TOUT EST DIT

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mardi 30 avril 2013

"Mur des cons" : quand un syndicat réclame la tête d'un salarié parce qu’il ne pense pas bien


On ne doit pas s’ennuyer au SNJ (Syndicat national des Journalistes). La dernière trouvaille de cette honorable organisation est franchement hilarante. Elle apporte son « plus total soutien » (« plus total » c’est bon ça, les confrères doivent préférer les images au texte) au Syndicat de la Magistrature, victime d’une forfaiture sans précédent : la publication, par un journaliste de France 3, d’une photo volée dans un local syndical. Ce crime odieux et attentatoire à l’honneur des juges ne doit pas rester impuni. Le SNJ-CGT de France 3, affilié à une centrale concurrente du premier, en remet dans l’indignation. Il exige des sanctions, envisage de demander la traduction du coupable en commission disciplinaire, étape préalable, on imagine, à son incarcération dans un camp du même nom. Joy Banerjee, représentant de la rédaction nationale de France 3, déclare aimablement que le voleur de cons a « sali la rédaction nationale de France 3 ». Sali, oui : la gauche olfactive est de retour. Et elle ne plaisante pas avec les principes. Ni avec les odeurs.
Le prêchi-prêcha du SNJ mérite le détour. Il y est rappelé que « l’utilisation d’images volées dans un lieu privé, en l’occurrence les locaux du SM, est contraire à la déontologie professionnelle la plus élémentaire ». Alors que la semaine de la transparence bat son plein depuis un mois, cette position est pour le moins courageuse. Et avec ça, les copains posent cash les questions qui dérangent : « On ne peut que s’interroger sur l’intention qui sous-tend la publication des photos de ce mur et le traitement qui en est fait dans la presse ». Avant d’appeler tous les journalistes « à ne pas céder à la pression de la course à l’audimat (il est vrai qu’à France 3, elle est supportable, tant mieux d’ailleurs) et à refuser de participer à une manipulation de l’opinion ». Touchant, n’est-ce pas ?
Là où l’affaire devient aussi terrifiante qu’amusante, c’est que la direction de France 3 s’est exécutée aussi sûrement que si on l’avait sifflée. Notre confrère, à qui j’apporte mon « plus total soutien », passera aujourd’hui en commission disciplinaire ou quelque chose de ce genre. Il y a quelques jours, tout ce petit monde n’avait pas d’adjectifs assez ronflants pour glorifier un journalisme de révélations, qui fouine dans tous les coins de la démocratie, déterre des scandales, soulève les tapis et débusque les cadavres enfouis dans tous les placards. Peu importaient alors les moyens. On ne se rappelle pas que ces déontologues raffinés aient apporté leur soutien, même relativement partiel, à Liliane Bettancourt espionnée par son majordome, Laurent Blanc, balancé pour prétendu racisme à Mediapart, ou DSK exhibé par son amante. Voler pour la bonne cause, ce n’est pas du vol. C’est bien cela. Mine de rien, ces braves gens sont en train de rétablir le délit d’opinion – ce qui signifie qu’ils choisissent les opinions qui sont des délits. Contre les méchants, les riches, les puissants, les sarkozystes, la France d’hier, tous les moyens sont bons. Oser critiquer les forces de progrès qui portent la « vraie gauche », les enseignants en lutte, les juges rebelles, les journalistes résistants, relève de la haute trahison des intérêts du peuple.
D’accord, ce n’est pas 1984. N’empêche, il y a dans l’air un vague parfum, à peine un soupçon, mais il suffit à glacer. J’exagère, bien sûr. Après tout, qui se soucie du SNJ ? Un journaliste pourrait être sanctionné par son employeur, la télévision publique, pour avoir diffusé une information sans l’accord préalable de l’institution concernée par l’information. Un syndicat demande au patron de clouer un salarié au pilori pour la seule raison qu’il ne pense pas bien. Ce n’est rien. Rien d’autre qu’une fable ordinaire  de la France d’aujourd’hui.
