TOUT EST DIT

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samedi 25 juillet 2009

Les mauvais comptes de Julien Dray

Les enquêteurs de la brigade financière ont mis fin, le 13 juillet, à leurs investigations concernant le train de vie du député socialiste de l'Essonne, Julien Dray. Des mouvements suspects sur ses comptes bancaires avaient été relevés en 2008 par l'organisme anti-blanchiment Tracfin, et une enquête préliminaire avait été ordonnée dans la foulée par le parquet de Paris. Dans un rapport de synthèse auquel Le Monde a eu accès – le site Mediapart en fait aussi état –, les policiers dressent un bilan de leur enquête. Avec ce constat de base : entre 2005 et 2008, M. Dray a perçu 1 631 417 euros, tous revenus confondus. Dans la même période, il a dépensé 2 087 678 euros. "Je ne suis pas un irresponsable dépensier, je ne suis en rien un homme qui vit dans la luxure", a certifié aux policiers M. Dray.
L'élu, lors de ses auditions, a longuement expliqué ses problèmes financiers : "A partir de janvier 2006, j'ai eu une charge supplémentaire de 2 000 euros [le remboursement d'un prêt accordé par Pierre Bergé]. A cela va s'ajouter quelques charges familiales supplémentaires…" D'où, selon lui, ce besoin de recourir à ses proches, en obtenant des prêts de leur part, et ce dans une période professionnelle très agitée. Depuis sa mise en cause, il a lancé un vaste processus de remboursement. Et devant les enquêteurs, il a protesté de son innocence : "Il n'y avait aucune suspicion possible (…), je ne me suis livré à aucun enrichissement et à aucune malversation." Les policiers ont pu établir que cinq associations, souvent en difficulté financière, ont contribué à alimenter les comptes de l'élu, huit particuliers lui ont consenti des prêts, sans pour autant rééquilibrer ses finances.

Outre des procédures incidentes (soupçons de fausses factures, fraudes au fisc…), le parquet va devoir déterminer si l'argent décaissé au profit de M. Dray, via des intermédiaires proches de l'élu et salariés par ces associations, est constitutif d'un abus de confiance. Le député pourrait alors faire l'objet d'une citation directe devant le tribunal correctionnel, de même qu'une demi-douzaine de personnes citées dans le dossier, dont Dominique Sopo, le président de SOS-Racisme. La piste d'un financement politique a en revanche été écartée.

DEUX INTERMÉDIAIRES PRINCIPAUX

Les policiers se sont intéressés aux associations suivantes, dont l'élu était très proche : la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL), SOS-Racisme, Les Parrains de SOS-Racisme, Stop-Racisme Val d'Orge, et enfin l'Association de la 10e circonscription de l'Essonne. Toutes, à des degrés divers, ont décaissé des sommes importantes au profit de M. Dray. Deux personnes sont directement impliquées : Nathalie Fortis, chargée de mission au conseil régional d'Ile-de-France pour le compte de M. Dray, ex-salariée de la FIDL, comme Thomas Persuy, ancien permanent du syndicat lycéen.

La FIDL connaît de graves problèmes financiers, au point d'avoir été expulsée de ses locaux en 2006. En l'absence de toute comptabilité, les policiers ont suivi la trace des chèques. Entre 2006 et 2008, Mme Fortis perçoit 22 783 euros. Bon nombre de chèques encaissés par cette permanente sur son compte font immédiatement l'objet d'un versement du même montant sur les comptes de M. Dray. En guise d'explication, Mme Fortis a fait valoir qu'elle avait acquis auprès du député une montre de valeur, une Rolex James Bond, et qu'il s'agissait de le rembourser. "J'ai investi dans une montre comme certains investissent dans l'immobilier", a-t-elle indiqué aux policiers. M. Dray a confirmé l'achat de cette montre. Elle a également perçu 33 053 euros de l'association Les Parrains de SOS-Racisme, une structure proche de SOS-Racisme. De nombreux chèques, là aussi, ont été décaissés simultanément au profit de M. Dray. Les policiers s'interrogent sur la réalité des prestations fournies par Mme Fortis pour l'association Les Parrains de SOS-Racisme. "Cela correspond sans doute à des prestations réalisées pour SOS", a-t-elle indiqué.

