l'Ifop pour " Le Journal du Dimanche ", c'est même contre-productif . Sa cote de popularité ne s'élève plus qu'à 32 % (- 4).

Bonne nouvelle. Au moins le chef de l'Etat sera-t-il tenté de ne pas persister sur ce sentier de la perdition. Même si c'est rare, il arrive que le cynisme ne paie pas en politique et la stigmatisation, à des fins électorales, d'une communauté très impopulaire et très faible, sans chef de file, a jeté un froid dans l'opinion, et pas seulement à gauche.

Il est temps que Sarkozy tourne cette triste page en recevant des Roms à l'Elysée ou, mieux, en leur rendant visite. Quand on commet une faute, il faut la reconnaître pour repartir de l'avant : là est le vrai courage. On va voir, dans les prochains jours, si le président en est pourvu.

Sinon, il risque de s'enferrer en accumulant les bourdes comme cette incroyable prise en otage d'Angela Merkel sur l'affaire des Roms : se prévaloir de son prétendu soutien et se voir infliger, ensuite, un démenti de la chancelière, c'était une mauvaise action contre l'Europe. Elle laissera des traces.

La stupidité de la commissaire européenne Viviane Reding, évoquant la Seconde Guerre mondiale à propos des Roms, n'a même pas servi le président qui a joué, ces derniers jours, sur le mode ultrapopuliste, une stratégie aussi vieille que dangereuse : " Seul contre tous et contre l'Europe en particulier. "

Nicolas Sarkozy ne peut s'en sortir que par le haut en incarnant plus encore sa bonne réforme, urgente et nécessaire, de la retraite à 62 ans. Là est, pour lui, désormais, la voie du salut

François Fillon esquisse son avenir post-Matignon

A quelques semaines d'un remaniement annoncé, François Fillon a esquissé dimanche la suite de son parcours politique si d'aventure Nicolas Sarkozy changeait de Premier ministre en novembre.

Dans un reportage consacré à Matignon sur France 2, le chef du gouvernement effectue plusieurs mises au point, notamment sur ses relations avec le président de la République - un "allié" qui n'a "jamais été un mentor" politique.

Il parle de "nouveaux challenges" sans plus de précision, voire avec un soupçon de mystère. "Cela peut être dans la politique ou en dehors de la politique", souligne celui à qui on prête l'intention de briguer la mairie de Paris en 2014.

"Il faut un objectif, il faut se dépasser. Si on ne peut pas se dépasser alors la lassitude et l'ennui certainement finissent par l'emporter", juge l'amateur de courses de vitesse qui prévient qu'il ne recommencera "pas à zéro".

Depuis la fin de l'été, toute une série de sondages a confirmé la popularité du Premier ministre, qui est vu comme le meilleur candidat pour se succéder à lui-même lors du futur remaniement.

Pour les dirigeants socialistes, vu les cotes de popularité inversées du Premier ministre et du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy est dans une situation inextricable.

Le chef de l'Etat est "pat", estime Jean-Christophe Cambadélis, empruntant au vocabulaire des échecs. "Il ne peut plus jouer. S'il garde François Fillon, on dira que le remaniement est un coup d'épée dans l'eau. S'il jette François Fillon, ce dernier devient immédiatement un recours" à droite, analyse le député de Paris.

CERTAINS "MÉRITERAIENT D'ÊTRE PLUS DISCRETS"

Sur Europe 1 dimanche, Christine Lagarde a loué le travail de François Fillon à la tête du gouvernement. A la question, "François Fillon est-il le bon Premier ministre?", la ministre de l'Economie a répondu: "De mon point de vue bien sûr, mais ce n'est pas à moi d'en juger".

Elle a démenti toute brouille entre François Fillon et Nicolas Sarkozy. "Il y a une complicité de travail, une détermination collective qui les anime", a-t-elle assuré.

Dans le reportage de France 2, tout en rendant hommage à la "détermination" présidentielle, François Fillon livre un plaidoyer pro-domo de ses trois ans et demi à Matignon.

"L'impulsion du président de la République donne la direction mais sans la tour de contrôle (de Matignon), sans les mécaniciens de l'interministériel, le pays, l'administration, ça ne fonctionne pas", explique François Fillon, qui n'avait pas apprécié être relégué au rang de "collaborateur" de l'Elysée à l'été 2008.

"Avec Nicolas Sarkozy, notre histoire, c'est l'histoire d'une alliance", dit le Premier ministre. "Nicolas Sarkozy n'a jamais été mon mentor".

