TOUT EST DIT

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jeudi 29 décembre 2011

Oui, l'éventuelle perte du triple A de la France serait une catastrophe

L'agence Standard and Poor's a placé il y a une semaine les notes de quinze Etats de la zone euro sous surveillance avec implication négative. Le délai entre un placement sous surveillance et une décision sur la note est généralement de trois mois environ, mais, dans le cas de la zone euro, et tout particulièrement de la France, S & P a laissé entendre qu'il pourrait être beaucoup plus court.

La majorité tente de banaliser l'impact d'une perte du triple A. En réalité, une telle dégradation de la note souveraine de notre pays en pleine tempête sur les marchés contre la zone euro constituerait un événement politique majeur à quatre mois de l'élection présidentielle. Et la fin d'une époque pour notre pays, habitué depuis la création de la zone euro à bénéficier de taux d'emprunt très bas pour financer la dérive de ses déficits.

1. Sur le plan financier, tout d'abord, les implications d'une perte du triple A seraient réelles sur les charges annuelles de la dette, dans les prochains budgets de l'Etat.

Certes, les taux d'intérêt servis à l'émission de la dette française se sont déjà dégradés : le spread OAT-Bund, qui mesure l'écart de taux d'intérêt entre les emprunts d'Etat français à dix ans (les obligations assimilables du Trésor) et les emprunts d'Etat allemands de même durée et qui indique donc la différence de solidité financière que les grands créanciers internationaux établissent entre les deux pays, s'établit déjà à 125 points de base (1,25 %), contre 30 points en mai : les marchés nous notent donc déjà en BBB +. C'est aujourd'hui la prime réclamée par les investisseurs pour acheter de la dette française plutôt qu'allemande.

Toutefois, une dégradation "officielle" de la note de la France, qui plus est de deux crans comme il est possible, constituerait une étape décisive d'un mouvement de réajustement à la hausse du risque français. Ce réajustement pourrait atteindre rapidement jusqu'à 1 % d'intérêt supplémentaire (100 points de base). Dans cette hypothèse, réaliste, les taux français à 10 ans, actuellement de 3,1 %, quitteraient la proximité des rives des taux allemands (aujourd'hui de 1,85 %) pour se rapprocher, à 4 %, voire plus, des niveaux de taux appliqués à l'Espagne (5,4 %) ou à l'Italie (6,7 %).

L'impact de ce point d'intérêt supplémentaire sur nos charges d'intérêts annuelles serait très conséquent, et ce rapidement : de l'ordre de 2,5 à 3 milliards d'euros annuels à l'horizon de douze à dix-huit mois, avant d'atteindre près de 15 milliards d'euros par an à l'horizon 2017, une fois répercuté sur l'ensemble de notre stock de la dette publique, dont la maturité est proche de cinq ans. Quinze milliards, soit l'équivalent de deux points de TVA, ou encore de la somme des budgets alloués au ministère de la culture, de l'agriculture, des affaires étrangères, de l'écologie et des transports...

L'incidence d'une perte du triple A est donc très loin d'être négligeable. Elle serait également durable, la position de la France par rapport aux autres grands Etats européens étant également peu favorable sur les autres critères d'appréciation retenus par les marchés que sont le déficit primaire, le rythme de l'ajustement, la flexibilité de ses dépenses, ses marges de manoeuvre fiscales ou encore la situation de sa balance des paiements. Nous pourrions par conséquent mettre plusieurs années à en retrouver le niveau.

Et tout cela chargerait encore un peu plus la barque du programme d'ajustement nécessaire pour revenir à une trajectoire soutenable des finances publiques, déjà estimé selon les économistes à près de 80 milliards d'euros.

2. La perte de son AAA par la France aurait également un impact majeur sur les mécanismes de solidarité européens qui viennent d'être difficilement mis en place pour contenir la crise de la zone euro.

Un éventuel abaissement de la note française, deuxième contributeur au Fonds européen de stabilité financière (FESF), pèserait inévitablement sur la notation de cet instrument financier indispensable pour gérer la crise de la dette. Elle aggraverait sans nul doute les risques d'assèchement du marché du crédit en Europe, au moment où la zone euro y est plus que jamais confrontée, contraignant la Banque centrale européenne (BCE) à jouer les pompiers de service.