M. Persuy, lui, a obtenu de la FIDL 78 599 euros sur trois ans, qu'il a en partie reversés à M. Dray. Des prêts, a-t-il expliqué, destinés à soutenir l'élu dans sa campagne pour prendre la tête du Parti socialiste. Même principe pour Les Parrains de SOS-Racisme, dont il a obtenu 12 750 euros en 2008, somme intégralement redistribuée à Julien Dray. M. Persuy, pour justifier ces chèques adressés à M. Dray, a également expliqué qu'il avait acheté des stylos Mont-Blanc appartenant au député, ce que ce dernier a confirmé.

Au total, Mme Fortis a versé 38 300 euros à M. Dray. M. Persuy, lui, a déboursé 35 750 euros. M. Dray s'est défendu, devant les policiers : "Je n'ai pas à connaître l'origine des fonds", dit-il, au sujet des versements d'argent sur ses comptes. Et il précise : "J'étais surchargé de travail (...). Je me suis donc beaucoup appuyé dans la gestion quotidienne sur l'ensemble de mes assistants." Il rappelle qu'en 2007, il a beaucoup œuvré pour la candidate socialiste Ségolène Royal, ce qui, lâche-t-il, "n'est peut-être pas la chose la plus intelligente que j'ai faite...".

DES CIRCUITS DE FINANCEMENT PARFOIS PLUS COMPLEXES

Cindy Fischer, autre permanente de de la FIDL pendant deux ans, a reçu du syndicat 6 500 euros, pour s'être occupée du mouvement lycéen en 2005 contre la réforme Fillon. Elle avait alors reversé 6 400 euros à Mme Fortis, qui, quatre jours plus tard, signait un chèque de 6 000 euros à Julien Dray. Commentaire de M. Fischer, l'époux de Cindy Fischer, lors de son audition : "Il y a un truc bizarre, c'est clair. Nathalie Fortis semble avoir collecté des fonds à cette époque pour les reverser à M. Dray."

Les enquêteurs ont aussi retrouvé la trace d'un vrai-faux rapport commandé en décembre 2008 par la FIDL à Geneviève de Kerautem, chargée de mission pour M. Dray au conseil régional d'Ile-de-France. Celle-ci perçoit 6 000 euros pour ce travail, somme reversée dans son intégralité à M. Dray parce que, a-t-elle relaté en garde à vue, ce dernier était "en galère financière". Lors d'une perquisition au bureau de Mme de Kerautem, les policiers ont bien mis la main sur un pré-rapport, mais ne comportant que huit pages, rédigées en mars 2009, alors que l'auteure se savait convoquée par les enquêteurs. "Nous pouvons nous poser la question sur la réalité de cette prestation…", ironise la brigade financière.

Autre cas suspect, la mission commandée à Odile Gaston, la belle-sœur de Julien Dray, par Dominique Sopo, président de SOS-Racisme. Mme Gaston perçoit, le 13 août 2008, 5 000 euros provenant des Parrains de SOS-Racisme. Elle reverse six jours plus tard 2 040 euros à Julien Dray. Sa mission, la mise en place de chantiers de solidarité au Mali, n'a jamais été réalisée. Concernant la somme versée à M. Dray, elle a expliqué avoir remboursé ainsi sa participation aux vacances organisées dans la maison du député, à Vallauris (Alpes-Maritimes).

M. Dray s'est défendu d'avoir donné des instructions aux associations concernées, mettant en exergue leur indépendance : "Je ne donne aucune instruction, ou alors cela veut dire encore une fois que c'est moi qui dirige ces associations et que les gens sont des pantins." Autre cas particulier, celui de Georges Sebag, un ami de M. Dray, distributeur de vêtements dégriffés Gérard Darel dans le sud de la France. Vingt-six chèques signés par les clients de M. Sebag ont été versés sur les comptes de M. Dray, pour un montant de 11 840 euros. Il s'agissait, selon M. Sebag, de prêter de l'argent à son ami pour sa campagne interne au PS. Il assurait avoir remis au total une quarantaine de chèques, dont il ne renseignait pas l'ordre, en laissant le soin à l'élu. Mme Fortis, comme M. Persuy, ont aussi reçu ces chèques.