Une affaire de journalistes qui n’intéresse personne, me souffle un ami qui pense juste et se trompe souvent, comme maintenant. Ce n’est pas une affaire mais une ambiance, un état d’esprit qui se diffuse, bien au-delà des quelques médias assurant traditionnellement la propagation du dogme. Une façon de considérer le contradicteur ou l’adversaire idéologique, au choix, comme un salaud ou un idiot. Ici, l’opposition au mariage gay est criminalisée, donc interdite ; là on demande dans le même mouvement l’amnistie pour le gentil casseur (de gauche) et les sanctions les plus fermes contre les « milices fascistes » (de droite). Il paraît que les gens de droite, aujourd’hui, sont aussi sectaires que ceux de gauche. C’est bien possible, mais l’avantage, c’est qu’on ne les entend pas. Il est vrai que les dingues qui semblent pulluler au SNJ, au SNJ-CGT, au Syndicat de la Magistrature et sans doute dans pas mal d’associations citoyennes, ne sont pas toute la gauche. Et qu’ils ne sont pas au pouvoir. Mais ils ne sont pas très loin de lui (dans l’espace politique, pas dans le temps, enfin espérons-le). Alors oui, j’aime bien rigoler. Mais au cas où ça vous aurait échappé, ce sont nos libertés à tous qui sont menacées par ces petits marrants.

Un an à l'Elysée : le bilan de Valérie Trierweiler


BILAN - Après un an passé dans les couloirs de l'Elysée, l'heure est au bilan. La compagne de François Hollande, après des débuts chaotiques, semble avoir enfin pris le pli de son rôle de Première Dame. Metro fait le bilan de son année sous les ors de la République.
Les premiers pas de Valérie Trierweiler en tant que Première Dame ne se sont pas déroulés le plus sereinement du monde. Le 6 mai 2012, la victoire de François Hollande a transformé la vie de sa compagne, journaliste. Cette dernière, visiblement peu préparée à la victoire finale a cumulé les faux pas et les mauvais sondages durant les premiers mois du mandat de son compagnon. 
Après quelques mois sous les radars de la presse, la Première Dame semble avoir désormais pris le pli de sa fonction. Malgré son implication humanitaire et son souhait de bien faire, la communication de Valérie Trierweiler en tant que Première Dame a été émaillée de nombreux faux pas que la société française peine à lui pardonner. Metrofrance retrace un parcours de douze mois qui ressemble plus à un parcours du combattant qu'à une douce balade dans les jardins de l'Elysée. 
"Embrasse-moi... sur la bouche"
Au soir du 6 mai 2012, Valérie Trierweiler posait les bases de ce qui allait se passer dans les semaines à venir : une guerre intestine avec l'ex de François Hollande, Ségolène Royal. Ce soir-là, sur la scène, Valérie Trierweiler attrape François Hollande par le col et le somme de l'embrasser sur la bouche. Devant les caméras. Une manière quelque peu "agressive" de s'affirmer après que François Hollande ait salué son ancienne compagne, Ségolène Royal. 
Elle souhaite conserver son poste de journaliste
De journaliste politique dans l'un des hebdomadaires les plus reconnus, Paris-Match, Valérie Trierweiler est passée Première Dame. "C'est un peu comme si j'entrais dans mes papiers", confiait alors à l'AFP, la journaliste qui s'est vu évincée de son poste de journaliste politique pour se voir confier une rubrique dans les pages culture de l'hebdomadaire de Lagardère. Le fait que Valérie Trierweiler conserve son poste de journaliste à Paris-Match, hebdomadaire pour lequel elle écrit depuis 22 ans, avait déjà fait grincer quelques dents mais c'est un simple tweet de moins de 140 signes qui déclencha toutes les passions.
L'affaire du Tweet
C'est un simple message posté sur son compte Twitter qui a déclenché un tsunami médiatique. "Courage à Olivier Falorni qui n'a pas démérité, qui se bat aux côtés des Rochelais depuis tant d'années dans un engagement désintéressé". Un message qui aurait pu être anodin s'il n'avait pas été adressé à l'adversaire direct de Ségolène Royal lors des élections législatives de La Rochelle. En quelques caractères celle qui voulait réinventer le rôle de Première dame venait de faire voler en éclats la réserve traditionnelle observée par les compagnes de chefs d'Etat.
