TOUT EST DIT

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jeudi 3 février 2011

Trop peu, trop tard

Sujet de réflexion pour les étudiants de Sciences Po : à quel moment un dirigeant perd-il le contact avec son peuple, s'enferme-t-il dans sa tour d'ivoire et en vient-il, tôt ou tard, à verser dans la déraison ? Les images que nous offre depuis quelques jours la télévision, c'est peu de dire qu'elles relèvent de l'absurde tant il existe, même dans celle-ci, une certaine forme de logique. Non, nous nous trouvons là devant Ubu roi, envoyant à la trappe ce qu'il s'entête à ignorer, persistant dans sa détermination à aller aussi loin que possible dans l'irréparable et faisant donner ses nervis - en réalité une déferlante d'agents de l'ordre, venus à cheval ou à dos de chameau, déguisés en contre-manifestants - face à la foule cairote qui réclame son départ. Il faut espérer que quelqu'un, et le plus tôt serait le mieux, va répondre : « Non Sire, c'est une révolution » à la question de Hosni Moubarak : « C'est une révolte ? » Croire que la mobilisation observée depuis huit jours était uniquement destinée à arracher la promesse qu'il n'y aurait plus, l'an prochain, de sixième mandat, assortie de quelques hochets socio-économiques, c'est faire insulte à l'intelligence du peuple ; c'est lui dénier tout droit à la plus chère de ses quêtes : celle de la dignité, après des décennies d'humiliations.
Jusqu'au bout le raïs aura cédé, réagissant au coup par coup, trop peu et trop tard. Le dernier fil, bien ténu en vérité, qui reliait le pouvoir à la base vient d'être rompu avec les affrontements de Midane al-Tahrir. Son tort aura été de croire en la solidité des autocraties quand elles sont plus fragiles en fait que les démocraties. Au Caire - et ailleurs, demain, de Sanaa à Amman ? - la leçon de Tunis ne semble pas avoir été retenue, pas plus que n'ont été suivis les conseils prodigués par les États-Unis, l'Union européenne, la Turquie.
À cet égard, il y a lieu de s'interroger sur l'attitude de Washington où, jusqu'à la semaine dernière, Hillary Clinton jugeait stable le régime, alors qu'il chancelait, puis, se ravisant, de l'appeler à des réformes purement cosmétiques. Hier même, dans les colonnes du New York Times, le candidat malheureux à la présidentielle de 2004 John Kerry soutenait que quelle que soit l'issue de la contestation en cours, la nature des relations entre le peuple et les dirigeants du pays est appelée à s'en trouver changée de manière définitive. Il va plus loin encore, prévoyant une modification des rapports avec les États-Unis, qui ne tiendraient plus compte, dit-il, du facteur Moubarak.
Il faut regretter que la mise en garde du sénateur du Massachusetts et président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre haute arrive avec quelque retard. D'autant plus que l'avertissement avait été précédé de multiples rapports établis ces derniers mois, dans lesquels un groupe de suivi US conduit par Michele Dunne et Robert Kagan revenait avec insistance, au fil des mois, sur la fragilité du pouvoir. La première, dès l'année 2008, s'interrogeait sur l'avènement d'une « Égypte postpharaonique ». Les premières lignes de l'article de cette parfaite arabophone dans le numéro de septembre-octobre de l'American Interest Online : « Lorsque cela se produira, le monde s'en trouvera ébranlé, à tout le moins pour quelque temps. L'octogénaire Hosni Moubarak, président du plus grand pays arabe, quittera ses fonctions, de son plein gré ou par décision de la Providence, probablement dans les trois années à venir (...). Les Égyptiens s'y préparent et nous ferions bien de les imiter. »
Au lieu de quoi, qu'entend-on ? Des voix, de plus en plus audibles, pour noter que l'aide militaire consentie sert à effrayer la population et à contrôler la sécurité. Les F-16 et les grenades lacrymogènes, répète-t-on dans la capitale fédérale, ont été fournis par le Pentagone. À l'image de l'administration, les politologues sont eux aussi divisés entre partisans du « pouvoir-au-peuple » et examen de conscience, avec une nette propension à l'autoflagellation. Tel cet éditorialiste qui décrète sentencieusement : si Moubarak n'avait pas régné en dictateur ces trente dernières années, les tours jumelles du World Trade Center seraient encore debout. Explication : internés dans les prisons, les islamistes ont été empêchés de lancer une révolution à domicile et forcés de l'exporter dans le monde. S'ensuit la longue litanie des faillites, du Rwanda à l'Irak, en passant par la Somalie. Nous citions tout à l'heure le père Ubu ? Il n'est pas seulement néo-égyptien mais universel par les temps qui courent.
Ah ! L'envie de taguer ces mots au bas d'une pyramide : « Lénine (enfin, son équivalent égyptien), reviens, ils sont devenus fous »...

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