TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

lundi 23 février 2015

Grèce: Hollande salue «un bon compromis», Tsipras se félicite

Après l'accord sur le sauvetage financier de la Grèce, le président français a salué un compromis qui permet à l'Europe «de montrer de la crédibilité, et de la solidarité». Le premier ministre grec évoque lui «un abandon de l'austérité».
Après trois réunions des ministres des Finances de la zone euro en moins de 10 jours, les grands argentiers de l'Europe sont parvenus à un accord sur le sauvetage financier de la Grèce. Dès ce matin, le président François Hollande et le premier ministre grec, Alexis Tsipras, ont salué l'accord arraché lors de cet Eurogroupe.
Samedi matin, en marge d'une visite au salon de l'Agriculture, François Hollande a qualifié de «bon compromis» l'accord visant à prolonger de quatre mois, sous conditions, le financement européen de la Grèce, en évitant un risque de sortie de l'euro. «Sur le dossier de la Grèce, nous avons cherché la bonne solution», a-t-il expliqué.
«La bonne solution, c'était de prolonger le financement permettant à la Grèce d'assurer sa transition et de pouvoir honorer ses engagements». «La bonne solution, c'était aussi de lui laisser le temps pour que ses réformes soient engagées et que le respect des électeurs grecs soit aussi préservé», a-t-il encore précisé.
L'Europe s'est engagée à prolonger le financement de la Grèce de quatre mois, mais sous de strictes conditions, soumises à examen dès la semaine prochaine. «L'Europe, elle doit montrer de la crédibilité, elle doit montrer aussi de la solidarité. De la crédibilité parce que nous devons montrer que nous avons des règles et qu'elles valent pour tous les pays (...) De la solidarité, parce que quand il y a des pays qui souffrent, il est légitime que nous puissions les accompagner tout en leur demandant de respecter leurs engagements», a expliqué François Hollande.
«La Grèce a fait beaucoup d'efforts ces dernières années. Il y a eu beaucoup de sacrifices qui ont été demandés», a-t-il affirmé. «Maintenant il faut donner du temps, mais en même temps toujours respecter les engagements, car ce sont les contribuables français, allemands et européens qui ont permis que la Grèce puisse s'en sortir». «Nous cherchons avec (la chancelière allemande) Angela Merkel toujours le bon compromis, la bonne solution. Et quand la France et l'Allemagne arrivent a se mettre d'accord, c'est toute l'Europe qui en sort renforcée», a-t-il conclu.
De son côté, Manuel Valls a déclaré à des journalistes, en marge d'une réunion de dirigeants socio-démocrates européens à Madrid: «C'est un bon compromis, comme l'a souligné le président de la République». «On donne du temps à la Grèce pour mettre en oeuvre les engagements qui sont ceux de la Grèce. Il faut aider la Grèce à rester dans la zone Europe, c'est sa place», a-t-il ajouté.
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a lui déclaré que l'accord conclu revenait à annuler les engagements pris par les gouvernements précédents en matière d'austérité. «Hier, nous avons franchi une étape décisive en abandonnant l'austérité, les plans de renflouement et la troïka», a-t-il dit lors d'une allocution télévisée. «Nous avons gagné une bataille, pas la guerre. Les difficultés, les véritables difficultés (...) sont devant nous», a-t-il ajouté. 

L'accord conclu vendredi lors d'une réunion des ministres des Finances de la zone euro ouvre la voie à une prolongation de quatre mois de l'aide financière à Athènes mais oblige le gouvernement Tsipras à adresser d'ici lundi soir à ses partenaires une liste des réformes qu'il s'engage à mener.
«L'accord d'hier avec l'Eurogroupe (...) annule les engagements du gouvernement précédent en matière de coupes dans les salaires et les pensions de retraite, de licenciements dans le secteur public, de hausse de la TVA sur l'alimentation et les médicaments», a précisé Alexis Tsipras.