Fin août déjà, il avait dit assumer ses "différences" avec le chef de l'Etat, reconnaissant entre autres qu'il n'aurait pas utilisé les mêmes mots que Nicolas Sarkozy lors du discours sur la sécurité prononcé fin juillet à Grenoble.

"J'ai choisi de l'aider à être président de la République et je m'en félicite tous les jours", assure dimanche François Fillon, qui n'hésite cependant pas à égratigner le style de Nicolas Sarkozy, sans le citer et avec des mots pesés au trébuchet.

"Je pense qu'il y a des gens qui mériteraient d'être plus discrets", dit-il. "Moi, il faut que je me force pour l'être moins", ajoute-t-il avant d'éclater de rire.

Avec Clément Guillou

Le Français mange 6 kilos de poisson par jour... C'est bien trop !

Chaque Français consomme 1,9 tonne de poisson par an ! Soit 6 kilos par jour ! Oui, vous avez bien lu. Mais ce n'est rien à côté du Norvégien qui en engouffre quotidiennement 90 kilos ! C'est le record du monde. Quel est ce délire ? Pourtant, celui qui avance ces chiffres apparemment absurdes passe pour être le plus grand expert au monde des ressources marines. Il s'agit même d'un Français : le biologiste Daniel Pauly, directeur du Centre des pêches de Vancouver. Or, l'homme n'est pas du style à publier un poisson d'avril en septembre. Il y a donc un truc. C'est le Seafoodprint (empreinte des produits de la mer) établi par des scientifiques désireux de faire comprendre au grand public combien la pêche mondiale est prédatrice. Ces experts, dont Pauly, partent du principe qu'un poisson n'équivaut pas forcément à un autre poisson. "Un gros thon carnivore mange l'équivalent de son poids tous les dix jours. Ainsi un individu de 500 kilos peut avaler chaque année jusqu'à 15 000 petits poissons" explique-t-il. Le Seafoodprint consiste donc à peser non pas le poisson qui est dans l'assiette du consommateur, mais tous ceux que ce poisson a pu lui-même avaler s'il s'agit d'un carnivore. Ainsi, un kilo de thon vaut... 100 kilos de sardines. Passée à la moulinette de l'empreinte des produits de la pêche, la consommation française passe alors de 1,4 à 124 millions de tonnes par an. Soit à 6 kilos par Français et par jour (contre 60 grammes, en vérité).

Surexploitation des océans pour des populations suralimentées

Cette étude menée par Daniel Pauly avec les complicités de l'Université de Columbia et de la Fondation Pew sera publiée dans le numéro d'octobre de National Geographic. Au-delà d'établir un classement, son objectif est de dénoncer publiquement l'immense pression halieutique exercée par les 20 pays les plus gros consommateurs de poissons. La France se situe au 11e rang des nations, derrière la Chine (empreinte de 693 millions de tonnes), le Japon (581 MT), les Etats-Unis (348 MT), l'Indonésie (282 MT), la Thaïlande (242 MT), l'Espagne (177 MT), l'Inde (174 MT), la Corée du Sud (149 MT), la Norvège (145 MT), les Philippines (138 MT). Si on divise ces chiffres par le nombre d'habitants de chaque pays, on constate avec stupéfaction que le plus gros mangeur de poissons est le Norvégien avec 90 kilos par jour ! Très, très loin devant le Chilien (15 kilos) et le Japonais (12,6 kilos). Sans doute est-ce dû à leur prédilection pour les poissons carnivores comme le saumon et le thon. Une étude copubliée récemment par la Banque mondiale et la FAO affirme que même en réduisant de moitié la flotte de pêche mondiale, les captures de poisson bafoueraient encore les critères du développement durable.

Le plus révoltant dans cette surexploitation des océans, c'est qu'elle est en grande partie pratiquée pour nourrir les populations déjà suralimentées des pays riches. Au détriment des milliards d'habitants du tiers monde dont le poisson constitue souvent l'unique ressource de protéines. Et le plus rageant dans cette histoire, c'est qu'une bonne partie du poisson débarqué en Occident sert à fabriquer des farines animales destinées à l'alimentation du bétail et des poissons d'aquaculture. Si je peux mettre mon grain de sel : c'est toujours avec un certain malaise que j'entends les médecins et les pouvoirs publics inciter à manger toujours plus de poisson sous prétexte que c'est bon pour la santé. Mais n'est-elle pas déjà éclatante en comparaison de celle des Africains et de beaucoup d'Asiatiques ? Le poisson n'est pas le seul pourvoyeur d'omega-3 (si tant est que notre organisme en ait réellement besoin). On en trouve également dans les huiles de cameline, de lin, de chanvre et de noix. Alors réduisons notre consommation de poisson, c'est toujours cela que les consommateurs du tiers monde auront...

