mercredi 14 août 2013
Bercy et la Lanterne
Amalgames ordinaires
Haute voltige
L'équation à plusieurs inconnues de François Hollande
La société et la déficience intellectuelle
Les vacances, les beaux jours de la carte postale
L’axe de la vie est avant tout sexuel
Entretien inédit avec le romancier James Salter
Les éditions de l’Olivier rééditent deux des meilleurs livres de James Salter, en attendant la sortie d’un inédit cet automne. Pilote de chasse en Corée, écrivain hors pair, amateur de femmes… Sa prose est aussi fine, précise, tranchante que le fuselage d’un jet, des reflets d’acier. Un timbre prenant, chaque phrase qui porte. Un écrivain pour écrivain? A n’en point douter, même si Salter hait qu’on le désigne comme tel. LeNew York Times dit de lui qu’il est l’auteur le plus sous-estimé de sa génération. Notre échange de propos (voici déjà une dizaine d’années) a eu pour cadre exquis le plus fameux restaurant littéraire newyorkais, l’Algonquin, où Salter tenait à ce que nous nous rencontrions. En tout, l’élégance et la classe !
James Salter : Un grand frisson. Je n’avais pas fait la grande guerre, nous arrivions trop tard, mes camarades et moi. En revanche, de 1950 à 1953, nous avons eu la guerre de Corée. A bord de nos F-86, nous affrontions les Mig-15 soviétiques. C’était quelque chose d’extrêmement intense. Un jeu à la vie à la mort entre soi et un autre pilote, dont on ne sait absolument rien. Vous volez dans l’immensité du ciel, et tout à coup vous apercevez l’ennemi : juste un petit scintillement dans un coin d’azur. Et votre cœur commence à battre plus fort, l’adrénaline monte: ce scintillement, est-ce le seul ennemi? Y en a-t-il d’autres? Où sont-ils? Ils peuvent surgir de n’importe où ! En cinq secondes, un ciel jusqu’alors vide autour de vous s’emplit d’avions. Chaque Mig que nous abattions nous valait une petite étoile rouge peinte sous le cockpit… A partir de cinq, vous étiez considéré comme un as.
Oui, mais c’est que ces jets – les premiers à être engagés dans des combats – étaient des machines fabuleuses auprès desquelles une Maserati fait figure de jouet d’enfant. Un seul problème: il arrivait qu’en plein vol les moteurs s’éteignent… Les faire repartir impliquait qu’on suive toute une procédure… J’étais nouveau, je voulais être certain de pouvoir maîtriser la situation si elle devait se produire. Je l’ai donc provoquée. C’était un acte de pure maîtrise, vous comprenez ?
Karen Blixen, l’auteur de La Ferme africaine, l’a écrit bien avant moi… C’est un paradoxe facile à comprendre: si la vie prend quelque valeur, c’est à cette condition qu’on ne tienne pas tant à elle qu’on s’empêche de vivre. Ce n’est qu’en acceptant les risques, les dangers qu’elle contient qu’on peut en éprouver la vraie profondeur.
Non, mais dans tout groupe, vous avez les excellents, les bons, les moyens, les pas très bons, les nuls. Et la question qu’on se pose toujours, c’est : où est ma place à moi? Qu’est-ce que je vaux? Ça dépend aussi du regard que les autres jettent sur vous: me respectent-ils, suis-je assez bon pour être l’un d’entre eux ? Quand vous rejoignez une escadrille, personne ne vous connaît : c’est à vous d’établir votre propre réputation, de montrer votre valeur, d’assumer les conflits… C’est la même chose dans la vie en général, mais là, c’est immédiatement manifeste. Moi, je n’étais pas un « je m’en-fichiste », ça non! j’étais un officier très réglo, very regular : je suis ennemi du chaos, vous savez. Le jeune pilote de mon livre ne l’est pas tout à fait : il a en lui la volonté de se tenir un peu à part, de la fierté, de l’ambition, le désir d’aller au-delà des autres…
Être jeune, je me dis souvent que c’est comme être à la proue d’un vaisseau. Et cette proue, c’est le présent.Vous connaissez cette impression ? On se sent vivre formidablement comme si l’on avait toute l’immensité du ciel, de l’océan, un immense avenir devant soi. Et puis les années passent … C’est comme si l’on était monté sur le haut d’une dunette: on voit beaucoup plus loin derrière soi, et en avant de soi. On découvre tout un passé qu’on laisse dans son sillage, englouti pour une bonne part. Voilà. Dans tout ce que j’écris, j’essaie de faire sentir ça. Que ce qui existe pour nous en cet instant n’existera pas toujours. L’écriture permet d’autant mieux de ressaisir ces choses précieuses que ce sont elles dont on se souvient: elles nous disent ce qui a vraiment importé dans notre vie.
