La mesure la plus visible de la réforme des retraites, votée à l'automne après des semaines de bataille parlementaire et une douzaine de grosses journées de manifestations, entre en vigueur. Elle se traduira par 100.000 départs en retraite en moins en 2011 rien que pour le régime général, selon la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav, salariés du privé).
Si ce changement a fait beaucoup parler, il ne contribuera que pour une petite part à la baisse du déficit des retraites, espérée cette année après le record de 2010. L'essentiel proviendra des hausses de prélèvement inscrites dans la même réforme: début d'alignement de taux de cotisation des fonctionnaires sur celui des salariés du privé, nouveau mode de calcul des exonérations de charges, relèvement à 41% de la tranche supérieure d'impôt sur le revenu, alourdissement de la taxation sur les stock-options, les retraites-chapeau, les dividendes, les plus-values mobilières et immobilières, augmentation du «prélèvement social» sur les revenus du patrimoine… S'y ajoutera, en 2015, une hausse des cotisations vieillesse, censée être compensée par une baisse des cotisations chômage.
Le tout doit permettre de ramener les comptes à l'équilibre en 2018 - année où l'âge légal aura atteint 62 ans. Car c'était la priorité absolue des rédacteurs du projet de loi (Nicolas Sarkozy, François Fillon, Éric Woerth et leurs conseillers): présenter un plan bouclé financièrement à 100%. Demander un effort aux Français mais leur assurer que cet effort réduirait à néant le déficit, à un horizon raisonnable (entre-temps, les brèches auront été colmatées en utilisant le Fonds de réserve des retraites de Lionel Jospin, au rythme de 2 milliards d'euros par an). Et pouvoir clamer que la retraite par répartition est sauvée.
Le plus dur a été fait
Certes, le schéma pourrait présenter des faiblesses: opposition et syndicats l'ont jugé bâti sur des hypothèses économiques trop optimistes. Et surtout, la reforme ne garantit l'équilibre que jusque 2020 ou 2021. Le rapport cotisants/retraités continuera à se dégrader et il sera probablement nécessaire de repousser encore le moment de la retraite. Les concepteurs de la réforme l'avouent. Mais ils ont le sentiment que le plus dur a été fait en faisant sauter le verrou des 60 ans.Nos voisins et les marchés financiers partagent cette idée. C'est l'explosion des déficits provoquée par la crise, la peur de voir la dette française dégradée et ses taux d'intérêt flamber, qui a poussé le chef de l'État à lancer la réforme, en juin 2009, lors de son discours au Congrès de Versailles. Deux ans plus tard, la tempête que traverse la zone euro semble lui donner raison. «On ne connaît pas du tout ce que connaît la Grèce, pour plusieurs raisons: la première, c'est qu'on a commencé à faire des réformes très importantes, la plus emblématique étant celle des retraites, et donc on a montré qu'on était capables de faire les efforts nécessaires pour rétablir les finances publiques», constatait vendredi sur RTL Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France.
Ce que la réforme change pour vous :
• 62 et 67 ans : les nouvelles bornesL'âge à partir duquel il est possible de toucher une pension de retraite, couramment appelé «âge légal», passera progressivement de 60 à 62 ans : quatre mois supplémentaires dès vendredi, puis quatre mois par an à partir du 1er janvier 2012. Les 62 ans seront ainsi atteints pour les assurés nés en 1956 et après. Pour les mêmes générations, l'âge permettant d'obtenir automatiquement une retraite à taux plein passera de 65 à 67 ans. Mais il reste possible d'atteindre le taux plein avant cette limite, à condition d'avoir validé suffisamment de trimestres. De ce point de vue, la réforme Sarkozy-Woerth ne fait que confirmer la réforme Raffarin-Fillon, qui pose le principe d'un allongement de la durée de cotisation selon l'espérance de vie. Cette durée sera ainsi bientôt portée à 165 trimestres.
• Régimes spéciaux et fonction publique
Dans la fonction publique aussi, l'âge de la retraite passera progressivement à 62 ans. Toutefois, des exceptions importantes demeureront. Les agents en «service actif» (policiers, gardiens de prison, pompiers, contrôleurs aériens…) pourront partir à 52 ou 57 ans, soit deux ans plus tard qu'actuellement. La borne passera de 55 à 57 ans pour les infirmières ayant choisi de rester en «catégorie B», mais elle sera fixée à 60 ans pour celles qui bénéficieront de salaires plus élevés en passant en «catégorie A» (les infirmières en exercice qui ont opté pour cette possibilité et toutes celles qui n'ont pas encore commencé leur carrière). Les militaires conserveront la possibilité de partir à tout âge, mais au bout de 17 ans de service au lieu de 15 (27 au lieu de 25 pour les officiers). Enfin, les âges de départ en retraite seront décalés de deux ans également dans les régimes spéciaux mais à partir de 2017 seulement, c'est-à-dire au terme de la réforme lancée en 2008 à la SNCF et à la RATP.
