TOUT EST DIT

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samedi 2 avril 2011

Gbagbo doit être jugé

Pour Laurent Gbagbo, battu lors de la présidentielle ivoirienne de novembre et qui s’accroche au pouvoir depuis, l’histoire pourrait se terminer dans les prochaines heures, et peut-être s’est-elle close pendant l’impression de ce journal. Le mauvais perdant a multiplié les forfaits pour refuser le verdict du suffrage universel, allant jusqu’à organiser une guerre civile pour garder son poste. Il doit être jugé pour ce crime contre la démocratie qui l’a conduit, notamment, à faire tirer sur des femmes désarmées.

L’ancien exilé à Mulhouse, qui a milité pour le multipartisme, s’est comporté comme tous les dictateurs qui l’ont précédé ou qu’il a côtoyés. Il faut le juger aussi pour comprendre comment un militant autoproclamé « démocrate » peut se retourner contre les principes dont il se targue. Et comment, surtout, il peut entraîner un grand courant de pensée mondial dans son sillage : l’Internationale socialiste vient seulement d’exclure – le 19 mars ! — son parti, le FPI, comme elle avait exclu le parti de Ben Ali quatre jours après sa fuite de Tunisie. Drôle, non, cette internationale qui amalgame les dictateurs tant qu’ils sont au pouvoir, et qui les vire quand ils se font éjecter… Drôles aussi (enfin pas vraiment !), ces socialistes français qui, comme l’ancien premier secrétaire Henri Emmanuelli ou l’ancien ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, s’obstinent à soutenir un homme dont on ne compte plus les exactions… Il suffisait pourtant de lire les titres de la presse qui glorifiait Gbagbo pour voir qu’il avait inventé un national-ethno-socialisme de la pire espèce.

Alassane Ouattara a conquis – avec un sérieux coup de pouce de la communauté internationale, qui a étouffé financièrement et économiquement l’usurpateur Gbagbo — la légitimité du président élu. Cette légitimité ne lui donne pas le droit de poursuivre la guerre civile. À lui de remettre la Côte d’Ivoire, qui ne manque pas de richesses, sur la voie du progrès. Et à l’Onu de vérifier qu’il ne confisque pas, à son tour, le pouvoir au seul profit de son clan.

L’utilisation de la force pour faire respecter un verdict électoral en Afrique noire francophone est une première. Jusqu’à présent, les coups d’État étaient la règle et les scrutins des alibis. Même avec quatre mois de retard, la présidentielle ivoirienne peut marquer une étape sur le chemin de la démocratie. On veut le croire. Que la route est longue cependant…

L'heure de vérité en Côte d'Ivoire

La Côte d'Ivoire était plongée hier soir dans une situation aussi confuse que violente, balançant entre le risque d'une guerre civile, toujours possible, et l'espoir d'une libération qu'il restait à transformer. Quelle que soit l'issue de l'assaut final contre Laurent Gbagbo et de la bataille d'Abidjan, un autocrate est en train de tomber. Luttant pour repousser la fin de son règne avec le même acharnement qu'il a mis à s'accrocher à son trône maculé de sang, à réprimer, diviser et enfoncer le pays dans le marasme. Comparaison n'est pas raison mais on est tenté d'avancer des similitudes avec les révolutions arabes au sens où le peuple, d'une certaine façon, a pris son destin en main. En Afrique noire aussi, un régime autoritaire s'est effondré plus vite qu'on l'imaginait. Et ici aussi, la peur, propagée par un pouvoir qui brutalise la population et dilapide les richesses, a changé de camp. Les forces républicaines voulaient en finir avec une situation surréaliste et inique dès lors que les urnes avaient choisi. Gbagbo, quatre mois durant, a nié le suffrage universel. Muré en son palais, il a refusé d'abdiquer avec une obstination suicidaire. Autour de lui, les rats ont quitté le navire. Gendarmes et policiers ont rallié Alassane Ouattara. Lui seul incarne la légalité, la légitimité populaire. Il a reçu l'onction d'une communauté internationale qu'on a peut-être critiquée un peu rapidement. Les forces pro-Ouattara ont été saluées pour leur professionnalisme dans la prise éclair d'Abidjan. Or, il a bien fallu qu'elles soient conseillées, entraînées... Nul ne sait ce que le régime aux abois du « Néron ivoirien » réservait. On sait juste de quel cynisme aveugle il était capable...