L'ensemble de la classe politique, mais aussi Thomas, fils aîné de François Hollande, se sont alors élevés pour lui demander de revenir à plus de discrétion. Un mois après l'élection de François Hollande, 69% des Français (81% chez les sympathisants de gauche) désapprouvent le tweet, selon un sondage Harris Interactive pour Gala.
Recadrage et mise au point. 
De son côté, Thomas Hollande recadre sa belle-mère. Dans son édition du 12 juillet, Le Point relate une conversation entre Thomas Hollande et la journaliste Charlotte Chaffanjon. Le fils du président de la République a évoqué ses relations avec Valérie Trierweiler et le fameux tweet de soutien à Olivier Falorni lors des précédentes législatives. Dans l'article, Thomas Hollande parle d'un François Hollande "ahuri" par le tweet de sa compagne et lui reproche "d'avoir fait basculer la vie privée dans la vie publique".
François Hollande met un terme à la polémique. "Je considère que les affaires privées se règlent en privé. Et je l'ai dit à mes proches pour qu'ils acceptent scrupuleusement ce principe", avait déclaré le chef de l'Etat lors de son intervention télévisée du 14 juillet pour mettre fin à cet imbroglio politico-sentimental malvenu, alors qu'il n'avait cessé durant sa campagne de dénoncer le "mélange des genres" de Nicolas Sarkozy. Malheureusement, le tweet restera dans l'histoire comme le message d'une compagne éperdue de jalousie face à une ex détrônée tant dans le coeur que dans les sondages. Quatre mois après la déferlente médiatique, Valérie Trierweiler fait amende honorable et adresse ce message : "mon tweet était une erreur, je le regrette". 
Engagement humanitaire
A l'instar de nombreuses femmes de chefs d'Etat, Valérie Trierweiler a décidé de s'engager dans l'humanitaire. Dans les pas de Danielle Mitterrand, elle est nommée ambassadrice de la Fondation Danielle-Mitterrand. Elle s'engage auprès de la famille de Florence Cassez, alors emprisonnée au Mexique. Elle lui adresse des colis, l'accueille à son arrivée à Roissy...
Bref, Valérie Trierweiler redore son blason et n'hésite plus à se montrer aux côtés des enfants malades ou auprès d'enfants des rues au Congo lors du voyage officiel de François Hollande dans le pays. Une opération de communication et d'engagement qui semble porter ses fruits puisqu'elle endosse un habit de Première Dame plus "traditionnel" et loin de l'image qu'elle voulait faire de sa fonction. A des enfants algérois qui lui demandaient en décembre ce que cela faisait d'être Première dame, Valérie Trierweiler répondait "ça fait très peur au début. On ne sait pas ce qu'il faut faire. Ensuite, on apprend, comme vous à l'école". Première Dame ? Une fonction en perpétuel apprentissage. 
Les affaires judiciaires
Si Valérie Trierweiler a réussi a endosser un rôle plus traditionnel et su se glisser dans le moule d'une compagne de chef d'Etat, il y a une chose sur laquelle notre Première Dame ne transige pas : sa vie privée. Autre affaire et non des moindres, lorsque son employeur, Paris-Match publie un article "La parenthèse amoureuse", le Canard Enchaîné raconte que cette dernière a appelé le directeur de la rédaction du journal (son supérieur, ndlr) pour signifier son mécontentement. Le point de discorde ? Un article paru le 7 février dernier montrant le couple présidentiel, main dans la main dans les jardins du Luxembourg. Sacrilège !
Lorsque Closer et Voici publient des photos du couple présidentiel à Brégançon, Valérie Trierweiler attaque les journaux. Du jamais vu dans le petit monde feutré de l'Elysée. Lorsqu' Alix Bouilhaguet et Christophe Jakubyszyn sorte leur livre biographique intitulé "La Frondeuse" en lui prêtant une relation avec Patrick Devedjian, Valérie Trierweiler voit rouge et attaque les auteurs du livre pour "atteinte à l'intimité de la vie privée.