Le monde entier n'est pas Charlie

La démonstration d'unité du monde occidental contre le terrorisme ne doit pas faire illusion. Le mal est profond et entretenu par de grands pays.
L'image est historique : la France unie pour condamner la barbarie et communier sur ses valeurs fondamentales. Avec à ses côtés ses principaux alliés solidaires dans l'épreuve. Mais dans les camps de Daesh à Rakkah (Syrie), dans les sanctuaires d'al-Qaida au Yémen, dans les madrasa (écoles coraniques) du Pakistan, la démonstration n'a pas impressionné grand monde. À Peshawar, il y a même eu une manifestation de soutien aux tueurs conduite par un imam local. Et l'autorité musulmane chargée de conseiller le gouvernement égyptien vient de dire tout le mal qu'elle pensait de la une, pourtant bien anodine, de Charlie Hebdo à paraître ce mercredi, tout comme l'Iran, qui a condamné une couverture "insultante".
Il ne faut pas se bercer d'illusions : entre le Nil et l'Euphrate ou au fin fond du Pakistan, les opinions publiques - quand elles ont entendu parler de Charlie Hebdo - continuent de considérer que le journal a commis un grave blasphème. Au coeur du cortège parisien figuraient des représentants de la Turquie et de l'Arabie saoudite, deux pays qui se caractérisent par leur ambiguïté. Le premier a permis à Daesh de se renforcer en fermant les yeux sur le transit des combattants islamistes sur son sol. Le second, l'Arabie, est bel et bien la matrice idéologique des courants fondamentalistes modernes.
L'Arabie saoudite. Vers 1740, le prédicateur Muhamed Abdel Wahhab (1703-1792) commence sa campagne pour une purification de l'islam, un retour aux sources du VIIe siècle. Il veut chasser les idolâtres, combattre les superstitions, le culte des saints et le chamanisme qui subsistent dans la péninsule arabique. Mais l'accueil est plutôt frais et il se fait chasser de partout, notamment de Bassora, aujourd'hui en Irak. Il comprend que le goupillon ne lui suffit pas et qu'il lui faut un sabre. Il se réfugie dans le Nedj (la région de Riyad) et, en 1744, scelle un pacte avec le chef de guerre Muhamed Ibn Saoud. Les deux hommes lancent les Ikhwan (les frères) dans un djihad pour convertir les récalcitrants à la nouvelle doctrine.
Remarque : à la même époque s'épanouissait en France un certain Voltaire, dont on a beaucoup parlé ces temps-ci...
La conquête complète de l'Arabie actuelle sera parachevée par leurs héritiers en 1924-1925 avec la prise de La Mecque et du Hedjaz. La légitimité de l'Arabie est donc avant tout religieuse, et Riyad a irrigué idéologiquement et financièrement la plupart des courants fondamentalistes qui ont servi de couveuses aux futurs djihadistes. Les Saoudiens ne savent plus aujourd'hui comment faire rentrer le djinn maléfique dans la bouteille. Mais toucher aux fondements du wahhabisme, c'est ébranler les bases mêmes du royaume.
Le Pakistan est aussi un exemple emblématique. Il a été fondé, comme l'Arabie, sur une légitimité exclusivement religieuse au moment de la partition de l'Inde en 1947. Il s'agissait de regrouper les musulmans dans un état homogène. Cette rivalité avec l'Inde perdure et explique l'obsession du Pakistan à contrôler ce qu'il considère comme son arrière-cour, sa profondeur stratégique : l'Afghanistan. L'ISI, les services spéciaux de l'armée pakistanaise, a longtemps été à la manoeuvre sur les deux dossiers-clés du Cachemire, disputé entre l'Inde et le Pakistan, et de l'Afghanistan. Peshawar a servi de base arrière pour le djihad contre l'occupant soviétique avec l'argent des Saoudiens, l'aide des Occidentaux et l'afflux de combattants arabes galvanisés par les prêches des imams. Parmi ces volontaires : un certain Oussama ben Laden, rejeton dévoyé d'une riche famille saoudienne. C'est là que le djihad a connu une nouvelle jeunesse. Puis l'ISI a soutenu les talibans afghans. Mais si ces derniers restent encore liés au Pakistan, les talibans pakistanais ont, eux, engagé une épreuve de force avec Islamabad, et le récent massacre de 132 enfants d'officiers est sans doute un acte de rupture irréversible.