Courage, où es-tu ?

Les négociations de paix israélo-palestiniennes tiennent du rituel : elles sont répétitives. Après des périodes de glaciation, on se rassoit autour de la table sous la pression des États-Unis. Puis vient le constat d'échec avec force récriminations. Et tout recommence...
En sera-t-il de même cette fois-ci ? Le moratoire autour du gel de la colonisation semble pourrir la négociation. Drôle de moratoire, d'ailleurs ! Depuis dix mois, les bétonneuses n'ont jamais cessé de tourner, tant en Cisjordanie qu'à Jérusalem-Est... grâce également - contraintes économiques obligent - à la main d'œuvre palestinienne, notamment pour réaliser les travaux d'infrastructures préalables à la construction d'immeubles. Mais, même très partiel, ce « gel » a été accepté par Mahmoud Abbas. Il serait également prêt, avec l'aval de la Ligue arabe, à admettre la prolongation de ce moratoire symbolique pendant trois mois encore, au cas où Benjamin Nétanyahou saurait imposer ce délai à son cabinet...
Dans un sens, il s'agit d'une ouverture tout en ne présageant pas de l'avenir. Un traité de paix définissant l'État souverain de Palestine, tel que le souhaite Barack Obama, exigera encore de longues tractations. Avec des compensations territoriales aux Palestiniens pour les annexions israéliennes le long de la frontière de 1967, plus le statut futur des colonies, du moins celles qui resteront... sans même évoquer l'épineux problème de Jérusalem-Est et celui du désenclavement de Gaza.
Le rêve est-il encore permis ? Pourtant, une Palestine en paix et en marché commun avec Israël, bien que provisoirement réduite à la Cisjordanie, gagnerait une indispensable prospérité. Jusqu'à faire école dans la misérable bande de Gaza pour la libérer des griffes du Hamas.
Malheureusement, au Proche-Orient les rêves tournent vite au cauchemar. La coalition hétéroclite de Benjamin Nétanyahou tombera sans le soutien des colons et leurs partis extrémistes arc-boutés sur la « Judée » et la « Samarie ». Or, en vertu des lois électorales, il n'est pas sûr qu'un autre gouvernement israélien aura plus de marge de manœuvre. Enfin, il y a les tireurs de ficelles adeptes du terrorisme permanent : l'Iran en premier lieu et, dans une moindre mesure, la Syrie frustrée du Golan. Sans oublier tous les islamistes qui ont placé la « lutte contre le sionisme » au cœur de leur « djihad ».
Voilà pourquoi, même si les négociations actuelles devaient aboutir à l'ébauche d'un compromis, le chemin vers la paix restera parsemé de chausse-trappes. Et les démineurs courageux manquent. De tous côtés, israélien comme arabe. Occidental aussi...


Le chef du gouvernement dessine l'après-Matignon

Dans un entretien qu'il a accordé à France 2, François Fillon dévoile l'état d'esprit d'un homme bientôt libéré de sa charge de premier ministre.

À l'heure d'un remaniement annoncé, voilà encore une interview de François Fillon que Nicolas Sarkozy ne devrait sûrement pas aimer. Dans l'entretien que le premier ministre a accordé à France 2 (qui sera diffusé dimanche à 13h15), il continue de baliser, mine de rien, le chemin qui le conduit vers l'après-Matignon. Bien sûr, les mots du chef du gouvernement sont pesés au trébuchet et son attitude toujours impeccable. Pas question de tomber dans la déloyauté vis-à-vis du président. Trois ans et demi après sa nomination, il ne commettra pas cette lourde erreur. Mais au fil du reportage, il apparaît en filigrane le portrait d'un François Fillon bientôt libéré de sa charge de premier ministre, prêt à relever de nouveaux challenges et terriblement ambitieux.

Car ses confidences au journaliste Laurent Delahousse éclairent un peu plus l'état d'esprit de cet homme si secret mais toujours maîtrisé. Le premier ministre n'esquive pas les questions sur ses relations avec le président. «Avec Nicolas Sarkozy, on a fait une alliance. J'ai choisi de l'aider à être président de la République et je m'en félicite tous les jours. Mais Nicolas Sarkozy n'est pas mon mentor», insiste l'ombrageux Fillon. Celui qui fut traité de «collaborateur» par Sarkozy, au début du quinquennat, remet donc les pendules à l'heure.

