jeudi 29 janvier 2015
Demis Roussos, la variété internationale pleure l'enfant d'Aphrodite
L'interprète de "Rain and Tears" est mort ce week-end à Athènes. Retour sur la carrière d'un apôtre grec, mais né en Égypte, de la world music.
On n'entendra plus son timbre aigu qui cadrait mal avec son physique imposant. Demis Roussos, qui a été pendant des décennies l'une des grandes voix de la variété internationale, aussi célèbre pour ses tubes que pour sa silhouette imposante et ses tenues bariolées est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à Athènes quelques heures avant les élections législatives dans son pays. Il connut une gloire internationale avec le groupe Aphrodite's Child, dont il fut le chanteur et le bassiste. "Rain and Tears", composée par Vangelis avec des paroles de Boris Bergman, fut dans le monde entier l'une des chansons phares de 1968. Le look chemises à fleurs de ses interprètes fait aujourd'hui encore la joie des rétrospectives télé... Au début des années 1970, Roussos entame une carrière solo et chante dans trois langues. Grâce à des tubes comme "We Shall Dance" (1971), "Loin des yeux loin du coeur" (1978), "Quand je t'aime" (1987) et "On écrit sur les murs" (1989), on estime que Demis Roussos - de son vrai nom Artémios Ventoúris Roúsos - a vendu près de 60 millions de disques à travers le monde au cours de sa carrière.
Né en juin 1946 à Alexandrie en Égypte, il passe son enfance au sein d'une communauté orthodoxe, dans une ville et un pays musulmans. De ce fait, il est imprégné de musiques grecque et arabe. Attiré par le chant, il fait partie du choeur de l'Église orthodoxe grecque d'Alexandrie : il y chante durant cinq années en tant que soliste et, parallèlement, il étudie le solfège et apprend à jouer de la guitare et de la trompette. Son enfance se passe normalement jusqu'à ce que sa famille perde ses biens durant la crise du canal de Suez et décide finalement de quitter l'Égypte, cinq ans plus tard, pour partir s'installer dans sa patrie d'origine en 1961.Attentats à Paris : le rôle des médias en question
Lors de ces trois journées du 7, 8 et 9 janvier, les spectateurs et lecteurs ont été abreuvés d'informations. Ceux qui le souhaitaient ont pu vivre en direct les événements. Est-ce un progrès ?
Jean-Marie Charon (1) : C'est un état de fait avec lequel il va falloir faire, y compris parce que les médias ne sont plus les seuls à avoir la main. Quelques minutes après l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, des vidéos et messages ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. La question est plutôt de réfléchir sur la manière de conduire le traitement de ces événements pour les médias, y compris lorsqu'ils sont en traitement en continu. C'est vrai que, là, il y a des problèmes qui se retrouvent de manière récurrente, mais aussi des solutions intéressantes telles que ces live-tweets (sur Le Monde.fr par exemple) où les internautes peuvent questionner les journalistes et obtenir l'état des faits validés et mises en perspective, explications, etc.
Le soir même de la tuerie de Charlie Hebdo, les noms des terroristes et celui d'un supposé troisième homme circulent sur les réseaux sociaux. Leur reprise par certains médias déclenche l'ire de plusieurs observateurs. Comment concilier dans un monde médiatique la lenteur d'une enquête et l'urgence de l'actualité ?
Il est vrai que le rythme même de l'information en continu pose des problèmes particuliers lors d'événements graves en train de se produire : vacuité de nombre de témoignages, recours à des experts autoproclamés, reprises de rumeurs. Cependant, si la réflexion et la discussion doivent avoir lieu au sein des rédactions, entre journalistes ou dans des lieux de débats comme ce sera le cas lors d'Assises du journalisme au mois de mars à Paris, il ne faut pas non plus oublier d'interroger la question des sources. Les journalistes n'obtiennent pas d'eux-mêmes les noms des présumés terroristes ni le fait qu'il y aurait plusieurs otages. Ici se retrouve la question sensible de la relation entre journalistes spécialisés dans les faits divers ou police-justice et des policiers, des gendarmes, leurs hiérarchies, voire les entourages des ministres de tutelle. Sur de gros faits divers, des procédures ont été trouvées en tâtonnant, après les affaires Grégory, Outreau, etc. Toujours faillibles et à affiner. La même chose doit se produire pour les affaires de terrorisme.