Sauvez le soldat Ashton

Alors que la crise libyenne se déroule aux portes de l’Europe, le Haut réprésentant pour la politique extérieure de l’UE est totalement absent de la scène. C’est à se demander si son poste a encore un sens, écrit l’analyste José Ignacio Torreblanca. 

D’abord la Tunisie, ensuite l’Egypte, puis la Libye. L’UE n’avait rien vu venir ; elle a systématiquement tardé à réagir, pire elle s’est montrée extrêmement divisée sur la conduite à tenir. Elle a au moins eu le mérite de le reconnaître. Soyons honnêtes : d’abord, les capitales portent une responsabilité plus lourde que Bruxelles dans l'échec de cette politique méditerranéenne et elles n'ont pas rendu de compte pour cela.
Ensuite, la lenteur de leur réaction est compréhensible : la prudence est toujours le réflexe naturel de la diplomatie, une réalité à laquelle même Obama a été confronté, lui qui est pourtant à la tête d’une immense machinerie diplomatique. Enfin, cette division entre Européens est dans une certaine mesure tout aussi inévitable : chaque Etat membre a sa propre histoire et ses propres intérêts, parfois difficilement conciliables.

Un énorme budget pour une politique qui ne décolle pas

C’est un point qu’on oublie trop souvent. Or, si l’unité avait prévalu dès le départ, il n’y aurait pas eu besoin de dirigeants, ni d’institutions pour créer une politique extérieure commune, mais seulement des fonctionnaires pour l’exécuter docilement. Et c’est précisément la raison pour laquelle nous avons besoin de dirigeants et d’institutions européennes : afin d’élaborer des politiques communes à partir d’intérêts divergents. Voilà pourquoi nous nageons en plein paradoxe. Pendant 10 ans nous avons déploré le manque d’institutions européennes en matière de politique extérieure.
Le Haut Représentant [pour la politique étrangère], Javier Solana, avait beaucoup de bonne volonté, mais peu de moyens et des institutions faibles, ce qui l’obligeait à passer d’une crise à l’autre à bord d’avions prêtés pour l’occasion tout en se débrouillant avec une équipe réduite au stricte minimum et un budget de fonctionnement inférieur à celui consacré par la Commission européenne au nettoyage des bâtiments officiels. Aujourd’hui, semble-t-il, nous sommes confrontés à la situation inverse.
Nous sommes enfin dotés d’un ministère des Affaires étrangères européen qui ne s’avoue pas comme tel mais n’en possède pas moins toutes les qualités. Nous l'avons doté d'un énorme budget, de son propre service diplomatique, et mieux encore, de tout le pouvoir qui jusqu'alors était fragmenté entre trois institutions (le Conseil, la Commission et la présidence tournante de l’Union), qui se chevauchaient et ne cessaient de se contredire.
Forte du traité de Lisbonne, l'Europe est une et trinitaire, et la Haute représentante est toute-puissante. Et pourtant, sa politique ne décolle pas. En somme, nous avons enfin les institutions, mais nous n'avons toujours personne, apparemment, pour exercer un leadership fort.
Les révolutions arabes ont mis la politique étrangère européenne à rude épreuve. Après un an et demi à ce poste, Ashton est de plus en plus critiquée, parfois avec raison, parfois injustement. Les médias l'accusent d'être allergique aux feux de la rampe, de fuir la presse, de préférer rester discrètement au second plan. Et dans les capitales nationales, elle ne suscite pas non plus d'enthousiasme.

La Syrie d'El Assad : le test pour les chancelleries européennes

Ainsi, lors du Conseil européen extraordinaire sur la Libye, Sarkozy a tancé publiquement Ashton pour sa passivité, sans que personne ne prenne sa défense, pas même son compatriote Cameron. Ses défenseurs font valoir qu'Ashton s'est vu confier une mission impossible : faire le travail de trois personnes et régner sur 27 ego nationaux qui se considèrent tous plus compétents qu'elle. Ils ont tous partiellement raison, et par là même partiellement tort : Ashton ne veut pas taper du poing sur la table, alors que Sarkozy adore le faire. Quand on voit la surenchère d'El Assad en Syrie et les précédents de la Tunisie, de l'Egypte et de la Libye, il est évident que le soldat Ashton risque fort de rester isolé derrière les lignes ennemies.
Aussi est-il urgent d'organiser une mission de sauvetage pour préserver la suite de son mandat, dont il lui reste encore trois ans et demi. Idéalement, ce devrait être les ministres de Affaires étrangères des Vingt-Sept qui se portent volontaires pour le sauvetage et insuffler de l'énergie à la politique étrangère européenne. Mais y sont-ils vraiment prêts ? N'est-ce pas eux, qui par leurs actes, mais aussi leurs omissions, sont les principaux responsables de la situation actuelle ? Nous aurons bientôt la réponse à ces questions quand nous saurons jusqu'où ils sont prêts à aller avec la Syrie d'El Assad, elle aussi tellement choyée par de nombreuses chancelleries européennes.