Interrogé sur son effacement médiatique, il se permet une étonnante mise au point: «Je pense qu'il y a des gens qui mériteraient d'être plus discrets», dit-il dans un inhabituel et audacieux éclat de rire. S'il ne cite pas le nom de Nicolas Sarkozy, l'allusion est transparente, d'autant qu'il ajoute: «Moi il faut que je me force pour être moins discret…»

«Je ne recommencerai pas au bas du terrain»

Entrecoupé de propos de ses prédécesseurs (Michel Rocard, Jean-Pierre Raffarin, Lionel Jospin, Laurent Fabius), ce film sur la vie de premier ministre prend rapidement les allures d'un documentaire centré sur un seul thème: comment François Fillon a réussi l'exploit d'échapper à l'enfer de Matignon. Il est probablement l'un des seuls à quitter ce poste plus fort qu'il n'y est entré. Filmé à Matignon dans ses activités officielles, il semble attendre tranquillement le verdict de Nicolas Sarkozy. Hyperdétendu, l'élu de la Sarthe donne l'impression de vouloir conquérir sa liberté de futur ex-premier ministre. Bien sûr, il ne livre aucun détail sur ses projets. Mais il sème là encore quelques cailloux: «Il ne faut pas refaire la même chose. Cela fait trente ans que je fais de la politique. Je ne repartirai pas de zéro. Je ne recommencerai pas au bas du terrain», assure-t-il. Bref, François Fillon n'envisagerait pas de redevenir simple député de la Sarthe. Une hypothèse qui entraînerait une élection partielle dans sa circonscription de Sablé-sur-Sarthe.

Son avenir passe-t-il par un parachutage à Paris pour briguer en 2014 la succession de Bertrand Delanoë? Ou bien vise-t-il déjà la présidentielle de 2017? «Il faut savoir se fixer un nouveau challenge, savoir se dépasser», prévient-il. Cette seule phrase devrait alimenter le buzz des prochains jours et intriguer à l'Élysée et dans la majorité où certains (Jean-François Copé en premier lieu) s'inquiètent de la concurrence. Une chose est certaine, François Fillon et la politique, ce n'est pas fini.

Duos

C’est un pas de deux qui voudrait annoncer l’avenir, il sent plutôt la fin d’une époque, tant la lutte Copé-Bertrand renvoie à d’autres délitements, quand le mitterrandisme au pouvoir basculait dans la guerre des chefaillons, quand Jospin et Fabius se découvraient insupportables l’un à l’autre… C’était en 1985, un quart de siècle déjà, et c’est la même chose: un pouvoir qui a tant promis et déçoit alors même qu’il s’est accompli, et le rejet monte qui le balaiera, et la fin est déjà là, perceptible, et la folie s’empare des ambitieux. Les masques tombent, Jospin dévoile sa brutalité, Fabius mesure son mépris, Copé ne mime plus l’indulgence, Bertrand assume sa méchanceté, on en appelle au chef suprême, que les Français abandonnent mais qui reste le suzerain impuissant ou manipulateur de ses lieutenants affamés.

Rien n’a changé? Sous Mitterrand, les ego se drapaient d’idéologie; sous Sarkozy, Copé et Bertrand n’opposent que leurs appétits ou leur efficacité. On devine Copé plus libéral, Bertrand plus populiste. Mais ils ne se disputent pas au fond, et restent confinés dans l’anecdote. Copé et Bertrand se lâchent quand la crise des retraites cristallise: ils démontrent, fatalement, l’enfermement des politiques dans leurs régulations internes, loin des luttes, des réformes, de la chair même d’un pays… C’est une histoire entre eux qu’ils tissent ; entre eux et les médias ; elle induit une floraison de postures et de petites phrases, la bulle bruisse de vide, et ce vide pollue tout, et ainsi la politique se raconte en s’abîmant…

Les socialistes – soyons clairs – ne sont en rien épargnés par le phénomène, quand ils pontifient pour éviter les débats qui fâchent, et s’emploient, tel Claude Bartolone, à inventer des arrangements entre Aubry et Strauss- Kahn, qui videraient par avance les primaires de leur sens… Fauxsemblants, combinazione, qui est le PS, qui est l’UMP? Par contraste, il est un autre couple, improbable et dissemblable, mais qui tranche dans l’irréalité. Woerth d’abord, Woerth le paria, à qui il ne reste rien que sa réforme et sa constance à dire "non" à la rue, à refuser encore tout dialogue et tout amendement… mais qui en prend une dimension quasiment honorable, tant son impavidité contraste avec l’agitation égotiste de ses amis.