Les entreprises françaises, les moins bien notées d'entre elles, souffrent déjà depuis plusieurs semaines de la nervosité des marchés sur les incertitudes des mois à venir. Une perte du triple A de la France se traduirait immédiatement par des implications négatives sur leurs conditions de financement et des difficultés accrues à accéder au marché, au moment où elles planifient leurs investissements pour l'année à venir. Et alors même qu'elles s'apprêtent à affronter un ralentissement de leurs commandes et de leurs exportations en Europe, dans un contexte de marges laminées par la hausse des prix des matières premières et du pétrole.

3. Enfin, la dégradation de la note de la France sur les marchés constituerait un événement politique majeur, à quatre mois de l'élection présidentielle.

Elle remettrait en cause le discours asséné par la majorité depuis près de dix-huit mois, qui a présenté le maintien de la crédibilité financière de notre pays sur la scène internationale comme la contrepartie du "plus d'impôt et de rigueur" mis en oeuvre en France et accru depuis le mois d'août dans le cadre du programme antidéficit du gouvernement.

Dans le domaine fiscal, les prélèvements ont déjà augmenté d'une vingtaine de milliards d'euros cette année et augmenteront encore de 20 milliards supplémentaires en 2012, avant une dizaine de milliards de plus en 2013. 20 + 20 + 10 = 50. D'ici à la fin de l'année 2013, la France subira, avec 50 milliards d'euros de plus en trois ans, la hausse d'impôts la plus importante jamais enregistrée depuis la création de la Ve République.

Le gouvernement avait jusqu'ici tenté d'occulter la réalité de ce choc fiscal considérable, en privilégiant la multiplication de nouvelles taxes ou mesures d'assiettes à la hausse générale des taux des grands impôts d'Etat, une première "ligne Maginot" qui s'est effondrée avec les hausses du dernier budget 2012 sur la TVA et l'impôt sur le revenu...

La perte du triple A viendrait remettre en cause la seconde ligne de défense du gouvernement : la nécessité de maintenir la notation de la France sur les marchés. D'ici quelques semaines, les Français pourraient donc malheureusement se retrouver confrontés à la fois à la hausse très importante des impôts, et à la dégradation de notre note sur les marchés. Sans plus de visibilité sur la manière de se sortir de ce piège de la dette, qui menace aujourd'hui son économie.

Les candidats lilliputiens gênent Nicolas Gulliver

Etre le seul candidat de son camp afin d’arriver en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle et créer ainsi une irrésistible dynamique pour le second, fut la stratégie gagnante de Nicolas Sarkozy en 2007. Une stratégie à laquelle il croit toujours mais qu’il aura, semble-t-il, malgré le retrait prématuré de Jean-Louis Borloo, beaucoup de mal à renouveler en 2012. Reste bien sûr François Bayrou (voir dans Présent de mardi) dont la cote, en hausse continue dans les enquêtes d’opinion, atteindrait 15 %. Mais ce dernier, qui paraît mordre avec la même appétence dans l’électorat PS que dans celui de l’UMP (réunissant centre gauche et centre droit), préoccupe pour le moment beaucoup moins Nicolas Sarkozy que les minuscules candidats à droite de l’UMP ou prétendant capter des voix sur le terrain de cette dernière pour un ailleurs improbable.

Parmi ces candidatures certaines ressemblent fort à des règlements de compte. Bien sûr Christine Boutin veut se battre pour « porter les valeurs de la démocratie chrétienne » – elle a fondé pour cela le Parti chrétien démocrate (PCD) –, une sensibilité politique dont les électeurs, sans se définir explicitement ainsi, paraissent plutôt se reconnaître dans la démarche de François Bayrou. Même si ce dernier, catholique pratiquant affirmé, se revendique dans son action politique d’une laïcité à la neutralité intransigeante, refusant toute référence publique à son identité religieuse. Cette réserve pourrait justifier la candidature de Mme Boutin. D’autant que celle-ci a d’excellentes idées à promouvoir : « l’inscription du mariage composé d’un homme et d’une femme dans la Constitution » et « l’inscription des racines judéo-chrétiennes de l’Europe dans les futurs traités européens ». Toutefois Christine Boutin porte aussi une rancune tenace à Nicolas Sarkozy, coupable, lors du remaniement de 2009, de l’avoir virée sans trop d’égards du gouvernement où elle détenait le portefeuille du Logement et de la Ville, alors qu’elle souhaitait y demeurer. Sa difficulté actuelle à trouver les 500 signatures nécessaires, qu’elle impute à une manœuvre élyséenne, exacerbe sa mauvaise humeur vis-à-vis du chef de l’Etat. Au point de le menacer, il y a quelques jours, de lâcher « une bombe atomique en pleine campagne électorale » (voir dans Présent de vendredi dernier l’article de Jeanne Smits). Si l’Elysée continue à lui faire des misères, Mme Boutin se propose en somme d’hiroshimatiser la Sarkozie. Rien de moins… A l’entendre on pense à la chanson de Boris Vian, « La java des bombes atomiques » :