Ah, ne mélangez pas tout ! (Rires) Je ne joue vraiment pas dans la même catégorie que Proust.
C’est qu’on n’est pas vraiment à l’armée pour écrire des livres ! J’étais commandant, j’avais une place à tenir dans l’escadrille. De plus, j’ignorais complètement si j’étais capable d’écrire. Donc, je n’avais pas du tout envie que cela se sache. Quand la publication de ce premier livre en 1956 m’a donné la certitude que je pouvais écrire, j’ai quitté l’armée.
Je l’ai eu très tôt. Très jeune déjà, j’écrivais des poèmes. J’apercevais Jack Kerouac, le futur auteur de Sur la route, qui était dans la même école que moi, la Horace Mann School, une ou deux classes au-dessus. Comme joueur de football américain, il avait obtenu une bourse pour entrer dans cette école plutôt chic, qui devait lui ouvrir les portes de Columbia University. Quand il a publié son premier livre, The Town and The City (Avant la route), en 1950, je l’ai aussitôt acheté. J’étais épaté, complètement surpris, me disant: ah, peut-être que, moi aussi, je pourrai un jour sortir quelque chose comme ça. Auparavant, il nous avait déjà impressionnés par les nouvelles qu’il écrivait dans le journal de l’école.
Né en 1925, j’ai un an de moins qu’Allen Ginsberg et Neal Cassady, trois de plus que Kerouac. Je suis de la même génération, c’est vrai. Mais eux, les Kerouac, les Ginsberg… traversaient les Etats-Unis en stop, fumaient, prenaient du LSD… Moi, pendant ce temps-là, je pilotais des jets. Mais j’ai rencontré Allen Ginsberg une ou deux fois. La dernière, lors d’une émission télévisée. Il voulait que je batte le rythme avec des cuillers pendant qu’il disait l’un de ses poèmes, Don’t Smoke Cigarettes… Il me prenait de haut et moi, je le trouvais plutôt enfantin. Nous n’étions pas vraiment amis.
Aux yeux de mon père, c’était très important, une chance énorme que je sois sélectionné pour West Point… Je ne voulais pas le décevoir, mais me montrer à la hauteur de cet enjeu. La vie militaire à West Point ne ressemblait pas particulièrement à un pique-nique… Mais c’est comme la prison: au bout d’un moment, vous vous habituez, et ça se confond complètement avec votre vie elle-même. Vous êtes si immergé dans cette vie qui est devenue la vôtre, aux côtés de vos camarades, que vous ne faites plus qu’un avec elle. Une fois que vous vous êtes fait à l’idée, vous lui devenez en somme totalement loyal.
Ça, bien sûr, c’est un élément qui joue un rôle dans plusieurs de mes livres, Cassada ou encore L’homme des hautes solitudes, qui se passe à Chamonix et qui traite de la force de volonté dans l’alpinisme. Alors, sur cette idée de solidarité… Je peux dire qu’à cet égard, j’ai aimé les hommes autant que les femmes. C’est un genre d’amour différent, mais je crois profondément qu’il peut s’établir entre des hommes un type de communication auquel les femmes restent extérieures. Et respectivement. Hommes, femmes… ce sont deux genres distincts, après tout : les instincts, les désirs sont tout à fait autres. Vous ne croyez pas ?
Oui, c’est l’axe principal de la vie. C’est ce qu’il m’a toujours semblé. Un prêtre sera peut-être d’un autre avis. Vous savez, on ne se représente pas vraiment l’extraordinaire diversité des univers : dans chaque tête, un univers infini et différent!
Schopenhauer disait que trois choses sont nécessaires pour qu’une vie soit complète. La vie sexuelle et… j’ai oublié quelles sont les deux autres (rires). J’ai connu la jeune Française dont il est question dans Un sport et un passe-temps alors que j’étais stationné à Chaumont, non loin de Colombey-les-Deux-Eglises, le village de De Gaulle. Vous dire à quel point elle était belle? Un jour à Paris, début des années 60, alors que nous assistions par hasard à un défilé, le général de Gaulle a passé devant nous dans sa voiture, et j’ai distinctement vu son regard se poser sur elle: une fraction de seconde, Charles de Gaulle m’a envié! (rires) Elle était vraiment terrific!