Et Martin Hirsch ensuite, autant chéri des faiseurs d’opinion que Woerth est détesté, mais réel lui aussi; Hirsch, l’inoxydable, mais qui confesse son amitié pour Woerth, et qui risque, après l’affaire Bettencourt, un livre au coeur du mal français. Pour en finir avec les conflits d’intérêts n’épargne pas grand monde, dans ces élites qui portent leur honnêteté autoproclamée tel un coupe-file pour s’affranchir des règles. Le livre, même pas sorti, a provoqué l’ire vengeresse de Jean-François Copé, député et avocat à ses heures, qui a renvoyé Hirsch à ses propres facilités. C’est une autre violence, une autre crise chez ceux qui gouvernent, une autre guerre que mène Copé. Mais cette dispute-là, au moins, parle de politique, réellement.

Retraites: la situation se tend, les chiffres aussi

Et si l'on observait l'évolution du ratio entre les chiffres des syndicats et ceux de la police?
Les commentateurs sont bien embêtés: comment interpréter politiquement les manifestations du 23 septembre? La mobilisation s'essoufle t-elle ou au contraire prend-elle de l'ampleur? Le traditionnel baromètre de la mobilisation —le nombre de manifestants dans les rues— donne l'impression de s'être soudainement déréglé. La police annonce 123.000 personnes de moins dans les défilés que le 7 septembre, les syndicats assurent de leur côté qu'il y avait 265.000 manifestants de plus dans les rues.

À force de voir des écarts fantaisistes entre les chiffres donnés par la police et les syndicats, on s'était habitué à faire une sorte de moyenne en éliminant l'effet de la communication. Si la police dit 1 million et que les syndicats disent 2 millions, la vérité doit être aux alentours d'1,5 millions. Mais les chiffres de la mobilisation du 23 septembre montrent à l'évidence que les deux camps n'ont pas une méthode de calcul constante. (Les Inrocks évoquent la règle d'une personne et demie par mètre carré pour les syndicats, contre une seule personne pour la police)

Pour y voir plus clair, Slate s'est interrogé sur le ratio chiffres syndicats/chiffres police sur les grandes manifestations des 10 dernières années (au moins 1 million de manifestants selon les syndicats).
Il est intéressant de remarquer que Nicolas Sarkozy a presque égalé le record de Jacques Chirac qui avait atteint un ratio de 3,3 lors de la manifestation du 3 juin 2003 contre le plan Fillon sur les retraites (455.000 selon la police, 1,5 millions selon les syndicats). La mobilisation du 23 septembre atteint un ratio de 3, chiffre que l'on n'avait plus enregistré depuis la dernière manifestation sur le CPE, le 4 avril 2006 (1.028.000 selon la police, 3,1 millions selon les syndicats).

Suite à la bataille des chiffres sur la mobilisation du CPE, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait monté un groupe de travail pour «sortir des confrontations ridicules qui accompagnent le comptage des manifestants», comme le rappelle lemonde.fr. Quatre ans après, le même Sarkozy tombe dans les même travers pour faire passer sa réforme des retraites —même si le tort est partagé avec les syndicats.

On observe sur le graphique que le ratio police/syndicats exprime l'intensité du blocage entre gouvernements et partenaires sociaux. Quand les deux sont sur la même longueur d'ondes comme lors de la manifestation contre Jean-Marie Le Pen en 2002, le ratio est au plus bas à 1,4 (900.000 selon la police, 1,3 millions selon les syndicats). À l'inverse, quand la situation se tend politiquement, comme lors du CPE ou des débats sur les retraites en 2003 et 2010, les écarts de chiffres deviennent extravagants.
La guerre des chiffres se durcit

Il n'est donc pas surprenant de voir que le ratio syndicats/police a tendance à augmenter au cours d'un conflit social qui dure. Lors des manifestations sur les retraites, il passe subitement de 2 à 3,3. Sur le CPE, il commence à 2,5, puis 2,8, une nouvelle fois 2,8 pour finir à 3 lors de la dernière grande manifestation juste avant le retrait du texte par Dominique de Villepin. On observe dans une moindre mesure le même phénomène lors des mobilisations contre la crise en 2009: 29 janvier, 2,3 -> 19 mars, 2,5 -> 1er mai, 2,6.

Les deux premières batailles des retraites en 2010 s'était soldées par un ratio classique (2,5 le 24 juin, 2,4 le 7 septembre), comme si les deux camps voulaient garder des munitions en prévision de confrontations plus dures. En ayant gardé un ratio raisonnable sur les précédents mobilisations, le gouvernement peut dorénavant comptabiliser les manifestants avec plus de rigueur et assurer ainsi que le mouvement faiblit. De leur côté, les syndicats donnent l'impression de s'être gardé une petite marge de manoeuvre pour assurer que le mouvement ne cesse de prendre de l'ampleur.