Une gendarmerie aux abonnées absentes...

Il n’est pas si facile de tourner la page de la Françafrique. L’épilogue de la crise ivoirienne montre à quel point la place de la France est désormais ambiguë dans les états du continent qui furent ses colonies. On peut se demander ce matin ce qu’il reste des liens particuliers que le Général de Gaulle avait établis, après l’indépendance de la Côte d’Ivoire avec celui qui avait été son ministre, le président Houphouët-Boigny, et s’interroger sur l’évolution, incertaine, des relations entre les deux pays.

La prise effective du pouvoir par Alassane Ouattara, dont l’élection a été ardemment soutenue dès le départ par Paris, est plutôt une bonne nouvelle pour le gouvernement français. C’est avec plaisir qu’il verra disparaître de son horizon diplomatique un Laurent Gbagbo qui entretenait avec lui des relations conflictuelles depuis dix ans, mêlant la méfiance aux soupçons de recolonisation rampante, quand elles ne dérivaient pas franchement vers des épisodes de provocations violentes.

La France n’en donne pas moins le sentiment d’avoir attendu le dernier moment, et l’offensive foudroyante des forces pro-Ouattara, pour définir dans l’urgence un positionnement et une stratégie. Très engagé sur le terrain libyen après avoir été étonnamment passif durant les premiers épisodes du printemps arabe, Nicolas Sarkozy a semblé délaisser également un conflit ivoirien embourbé et ingrat qui aurait dû, toutefois, le mobiliser davantage. En investissant sans relâche, et courageusement, son énergie sur le terrain libyen, il a pu donner l’impression de préférer Benghazi à Abidjan... Au point de susciter cette question: à l’inverse de ses prédécesseurs à l’Élysée, l’Afrique noire l’intéresse-t-il ?

On ne peut reprocher à l’Élysée de se placer dans la continuité des accords de Marcoussis (2003) qui ont, de fait, volontairement limité le pouvoir d’intervention des soldats français en le plaçant dans le cadre, multinational, de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). De même, la réduction de la Force Licorne, présente à Abidjan, passée de 5 000 à 900 hommes en sept ans, s’est inscrite dans une révision des accords bilatéraux qui voulait changer la nature, paternaliste, qu’avait fait prévaloir l’ancienne puissance coloniale depuis 1961. Il n’empêche: ces deux évolutions majeures, dont les intentions étaient louables, ont cantonné aujourd’hui la France dans un rôle si secondaire qu’il surprend nos quelques 12 500 ressortissants inquiets devant les inévitables dérapages d’une situation explosive qui peut à tout moment dégénérer. Les soldats tricolores seront-ils en mesure d’assurer seulement leur sécurité après que l’armée française ait renoncé depuis longtemps à servir de gendarme de cette partie du continent où elle avait encore une part de son histoire ?

Zapatero : "L'Europe n'est pas parfaite, mais c'est ce que nous avons de mieux"