Mon oncle un fameux bricoleur faisait en amateur

Des bombes atomiques

(…)

Pour fabriquer une bombe A, mes enfants croyez-moi

C’est vraiment de la tarte

La question du détonateur se résout en un quart d’heure

Mais une chose me tourmente

C’est que celles de ma fabrication n’ont qu’un rayon d’action

De trois mètres cinquante

Sarkozy ne s’inquiète pas trop de la bombinette de tante Christine, au rayon sans doute encore plus limité que celle du tonton de Boris Vian. D’autant que la fabricante de bombes atomiques a prévenu qu’elle se montrerait « raisonnable » si d’aventure Nicolas Sarkoy se trouvait en passe d’être menacé par Marine Le Pen. Le seul parti que Mme Boutin souhaiterait vraiment désintégrer, c’est le Front national. Mais la formule de la bombe anti-Marine, que tous les partis de l’UMPS cherchent désespérément, n’a pas encore été trouvée. Si la bombinette B est au mieux un pétard mouillé, Christine Boutin nous aura au moins démontré que dans cette compétition qui s’annonce à couteaux tirés elle n’entendait pas laisser à Jean-Luc Mélenchon ou à Eva Joly le monopole de l’outrance verbale.

Dominique de Villepin plane…

La rancune et la vengeance à l’égard de Nicolas Sarkozy, quoi qu’en dise Dominique de Villepin, ne sont sans doute pas absentes de la candidature « surprise » de celui-ci, annoncée le 11 décembre dernier. Une candidature, assure Villepin, uniquement motivée par « le devoir », « la volonté de servir », et de s’opposer « à la Républiques des partis » qui selon lui dictent leur choix aux électeurs. « Ce n’est pas à l’UMP de choisir le président de la République, ce n’est pas au parti socialiste, pas plus qu’au MoDem ou au Front national, c’est aux Françaises et Français ! (…) Je ne veux pas que cette élection présidentielle soit kidnappée par les partis politiques. » Ce qui ne sera évidemment pas le cas avec Dominique de Villepin puisque celui-ci n’a plus de structure politique. Dans la tradition gaullienne qu’il revendique, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac se pose donc en candidat planant « au-dessus des partis », réaffirmant, chaque fois qu’on lui tend un micro, sa détermination d’aller « jusqu’au bout » de la course élyséenne. Bien entendu, au passage, et bien que tous deux aient soi-disant fumé le calumet de la paix, Dominique de Villepin ne manque pas de décrocher quelques coups de pieds dans les tibias de Nicolas Sarkozy : « Nous avons aujourd’hui, il le revendique, un président de droite. La France ne peut pas vivre avec un président hémiplégique qui représente une seule partie des Français. (…) Il faut un président qui rassemble. » Sarkozy, lui, disperse…

Hormis le désir toujours vif d’embêter l’actuel chef de l’Etat, il se pourrait aussi que la candidature de Dominique de Villepin réponde à un autre objectif… faire diversion aux casseroles qui tintinnabulent avec insistance derrière lui : hier Clearstream, aujourd’hui les valises de Robert Bourgi et l’affaire Relais et Châteaux. Peut-être également, appeler à l’aide sous forme de chantage à l’adresse du président de la République : ou tu viens à ma rescousse, ou je continue à t’embêter… Des considérations effectivement très au-dessus des partis…

