Si les responsables politiques de l'UE sont ainsi passés outre la clause de non-solidarité du traité européen [selon laquelle : "l’Union ne répond pas des engagements des administrations centrales"], c’est qu’il s’agissait d’une situation d’urgence.
Il est en effet prévu que les Etats puissent apporter leur soutien attentionné à un partenaire frappé par une catastrophe naturelle. Le fait que la Grèce affiche un taux d’endettement de près de 150% de son PNB passe donc désormais pour une sorte de décret de la nature et non l’œuvre d’hommes et de responsables politiques.
De même, il existe des traités internationaux qui interdisent au FMI et à la BCE de mettre en place des plans de sauvetage d’une telle ampleur. L’achat par la BCE d’emprunts d’Etat sur le marché dit secondaire – c’est-à-dire auprès de banques de crédit – n’est qu’un tour de passe-passe. En réalité, la BCE devient ainsi le premier créancier de la Grèce, et en vérité une "bad bank."
Pour l’économiste Roland Vaubel, "jamais dans son histoire l'intégration européenne n'a connu une telle violation des traités." Au non-respect de principes d’Etat de droit s’ajoute une atteinte insidieuse, et non moins grave, à la démocratie.
La Grèce est devenue un serf de l'Europe
De fait, cela fait un an que la Grèce n’a plus d’autonomie politique. La liberté d’Athènes se limite à choisir lequel de ses ports – celui du Pirée ou celui de Thessalonique – vendre en premier. Le dilemme du gouvernement consiste à décider s’il préfère réduire les salaires des fonctionnaires de 10% et leurs pensions de retraite de 20% ou bien l’inverse. Le mieux étant naturellement de faire les deux. "Le Bundestag dicte sa loi à la Grèce", titraient récemment les journaux. A croire que le pays serait devenu un "protectorat" allemand (d’après le ministre allemand de l'économie Rainer Brüderle)."Comme au Moyen Age, la Grèce a échangé sa liberté pour de l’argent et est devenue un serf de l’Europe", explique Vaubel. Ce pays où est née la démocratie, a vendu sa liberté à de prétendus sauveteurs endossant le rôle d’administrateurs d’insolvabilité. L'Union de la solidarité passe par une castration démocratique.
Du côté des donneurs, ces milliards de crédit à taux faible s’apparentent à des pots-de-vin. C’est le prix que l’UE doit payer pour épargner les banques françaises et allemandes.
Du côté des receveurs, les Grecs agissent comme des maîtres-chanteurs exigeant sans cesse des conditions de crédit plus favorables au prétexte de ne pas laisser s'écraser les banques des Etats créanciers. Les européens honnêtes sont devenus une bande de voleurs et de maîtres-chanteurs.
Cette forme de solidarité nuit au Parlement européen. Le 9 mai 2010, une action commando menée par des responsables de Bruxelles, à l’initiative de Nicolas Sarkozy et sur les conseils de Jean-Claude Trichet, a donné naissance au Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui restera à la postérité sous le nom de MES (Mécanisme européen de stabilité).
Le gouvernement ne cesse de placer les députés allemands au pied du mur et de leur extorquer leur consentement en brandissant la menace d’une crise sur des marchés anonymes ("Lehman, Lehman, Lehman"); crise qui provoquerait une catastrophe ("effet domino").
La solidarité sert les intérêts des banques privées
Qui dit perdant (la démocratie, l’Etat de droit, les citoyens), dit aussi gagnant. Ce sont les partisans de la centralisation, que Vaubel surnomme les "euromantiques". L’écrivain Hans Magnus Enzensberger parle lui de "monstres" : curateurs de leurs citoyens, qui désavouent à coup d’arguments moraux tous ces individus chauvins et anti-européens qui mettent en garde contre le coût d’une union où les riches paient pour les pauvres.Les intellectuels de gauche (de Jürgen Habermas à Joschka Fischer) volent au secours de l’élite politique des euromantiques en dénonçant une "re-nationalisation" de l’Europe, sans remarquer que leur pathos et leurs discours de solidarité servent les intérêts des capitaux financiers et des banques privées.
En réalité, au lieu de solidarité, il s’agit tant pour les intellectuels que pour les responsables politiques d’accroître leur influence au détriment des libertés civiles. L’idéologie centralisatrice va constamment à l’encontre de la concurrence, des contrôles démocratiques et de l’information des citoyens et s’abrite derrière un jargon incompréhensible d’acronymes (FESF, MES).
Le niveau de préoccupation qu’affiche l’ensemble des citoyens à l’égard d’un sujet traditionnellement aussi ennuyeux que l’Europe, nous montre bien qu’ils sentent que quelque chose est en train de se passer. Tant que la confiance ne sera pas revenue sur les marchés, notre seul espoir réside dans le tribunal constitutionnel suprême. Le 5 juillet, l’Europe sera à l’ordre du jour à Karlsruhe.