Xavier Kemlin contre Valérie Trierweiler
Les affaires judiciaires la concernant ne s'arrêtent pas là. En mars dernier, Xavier Kemlin, arrière petit-fils de Geoffroy Guichard, patron de Casino porte plainte contre Valérie Trierweiler pour "détournements de fonds publics". L'affaire est classée sans suite mais c'était sans compter sur l'acharnement du monsieur qui s'avère être un grand procédurier. Cette semaine, il a déposé une seconde plainte et accuse Valérie Trierweiler d'occuper des bureaux à l'Elysée et de bénéficier de personnels pour des fonctions "pas clairement définies" alors qu'elle n'est dépositaire d'aucune autorité légale, selon l'agence Sipa.
Au final, les quelques mois de présence de Valérie Trierweiler à l'Elysée n'ont pas été de tout repos. Bien au contraire. C'est une année chargée en polémique et en attaque à laquelle Valérie Trierweiler a dû faire face. Un an après son arrivée, la Première Dame semble malgré tout, avoir trouvé ses marques. Il était temps : le chemin sera encore long et parsemé d'embûches jusqu'en 2017, date des futures élections présidentielles. 

Terrain budgétaire miné

Terrain budgétaire miné


Le Premier ministre a des raisons impérieuses de réduire la dépense publique. Pourquoi, dans ce cas, faudrait-il sanctuariser la Défense, qui coûte 30 milliards par an ? Excellent cas d'école, pour les adeptes du « y'a qu'à », à l'occasion de la présentation, ce matin, du Livre blanc pour les années 2014-2019.
La Défense coûte cher, mais moins, par exemple, que les intérêts de la dette ou la fraude fiscale. Elle coûte cher, mais elle a déjà beaucoup donné, lors du passage à l'armée de métier (Jacques Chirac) et de son reformatage (Nicolas Sarkozy), à l'origine d'une baisse drastique des effectifs.
Elle coûte cher, mais elle peut rapporter gros. Les soldes des militaires alimentent la consommation. Les achats d'avions, d'hélicoptères ou de navires renforcent les carnets de commandes d'EADS et de DCNS à Cherbourg, Brest, Lorient ou Indret. Elle fait tourner une industrie exportatrice et de haute technologie.
Elle coûte cher et elle n'est pas malléable. Les dépenses fixes de la dissuasion nucléaire, même si on peut en dénoncer les ambiguïtés, interdisent toute économie immédiate. Abandonner l'atome prendrait des décennies. Réduire un programme industriel en augmenterait la facture finale, provoquerait de la perte de savoir-faire et rendrait nos dispositifs inopérants et notre déclassement irréversible.
La Défense, enfin, participe au rayonnement et à l'indépendance de la France. Depuis l'ex-Yougoslavie, l'armée française a été de toutes les expéditions, sous ses propres couleurs ou sous celles des Nations unies, pour pacifier le monde ou pour défendre ses intérêts. Le renseignement, alliage d'humain et de haute technologie, protège - touchons du bois - le territoire national. Les militaires participent au soulagement de la souffrance des victimes de catastrophes.
À la limite du possible
Sans la réactivité des forces spéciales, le djihadisme risquait de faire tomber les régimes africains et de menacer l'Europe. En quelques semaines, l'opération malienne a plus fait pour l'image, l'influence et les valeurs françaises en Afrique et au-delà que des années de diplomatie. Même la Francophonie s'en dit ravie.
Pourtant, ce Livre blanc confirme que nous vivons les derniers budgets du possible. Économiser plus, même en étalant les sacrifices, mettrait tous ces apports en péril. Une contribution massive de l'armée à l'effort collectif ne peut plus se concevoir en pourcentage ni sur le seul critère du format. Elle supposerait de revoir notre doctrine, de spécialiser notre Défense et de restructurer notre industrie dans le cadre d'une mutualisation européenne.