La crise économique a brutalement mis un terme à quinze ans de croissance ininterrompue en Espagne. Le taux de chômage, qui avait chuté de plus de 20 % à moins de 8 % des actifs, a retrouvé son niveau antérieur en l'espace de quelques mois. La popularité du président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, a suivi le même mouvement. Au point que la plupart des observateurs de la politique espagnole jugent que le président socialiste du gouvernement ne sera pas en mesure de briguer un troisième mandat lors des élections législatives du printemps 2012.
M. Zapatero a répondu aux questions du Monde et de quatre autres journaux européens – The Guardian, El Pais, Der Spiegel et la Gazeta Wyborcza.
La pression est forte pour que le Portugal accepte un plan de sauvetage. Le gouvernement portugais doit-il s'y plier ?
La volonté du Conseil européen et des institutions européennes, c'est que le Portugal puisse continuer à se financer. Pour cela, il est fondamental que le Portugal applique le plan d'ajustement présenté par José Socrates au Parlement. Comme ce plan n'a pas été approuvé, l'engagement des partis de gouvernement qui s'affronteront aux élections est essentiel. J'ai confiance en la capacité de José Socrates à surmonter cette situation difficile. Par conséquent, il ne me paraît ni adapté, ni bon, pour le Portugal et pour la zone euro, qu'il demande une aide financière.
Craignez-vous que l'Espagne puisse se trouver dans une situation similaire ?
C'est une question que l'on ne me pose plus. J'ai toujours dit que cette possibilité était exclue. Il y a six mois, elle était écartée à 90 %, aujourd'hui elle l'est à 99,9 % ou à 100 %.
Lors du dernier sommet de l'Union européenne (UE), vous avez annoncé de nouvelles mesures. Où en est leur application ?
D'abord, nous respecterons strictement les objectifs de déficit pour cette année. Nous avons un plan pour faire émerger et régulariser les emplois au noir et nous avons une batterie de mesures en faveur de la formation professionnelle. Le processus de réforme du système financier avance. Enfin, après une phase de concertation au Parlement, nous allons réformer la loi de finances pour maîtriser, de manière structurelle, les dépenses publiques et le déficit. Nous voulons aussi associer à la maîtrise des dépenses publiques les régions autonomes à travers un grand pacte.
A quelle hauteur voulez-vous limiter le déficit public ?
Cela fera partie de la négociation politique. Le but, c'est que les dépenses publiques n'augmentent pas plus vite que la croissance ; qu'en cas d'excédent, celui-ci ne soit pas affecté à des dépenses courantes mais à la réduction de la dette ; et qu'en cas de déficit, on applique des plans d'économies stricts.
Qu'est-ce qui a fait le plus de mal à l'UE : la crise elle-même ou la réticence à réagir vite de certains Etats, dont l'Allemagne ?
Nous aurions tous aimé une réaction plus rapide. Mais l'UE, c'est 27 pays différents, et parfois distants. Et entre pays démocratiques, il y a quelque chose qui s'appelle le processus de prise de décision. Il est très fréquent qu'au Conseil européen, l'Espagne soit avantagée parce que son Parlement est très européiste et que les décisions qui concernent l'Europe y trouvent en général un large soutien. Par exemple, ici, pas une voix n'a discuté le prêt que nous avons fait à la Grèce ou la partie qui nous revenait dans l'aide à l'Irlande. Certains Parlements en Europe discutent jusqu'au dernier centime ! C'est ainsi. J'ai assisté à certains débats, au Conseil, où des premiers ministres arrivent avec un mandat impératif de leur Parlement. Je l'ai encore vu au dernier Conseil.
C'est une allusion à l'Allemagne ?
Il y a plusieurs pays dans ce cas. Le Parlement allemand se prononce toujours et il pose des conditions à la chancelière.
Certains, à gauche, disent qu'en économie, vous faites le "sale boulot" de la droite. En quoi votre politique diffère-t-elle de celle de David Cameron ?
C'est se payer de mots. Le gouvernement fait les réformes nécessaires pour le pays. Il est vrai que, ces derniers temps, on identifie le mot réforme à celui de coupes budgétaires. Dès qu'un citoyen entend parler de réformes, il s'imagine le pire. Mais toutes les réformes n'impliquent pas moins de droits. Qu'avons-nous fait en Espagne ? Deux mesures d'économie ont affecté les citoyens : la baisse de 5 % des salaires des fonctionnaires et la non-revalorisation, pendant un an, des pensions de retraites, exception faite des plus faibles. Les autres mesures (réduction des investissements, réforme du marché du travail, des retraites) sont de simples changements absolument indispensables pour que notre économie soit compétitive.
