Le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn a remis sur la table la question du coût du travail en France. Avec, un sous entendu habituel: c'est parce que le travail est trop taxé qu'il existe un problème français.
De fait, cela paraît évident, c'est l'un des défauts majeurs de notre système fiscal: en France, on taxe beaucoup trop le travail, nettement plus qu'ailleurs, ce qui nuit bien sûr à l'emploi. La France est l'un des pays, en effet, où le poids de cotisations patronales de sécurité sociale (à la charge des employeurs) est le plus lourd. C'est ce qui contribue du reste, largement, à un niveau de prélèvements obligatoires total plus élevé que la moyenne des pays industriels.
Selon les statistiques de l'OCDE, les cotisations patronales représentent en France 11,3% du PIB, soit plus de deux fois la moyenne de l'OCDE. A titre de comparaison, elles ne pèsent que 6,7% de la richesse nationale en Allemagne, ou 3,8% en Grande-Bretagne.
Pour autant, affirmer que c'est la France qui taxe le plus les revenus du travail est inexact. Les statistiques disent le contraire, à rebours de cette idée reçue. Eurostat calcule un taux implicite de taxation sur ce que les économistes appellent les facteurs de production, notamment le travail. Il s'agit simplement d'évaluer le poids des prélèvements obligatoires en proporition des revenus du travail
La France au septième rang européen, pour la taxation du travail
Que la France se situe non pas au premier rang européen mais au septième des pays de l'UE. Et que l'Allemagne, ce « modèle » des années 2010, n'est pas si loin. Le taux global de taxation du travail est de 38,6% en France, contre une moyenne de 35,8% en Europe. L'Allemagne est également au dessus de la moyenne européenne, à 37,1%.
La Belgique et l'Italie imposent beaucoup plus le travail que la France (ces pays se situent au-delà de 42%), tandis que la Suède, la Finlande, et l'Autriche, se placent un peu au dessus du niveau hexagonal.
Comment expliquer ce paradoxe de lourdes cotisations, beaucoup plus lourdes qu'ailleurs vilipendées par le Medef, mais aboutissant à une taxation globale du travail qui est loin de battre des records ?
Un impôt sur le revenu plus faible
L'explication est simple : pour évaluer les prélèvements obligatoires sur le travail, il faut prendre en compte, bien sûr, les cotisations, mais aussi, évidemment, l'impôt sur le revenu. Or celui-ci est, contrairement à ce que croient encore beaucoup de Français, plus léger qu'ailleurs. Les organismes internationaux intègrent dans leurs calculs la CSG, ce deuxième impôt sur le revenu français (le Conseil constitutionnel a tranché en ce sens, il y a près de 20 ans, maintenant). Y compris la CSG, donc, l'impôt sur le revenu représente en France 7,3% du PIB, contre 8,8% en Allemagne, 9,5% en Autriche, 10,8% en Belgique, 10% en % Grande-Bretagne, 11,7% en Italie, et 24% au Danemark.
Ces fameux danois, dont certains vantent le modèle « zéro charges sociales » ou presque, sont loin d'échapper à l'impôt : salariés et entreprises ne paient pas de cotisations sociales, mais les employeurs doivent verser une rémunération nette beaucoup plus élevée qu'ailleurs, à des salariés qui supportent un impôt sur le revenu très lourd et une TVA record. Selon Eurotat,le salaire annuel moyen y atteint 56.300 euros, contre 42.900 en Allemagne...
Même sans charges sociales, le coût global du travail y est donc au dessus de la moyenne européenne...
Le mythe du petit nombre d'imposables
S'agissant de l'impôt français, il est de coutume de dire que son rendement est faible en raison du nombre élevé de foyers exonérés. Cet argument ne résiste pas à l'analyse : pour chaque niveau de revenu, la facture est en fait moins élevée que la moyenne européenne. En outre, et surtout, la CSG, qui est devenue le premier impôt sur le revenu (80 milliards d'euros de recettes contre 50 milliards) est payée par tous, au premier euro de salaire.
Plus de cotisations à la charge des salariés en Allemagne...
La comparaison France-Allemagne peut être intéressante, du point de vue des prélèvements obligatoires sur le travail. Si les cotisations patronales (à la charge des employeurs) battent de records en France, il faut considérer aussi les prélèvements à la charge des salariés. En Allemagne, elles sont plus importantes qu'en France, représentant 22% des recettes du système social (considéré globalement, tous systèmes publics confondus), contre 17% dans l'hexagone, souligne une étude de la direction générale du Trésor, publiée fin 2012. Or, le distinguo entre cotisations employeurs et prélèvements à la charge des salariés n'a qu'une portée limitée : dans les deux cas, il s'agit de prélèvements basés sur les salaires, et qui grèvent le coût global du travail. Les cotisations sociales stricto sensu (hors CSG) pèsent du même poids dans les deux pays, représentant 20,7% du PIB en France, contre 20,5% en Allemagne, relève l'étude du Trésor.
En outre, les allègements de charge sont plus importants en France, en faveur des bas salaires. Ainsi, « considérées conjointement, les cotisations sociales (employeurs et salariés) pèsent moins sur le coût du travail en France qu'en Allemagne pour le premier quintile de distribution des salaires (les 25% de salaires les plus faibles) » souligne l'étude. « Il n'y a pas de désavantage univoque en France ».
... et une taxation globale supérieure pour la majorité des revenus
Les experts de Bercy relèvent en outre le poids de l'impôt sur le revenu, plus élevé en Allemagne. Si l'on additionne donc l'ensemble des prélèvements obligatoires sur le travail, cotisations et impôts, ce que l'OCDE nomme le « coin fiscalo-social », il apparaît que les prélèvements sont moins lourds en France qu'Outre Rhin, pour la plupart des niveaux de revenus. Comme le relève le Trésor, « quel que soit le niveau de salaire considéré (à l'exception du dernier décile de la distribution des salaires) » les impôts et charges français sont moins élevés. « Le coin fiscalo-social est inférieur en France de 15 points en moyenne pour 20% des salariés (les moins bien rémunérés), puis de 7 points en moyenne jusqu'au dernier décile » (soit jusqu'aux 10% les mieux rémunérés). Bref, les Allemands paient moins de cotisations, mais plus d'impôts, sur leur travail. Et au total, à l'exception des 10% les plus aisés, la taxation globale du travail est plus lourde pour eux.
D'où vient le problème?
D'où vient le problème, alors? Il vient d'un phénomène maintes fois souligné, notamment par le directeur des études économiques de Natixis, Patrick Artus ou Gilbert Cette, professeur d'économie associé à la l'université d'Aix Marseille : c'est l'absence de montée en gamme de l'industrie française. L'industrie française est trop "bas de gamme". Elle se trouve, du coup, concurrencée par des pays européens aux coûts du travail inférieurs -Italie, Espagne- , et le sera encore plus à l'avenir, par ces pays qui ont connu ces derniers mois une véritable déflation salariale.
La solution, qui n'a rien de l'évidence à court terme, est d'investir massivement dans la recherche, pour être en mesure d'offrir des produits à plus forte valeur ajoutée.