La crise devrait logiquement pousser à la création d'une Défense commune en Europe et à un partage du budget, supporté pour l'essentiel par la Grande-Bretagne et la France. Vaste chantier qui suppose que certains pays contribuent davantage et que tous s'entendent sur une stratégie et des objectifs communs !
Avant qu'une politique de Défense ne vienne servir le rayonnement de l'Europe, il faudra encore compter sur les capacités nationales, forcément coûteuses. Or la Défense reste un investissement de long terme - nul ne sait ce que sera le monde en 2050 - qui ne permet pas de transformer un militaire en cantonnier reboucheur des trous budgétaires.

Le chemin vers le « mariage » des homosexuels a été pavé par Rousseau


Un remarquable article sur les questions philosophiques qui sous-tendent l’affaire du « mariage » des couples de même sexe vient d’être publié par le site australien MercatorNet. Son auteur en est Robert R. Reilly, ancien membre de l’administration de Reagan, spécialiste des affaires internationales et de l’islam. Nous en publierons notre traduction en deux parties, la première aujourd’hui, la seconde samedi prochain.
Il s’agit de comprendre, en effet, ce qui sépare fondamentalement les partisans et les adversaires du « mariage pour tous », et de préciser les notions de nature et de « contre-nature » de manière à mieux aborder les débats, les conflits et pire qui vont se multiplier dans les mois qui viennent.
Cette première partie aborde la philosophie classique et réaliste. La deuxième montrera comment Rousseau – les « Lumières » – ont modifié le sens du mot nature. – J.S.
Inéluctablement, le problème des droits « gay » dépasse largement la question des pratiques sexuelles. Il s’agit, comme l’a proclamé la militante homosexuelle Paula Ettelbrick, de « transformer le tissu même de la société (…) et de réaménager de manière radicale la manière dont la société considère la réalité ».
Etant donné que notre perception de la réalité est en jeu dans ce combat, la question suivante se pose inévitablement : quelle est la nature de cette réalité ? Est-elle bonne pour nous, en tant qu’êtres humains ? Correspond-elle à notre nature ? Chaque partie dans ce débat prétend que ce qu’elle défend ou propose correspond à la nature.
Les adversaires du mariage des couples de même sexe disent qu’il est contre-nature ; ses partisans affirment qu’il est « naturel » et que donc ils y ont « droit ». Mais les réalités visées par chaque camp ne sont pas seulement différentes, mais opposées : chacune est la négation de l’autre. Que signifie véritablement le mot « nature » dans ce contexte ? Les mots peuvent être les mêmes, mais leurs significations sont directement contradictoires, selon leur contexte. Il est donc d’une importance vitale de comprendre les contextes plus larges où ils sont utilisés, et les visions plus larges de la réalité dont ils font partie, puisque le statut et la signification du mot « nature » seront décisifs pour la suite.

Revoyons donc brièvement comment la loi naturelle voit la « nature » et les distinctions qu’une vue objective de la réalité nous permet de faire par rapport à notre existence en général et à la sexualité en particulier. Le point de départ doit être que la nature est ce qui est, indépendamment de ce que quiconque désire ou abhorre. Nous en faisons partie, et nous y sommes assujettis. Elle ne nous est pas assujettie. Ainsi nous verrons comment, une fois le statut objectif de la nature perdu ou renié, nous perdons la capacité de posséder une quelconque véritable connaissance de nous-mêmes et de la manière dont nous devons être en relation avec le monde. Cette discussion pourra sembler parfois un peu décalée par rapport aux questions qui nous préoccupent directement, mais elle ne l’est pas. Elle en est le cœur et l’âme. Sans elle, le reste de notre discussion n’est plus qu’une bataille d’opinions.