Un projet de gauche doit miser sur la production de richesse, la compétitivité et l'innovation. La différence fondamentale entre la gauche et la droite, c'est la capacité à redistribuer et à éliminer les obstacles à l'égalité des chances. De tous les pays européens qui ont souffert de la crise, je crois que l'Espagne sera le seul à ne pas avoir réduit les dépenses d'éducation (cette année, malgré les économies, nous aurons un nombre inégalé de bourses et nous atteindrons pour la première fois 5 % du PIB pour l'éducation), de la santé (nous continuons d'avoir un service de santé gratuit et universel à 100 %) et de dépendance. Par conséquent les grands piliers de l'Etat social ont été préservés.
Un gouvernement est aussi de gauche quand il aide ceux qui souffrent le plus de la crise, c'est-à-dire ceux qui ont perdu leur emploi. Malgré la crise, nous avons atteint le plus fort taux de chômeurs indemnisés de notre histoire (75 %). Le grand bloc de politiques sociales a été maintenu en dépit de la grande réduction des dépenses.
Ça ne serait pas plus simple en augmentant les impôts des plus riches ?
Nous l'avons aussi fait, pour l'impôt sur le revenu et sur le capital. Mais la politique fiscale a ses limites, car si on augmente les impôts des entreprises, sur les bénéfices et le travail, on rogne la capacité économique. Dans une grave crise économique, augmenter la pression fiscale de manière substantielle peut freiner la reprise. Ce qu'il faut faire, ce sont les réformes pour favoriser l'activité, améliorer la formation, assainir le système financier, désendetter l'économie. En Espagne, l'endettement a été le fait du secteur privé, pas du public. Dans la crise, le secteur public a dû assumer une part de la dette du privé. Au début de la crise, le déficit extérieur représentait 10 % du PIB. Nous sommes aujourd'hui tombés à 3,9 % du PIB.
Face à la crise, aux révoltes arabes, certains jugent l'UE paralysée, sans leader ni projet, peu solidaire. Est-ce votre analyse ?
Nous vivons une époque de grands changements. La capacité de croissance s'est déplacée vers l'Asie et les pays émergeants. C'est une bonne chose. Des dizaines de millions de personnes dans le monde sortent de la pauvreté et intègrent les classes moyennes. Ce rééquilibrage de la richesse et des capacités de développement se stabilisera. L'Europe souffre aujourd'hui de ce mouvement. Elle peut réagir de deux manières. Soit en restant immobile et en accusant les émergents. Soit en se transformant et en se réjouissant de cette évolution. Et ne pas rester immobile, cela suppose plus d'Europe. La seule façon pour que notre énergie soit plus compétitive, que nos universités fassent pièce à celles d'Amérique du Nord, que notre recherche ait le même potentiel… c'est en nous unissant sur des projets européens. C'est la réponse si nous voulons maintenir notre modèle social.
Seconde transformation à attendre de l'essor de la communication et du savoir: les changements politiques. Plus il y a d'information et de savoir, plus il y a de démocratie. C'est ce que l'on voit dans les pays arabes. Nous allons vers des temps de plus grande démocratie. L'Europe est l'unique puissance présente dans les changements qui se produisent au sud de la Méditerranée. Bien sûr, on aimerait que ce soit de façon plus organisée, plus unie, également en matière de défense. Mais qui a été à l'origine de la résolution du conseil de sécurité pour intervenir en Libye? Deux pays européens, la France et l'Angleterre. Je crois que c'est significatif.
Mais volonté politique et capacité à demeurer un modèle ne sont-elles pas ébranlées en Europe ?
Non. Nous sommes dans un processus de réponse à la crise où la crise est plus visible que la réponse, mais, à la sortie, on aura un approfondissement de l'Europe, une Europe plus unie. L'Europe n'est pas parfaite, mais c'est ce que nous avons de mieux.
Vous apprêtez-vous à annoncer que vous ne vous représentez pas aux élections générales de 2012 ?
Ma réponse est très concrète: je ne vais pas annoncer ce que je vais annoncer ou ce que je ne vais pas annoncer! Il y a déjà assez de gens qui parlent de cela. Une réflexion évidente: la stabilité politique, parlementaire, est très importante pour accomplir la tâche qui nous revient dans le domaine économique. Ce travail, je le fais, le gouvernement est en mesure d'affirmer qu'il ira au terme de la législature avec l'appui parlementaire suffisant et ça, c'est une très bonne nouvelle économique!
Quel sera votre rôle dans la campagne des élections municipales et régionales du 22mai ?
Comme toujours, actif dans la mesure du possible. J'expliquerai que nous sommes sortis de la crise, grâce à qui et en dépit de qui.
L'Espagne est sortie de la crise ?
La croissance est déjà positive, nous sommes hors de danger quant aux risques de la dette et proches du thermomètre final qu'est la création d'emploi. Nous en sommes tout proches.