Si des États constitués, gouvernés et organisés - Turquie, Arabie, Qatar, Pakistan - posent problème, la situation est pire dans les zones sahéliennes de non-droit, en Irak ou en Syrie. Daesh, al-Qaida historique : peu importe le label, car l'affiliation des terroristes est désormais à une idéologie plus qu'à une organisation. Il faut se faire une raison : les mentalités n'évoluent pas aussi vite que la téléphonie mobile.
 

La droite patauge dans la semoule !

Le parti socialiste se déchire, mais l'UMP peine à définir une stratégie crédible face au Front national. Une chance pour François Hollande ?
Les socialistes vont subir de sévères raclées lors des prochaines élections départementales et régionales. Mais François Hollande est encore loin d'avoir perdu par avance la présidentielle de 2017, la "mère de toutes les batailles" pour reprendre une phraséologie imagée du regretté linguiste Saddam Hussein.
Certes, le PS est en miettes : il n'arrive pas à amorcer le tournant réformiste que les sociaux-démocrates allemands ont, eux, effectué lors du congrès de Bad Godesberg en... 1959 ! Plus d'un demi-siècle de retard : c'est un peu longuet pour une mise à jour... Pourtant, François Hollande surnage. L'image régalienne du président reprend quelques couleurs après les attentats de Paris et la gestion volontariste de la crise ukrainienne en compagnie d'Angela Merkel.
François Hollande accroche des médailles à foison, passe presque quotidiennement des troupes en revue le regard fiché sur la France éternelle. À Istres, il défend le sanctuaire inviolable des forces nucléaires gaulliennes. Envolé, M. "petites blagues", le capitaine de pédalo, l'homme des synthèses mi-chèvre mi-chou. C'est désormais Zeus brandissant la foudre. Pour peu que la situation économique s'améliore d'ici deux ans et sans qu'il y soit pour grand-chose, le président peut entrevoir un opportun petit coin de ciel bleu. 

La droite joue placée, pas gagnante

En face, la droite patauge dans la semoule. Ses nombreux chefs font penser au prince de Soubise cherchant son armée à la lueur d'une lanterne au soir de la défaite de Rossbach (1757). L'UMP vote la censure contre une loi Macron, certes timide, mais qui va plutôt dans le sens de ce qu'elle préconisait. Comprenne qui pourra. Nicolas Sarkozy n'est pas dans le match. Le style onctueux ne lui va pas très bien. Le loup s'est transformé en cocker afin d'éviter de trop briser la porcelaine de l'UMP. Il paraît avoir renoncé à tondre la laine sur le dos du Front national dont l'électorat s'est cristallisé. Son ambition politique est claire : figurer au second tour face à Marine Le Pen afin de se retrouver dans la situation de Jacques Chirac en 2002. Mais ce n'est pas gagné. Car deux conditions sont à remplir : rassembler au premier tour un nombre de suffrages substantiel, et que François Hollande se "jospinise".
Alain Juppé est le favori des Français, mais pas vraiment de son propre parti. Les primaires risquent de lui être fatales, à moins qu'il ne franchisse le Rubicon et finisse par faire cavalier seul. Après tout, il y a un précédent : Giscard n'avait pas l'UDR derrière lui (sauf une quarantaine de dissidents menés par Jacques Chirac) quand il a devancé Jacques Chaban-Delmas en 1974 pour finalement être élu président au second tour. Juppé pourrait alors ratisser au centre et jusque sur les marges du PS. Mais la manoeuvre est risquée.
Reste François Fillon, un peu passe-muraille, qui tourne en rond comme sur le circuit du Mans qu'il affectionne. Puis quelques autres aussi, comme Bruno Le Maire, qui, plus jeunes, jouent sans doute le coup d'après.
Bien sûr, l'équation peut changer, une dynamique se créer mais, pour l'instant, la droite ne joue pas gagnante dans la course présidentielle, tout au plus placée.