Quand l'homme caché dans l'imprimerie de Dammartin affirme "j'ai été plutôt chanceux qu'ils n'aient pas été tenus au courant des informations", faisant référence à "certains médias qui apparemment auraient diffusé qu'il y avait un otage caché", difficile de ne pas se remettre en question. Y a-t-il une irresponsabilité médiatique aujourd'hui ?
Il y a incontestablement un problème de compétence et de responsabilité journalistique, à commencer par les hiérarchies. Mais, une fois encore, cette information venait obligatoirement de sources policières, de la gendarmerie ou de politiques, voire des trois à la fois. La tendance des dernières années a souvent été dans nombre de rédactions de privilégier chez les journalistes les qualités d'agilité, de réactivité et de polyvalence, aux dépens de spécialisations. La question s'était déjà posée à propos des traitements des crises des banlieues et continue de se poser d'ailleurs. Sur des sujets aussi sensibles et complexes, les rédactions ne peuvent faire l'économie de spécialiser et former dans la durée des journalistes capables d'anticiper des situations, qui vont se dérouler à un rythme et dans des conditions infernaux, de faire appel aux bons experts et aux sources les plus fiables.
À nos détracteurs qui nous reprochent d'avoir trop donné à voir, à lire, nous, journalistes, rétorquons souvent que nous répondons à une demande du public, habitué désormais à l'information en temps réel. S'agit-il là d'une déresponsabilisation facile de notre part, selon vous ?
Il est évident que les logiques de concurrence pour l'audience maximum ne sont pas absentes. Cependant, le sujet s'est déplacé à propos de ces événements. Les médias n'ont plus le monopole : les faits, les images, les témoignages circulent sur les réseaux sociaux et ceux-ci sont devenus également des instruments pour tous les acteurs de propagande et de désinformation. Cela a pu être observé lors d'événements internationaux en Iran, en Tunisie, en Égypte, etc. Les médias ne sont pas exonérés pour autant d'une réflexion déontologique. Au contraire, leur rôle social, la confiance de leur public tiendront de plus en plus dans leur capacité à sélectionner et à valider les informations sur ces événements.
Quel aurait été un traitement équilibré de ces événements ?
Je ne suis pas journaliste et encore moins en position de vouloir donner des leçons de journalisme. La réflexion est à mener au sein de la profession, notamment dans des lieux ad hoc qui dépassent la frontière de chaque rédaction, telle cette édition spéciale des Assises du journalisme.
Fallait-il diffuser les images violentes de l'assaut de l'Hyper Cacher et de la mort d'Amedy Coulibaly ? N'est-ce pas prendre le risque de transformer, le temps d'une image et aux yeux d'un public dubitatif, un terroriste en martyr ? Cette scène alimente depuis les théories complotistes les plus farfelues selon lesquelles il aurait été tué pour ne pas révéler les noms de ses véritables chefs.
Là encore, il faut repartir du fait que ces images auraient de toute façon circulé vu la multiplicité de ceux qui peuvent désormais produire celles-ci. La question est donc de trouver le bon positionnement. Celui qui respecte les victimes, les sensibilités du public. Celui qui valide les faits et permet d'interpréter ceux-ci.
Ces événements ont aussi mis en lumière une fracture entre médias et public-lectorat. N'est-il pas venu, le temps pour le monde médiatique d'une remise en question profonde ? S'en exonérer, n'est-ce pas prendre le risque de perdre en crédibilité et donc de laisser les complotistes et autres sceptiques prospérer sur le dos des "médias-manipulateurs-irresponsables" ?
La question des thèses complotistes et de leur attrait n'est pas nouvelle, de même qu'il n'est pas juste de dire que les rédactions s'en seraient désintéressées. Pour autant, le sujet est difficile, les réponses compliquées : faut-il répondre au risque d'étendre encore l'audience de ces thèses ? Quels sont les bons modes d'explication ? Il y a là un chantier d'analyse et de réflexion qui doit aller bien au-delà des journalistes ou des autorités, faisant appel à des experts, des chercheurs, des intellectuels ainsi que des acteurs de terrain.
Jean-Marie Charon est ingénieur d'études au CNRS, rattaché au Centre d'étude des mouvements sociaux (EHESS). Il est auteur de La presse en ligne, Paris, Repères La Découverte, 2011, 126 p.