Rendez-vous le samedi 2 octobre et le mardi 12 octobre pour vérifier ces observations.

Les réformes du système des retraites 1945

Les ordonnances de 1945 créent la sécurité sociale : un organisme unique auquel tous les salariés sont assujettis obligatoirement et qui couvre l'assurance-vieillesse. Le système des retraites est fondé sur le régime de répartition.

1956 Création du Fonds national de solidarité pour pallier la faiblesse des pensions, il sera alimenté par la vignette automobile.

1982 Ordonnance fixant l'âge légal de la retraite à 60 ans à partir d'avril 1983.

2003 Le temps de cotisation des fonctionnaires est progressivement porté à 40 ans. Les salariés ayant commencé à 14 ou 15 ans peuvent partir à 56 ans.

2010 Le projet de loi adopté à l'Assemblée nationale prévoit de faire passer l'âge légal d'ouverture des droits à la retraite de 60 à 62 ans et de 65 à 67 ans l'âge maximum de départ à la retraite.

Comment est née la retraite à 60 ans

Loin de l'emballement festif qui avait accueilli, en 1936, les réformes sociales du Front populaire sur les congés payés et la semaine de 40 heures, l'instauration de la retraite à 60 ans intervient dans un climat maussade.

Politiquement, c'est déjà l'état de disgrâce, le désenchantement, pour François Mitterrand et le gouvernement de Pierre Mauroy qui comprend des ministres socialistes et communistes. A compter du 1er avril
1983, "l'assurance-vieillesse garantit une pension de retraite à l'assuré qui en demande la liquidation à partir de l'âge de 60 ans". Ce même jour de 1983, le premier ministre recevra la CGT, la CFDT et la CFTC pour leur parler de l'application de son plan de rigueur…
La retraite à 60 ans est la dernière des grandes réformes sociales promises par François Mitterrand en 1981. Vieille revendication syndicale, elle apparaît comme une rescapée de l'état de grâce mais entre en vigueur à l'heure de l'austérité…

Dans les 110 propositions du candidat socialiste à l'élection présidentielle, elle arborait le numéro 82 : "Le droit à la retraite à taux plein sera ouvert aux hommes à partir de 60 ans et aux femmes à partir de 55 ans." Du copié-collé avec le programme commun de gouvernement, signé le 27 juin 1972 par le Parti socialiste et le Parti communiste, qui proclamait : "L'âge d'ouverture des droits à la retraite sera ramené à 60 ans pour les hommes et à 55 ans pour les femmes, le droit au travail restant garanti au-delà. Cette mesure est particulièrement urgente pour les travailleurs effectuant des tâches pénibles ou insalubres."

Arrivée au pouvoir, la gauche oublie les femmes – on ne parle plus des 55 ans – et s'engage dans une course de lenteur. Pourtant, Pierre Mauroy veut aller vite. Il décide d'utiliser l'article 38 de la Constitution, en d'autres termes une loi d'habilitation qui lui permet de recourir, sur sept sujets bien identifiés comme prioritaires pour lutter contre le chômage, à des ordonnances le dispensant de tout débat parlementaire. Le 11 décembre 1981, l'Assemblée nationale entérine le projet de loi d'orientation sociale qui prévoit notamment l'abaissement à 60 ans de l'âge légal de départ à la retraite à taux plein. Mais ce n'est que le début d'une longue marche.

Depuis l'ordonnance du 19 novembre 1945, l'âge de la retraite à taux plein, moyennant 37,5 années de cotisations (150 trimestres), est fixé à 65 ans. C'est le même âge qui avait été retenu par la loi du 5 avril 1910 qui avait institué les premières retraites ouvrières et paysannes. A l'époque, cet âge était supérieur à l'espérance de vie, ce qui conduisit la CGT à dénoncer la "retraite des morts".

Pour passer de 65 à 60 ans, Pierre Mauroy est confronté à une double difficulté. Il ne peut agir que sur la retraite de base du régime général de Sécurité sociale, qui accorde une pension égale à 50 % d'un salaire plafonné. Il faut donc que les régimes de retraite complémentaire, qui relèvent des seuls partenaires sociaux, accordent un complément de 20 % qui rendra la retraite avantageuse.

Or en 1981, le système des préretraites bat son plein. Dans le cadre de l'assurance-chômage, les syndicats et le patronat ont instauré une garantie de ressources qui assure aux partants, dès 60 ans et à la seule condition d'avoir été salarié pendant dix ans, un revenu à hauteur de 70 % des derniers salaires. Très coûteux, cet accord devait prendre fin le 31 mars 1983. Pierre Mauroy bénéficie du soutien de François Mitterrand mais le chef de l'Etat est économe en paroles sur le sujet. Lors de ses vœux du 31 décembre 1981, il fait juste allusion à "la retraite facultative à 60 ans". Le premier ministre a surtout impérativement besoin du concours des partenaires sociaux.