L’ordre de l’univers – les lois de la nature d’Aristote
Il existe deux anthropologies de base, profondément différentes, derrière les visions de l’homme en compétition au cœur du conflit sur le mariage des homosexuels. Pour comprendre la notion originelle de « nature », nous nous tournerons vers ceux qui ont commencé à employer le terme dans la Grèce classique, et plus spécialement Platon et Aristote. Pour présenter l’antithèse de cette manière de comprendre les choses, nous nous tournerons ensuite vers Jean-Jacques Rousseau, qui a vidé – éviscéré – le mot de son sens traditionnel au XVIIIe siècle et lui a donné sa connotation moderne. L’anthropologie plus ancienne est aristotélicienne, qui affirme que l’homme est par nature un animal politique dont l’unité de base sociétale est la famille. La plus récente est rousseauiste, qui affirme que l’homme n’est pas un animal politique et que la société, quelle qu’en soit la forme, lui est fondamentalement étrangère. Ces deux anthropologies disparates présupposent, à leur tour, deux métaphysiques radicalement différentes : l’une est téléologique ; l’autre n’est pas téléologique, ou est anti-téléologique. Une fois de plus, la première trouve ses racines chez Aristote, la seconde chez Rousseau. Ces deux écoles de pensée fournissent des perspectives philosophiques commodes et nécessaires au sein desquelles il est possible de comprendre les utilisations des mots « naturel » et « pas naturel » tels qu’ils sont employés aujourd’hui de manières diverses par les partisans et les adversaires des actes homosexuels et du mariage des homosexuels.
La découverte de la nature a été d’une très grande portée, s’agissant du premier produit de la philosophie. L’homme a, pour la première fois, déduit l’existence de la nature de l’observation de l’ordre de l’univers. La régularité avec laquelle les choses se produisent ne pouvait pas s’expliquer par une répétition due au hasard. Toute l’activité de la nature semblait guidée par un but, par des fins vers lesquelles les choses doivent se mouvoir. Avant cette découverte, dans le monde ancien pré-philosophique, l’homme était immergé dans des représentations mythologiques du monde, des dieux et de lui-même. Ces récits mythopoétiques ne faisaient pas de distinction entre l’homme et la nature, ou entre la convention et la nature. Un chien remuait la queue car ainsi font les chiens. Les Egyptiens peignaient des couleurs vives sur leurs cercueils car ainsi faisaient les Egyptiens. Il n’y avait aucune manière de faire la différence entre les deux car le mot « nature » n’était pas disponible dans le vocabulaire du monde pré-philosophique.
Selon Henri Frankfort dans Avant la philosophie, c’est Héraclite qui le premier à saisi que l’univers est un tout intelligible et que, par conséquent, l’homme est capable d’en comprendre l’ordre. Si cela est vrai – et seulement si c’est vrai – la quête de l’homme pour trouver la nature de la réalité devient possible. L’idée même de « nature » devient possible. Comment cela pouvait-il se faire ? Héraclite disait que l’univers est intelligible parce qu’il est gouverné par la « pensée », ou la sagesse, et qu’il en est le produit. S’il est le produit de la pensée, alors on peut le saisir en pensant. Nous pouvons savoir ce qu’il est parce qu’il a été fait par le logos. Nous pouvons avoir des pensées à propos de choses qui sont elles-mêmes le produit de la pensée.
Pour autant que nous puissions le savoir, Héraclite et Parménide ont été les premiers à utiliser le mot logos pour nommer cette « pensée » ou cette sagesse. Logos signifie évidemment l’intelligence qui est derrière le tout intelligible. C’est le logosqui rend le monde intelligible aux efforts de la philosophie, c’est-à-dire de la raison. Dans Timée, Platon écrit : « Maintenant la vue du jour et de la nuit, et des mois et des révolutions des ans, ont créé le nombre, et nous ont donné une conception du temps, et le pouvoir de chercher la nature de l’univers, et de cette source, nous avons tiré la philosophie, et aucun plus grand bien n’a jamais été donné par les dieux à l’homme mortel, ni ne le sera jamais. » Par la raison, disait Socrate, l’homme peut parvenir à savoir « ce qui est », c’est-à-dire la nature des choses.