Dans les eaux profondes des sondages

Guignant un peu le même électorat que l’ex-Premier ministre – celui de Français à la fibre nationale mais que leur gaullisme invétéré empêche de rejoindre Marine Le Pen – Nicolas Dupont-Aignan se revendique, lui, comme « souverainiste et gaulliste social ». En 2007 il avait quitté l’UMP pour fonder Debout la République. Debout, et même grimpé sur la statue du général, atteindra-t-il cette fois la queue du Mickey ? C’est-à-dire son paquet de 500 signatures qu’en 2007 il avait raté. Les sondages lui donnent actuellement 1 % des intentions de vote. Un début que Dupont-Aignan semble trouver plutôt encourageant. « Je ne peux que progresser », se réjouit-il. Ou rester définitivement en rade…

1 %… On ne peut guère descendre plus bas. Eh bien si : c’est le cas d’un autre Lilliputien, le patron du Nouveau Centre, Hervé Morin, que les sondeurs, au vu de ses résultats, ont méchamment surnommé Mister Zéro. A la tête d’un groupuscule « dont la force est de compter dans ses rangs 39 parlementaires », Hervé Morin « n’a pourtant reçu le soutien que de 17 d’entre eux ». Des soutiens qui, en outre, rétrécissent au lavage (de tête) puisqu’ils ne sont plus, au dernier pointage, que treize. (Un chiffre porte-bonheur, dit-on.) Expert en chevaux, Hervé Morin risque de vider les étriers avant même de quitter l’écurie. Désarçonné en quelque sorte par son propre parti…

Il y a aussi le candidat de Chasse Pêche Nature et Traditions (CPNT) qui, en 2007, avait réuni sur son nom 1,15 % des suffrages. Mais qui espère cette année retrouver les 4,23 % obtenus par son prédécesseur, Jean Saint-Josse, en 2002. Toutefois, avant de participer à la chasse aux électeurs, Nihous doit d’abord aller, comme les autres concurrents, à la pêche aux signatures. Une pêche qui pour lui non plus ne s’annonce pas vraiment miraculeuse.

1 % par ci, 2 % par là… Si tous ces minis candidats s’alignaient sur la ligne de départ, ils pourraient facilement confisquer pour le premier tour 5 à 8 % des voix éventuelles de Nicolas Sarkozy. Une perte de gain qui, si selon toute probabilité Marine Le Pen et François Bayrou continuent de grimper, peut se révéler bien embêtante pour le candidat de l’UMP. Le Gulliver de l’Elysée entravé lors du premier tour par cinq minuscules candidats ? Cinq Lilliputiens du suffrage universel ? Dans les fiches de littérature que Carla Bruni prépare pour son époux, il va falloir qu’elle se dépêche de lui en rédiger une sur Jonathan Swift.

Les mystères de Pyongyang

Un vrai chagrin sous des torrents de larmes ? Les images de la télévision nord-coréenne montrant de nouveau des scènes d’hystérie collective au passage du cortège funèbre de Kim Jong-Il laissent vraiment perplexe. Elles inquiètent aussi. Une population coupée du monde depuis presque 70 ans, affamée, terrorisée, soumise au lavage de cerveau dès l’enfance, a été parfaitement dressée pour obéir aveuglément. Pour répondre sans réfléchir aux ordres de sa dynastie communiste dans une force armée de plus d’un million de soldats (avec un service militaire de huit ans !). Et gare à ceux qui oseraient manifester l’une ou l’autre velléité déplaisant au régime : les camps de concentration existeraient par dizaines.

La Corée du Nord, apparemment détentrice de l’arme atomique, représente un danger bien réel. Et imprévisible car nul ne sait qui est exactement aux commandes. Kim Jong-Un, fils cadet du dictateur défunt, choisi parce que plus malléable que son frère aîné en résidence surveillée à Pékin ? Le « conseil de régence » formé de ses tantes et oncles ? Ou l’armée, véritable Etat dans l’Etat. Elle accapare entre 15 % et 25 % du PIB, possède usines, fermes, magasins, circuits de distribution… Le mystère reste entier. Pyongyang rappelle la Rome de l’Antiquité tardive lorsque les prétoriens faisaient et défaisaient les empereurs, sans oublier les intrigues de palais poussant aux « disparitions » et aux assassinats.