Cette démarche aboutit à l'ordonnance du 26 mars 1982 qui, en douze articles, instaure, au 1er avril 1983, pour les salariés du régime général et les salariés agricoles, un "véritable droit au repos que les travailleurs sont fondés à revendiquer en contrepartie des services rendus à la collectivité à l'issue d'une durée de carrière normale".

Tous les salariés "qui le souhaitent" pourront bénéficier d'une retraite complète dès lors qu'ils ont cotisé 37,5 années, avec une pension égale à 50 % du salaire annuel moyen des dix meilleures années. Ceux qui partiront à 60 ans sans avoir leurs 150 trimestres verront leur pension minorée – une décote – en fonction du nombre d'annuités manquantes", la retraite à taux plein étant garantie à 65 ans.

Quand il prépare son ordonnance, Pierre Mauroy s'appuie sur sa ministre de la solidarité nationale, Nicole Questiaux, celle qui ne voulait pas être la "ministre des comptes", et sur son directeur de cabinet, Robert Lion, qui, ancien délégué général de l'Union nationale des fédérations d'HLM, exercera cette fonction jusqu'au 28 mai 1982.

"L'IMAGE DE L'IRRÉVERSIBLE"

Or, en mai 1980, Robert Lion avait présenté, au nom du groupe de prospective sur les personnes âgées du Commissariat général du Plan, un rapport détonant, intitulé "Vieillir demain", qui s'insurgeait contre toute idée de retraite couperet. "Dans l'immédiat, écrivait M. Lion, l'essentiel n'est ni d'abaisser l'âge de la retraite ni de proposer des distractions aux personnes âgées ; l'essentiel est de regarder en face les phénomènes de négation et d'exclusion qui touchent aujourd'hui les populations âgées et de leur porter remède ; il ne faut pas une “politique de la vieillesse” s'intéressant au sort des plus de 60 ans. Il faut – et c'est possible sur le long terme – changer les rythmes et le cours de la vie entière, partager autrement le travail et le temps, distribuer différemment les rôles entre les générations."

"La solution, martelait le futur directeur de cabinet de Pierre Mauroy, n'est pas de généraliser l'abaissement à 60 ans de l'âge de la retraite… Une telle mesure, sacralisant un seuil d'âge, serait l'image de l'irréversible."

Robert Lion proposait d'accorder la retraite en fonction d'une durée d'activité, par exemple 40 ou 42 ans, ce qui permettrait aux ouvriers ayant travaillé dès l'âge de 16 ans de faire valoir leur droit au repos à 56 ans… Robert Lion œuvra aux côtés de Pierre Mauroy pour la retraite à 60 ans. Mais son avertissement eut un double écho.

Dans le rapport au président de la République introduisant l'ordonnance du 26 mars 1982, il est écrit que "le gouvernement n'entend pas renoncer à la recherche d'un système où l'ouverture des droits à la retraite serait davantage fondée sur la durée d'assurance, en particulier, pour les travailleurs et les travailleuses qui ont exercé les métiers les plus pénibles et qui ont effectué les carrières les plus longues".
Et, lors du débat sur le projet de loi d'orientation sociale, le 10 décembre 1981, Nicole Questiaux explique : "Nous pensons que, lorsque la démographie aura évolué, il sera possible de supprimer le butoir de l'âge et de tenir compte de la durée de carrière comme le demandent les organisations syndicales."

Les syndicats, justement, font plus que cacher leur joie quand l'ordonnance du 26 mars 1982 est adoptée par le conseil des ministres. Ils s'inquiètent de la disparition de la garantie de ressources qui fait de la retraite à 60 ans une réforme non financée. La CGT d'Henri Krasucki parle de "réforme importante" mais juge que le montant de la retraite "reste le problème majeur qui doit être réglé dans de bonnes conditions".

Dans la même veine, la CFDT d'Edmond Maire se félicite d'"un progrès social très important" mais réclame "la création d'une nouvelle garantie de ressources" pour "combler la différence entre le montant de la retraite à 60 ans et ce qu'aurait perçu le travailleur s'il avait bénéficié de la garantie de ressources actuelle". Sur un registre similaire, Force ouvrière, dirigée par André Bergeron, fait la fine bouche et "refuse la remise en question du niveau des retraites". La CFTC exprime la même crainte tandis que la CGC, plus critique, dénonce "l'aveuglement" du gouvernement et s'oppose à tout "alignement" du régime de retraite complémentaire sur le régime général.