Ivre, le gouvernement fait des sites web rigolos
Décidément, notre gouvernement, c’est un peu l’ours Baloo de la jungle politique française : il lui en faut peu pour être heureux. Et ce « peu » se traduit, surtout lorsque les moyens manquent cruellement, par de grands moulinets oratoires, des petits cris, et, inévitablement dans ce monde connecté du oueb deux zéro, par l’un ou l’autre sites internets qui marqueront les esprits par leur totale inutilité rigolote.
Avant d’aller plus avant, je tiens d’emblée à préciser que l’observation de cette nullité crasse du gouvernement sur les réseaux sociaux n’est pas, très loin s’en faut, réservée à la gauche. La précédente majorité avait amplement démontré une nullité tout aussi exécrable dans le même domaine : il suffira de se remémorer les magnifiques pages en vélin surfin à base d’octets recyclés pour France.fr, qui avaient donné quelques articles croustillants ici même ainsi qu’unclip en noir et blanc du plus lol effet.
La droite avait donc largement entamé le capital-crédibilité des institutions républicaines dans tout ce qui touche aux nouvelles technologies, qui ne sont plus si nouvelles, trente ou quarante ans après leur massification, mais qui semblent rester désespérément hors de portée de nos politiciens.
On pouvait espérer mieux d’une gauche progressiste et pleine de djeunzs qui en veulent. Las. Je passerai pudiquement sur l’épisode Désir d’Avenir que les plus jeunes d’entre nous ne connaissent peut-être pas et qui avait largement prouvé qu’on peut prétendre exercer la plus haute distinction du pays tout en faisant preuve d’un attachement quasi-malsain pour le passé et une méconnaissance totale des technologies modernes.
Lorsqu’enfin, cette gauche de progrès — qui saittweeter et liker du partage facebook comme pas deux — est parvenue au pouvoir, elle a à son tour montré qu’elle ne valait pas mieux que la droite en matière d’interweb, de sites didactiques et de chatons mignons. Et cette année a commencé sur les chapeaux de modem 56K avec des vœux du gouvernement croustillants de niaiserie (quej’évoque ici par exemple).
Il aurait été dommage de s’arrêter là. Le #Fail n’aurait pas été épique et nos dirigeants, quand ils se gamellent, recherchent toujours à obtenir le plus de dégâts possibles, avec une gourmandise incompréhensible mais absolument indéniable. Si l’affaire doit se terminer piteusement, autant y aller à fond et réclamer du collatéral éclaboussé, de la honte, des hashtags infamants, des trending-topics qui écorchent. Peut-être est-ce pour cela que la communication élyséenne contient régulièrement des fautes d’orthographe ?
En tout cas, côté Matignon, on se donne un sacré putain de mal pour passer pour des boulets, notamment lorsqu’il s’agit de bien vendre l’action gouvernementale (qui veut du Kit Repas de Famille?), et jusqu’à présent, l’objectif est très bien atteint. Trop peut-être puisque dans l’enthousiasme, on apprend qu’en quelques jours, le gouvernement a décidé de lancer deux opérations d’importance.
L’une est consacrée à tordre le cou à quelques mythes sur l’attractivité française, et ne mérite malheureusement pas plus qu’un aller-retour désolé sur l’infographie minimaliste proposée. Au passage, on notera que http://gouvernement.fr n’est pas du tout le même selon qu’on choisit l’anglais ou le français. Manifestement, nos amis anglophones seront donc cajolés avec des explications sur les vilain mythes de la France réelle (vue depuis Matignon, en tout cas), alors que les francophones seront immédiatement plongés dans l’autre France réelle (vue depuis la place Beauvau, apparemment).
Et cette autre opération contraste violemment avec les fadaises sucrées auxquelles il nous avait habitué. Cette fois-ci, avec Stop-Djihadisme, c’est une déclinaison de « Toi Aussi, Stigmatise Un Djihadiste » qui nous est proposée avec force icônes et moult vignettes, le tout agrémenté de textes colorés écrits en gros et d’une vidéo qui a déjà encombré une partie considérable de la bande-passante de leurs serveurs.
Et là, une question lancinante revient dans la tête de l’internaute égaré qui découvre le contenu âprement mis en ligne par les fiers tâcherons des intertubes de Matignon : à qui s’adresse donc ce site ? Selon la presse, toujours bien rencardée dès qu’il s’agit de faire la retape de la main qui la nourrit, ce site s’adresse à des personnes en voie de radicalisation et offre des conseils à leurs proches.