L’éternelle retouche des photos du corps féminin

Une femme à moitié nue sur une plage : voilà ce que représente la première photographie retouchée avec le logiciel Photoshop. Une quinzaine d’années plus tôt, c’était le portrait de Lenna, une playmate suédoise, qui avait servi de fichier de travail à des chercheurs en imagerie numérique voulant compresser au mieux des photos scannées. En 2015, alors que le fameux logiciel de retouche d’image Photoshop fête ses25 ans, de nombreuses images de femmes célèbres « au naturel » sont massivement diffusées sur Internet. Il y a peu, une photographie du mannequin Cindy Crawford, prise initialement en décembre 2013 pour l’édition mexicaine de Marie Claire, et publiée sans retouche le 16 février sur Twitter, a suscité un grand enthousiasme. Des portraits de la chanteuse Beyoncé attirèrent ensuite l’attention. D’abord publiées, puis retirées, sur The Beyoncé World (l’un des plus importants blogs de fans de l’artiste), ces photographies sont présentées par les internautes comme « non retouchées ». Selon le Daily Mail, les clichés dateraient de 2011 et de 2013, et auraient été pris à l’occasion d’une campagne publicitaire pour L’Oréal. Ni Cindy Crawford ni Beyoncé n’ont pour l’instant réagi aux « fuites », qui pourraient aussi être de simples outils de communication marketing. Mais la publication de ces photographies pose une nouvelle fois la question de la manipulation des images numériques, devenue omniprésente dans la sphère publique. Toutes les images sont « retouchées » D’un point de vue technique, rappelons d’abord que toute photographie est l’interprétation d’une scène. La pose du modèle, son maquillage, la lumière, le cadrage, l’exposition sont autant d’aspects qui influent sur le rendu final. Cette réalité s’est accentuée depuis l’arrivée de la technologie numérique. Un capteur d’appareil photo numérique n’enregistre pas une image : il quantifie des niveaux d’intensité lumineuse, qui sont ensuite interprétés, soit par l’appareil lui-même, soit par un ordinateur, lorsque l’on développe un fichier brut (ou raw). Avec ce procédé, toute photographie, devenue l’objet d’un traitement informatique, semble incapable de représenter le réel : elle ne fait que l’interpréter. « La photo numérique est une création », expliquait en 2011 au Monde Fred Ritchin, professeur de photographie et de culture visuelle à l’université de New York. « Le pixel n’a rien à voir avec le grain de l’argentique, c’est une mosaïque dont il est facile de modifier ou de retrancher un élément », déclarait-il. La retouche numérique intervient ensuite pour accentuer ou corriger cette interprétation initiale. La fascination derrière la publication d’images soi-disant « non retouchées » révèle surtout que l’on cherche à croire à la dimension naturelle de la photographie. Alors qu’elle est, par essence, artificielle. Pour Jérôme [le prénom a été modifié], directeur technique dans une agence de postproduction de renommée internationale, il est ainsi difficile de parler d’image non retouchée en ce qui concerne la photographie de Cindy Crawford. Selon lui, pour cette image, « les contrastes ont très bien pu être renforcés pour accentuer l’effet naturel ». « 80 à 90 % de femmes » L’agence de Jérôme traite principalement des commandes passées par des publicitaires ou des marques du domaine du luxe. On y pratique la retouche numérique de manière intensive. « Sur certaines images très retravaillées, c’est facilement 