UNE COMPTABILITÉ INEXISTANTE DANS LES ASSOCIATIONS

Le travail d'enquête n'a pas été facilité par les pratiques en vigueur dans les associations. A la FIDL, il n'y avait donc aucune comptabilité. Et les enquêteurs ont découvert, dans la galaxie SOS-Racisme, de curieux comportements. L'argent affluant sur les comptes de l'association Les Parrains de SOS-Racisme était utilisé en toute opacité : "Pour ces actions pour lesquelles nous ne pouvons avoir de justificatifs, nous utilisons les fonds privés des Parrains de SOS-Racisme", a reconnu Martine Guillaume, la directrice financière de SOS-Racisme. "Ces actions sont le ménage au black, les petites dépenses comme les billets de train et petits achats divers, des pots à des militants, des bombes de peinture." A la suite des investigations policières, elle a eu ce commentaire : "Nous allons faire en sorte de rentrer dans la légalité." Sur 280 849 euros collectés entre 2005 et 2008 par Les Parrains de SOS-Racisme, avec des donateurs tels que Pierre Bergé ou Arte, seuls 10 000 euros ont été officiellement versés sur les comptes de SOS-Racisme. L'ordre des chèques adressés à l'association principale était souvent retouché, et l'argent était ainsi versé sur le compte-support des Parrains. Une technique jugée "regrettable" par Pierre Bergé.

Par ailleurs, les enquêteurs trouveront d'autres irrégularités. Comme ces sept fausses factures imputées à la société Cdiscount, sans qu'il y ait jamais eu la moindre prestation en faveur de SOS-Racisme. Plusieurs factures vierges à l'en-ête de différentes sociétés ont même été découvertes dans le bureau de Mme Guillaume. Enfin, il y a le cas Assane Fall, compagnon de Nathalie Fortis. Licencié par SOS-Racisme, il touche 5 800 euros d'indemnités le 12 septembre 2008. Trois jours plus tard, Mme Fortis signe un chèque de 5 300 euros en faveur de Julien Dray.

TABLEAUX, MONTRES ET TEE-SHIRTS

Les policiers ont découvert d'autres étrangetés dans ce dossier. Comme l'affaire des tableaux. Le 16 septembre 2008, l'Association de la 10e circonscription de l'Essonne, créée pour faire connaître l'action politique de M. Dray, vend des tableaux à SOS-Racisme, pour une somme de 9 000 euros. 7 000 euros sont ensuite reversés à M. Dray. Celui-ci a indiqué qu'il avait besoin d'argent, et donc décidé de vendre ces tableaux, initialement destinés à égayer sa permanence. Une vente très éloignée de l'objet social de l'association, assurent les policiers, qui s'interrogent : pourquoi M. Dray n'a-t-il pas vendu directement ces œuvres d'art, en son nom ? "Il n'y avait pas de volonté de cacher quoi que ce soit, a déclaré M. Dray, mais pour Sopo et pour moi-même, c'était mieux comme ça." L'Association de la 10e circonscription connaissait de sérieuses difficultés financières, au point de contraindre Pierre Bergé, proche de M. Dray et président des Parrains de SOS-Racisme, à effectuer en 2008 un don de 100 000 euros. Une situation délicate qui n'a pas empêché M. Dray de débiter 7 000 euros des comptes de cette association pour acheter une montre Rolex en or à sa suppléante, Fatima Ogbi, récompensée pour ses bons services électoraux. Le député a indiqué aux policiers qu'il avait reversé de l'argent à cette association pour compenser cette dépense.

Enfin, la brigade financière s'est penchée sur une étrange coïncidence. M. Sebag, l'ami de M. Dray, distributeur de Gérard Darel, avait reçu de SOS-Racisme la commande de 5 000 tee-shirts, pour une somme de 15 548 euros, via un chèque émis, selon la police, en mai 2008. Cette période correspond très exactement à la vague des premiers chèques "clients" adressés par M. Sebag à M. Dray, pour une somme de 15 000 euros. Il ne faut y voir aucun lien de cause à effet, a assuré le député.

DES AMIS FORTUNÉS ET GÉNÉREUX

Pas moins de huit particuliers, proches de l'élu socialiste, lui ont prêté de grosses sommes d'argent, en particulier en 2008. Les remboursements sont aujourd'hui en cours, et M. Dray envisage de vendre sa maison de Vallauris pour les honorer. Pierre Bergé est le plus gros contributeur, avec près de 340 000 euros. Les policiers ont aussi enquêté sur les prêts accordés par François Malisan, architecte dans l'Essonne, ou ceux consentis par Robert Zarader, publicitaire. Selon les policiers, ils n'ont obtenu aucune contrepartie, telle que l'éventuel octroi de marchés publics dans le département. Pour rembourser ses amis, M. Dray leur donnait, parfois, des montres, lampes, ou même une sculpture chinoise. Lors de ses auditions, Julien Dray a souhaité qu'il n'y ait pas d'"extrapolation" de la part des policiers, expliquant ceci : "Si j'avais besoin d'argent, j'aurais pu solliciter directement mes amis, et je n'ai pas besoin de passer par Les Parrains de SOS-Racisme ou autre montage."