• Pénibilité, carrières longues : les possibilités de départ anticipé
C'est la principale innovation: il sera possible de partir en retraite avant les autres (à 60 ans et à taux plein) au titre de la pénibilité du travail. Le dispositif sera ouvert automatiquement aux ressortissants du régime général et de la MSA atteints d'une incapacité de 20% ou plus, découlant d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail: intoxication, irradiation, électrocution, traumatisme…, mais pas accident de la route. Les assurés en incapacité de 10% à 20% pourront aussi en bénéficier mais à la condition d'avoir été exposé au moins 17 ans à des facteurs de pénibilité (port de charges lourdes, vibrations, produits chimiques, températures extrêmes, bruit, travail de nuit ou en 3×8…). Dans ce cas, ils devront apporter la preuve de cette exposition - par des bulletins de salaire ou contrats de travail par exemple - et une commission examinera le lien avec leurs lésions.
Le dispositif «carrières longues», qui permet de partir en retraite entre 56 et 60 ans, a aussi été prolongé et étendu aux personnes ayant commencé à travailler à 17 ans. La durée de cotisation nécessaire a cependant été allongée.
• Mères de 3 enfants et parents d'enfants handicapés
La retraite à taux plein restera définitivement fixée à 65 ans pour les parents d'un enfant handicapé. Elle est aussi maintenue à titre provisoire (jusqu'à la génération 1955) pour les parents de trois enfants et plus ayant interrompu leur carrière pour élever au moins l'un d'entre eux. Il faudra pour cela avoir travaillé au moins deux ans avant la naissance ou l'adoption et s'être arrêté au moins deux à trois ans après. En théorie ouverte aux pères, la mesure concernera en pratique quasi exclusivement des mères.
• Extinction du «15 ans- 3 enfants»
Les mères de 3 enfants ayant travaillé 15 ans dans la fonction publique pouvaient jusqu'ici partir en retraite à tout âge. Le dispositif demeure pour celles qui réunissaient ces deux critères fin 2010 et avaient alors déjà 55 ans (50 ans pour les catégories actives). Celles qui atteindront les 15 ans et 3 enfants avant fin 2011 pourront toujours partir quand elles le souhaitent, mais à des conditions financières bien moins avantageuses dès vendredi. Enfin, cette possibilité sera supprimée pour les personnes ne remplissant pas encore les deux conditions fin 2011. Ce qui explique que la réforme se soit provisoirement traduite par… une envolée des départs en retraite! «18.880 départs de mères de 3 enfants sont intervenus au 1er semestre, soit le double des années précédentes», note Gérard Perfettini, directeur de la caisse de retraite des hôpitaux et collectivités locales. Idem chez les fonctionnaires d'État, où le nombre de départs anticipés devrait être de 10.000 à 11.000, soit deux fois plus que la normale.
Les règles des caisses complémentaires évoluent aussi
Transposer aux régimes de retraite complémentaire «toute la réforme, rien que la réforme» votée à l'automne. C'est le principe adopté par les syndicats et le patronat, qui cogèrent l'Arrco (caisse obligatoire des salariés du privé) et l'Agirc (caisse des cadres). Jusqu'ici, pour toucher une pension complémentaire sans décote, il fallait soit attendre 65 ans, soit liquider sa retraite à partir de 60 ans et avoir tous ses trimestres. Ces deux bornes seront ainsi repoussées jusqu'à 62 ans et 67 ans, au même rythme que pour le régime de base. Première étape, donc, vendredi. Les dérogations prévues par la loi (pénibilité, carrières longues…) seront aussi transposées.
Dès vendredi également, la valeur du point de retraite augmente. Outre un rattrapage pour les trois derniers mois (les hausses annuelles ont d'habitude lieu début avril), la revalorisation du point Arrco sera de 2,11%, compensant l'inflation. Celle du point Agirc, en revanche, n'atteindra que 0,41%. Il s'agit d'aligner le rendement du régime des cadres sur celui de tous les salariés, pour qu'il consomme ses réserves moins vite. Les rendements seront ensuite stabilisés de 2013 à 2015, mettant fin à vingt ans d'érosion presque interrompue. Une donnée importante, sachant que la retraite complémentaire représente 57% de la pension totale d'un cadre (29% pour un non-cadre)!
Les bonus pour familles nombreuses modifiés
Si la réforme Sarkozy-Woerth ne modifie aucun avantage familial ou conjugal (bonus de pension pour enfants, trimestres «gratuits» à la naissance, pensions de réversion pour les veufs…), l'accord entre partenaires sociaux remet, lui, à plat les majorations Agirc-Arrco accordées aux parents de familles nombreuses. Elles prendront désormais la forme d'un supplément de 10%, accordé à chaque parent de trois enfants et plus, dans la limite de 1000 euros à l'Arrco et autant à l'Agirc. La modification fera beaucoup de gagnants et de rares perdants chez les cadres à très hauts revenus et/ou à la tête d'une famille d'au moins quatre enfants. Jusqu'ici, en effet, l'Arrco accordait +5% aux parents de trois enfants et plus ; l'Agirc, +8% pour trois enfants, +12% pour 4 enfants, et ainsi de suite jusqu'à +24% pour sept enfants. Le changement ne sera pas brutal: il concernera les pensions liquidées à partir de 2012 et les points acquis avant cette date seront majorés selon les anciennes règles.
Enfin, la majoration de 5%, non plafonnée, accordée par l'Arrco aux salariés ayant encore un enfant à charge lorsqu'ils partent en retraite, est étendue à l'Agirc. Elle ne peut pas être cumulée avec celle pour famille nombreuse.