50, voire 75 % de la surface d’une photo qui peut être modifiée », précise Jérôme. Il faut distinguer, dans son travail, plusieurs types d’intervention : la postproduction peut aller de la chromie, qui consiste à modifier les valeurs colorées et lumineuses, jusqu’à la retouche elle-même, où l’on intervient sur l’aspect géométrique de l’image. La peau est lissée, les boutons, les poils, les cernes ou les rides sont supprimés. Parfois, la retouche peut aller encore plus loin. Pour la campagne d’une grande marque de luxe incarnée par une actrice américaine, il a fallu par exemple satisfaire à la fois l’annonceur et la star. « Au bout du compte, le corps et le visage de l’actrice provenaient de deux images différentes, réalisées lors de la même prise de vue », raconte Jérôme. Il est même arrivé à l’agence de devoir masquer le ventre arrondi d’un modèle qui avait posé à trois mois de grossesse. Ces retouches concernent en grande majorité le corps féminin. « Entre 80 et 90 % des images que l’on retravaille représentent des femmes. » Et pour les photos qui représentent des hommes ? L’intervention est bien plus légère selon lui : « Les clients souhaitent un rendu plus brut quand il s’agit d’hommes, moins doux. » « Ce qui importe, c’est le rendu » Ce contrôle exercé sur l’image du corps des femmes célèbres n’est pas nouveau. Dans l’ouvrage Mythologies (Seuil, 1957), Roland Barthes consacrait un chapitre au visage de Greta Garbo, « visage non pas dessiné, mais plutôt sculpté, dans le lisse et dans le friable, c’est-à-dire à la fois parfait et éphémère ». Pour éviter de voir des images d’elle vieillissante, l’actrice aurait décidé de se retirer de la vie publique afin d’éviter que « l’essence se dégradât ». En ce qui concerne spécifiquement la photographie, les questions posées par la retouche sont également aussi vieilles que le support lui-même, comme le rappelle André Gunthert, chercheur en histoire culturelle et études visuelles. Le phénomène a accompagné la photographie à travers toute son histoire, dans la mode, comme dans le reportage ou la propagande politique, comme le montrait déjà, en mai 1945, une photo prise sur le toit du Reichstag, à Berlin, mise en scène par le photojournaliste soviétique Evgueni Khaldeï. Si, dans la photographie de presse, la retouche pose un réel débat éthique, les professionnels qui travaillent dans les domaines de la publicité, de la mode et de la retouche se sentent toutefois beaucoup plus libres. « Ce qui importe, c’est le rendu. La conformité avec la scène originale importe très peu », explique Jérôme lorsqu’il évoque le travail de son agence de postproduction. Aucune loi en France De quoi provoquer des questionnements sur la manière dont sont représentés les corps dans l’espace public. Certaines campagnes de publicité se sont déjà vues interdites de publication, comme ce fut le cas au Royaume-Uni en 2011. Mais, en France, malgré un débat à l’Assemblée en 2009, aucune législation n’oblige les annonceurs à signaler une quelconque intervention sur une image. Ce débat dépasse toutefois largement le cadre du politique. En France, le magazine Causette revendique par exemple une certaine forme d’authenticité, en refusant tout type de retouche visant à masquer des imperfections dans ses pages. En 2006, le fabricant de cosmétiques Dove avait produit un court-métrage destiné à montrer l’intensité des retouches dans la publicité. Sa dénonciation était néanmoins devenue un argument marketing.