Aristote enseignait que l’essence ou la nature d’une chose est ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est, et pourquoi elle n’est pas autre chose. Il ne s’agit pas d’une tautologie. Tandis que le gland se développe pour devenir un chêne, il n’y a aucun moment sur la trajectoire de sa croissance qui le verra se transformer en girafe, ou en autre chose qu’un chêne. Parce qu’il a la nature d’un chêne. En parlant de loi naturelle, en ce qui concerne les choses vivantes, nous voulons désigner le principe du développement qui fait d’une chose ce qu’elle est et, si les conditions idoines sont réunies, ce qu’elle deviendra lorsqu’elle s’accomplit ou atteint sa fin. Pour Aristote, « La nature cherche toujours une fin. » Cet état final est son telos, son but, ou la raison pour laquelle elle existe. Dans la création non-humaine, ce dessein se manifeste soit par l’instinct, soit par la loi physique. Chaque être vivant a un telos vers lequel il se meut à dessein. Chez les plantes ou les animaux, cela n’implique aucune volition consciente de soi. Chez l’homme, si.
Tout ce qui opère contrairement à ce principe dans une chose ne lui est pas naturel. « Pas naturel », en ce sens, veut dire ce qui agit contre ce qu’une chose deviendrait si elle opérait selon son principe de développement. Par exemple, un gland deviendra un chêne sauf si ses racines sont empoisonnées par une eau très acide. On pourrait dire que l’eau acide n’est « pas naturelle » au chêne, ou contraire à sa « bonté ».
Le terme « téléologique », appliqué à l’univers, implique que tout a un but, et que ce but est intrinsèque à la structure des choses elles-mêmes. Il y a ce qu’Aristote appelle l’« entéléchie », « avoir sa propre fin à l’intérieur de soi-même ». Le but de la chose lui est intrinsèque. Ces lois de la nature ne sont alors pas l’imposition de l’ordre depuis l’extérieur par un commandant en chef, mais une expression de l’ordre qui vient depuis l’essence même des choses, qui ont leur propre intégrité. Cela signifie également que le monde est compréhensible parce qu’il opère sur une base rationnelle.
C’est par leurs natures que nous pouvons savoir ce que sont les choses. Autrement, nous n’en connaîtrions que des spécificités, sans pouvoir reconnaître les choses selon leur genre et leur espèce. En d’autres termes, nous aurions seulement l’expérience de ce morceau de bois-ci (un arbre), par opposition à ce morceau de bois-là (un autre arbre), mais nous ne connaîtrions pas le mot « arbre » ni même le mot « bois » parce que nous ne connaîtrions l’essence ni de l’un, ni de l’autre. En fait, nous ne connaîtrions rien.
La nature est aussi ce qui permet à une personne de reconnaître une autre personne en tant qu’être humain. Que signifie la nature humaine ? Elle signifie que les êtres humains sont fondamentalement les mêmes dans leur essence même, qui est immuable et, au plus profond, que l’âme de chaque personne est ordonnée au même bien ou à la même fin transcendants. (Cet acte de reconnaissance est le fondement de la civilisation occidentale. Nous avons toujours, depuis, appelé barbares ceux qui sont soit incapables de voir une autre personne comme un être humain ou qui refusent de le faire.) Aussi bien Socrate qu’Aristote ont dit que les âmes des hommes sont ordonnées au même bien et qu’il existe donc un seul critère de la justice qui transcende les critères politiques de la cité. Il ne doit pas y avoir un critère de la justice pour les Athéniens et un autre pour les Spartiates. Il n’y a qu’une justice et cette justice est au-dessus de l’ordre politique. Elle est la même en tout temps, en tout lieu, pour tous.
Pour la première fois, c’est la raison qui devient l’arbitre. La raison devient normative. C’est par la raison – et non par les dieux de la cité – que l’homme peut discerner entre le juste et l’injuste, entre mythe et réalité. Agir de manière raisonnable ou faire ce qui est en accord avec la raison devient le critère du comportement moral. On voit l’une des expressions les plus hautes de cette connaissance dans L’Ethique à Nicomaque d’Aristote.