Je ne crois pas à la perfection dans la vie. Vous la rencontrez parfois en art. Quoique même les plus grands livres aient leurs imperfections. Lolita de Nabokov est un chef-d’œuvre, et pourtant, vers la fin, le livre fléchit. Je l’ai lu trois ou quatre fois et, à chaque fois, quand Humbert Humbert retrouve Lolita, je me dis que cette fin ne fait décidément pas partie du même livre. Que, par rapport à ce qui précède, c’est quelque chose de nature différente.
J’ai écrit pendant une quinzaine d’années pour le cinéma, épisodiquement. Environ seize ou dix-sept films, dont quatre ont été tournés : un chiffre qui est dans la norme, le déchet est toujours considérable. Aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir récupérer tout ce temps : être l’auteur de moins de scénarios, et avoir écrit un ou deux bouquins de plus. Bon, il fallait que je gagne ma vie…
En société, nous vivons d’une certaine façon. Mais à l’intérieur de chacun de nous, c’est un monde entièrement différent, totalement anarchique, non ? A preuve qu’on ne dit jamais complètement aux gens ce qu’on pense d’eux. La vie serait impossible.
La vérité est un rasoir extrêmement sensible. Il faut savoir l’appliquer avec prudence et douceur.
Dans le champ médiatique, « l’extrême droite » comme épouvantail
Les cités grecques à la dérive
incapables de construire une flotte, sont souvent des victimes passives.
L'État libre d'Islande, tué par une taxe
La société est en effet constituée de clans divers (les « godhordh ») dirigés par des chefs (les « godhi »). Chaque chef est tenu d'assurer la défense de son clan, d'arbitrer les litiges internes. L'originalité du godhordh est qu'il n'est ni une communauté fermée, ni un territoire. Tout Islandais est libre d'adhérer au godhordh qui lui convient et d'en changer quand bon lui semble, s'il n'est pas satisfait par la façon dont est dirigé le clan. Car le godhordh n'est pas une démocratie élective : le godhi est détenteur de son rang, qu'il peut acheter, vendre, emprunter et léguer, même si son pouvoir ne repose pas sur son appartenance à l'Althing, mais sur la société civile représentée par son clan. En termes modernes, le godhi est davantage un prestataire, dont on évalue la qualité des services rendus à l'aune de la concurrence. Au niveau national, chaque godhordh est représenté dans l'Althing par son chef et deux autres membres. Par ailleurs, la constitution de clans sans considération de position territoriale dans le pays réduit considérablement les différends. Certains auteurs considèrent que la nature non territoriale de l'ordre légal de l'Islande a permis de réduire la violence. Ce droit, par sa nature contractuelle et non territoriale, anticipe la modernité.
Quand à l'économie de cet État libre, elle repose sur l'élevage extensif d'ovins et de bovidés. En raison des conditions climatiques, seule peut être cultivée une espèce de blé noir, ce qui rend les Islandais largement dépendants de l'importation pour les produits agricoles. En revanche, la pêche (saumon, truite, morue et hareng) ainsi que la chasse à la baleine et au phoque, dont on tire l'ivoire, permettent de commercer avec la Norvège, l'Angleterre et l'Irlande et d'obtenir en échange bois de construction, blé, fer, goudron, vin, habits. En comparaison avec les Vikings, les Islandais de cette époque étaient davantage fermiers et commerçants qu'aventuriers et guerriers et n'avaient que peu recours à la violence. En raison même des incitations économiques fournies par le système juridique du pays, les plaignants avaient plus intérêt à saisir la cour qu'à régler par la force leurs différends. En effet, dans le droit islandais, il était prévu pour une victime ne pouvant faire honorer un verdict en raison de la puissance du coupable, de vendre ce verdict, voire de le céder à quelqu'un de plus puissant ayant les moyens de faire appliquer la sanction requise. Tôt ou tard, ce commerce des verdicts avait la vertu de punir réellement le coupable.
Mais une autre raison plus souterraine et de nature économique a contribué à miner l'État libre islandais. L'époque médiévale est une période d'expansion du christianisme. L'Islande n'échappa pas au mouvement. Paradoxalement, alors que la religion fut souvent imposée par le glaive, en Islande, les habitants, essentiellement païens, firent le choix assumé de la conversion en 1096. Ce faisant, les Islandais adoptèrent les obligations du système terrestre du christianisme. L'un d'eux était la « tithe », autrement dit la dîme, une redevance versée en nature ou en argent, taxée sur les revenus agricoles, collectée en faveur de l'Église pour financer l'entretien du clergé et la construction d'églises et de cathédrales. Pour la première fois, une taxe générale était introduite dans le système économique du pays. Fixée à 1 %, elle était surtout le premier impôt proportionnel. Jusqu'alors, le prix payé pour un service était fixe.
Manuel Valls sape la réforme pénale de Christiane Taubira