Hydra, Spetses et Poros, trois îles grecques envoûtantes

Elles s'enroulent toutes les trois autour de l'Argolide, ce «pouce» du Péloponnèse qui s'avance en mer Egée. Si leur architecture se ressemble, chacune d'elle affiche une atmosphère différente: alanguie pour Poros, chic et bohème pour Hydra, aristocratique pour Spetses. Est-ce la proximité du continent qui les distingue du dépouillement bleu et blanc de l'archipel voisin des Cyclades? Ces trois îles du golfe Saronique ont fait fortune avec la mer et ça se voit. Leur port compte parmi les plus beaux de Grèce tandis que le reste de ces îles est vierge.
Première escale Poros, la plus proche d'Athènes. A peine a-t-on le temps de goûter à la pleine mer que la terre se referme sur notre navire et nous voilà à voguer dans les rues du port. Poros signifie «le passage» et, de fait, seul un étroit chenal la sépare du Péloponnèse, enflammant l'imagination des poètes et des écrivains. «On entre à Poros en titubant et tournoyant comme un doux idiot ballotté parmi mâts et filets, dans un monde que le peintre est seul à connaître…», écrit Henry Miller dans l'une des pages les plus inspirées du Colosse de Maroussi. Soixante-dix ans plus tard, l'impression laissée par la géographie du port est la même. Sur la mer sans vagues de l'étroite passe remplie de voiliers et de caïques de pêche, des barques blanches font la navette avec le continent, tissant sans relâche un pont d'écume entre les deux rives. A juste titre, Poros s'enorgueillit d'être la seule île grecque reliée à toute heure du jour et de la nuit avec le continent. Ce qui permet de succomber facilement à la magie du théâtre d'Epidaure tout proche.
Poros distille un parfum de vieille Grèce: des tavernes traditionnelles et des bars vieillots qui s'égrènent sur le port, des boutiques un peu kitsch de souvenirs et ses maisons comme des cubes blancs coiffés de tuiles rouges qui dégringolent de la colline. Nul besoin de rester longtemps pour en faire le tour. Une heure suffit pour flâner sur son port, grimper sur son promontoire et s'échapper sur sa colline pour apprécier la vue plongeante et enchanteresse sur le chenal. Mais jeter l'ancre au moins une nuit sur l'île, c'est l'assurance de se ressourcer dans un monde sans mondanités face à une nature sublime. A quelques kilomètres du port, enfoui dans la pinède et dominant la mer à la verticale, l'hôtel Sirene Blue semble seul au monde. Y poser ses valises, c'est entrer dans un sas de décompression: une chambre minimaliste, un menu de sept oreillers et une vue tout simplement exceptionnelle sur la mer cristalline où les prairies de posidonies dessinent des nuages sombres au fond de l'eau, ainsi que sur les collines de l'Argolide qui viennent mourir en douceur dans la mer. On peut se rendre comme en pèlerinage au temple de Poséidon, moins pour les vieilles pierres éparses que pour le site évocateur qui surplombe la mer. Démosthène, l'orateur athénien farouche opposant aux Macédoniens, mit ici fin à ses jours sous la pression d'Antipater, le successeur d'Alexandre.
Spetses, une île élégante et enjouée, prisée par les armateurs et la haute société athéniene: ici, la baie de Zogeria.
Un saut de puce et l'on rejoint Hydra. Aride, escarpée, rocailleuse: le bateau longe une montagne sauvage et austère qui se dresse dans la mer comme l'épine dorsale d'un monstre marin assoupi. Aucun signe de vie quand soudain son flanc s'ouvre, offrant un spectacle subjuguant: un port protégé par des bastions et entouré d'un amphithéâtre de maisons fortifiées ou blanches qui partent à l'assaut des hauteurs de l'île. Les caïques et les yachts qui dansent sur l'eau, la ribambelle de cafés qui s'alignent sur le quai, les caravanes d'ânes qui attendent patiemment leurs chargements, les chats qui se lèchent les babines devant la barque des pêcheurs… Toute la vie d'Hydra se concentre ici sur le port, tandis que le labyrinthe des ruelles remplies de bougainvillées et de jasmin invitent à flâner sans discontinuer. Hydra est unique: aucune voiture ni véhicule à moteur - à part le camion-poubelle - ni même de vélo ne vient abîmer sa tranquillité.