Quant au patronat, le CNPF d'alors d'Yvon Gattaz, qualifie l'ordonnance d'"improvisée, coûteuse et difficilement applicable". A peine sur les rails, la réforme a du plomb dans l'aile.

POUR UNE RETRAITE À LA CARTE

Du côté de l'opposition, très minoritaire à l'Assemblée nationale, sa critique tourne au réquisitoire. Lors du débat sur le projet de loi d'orientation sociale, en décembre 1981, la droite dénonce à la fois la méthode des ordonnances et la condamnation de la garantie de ressources. "Vous faites fi du débat d'idées, s'exclame Jean Falala, député RPR de la Marne, non seulement avec votre opposition mais également avec les partenaires sociaux qui ont tous marqué leur opposition à l'égard de cette méthode autoritaire."

Philippe Séguin, député RPR des Vosges, et futur ministre des affaires sociales de 1986 à 1988, tonne : "Prisonniers de vos mythes, vous êtes enfermés dans une terrible alternative : désespérer ceux qui ont cru en vous, ou ignorer la réalité économique. Vous n'avez plus le choix qu'entre l'irrationnel et une certaine forme d'imposture. Je ne suis que médiocrement rassuré de vous voir choisir la deuxième voie. "

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 27 mars 1982, l'ancien premier ministre Jacques Chaban-Delmas joue les Cassandre : "Par les coûts supplémentaires qui pèseront sur des régimes de retraite déjà en difficulté, le gouvernement prend le risque de compromettre gravement l'avenir, ce qui ne peut que conduire à une augmentation des cotisations ou à la diminution du montant des pensions, comme certains de nos voisins européens y ont été contraints."

Dans une autre opinion, dans Le Monde du 30 avril 1982, Emmanuel Aubert, député RPR des Alpes-Maritimes (décédé en 1995), plaide pour la retraite à la carte, estimant qu'il faudrait "prendre en considération avant toute chose la durée de l'activité plutôt que de s'arrêter au critère abrupt de l'âge". A bons entendeurs…

Il faudra attendre le 4 février 1983 pour que l'horizon se dégage pour la retraite à 60 ans. Ce jour-là, les partenaires sociaux signent un accord qui met les retraites complémentaires au diapason du régime général sur la retraite à 60 ans. Il institue une Association pour la gestion de la structure financière (ASF) chargée d'assurer le surcoût, pour les régimes complémentaires Agirc et Arrco, des retraites versées à taux plein entre 60 et 65 ans.

Cette garantie de retraite égale à 20 % du salaire moyen de carrière – s'ajoutant aux 50 % du régime général – favorise les salariés les moins rémunérés. Si le futur retraité était smicard, sa pension sera égale à 80 % du salaire antérieur. S'il gagnait de 4 000 à 7 000 francs par mois, il touchera de 65 % à 70 % de son ancien salaire.

Cette fois, la CGT célèbre "une importante victoire de la classe ouvrière". FO salue une "étape très importante" et la CFDT fait savoir qu'elle signe cet accord "avec beaucoup de joie". Le CNPF se déclare satisfait qu'aucune hausse de cotisations ne soit programmée – elle viendra plus tard – mais joue les rabat-joie en ironisant sur ceux qui font souffler des "trompettes triomphantes".

Quoi qu'il en soit, le résultat est là : la retraite à 60 ans est désormais financée et elle peut entrer en vigueur le 1er avril 1983 sans que ce soit une farce…

Vingt ans après, revenant sur cette réforme dans ses Mémoires (Plon, 2003), Pierre Mauroy la célèbre avec discrétion – il y consacre moins d'une page – et sobriété. Dans la France de 1981, écrit-il, "la condition ouvrière restait très pénible, par exemple dans l'industrie sidérurgique du Nord. J'étais marqué par la dure condition de certains ouvriers des hauts-fourneaux qui, chaque jour, devaient se battre avec l'acier en fusion. C'était épuisant. A partir de 40 ans, ils en paraissaient 60. (…) Cette représentation de la classe ouvrière ne venait pas de Zola, mais bien de la réalité quotidienne que je rencontrais dans ma région. Tous les bassins d'emploi étaient concernés par des travailleurs qui avaient commencé à travailler très jeunes, si bien qu'ils avaient largement payé leur retraite avant d'atteindre l'âge de 65 ans à partir duquel ils étaient enfin libérés, sachant que leur durée de vie était à l'époque, en moyenne, de 63 ans ! ". Vous avez dit pénibilité ?