Eh oui, mes petits amis, parce que lorsqu’un djihadiste en herbe s’apprête à se lancer dans le terrorisme ou à plier bagage pour la Syrie ou l’Afghanistan, il commence par tapoter gouvernement.frdans la barre d’URL de son navigateur personnel. Et là, paf, c’est la surprise : il tombe quasiment nez à nez, ou disons nez-à-site avec une vidéo du site franco-français Daymolition sur le terrible sujet du djihadisme.
Notez au passage que l’orthographe djihadisme a été préférée à jihadisme ou même giadisme, mais immédiatement affublée d’un # pour, d’une part, faire tendance / web-2.0 / réseau social / swag et d’autre part aiguiller les futurs tweets dans la bonne direction optimisée SEO. Et pour que le message passe bien, outre des mots simples, un numéro de téléphone facile à retenir (et, bien sûr, payé par le contribuable gratuit), et un formatage du site façon plaquette de présentation de lingettes nettoyantes pour machine à café, les concepteurs sont allés jusqu’à inclure une sympathique série de pictogrammes simples à comprendre qui ne dépareilleraient pas la porte d’une toilette publique.
Quelque part, c’est touchant : Gouvernemaman se fait du souci pour ses piou-pious et futurs contribuables auxquels elle explique donc, en détachant bien les mots pour éviter qu’ils s’embrouillent la tête, les signes avant-coureur d’une radicalisation pathologique.
Quand on voit ça, on ne peut que s’écrier : Malheureux ! Arrêtez ! Ne dévoilez donc pas tous les subtils indices qui permettent de repérer le déviant du Français normal qui mange du pain et écoute du Zazie. Si vous continuez, il apparaît évident que pour mieux se fondre dans la foule des Français normaux, le djihadiste, surfant sans vergogne sur les sites gouvernementaux, va dorénavant faire exactement le contraire : il va redoubler d’effort pour ne pas se laisser pousser la barbe, manger des croissants au beurre et écouter du Christophe Maé (et sa radicalisation n’en sera alors que plus compréhensible).
C’est là qu’on commence à percevoir une réponse à la fameuse question lancinante : à bien y réfléchir, ce site a la forme d’un site qui ne s’adresserait pas aux bonnes personnes, il a l’odeur d’un site qui louperait sa cible et la couleur d’un site qui taperait à côté. D’autant que, sur les cas connus, la radicalisation des terroristes n’a pas eu lieu sur le web. Zut alors.
Bien évidemment, on comprendra que ce site n’est pas destiné aux cibles en question, mais exclusivement à justifier l’existence du service qui l’a pondu, et à communiquer sur les « actions » que le gouvernement entreprend pour lutter contre la terrible menace.
Maintenant, le constat de l’absurde nullité gouvernementale dans le domaine des intertubes impose de se poser la question : et si c’était un symptôme d’un mal plus étendu ? Et si ce que bricole notre gouvernement est si pathétiquement nul sur internet, pourquoi subitement en serait-il autrement dans les autres domaines ?
Les efforts déployés par le gouvernement sont visiblement bien plus mauvais sur ce support spécifique parce que les usages, les codes et les modes opératoires sont mal maîtrisés par l’institution gouvernementale, résolument branchée dans les années 70 ou 80 (au mieux). Mais en réalité, ce qu’il fait ailleurs est exactement du même tonneau. La seule différence est que les communicants et les politiciens se sont bien mieux adaptés au type de communication vertical, du haut vers le bas, que leur offraient la télé ou la radio, qu’au mode horizontal et multipolaire d’internet, qui ne les loupe pas. Autrement dit, le gouvernement est plus habile à camoufler la nullité de ses agitations lorsqu’il s’exprime au travers de canaux qu’il maîtrise.
Mais sur internet, sa nullité se voit. Terriblement. #LOL.
La constance sapinesque
Comment ne pas être d’accord avec Michel Sapin lorsqu’il proclame que « le bashing anti France, ce n’est plus possible, ce n’est pas supportable » ? Certains répliqueront que s’il y a dénigrement, c’est qu’il y a quelque chose à dénigrer. Mais ce serait là médiocre réponse. Il faut plutôt approuver le ministre des finances : son passé plaide pour lui. Sa capacité à se tromper dans ses prévisions, le chômage en particulier, son optimisme forcené, sa prédisposition à changer d’analyse, son habileté pour l’adaptation, servis par une allure de notable, sont autant de garanties. D’autant que cette inconstance se double d’une grande fidélité. Jadis, il dénonçait le « dandysme de l’autodérision » et appelait au « souffle de la réforme ». C’était en 2001. Il était déjà ministre.