Et ce n'est pas seulement l'absence de pollution qui nous transporte, non, c'est le silence qui nous étreint et un rythme de vie paisible que l'on embrasse par la force des choses. Alors, depuis toujours, on se déplace à pied ou à dos d'âne. Même si parfois l'on cède à la facilité du bateau-taxi qui nous dépose en quelques minutes sur l'une des plages isolées de l'île. Une manière aussi d'échapper aux nuées de croisiéristes qui soudain se déversent sur les quais: aux heures les plus chaudes de la journée, ils visitent au pas de charge le port qui prend alors des allures de village-musée. Peut-être capteront-ils le parfum des stars qui sont passées sur l'île? Comme Sophia Loren qui, en jouant les pêcheuses d'éponges dans le film Ombres sous la mer, a lancé Hydra à la fin des années 50 aux côtés de Capri et de Saint-Tropez. Ou encore Leonard Cohen, qui a vécu ses plus heureuses années dans une maison perchée sur les hauteurs de la ville. A moins qu'ils ne cherchent ces capitaines d'antan qui ont fait la fortune de l'île?
La ville d'Hydra côté campagne, aride, escarpée, rocailleuse. Un charme particulier et envoûtant.
L'histoire d'Hydra est singulière. Longtemps abandonnée, l'île se peuple au XVe siècle d'Albanais orthodoxes venant du Péloponnèse. Sur cette île sans eau et infertile, le salut de ses habitants vient de la mer: ils deviendront de formidables pirates et marins. A la fin du XVIIIe siècle, l'île compte 27 000 habitants, une école de capitaines, des chantiers navals et une flotte d'une centaine de goélettes qui commerce jusqu'en Amérique. Les guerres napoléoniennes démultiplieront la fortune d'Hydra comme celle de Spetses qui partage la même tradition marine: leurs flottes ravitailleront à prix d'or en blé d'Ukraine la France asphyxiée par le blocus anglais. Puis les deux puissances navales s'illustreront dans la guerre d'Indépendance grecque, sacrifiant leurs navires et leur fortune à la cause nationale.
De cette période, il reste ces imposantes maisons d'armateur, comme celle de Lazaros Kountouriotis. Ce vaste édifice fortifié à la façade ocre orangé qui domine le port d'Hydra surprend par son raffinement intérieur: le dallage en damier de sa cour, ses plafonds en bois savamment sculptés, ses meubles anciens et sa collection de portraits rendent compte du niveau de vie des notables d'alors. Tandis qu'à nos pieds, les toits de la ville dégringolent en cascade jusqu'à la mer. Hydra fascine. Sa lumière. Son port bijou. Ses sentiers qui sillonnent une garrigue escarpée ou surplombent une mer au bleu bouleversant. Rien ne vient abîmer le regard. Au point que la beauté de l'île rejaillit sur ceux qui la contemplent. Ce n'est donc pas un hasard si Hydra est prisée par les artistes. L'Ecole des beaux-arts d'Athènes y possède une annexe qui accueillit des peintres comme Chagall, Khatzikyriakos-Ghikas, le pionnier du modernisme en Grèce, ou encore aujourd'hui le postimpressionniste Panayotis Tetsis. Tandis que le grand collectionneur Dakis Joannou a ouvert en 2009 une annexe de sa Fondation Deste pour l'art contemporain sur l'île. Ce dernier ne passe pas inaperçu quand il amarre dans le port son mégayacht décoré par Jeff Koons de motifs géométriques pop art.
La géographie joue des tours merveilleux à Poros. Ce n'est une mais deux îles qui, reliées par un pont, épousent le continent: la minuscule Sferia où s'étire la ville et katavria, couverte de pins.
La nouvelle génération d'artistes qui s'installe sur l'île prend parfois la relève d'un parent. C'est le cas d'Adam Cohen, le fils de Leonard. «Hydra est le lieu qui a le plus marqué mon enfance, mon esprit, ma mémoire, c'est un paradis pour gosses sans voiture ni danger», confie Adam qui s'y sent encore aujourd'hui protégé. Au point d'y avoir enregistré l'an dernier son quatrième album, We Go Home, en hommage à son père. Une manière aussi pour lui d'intégrer la sensibilité, l'énergie et la poésie du lieu dans sa musique. Sur la pochette, son fils de 7 ans à qui il veut transmettre cette petite graine de Grèce que lui a offerte son père.
Nouveau saut de puce, nouvel environnement. Face au quai de Spetses où l'hydroglisseur jette les amarres s'élève un petit palace centenaire fraîchement restauré: le Poseidonion Grand Hotel a été construit en 1914 sur le modèle du Carlton ou du Negresco sur la Côte d'Azur. L'établissement donne le ton de l'île: Spetses n'a pas la grâce sauvage et bohème d'Hydra ni la nonchalance débonnaire de Poros. Non, voilà une île élégante et enjouée, prisée par les armateurs et la haute société athénienne depuis qu'un homme visionnaire a métamorphosé le visage de l'endroit au début du XXe siècle.
