TOUT EST DIT

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jeudi 3 février 2011

Hippocrate Hypocrite

Sans confiance, pas de médecine. Sur cette évidence, tout le monde s'accorde. Car le patient remet sa vie au médecin, même pour un bobo banal. Si celui qui est supposé savoir se trompe, ou est trompé, c'en est fait. C'est bien pourquoi, depuis l'aube des temps, la formation du praticien est jugée cruciale. La question de son indépendance envers les intérêts commerciaux et financiers a toujours été soulignée. Elle prend un relief nouveau avec l'affaire du Mediator et la confusion des genres à nouveau mise en lumière. Il demeure indécent que les groupes pharmaceutiques conservent le contrôle de la formation régulière des médecins au long de leur carrière. Il serait hypocrite de s'imaginer qu'une connaissance objective et désintéressée soit dispensée par ceux qui placent leurs produits. Pas besoin d'être Hippocrate pour juger le résultat douteux.

Le dilemme, en son fond, est vieux comme la médecine. Le grand maître que fut Galien -qui vécut de 130 à 200, environ, de notre ère et fut notamment le médecin de l'empereur Marc-Aurèle -n'a cessé de dénoncer les dérives provoquées par l'appât du gain. Il y a presque deux mille ans, on préférait déjà son compte en banque à l'intérêt de ses patients. C'est pourquoi Galien écrit : « Celui qui estime la richesse plus que la vertu et qui apprend son art pour amasser de l'argent et non pour le bien de l'humanité, celui-là ne saurait tendre vers le but que propose la médecine. » Le maître souligne -c'est le titre de ce traité -que le bon médecin doit être philosophe. Pas question, on s'en doute d'un double cursus : « philosophe », en l'occurrence, signifie à la fois « pourvu d'un vrai savoir » et « transformé moralement par la connaissance ».

Vieilleries ? Pas sûr. Certes, notre époque est infiniment plus complexe, l'étendue de nos savoirs sans commune mesure, la société bien plus sophistiquée. Raison de plus, quand tout s'enchevêtre, pour être vigilant sur les séparations. Car c'est là le coeur du problème : la séparation des pouvoirs. Non pas entre législatif, exécutif et judiciaire, mais bien entre trois autres pouvoirs : celui de dispenser enseignements et formations, celui de soigner et de prescrire, celui d'élaborer et de commercialiser des médicaments. Entre ces trois pouvoirs, les relations sont normales et souhaitables, mais les interférences plus que dangereuses et les collusions dramatiques.

Il appartient donc à l'Etat, aux médecins, éventuellement aux laboratoires, de remettre à plat les règles d'un jeu où la vie des gens, en fait, se trouve misée. Dans cette tâche, il paraît légitime qu'une médecine qui s'est choisie libérale prenne en charge elle-même sa formation permanente, en toute rigueur -et donc en toute indépendance. Ce n'est pas seulement une question technique, mais une affaire d'éthique. Comme il s'agit d'une lourde charge, dans la conception et la mise en oeuvre, le soutien de l'Etat est plus que souhaitable -mais pas sa tutelle.

Finalement, pour que les patients conservent confiance, il semble utile que les médecins retrouvent quelque défiance envers la toute puissance des molécules nouvelles et prennent au sérieux, avec toute la pédagogie requise, l'existence des effets indésirables. A force de subir le marketing, de finir par se persuader qu'on pourrait, à la limite, soigner sans risques et droguer sans dommages, nombre de praticiens ont relâché leur vigilance. Attention moins vive envers les dangers de nos poisons thérapeutiques, explications insuffisantes données aux malades, voilà qui devrait, à terme, inquiéter les patients. Car la confiance est par nature fragile et paradoxale : on l'étiole en la croyant acquise. Un peu de défiance la renforce, trop l'annihile. Ce qui l'entretient, en médecine comme ailleurs, les Anciens le savaient déjà : des savoirs et de la mesure, de l'expérience et du franc-parler, de l'observation et de la raison. Toutes choses que les traités grecs ont indiquées jadis, et qui furent à juste titre reprises de siècle en siècle. Le reste, après tout, est décoratif.

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