Tsipras ou la stratégie du pire
Tous ceux qui espéraient qu’Alexis Tsipras se montrerait un tant soit peu réfléchi une fois arrivé au pouvoir peuvent déchanter : le nouveau Premier ministre grec veut cogner dur. Le premier choc a eu lieu avec la formation de son gouvernement : le leader de Syriza aurait pu s’allier à un parti modéré, plutôt situé au centre-gauche ; il a préféré faire entrer au gouvernement un meneur de la droite nationaliste, xénophobe et antieuropéen jusqu’à la caricature. Le pire choix. Le deuxième choc s’est déroulé au sortir du premier Conseil des ministres avec l’annonce de mesures de relance brutales, de dépenses massives, qui chacune sonnent comme une provocation directe à l’égard de ses créanciers.
Certes, le Premier ministre grec avait prévenu, et personne ne devrait être étonné qu’il se comporte en leader d’une gauche radicale. Mais pour tous ceux qui, sensibles aux difficultés du peuple grec, se pâmaient devant son discours anti-austérité et applaudissaient à la remise en cause du fardeau de la dette, le retour à la réalité est un coup de poing : oui, Alexis Tsipras va ouvrir toutes les vannes ; oui, il va piétiner la signature de l’Etat grec ; oui, il risque de conduire rapidement son pays dans le mur.
Face à cette stratégie du pire, les Européens ont de quoi s’inquiéter. Le risque de l’affrontement existe, celui de la division aussi, surtout si les Grecs trouvent des alliés dans leur tentative de déchirer leurs engagements. Les Français semblent déjà tentés de jouer les intercesseurs et de mettre au service des Grecs leur longue expérience des signatures reniées. Après avoir échoué à s’allier avec l’italien Renzi, voilà François Hollande qui se rêve en avocat du cancre grec. Si c’est pour inverser la courbe du chômage et retourner celle de la croissance, le nouveau venu Tsipras devrait choisir meilleur mentor.
La Grèce fait basculer l’Europe
La Grèce tombera-t-elle dans la dictature du prolétariat ? Certains peuvent s’en inquiéter – ou s’en réjouir – mais cela semble très peu probable.
Grâce à un système électoral donnant l’avantage au parti arrivé premier aux élections – et probablement conçu à l’époque avec d’autres partis en tête – le mouvement d’extrême-gauche Syriza, crédité de 36,34% des voix, faitmain basse sur 149 postes de députés sur les 300 que compte l’assemblée grecque, à un cheveu de la majorité absolue.
Les sondages qui laissaient entendre un faible écart entre Syriza et Nouvelle démocratie, le parti conservateur d’Antonis Samaras, en sont pour leurs frais ; l’extrême gauche compte quasiment dix points d’avance. Le podium se complète avec Aube Dorée, représenté par 17 députés en obtenant 6,28% des voix malgré des accusations « d’organisation criminelle » dont elle est affublée depuis un an et demi – un qualificatif dont on se demande encore pourquoi il ne s’applique pas à l’intégralité de la classe politique…
La Vouli, le parlement grec, se complète avec To Potami (centriste), 6,05% et 17 députés, les communistes du KKE avec 5,47% et 15 députés, les Grecs indépendants (droite) avec 4,75% et 13 députés et, fermant la marche, le Pasok socialiste. Autrefois tout-puissant, il est réduit à quasiment rien : 4,68% des voix, soit tout juste le quorum pour avoir encore le droit de siéger avec 13 députés.
La participation s’est élevée à 64% : les Grecs n’ont pas boudé les urnes.
Marxiste de la première heure et fan de Che Guevara, Alexis Tsipras, chef de Syriza, a prêté serment comme Premier ministre. La Grèce tombera-t-elle pour autant dans la dictature du prolétariat ? Certains peuvent s’en inquiéter – ou au contraire, s’en réjouir, à la façon de divers partis d’extrême-gauche ailleurs en Europe – mais cela semble très peu probable.
D’un côté, Syriza a un programme assez typique de la gauche utopique, mêlant populisme et incurie économique ; citons par exemple l’introduction d’un nouvel impôt pour les ultra-riches (très original), la hausse du salaire minimum (très original également, et qui poussera encore davantage de Grecs au chômage ou dans le travail au noir), un 13ème mois pour les retraités (mais pas une réévaluation de leurs rentes amputées au nom des mesures d’austérité des précédents gouvernements), la gratuité de l’électricité ou des transports pour certaines catégories sociales, des travaux publics pour relancer l’activité, et ainsi de suite.