Comme l’a exprimé un universitaire spécialiste des classiques, Bruce S. Thornton : « Si l’on croit, à l’instar de nombreux philosophes grecs depuis Héraclite, que le cosmos reflète une sorte d’ordre rationnel, alors le mot “naturel” désignerait un comportement conforme à cet ordre. On pourrait alors agir de manière “non naturelle” en se laissant aller à un comportement qui subvertirait cet ordre ainsi que son but. » Se comporter conformément à la nature signifie donc agir de manière rationnelle. De manière concomitante, se comporter de manière non naturelle veut dire agir de manière irrationnelle. Cette notion de la réalité exige le règne de la raison.
Raison et moralité
Tout cela concerne l’homme seul parce qu’il est le seul à posséder le libre arbitre. Il peut choisir les moyens pour atteindre sa fin ou choisir de contrarier sa fin en tous points. C’est évidemment pour cela que les lois « morales » ne sont applicables qu’à l’homme. Ces lois morales sont ce que signifie la loi naturelle par rapport à l’homme. Que l’homme puisse défier la loi morale n’amoindrit en rien la certitude que celle-ci continue d’opérer. En réalité, un homme ne viole pas tant la loi que la loi ne le brise s’il la transgresse. Bref, lorsque nous parlons de la nature de l’homme, nous signifions l’ordonnancement de l’être humain vers certaines fins. C’est le fait d’accomplir ces fins qui rend l’homme pleinement humain.
Quelle est la fin de l’homme ? Dans l’Apologie, Socrate dit qu’un « homme bon à quoi que ce soit… doit seulement considérer si, en faisant quelque chose, il fait bien ou mal – s’il joue le rôle d’un homme bon ou mauvais… ». La République affirme que « l’idée du Bien… ne se perçoit qu’avec effort ; et lorsqu’elle est vue, on en déduit aussi qu’elle est l’auteur universel de toutes choses belles et justes, parent de la lumière et seigneur de la lumière dans ce monde visible, et source de la vérité et de la raison dans le monde intellectuel ». Depuis Socrate, nous avons appelé la fin de l’homme « le bien ». Cette fin porte en elle-même une suggestion de l’immortalité car, comme le dit Diotima dans le Symposium : « L’amour aime que le bien soit possédé pour toujours. Et donc il s’ensuit nécessairement que l’amour est de l’immortalité. »
Le bien de l’homme, nous dit Aristote, est le bonheur. Cependant le bonheur n’est pas ce que nous en disons, mais seulement cette chose qui, par notre nature, nous rendra véritablement heureux. Puisque la nature de l’homme est fondamentalement rationnelle, le bonheur consistera en la connaissance et en la contemplation du bien ultime. (Ce bien, nous disent les théologiens, est Dieu.) Aristote explique que l’on n’atteint le bonheur qu’à travers des actes vertueux : la répétition des bonnes actions. Les actions sont considérées comme bonnes ou mauvaises, naturelles et pas naturelles, par rapport à l’effet qu’elles produisent sur la progression d’un homme vers sa fin.
Donc, c’est par la nature que nous en venons à comprendre le bon usage des choses. La très grande importance de cela pour le thème qui nous préoccupe est que, puisque les fins des choses leur sont intrinsèques, l’homme n’a pas le loisir de les inventer, mais seulement de les découvrir par l’usage de sa raison. Il peut alors choisir de conformer son comportement à ces fins par une vie de vertu, ou les contrarier par une vie dans le vice. Il peut choisir de devenir pleinement humain, ou de se déshumaniser. Cependant, s’il fait ce dernier choix, il ne se le présentera pas en ces termes. Comme l’a dit Aristote, il doit percevoir ce qu’il choisit comme bon s’il doit pouvoir le choisir. S’il choisit de se rebeller contre l’ordre des choses, il se présentera ce choix à lui-même non comme favorable au désordre, mais comme favorable à l’ordre – mais un ordre d’une autre sorte. Il va, comme nous l’avons dit, rationaliser : le vice devient la vertu.
C’est vers la construction de cet autre type d’« ordre », de cette réalité alternative, que nous allons maintenant nous tourner. L’un de ses architectes modernes fut Rousseau.
L'originale en anglais: ici