Ne pas savoir qui dirige le pays signifie tout ignorer de sa politique, du moins dans l’avenir. L’immédiat n’apportera guère de changement. Sous une propagande effrénée, le régime versera encore dans son chantage habituel pour mendier de l’aide alimentaire en contrepartie d’un abandon, jamais vérifié, de ses ambitions nucléaires.

Mais plus tard ? La prudence règne à Séoul et à Tokyo. Comme les Etats-Unis qui déploient 25 000 soldats dans le Sud (plus les marins et l’aéronavale), le gouvernement de Séoul et le Japon misent pour l’instant sur le statu quo, en l’espérant moins offensif et en rêvant d’une évolution économique à la chinoise. Paradoxalement, Washington, Tokyo et Séoul comptent sur la Chine pour qu’elle garde son « protégé » du Nord à la longue laisse. En effet, un rapprochement des deux Corée, bien que très hypothétique, créerait dans cette région d’Asie des bouleversements aux conséquences imprévisibles ! On voit mal la Chine accepter deux Corée réconciliées et transformées en concurrents économiques. Encore moins une Corée unifiée et démocratique à sa porte…

Réveiller la citoyenneté

Il y a peu, ce fait divers bien banal et pourtant riche d’enseignements : une fillette de 9 ans arbore à l’école un maquillage provocant qui lui vaut un avertissement de la directrice. Fureur de la mère qui parle de « discrimination » et invoque le droit de sa fille au libre choix de son image. L’enfant est réputée « autonome » et il n’y a donc qu’à s’incliner puisque telle est sa volonté.

Ajoutons-y un souvenir récent de voyage en train. Deux très jeunes filles échangent si bruyamment qu’au bout d’une heure de trajet, je décide de les appeler, d’un ton aimable, à plus de discrétion. Réaction presque indignée et empreinte d’arrogance : « Mais Monsieur, si on vous dérange, vous n’avez qu’à changer de place ! » Je n’y avais pas pensé…

Dans les deux cas, se trouve revendiqué le droit à la singularité, au nom du respect de l’authenticité de chacun. « Prenez-moi tel(le) que je suis et veux être. » Une célèbre enseigne de restauration rapide l’a bien compris qui nous invite à venir dans ses établissements « comme nous sommes ».

Sans leur accorder plus d’importance qu’ils n’en méritent, on ne peut s’empêcher de voir dans ces deux faits comme la métaphore de la difficulté actuelle à vivre ensemble. Si le problème n’est en rien nouveau, l’est en revanche l’écart croissant entre l’individu, plus sûr que jamais de son bon droit (confondu avec son désir) et le « faire société », impliquant mise en sourdine des particularités au profit de la généralité incarnée dans la citoyenneté.

Dans un contexte culturel où les individus peinent à se rassembler dans des structures plus larges (parti, syndicat, église, Nation…), ce problème s’apparente à la quadrature du cercle. Une chose semble acquise : on n’en reviendra pas au « vieux » social dans lequel les individus disparaissaient comme sucre dans l’eau. La cohésion s’opérait par fusion dans une masse de labeur et souvent de combat. Ce modèle est aujourd’hui périmé, rendu caduc par la revendication des particularités de chacun.

Le défi est de parvenir à trouver la formule permettant de concilier, de manière équilibrée et stable, l’initiative d’individus autonomes et l’action collective. Cette tâche redoutable prendra probablement des décennies. Les contours du nouveau modèle s’en esquissent au sein du vaste monde associatif. Par exemple, à Amnesty International dont les membres, souvent « individuels », collaborent avec efficacité dans une oeuvre puissamment collective. On peut aussi citer le Pacte civique, groupement d’associations présidé par Jean-Baptiste de Foucauld, qui entend allier, en temps de crise, transformation collective et changement personnel.

Cela dit, ne nous payons pas de mots. S’agissant de la grande société, de la société politique, de la Nation et de l’espace public, dont l’appartenance n’est pas affaire de choix, on ne fera pas l’économie d’un passage obligé par le statut de citoyen. Un choix de société exigeant de tous l’arrachement aux particularités pour entrer en généralité. À l’heure où la citoyenneté s’éveille dans tant de pays, pourquoi ne se réveillerait-elle pas chez nous ?