Tout cela n’est évidemment pas finançable, mais pousse Syriza à cultiver le principal argument qui a conduit les électeurs à lui donner sa chance : la volonté de renégocier la dette grecque vis-à-vis de ses bailleurs de fonds de la zone euro.
Les Grecs ne tiennent pas à abandonner l’euro, mais l’économie de leur pays étouffe sous le poids de sa dette, encore 177% du PIB aujourd’hui. Il est impensable de continuer pendant des décennies au rythme d’une crise économique continuelle qui fait fuir la population du pays, menace tout investissement et influe jusqu’à sa natalité. La Grèce meurt de ses dettes. Littéralement.
La Grèce n’est pas de gauche. Syriza ne l’a emporté que grâce au scrutin d’électeurs de droite prêts à mettre entre parenthèses leurs valeurs habituelles. Et ces gens l’ont fait simplement parce qu’ils voulaient, absolument, que le gouvernement élu fasse autre chose que ce mélange de soumission et de veulerie face aux exigences de Bruxelles. Les Grecs en ont eu assez d’une rigueur apparemment sans fin, uniquement destinée à préserver l’orthodoxie financière chère à Mme Merkel et aux comptes de l’État allemand. Ils ont estimé qu’ils n’avaient plus rien à perdre.
La Grèce est en faillite, point. La poursuite des « réformes » et de la « rigueur » jusqu’à ce que la dernière entreprise privée du pays rende gorge n’a absolument aucun sens.
Alexis Tsipras a été élu pour organiser une faillite ordonnée.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la faillite n’est ni interdite, ni rare, même à l’échelle d’un pays. Depuis 1830, la Grèce a fait six fois faillite et elle n’est pas la seule. La faillite est un risque contre lequel le prêteur cherche à se prémunir sans jamais le rendre complètement nul ; il peut en tenir compte à travers les taux d’intérêts, l’examen de la situation du débiteur et l’emploi prévu pour les fonds. En dernier recours, si trop de doutes subsistent, il se réserve le droit de refuser la transaction.
En 2012, lors de la dernière faillite grecque, le secteur privé a consenti des pertes de 70% sur la dette grecque. En échange, ses titres ont été repris par des pays de la zone euro au nom de la solidarité entre les membres. Aussi, aujourd’hui, ce ne sont donc plus des banques qui sont menacées, mais essentiellement ces nouveaux créditeurs de la Grèce, les différents États de la zone euro eux-mêmes. Directement. La France, par exemple, est exposée à la dette grecque à hauteur de plusieurs dizaines de milliards d’euros – personne n’étant en mesure de livrer un montant exact tant les montages financiers sont complexes. Une première estimation, plus ancienne et vraisemblablement incomplète, faisait état d’une addition à hauteur de 40 milliards.
Les dirigeants de la zone euro n’ont que mépris pour la Grèce et sa population. Ils ne s’inquiètent ni de la réputation de la zone euro, ni des cours de la bourse, ni d’un éventuel mauvais exemple sur d’autres pays membres, ni de l’effet sur le bilan comptable des banques commerciales. Ils s’inquiètent avant tout pour leurs propres finances publiques et le gouffre colossal qui s’ouvrira sous leurs pieds si la Grèce renonce à rembourser. Car leurs notes, leur bilan et le financement de leur propre dette en subira les conséquences. Imaginez l’effet d’une simple augmentation de 1% du coût de financement de la dette française…
Alors, tout le monde cherche à s’entendre pour une simple question de survie. Alexis Tsipras ne tient pas à quitter la zone euro mais ne veut plus que le peuple grec soit saigné à blanc simplement parce que la Troïka est incapable de faire face à un défaut de son pays. Les partenaires de la Grèce cherchent à gagner du temps et à négocier leur propre survie tout en surveillant avec inquiétude les regards envieux des autres pays en difficultés de la zone euro. Ils savent très bien qu’ils ne pourront pas sauver tout le monde, qu’ils ne pourront pas aménager les dettes de tout le monde – seulement, partiellement, celles de la Grèce. Encore. Et cela risque de ne pas suffire.
Lors de la prochaine photo de famille des chefs d’États de la zone euro, certains sourires risquent d’être encore plus crispés que d’habitude. Et en l’état il semble bien peu probable que la zone euro finisse l’année sous sa forme actuelle.
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