Après avoir fait fortune dans le tabac aux Etats-Unis, Sotirios Anargyros revient sur son île natale avec le projet de la développer. Il en rachète la moitié et la couvre de pinèdes pour qu'elle redevienne la Pityoussa - l'île aux pins - de l'Antiquité au climat frais et salubre. Il invite l'aristocratie grecque à des parties de chasse qui durent d'août à octobre. Il construit un palace, le Poseidonion, et ouvre une route en corniche sur la mer qui fait le tour de l'île: elle dessert encore aujourd'hui le rivage ourlé de ravissantes plages aux eaux turquoise. Il crée même une école pour garçons sur le modèle du collège britannique d'Eton. Durablement, Spetses devient la résidence d'été de la bonne société grecque et de ses têtes couronnées. Ce n'est donc pas un hasard si Stavros Niarchos rachète à la fin des années 50 la petite sœur de Spetses, Spetsopoula, pour en faire son île privée.
Les caravanes d'ânes attendent patiemment leur chargement sur le quai d'Hydra.
Depuis une dizaine d'années, l'île fait tout pour briller sur la carte des destinations tendance et huppées de la Méditerranée. Quelques locaux, comme Christos Orloff et ses frères, restaurent avec audace leur propriété familiale, la transformant en hôtel frais et contemporain. Autour des deux cours pavées de galets dans la tradition de l'île, trois solides maisons aux chambres épurées et au mobilier sobrement design. Christos Orloff est un pur produit de l'histoire de Spetses. En gentleman formé à la prestigieuse école de l'île, il vient chaque matin saluer sa clientèle au moment du petit déjeuner. Le curieux patronyme de cette famille grecque remonte au XVIIIe siècle: il s'agit d'un titre offert par les Russes en remerciement de la bravoure d'un ancêtre qui, avec sa flotte, avait prêté main-forte à la Russie de la Grande Catherine pour trouver un débouché en Méditerranée.
Autre signe du renouveau de Spetses, la réouverture du Poseidonion, plus beau que jamais, sous la houlette d'un armateur épris de l'île, Antonis Vordonis. Il est à l'origine d'un des temps forts qui l'animent chaque été. Avec le Yacht Club de Grèce, il organise la Spetses Classic Yacht Race, une régate de vieux gréements qui rend hommage à l'histoire et à la tradition navale de l'île. Pendant quatre jours, le bras de mer qui sépare l'île du Péloponnèse se remplit des plus beaux bateaux de la Méditerranée, un ballet où les goélettes égéennes et les voiles latines croisent leurs mâts avec de prestigieux navires comme le Savannah, réplique modernisée des Classe J des années 30. Vainqueur à deux reprises de la régate dans sa catégorie avec une goélette et un hydraiki, un canot creux traditionnel d'Hydra revisité, Nikos Daroukakis, architecte naval, se réjouit du spectacle: «Ce n'est pas tant la course qui compte que ce rassemblement extraordinaire de bateaux et de personnes passionnées ; cela ne peut que créer des vocations.» Pantelis Korakis ne le contredira pas: la régate relance le carnet de commandes de son minuscule chantier naval.
Avec son père, il fait partie des sept familles prolongeant la tradition navale de Spetses. Dans la profonde baie échancrée du vieux port, les chantiers navals disputent leur place sur la grève aux bars et tavernes branchés dans un joyeux capharnaüm de madriers, de barques en construction, de poulies, d'amarres et de tables couvertes d'ouzo et de poulpe grillé.
Un étroit chenal sépare Poros du Péloponnèse. Sans relâche, de petits bateaux tissent un pont d'écume entre les deux rives.
Le vieux port est un enchantement: il faut marcher jusqu'au phare pour en apprécier tous les secrets. On avance sous l'œil des solides maisons spetsiotes, des palmiers au feuillage fou, de quelques cyprès élancés. Tout au bout, un bosquet de pins peuplé d'étranges animaux et de personnages mythologiques: un puissant taureau de fer, une chouette étonnée en tôle ondulée, une fière sirène qui se dresse sur sa queue de poisson métallique… Des œuvres tout en force de la sculptrice grecque Natalia Mela, la grande dame de Spetses, et une promenade offerte à l'île par sa mécène, Annette Schlumberger. Juste avant le phare, une dernière statue: la silhouette fine et élancée du jeune héros de l'île, Kosmas Barbatsis, qui défit en 1822 par le feu la flotte des Turcs. L'île a le sens de la fête et du spectacle. Pour commémorer cette victoire décisive, c'est toute la mer qui s'embrase dans des feux d'artifice la seconde semaine de septembre lors du Festival de l'armata. Dans un vacarme assourdissant de salves de feux colorés, la bataille navale est rejouée dans une commémoration enjouée des héros de l'Indépendance grecque.
Si proches et si différentes: voilà le charme des îles grecques. Poros, Hydra et Spetses ont en commun un port éblouissant et une tradition marine. Pour le reste, il suffit de les égrener avant de choisir celle sur laquelle on aimerait prendre racine.