Avant de laisser flotter sa devise, la Chine souhaite l'internationaliser

Après le séminaire G20 de Nankin, au cours duquel le président français Nicolas Sarkozy a tenté d'ouvrir, jeudi 31 mars, une rélfexion sur la réforme du système monétaire international, Le Monde a demandé à Zhang Ming, directeur adjoint du département de finance internationale au sein de l'Institut de la politique et de l'économie mondiale de l'Académie des sciences sociales chinoises, comment Pékin envisage l'avenir de la devise chinoise, le yuan-renminbi (RMB).

Le gouvernement chinois mise beaucoup sur l'internationalisation du renminbi, la devise chinoise. Quels en sont les principes, et comment mesurer ses avancées ?
Je doute qu'à l'origine, le gouvernement chinois ait eu une feuille de route très précise sur la question. C'est la crise des subprimes qui l'a poussé à accélérer le rythme de l'internationalisation du renminbi. La méthode actuelle est très gradualiste. Ça a commencé avec la facturation des échanges transfrontaliers libellés en renminbi.
Bientôt, il sera possible pour des entreprises chinoises d'investir à l'étranger en renminbi. L'idée principale est de parvenir à développer une plateforme offshore pour le renminbi, à Hongkong. Au début, tout s'est fait lentement : la facturation en yuan ne portait, en 2009, et jusqu'au milieu de l'année 2010, que sur quelques milliards de yuans.
Puis, à partir de mi-2010, il y a eu deux grandes avancées : d'abord, l'expérience a été élargie à une plus grande échelle, de cinq villes chinoises à l'origine, à 20 provinces aujourd'hui. Et un plus grand nombre d'entreprises chinoises ont été autorisées à y prendre part. Les contraintes ne sont pas strictes, donc le nombre de participants a toutes les chances de grossir.
Le volume des échanges extérieurs libellés en renminbi a ainsi augmenté très vite depuis le second semestre de l'an dernier. Il a atteint à la fin de l'année 500 milliards de yuans, soit environ 2,5% du commerce extérieur. Attention, 70 % de ce commerce libellé en renminbi a toutefois lieu pour l'instant avec des entreprises de Hongkong. Dans 80 % des cas, il s'agit d'importateurs chinois qui sont facturés en renminbi.
L'avantage, c'est que le jour où par exemple, 20% du commerce extérieur chinois est libellé en renminbi, la Chine n'aura pas à accumuler tant de réserves de change. Et cela réduit aussi les risques de change pour les entreprises.
La seconde avancée, c'est l'accord signé l'an dernier entre la banque centrale chinoise et les autorités monétaires de Hongkong pour autoriser les entreprises étrangères à détenir à Hongkong des comptes en renminbi dans les banques commerciales de la Région administrative spéciale. Les dépôts en renminbi à Hongkong ont donc aussi gonflé très vite, jusqu'à atteindre 360 milliards fin 2010, plus de la moitié étant le fait de sociétés (contre à peine 1 % en 2009), l'autre moitié étant des particuliers résidant à Hongkong.
Le consensus, aujourd'hui, c'est que les dépôts en renminbi à Hongkong pourraient atteindre les deux trillions de yuans d'ici la fin 2012. Ce qui serait suffisant pour permettre la création d'un marché boursier en renminbi. Il y a une forte probabilité que ce marché soit d'ailleurs lancé dès cette année.
Quelle fonction remplira cette plateforme offshore de renminbi et quelle place fera-t-elle aux mécanismes du marché ?
Si le marché offshore du yuan à Hongkong se développe assez vite, il pourra attirer des flux de renminbi en provenance de pays frontaliers de la Chine, où de plus en plus de devises chinoises circulent, comme le Vietnam, le Laos, la Mongolie. Ces pays qui peuvent ensuite avoir intérêt à réinvestir leurs renminbi quelque part. Si, par exemple, une société chinoise réalise un investissement en renminbi dans un pays d'Amérique latine, celui-ci peut souhaiter les garder et bénéficier d'une appréciation future de la devise chinoise.
La plateforme offshore de Hongkong permettra ainsi à ces entreprises étrangères ou à ces pays de placer leurs RMB quelque part, par exemple dans des obligations dim-sum, ou divers produits financiers en renminbi. Plus ces placements sont attractifs, plus cela renforce la motivation d'investir en renminbi à Hongkong.
Il y a déjà une forte demande pour le renminbi dans les pays voisins de la Chine, et on a vu que dès que les entreprises chinoises ont eu l'autorisation de commercer en renminbi avec l'étranger, un grand nombre d'entre elles l'ont fait. Cette évolution n'est donc pas seulement impulsée par une politique, elle s'inscrit également dans une dynamique de marché, dans un contexte de forte attractivité du renminbi.
L'autre objectif de cette réserve offshore de renminbi, est que la Chine ne peut pas libéraliser du jour au lendemain son régime de change. Le gouvernement chinois souhaite utiliser Hongkong comme un terrain d'expérimentation. Le marché de taux de change à terme donne une indication de la demande : par exemple, actuellement, un taux de change à terme du RMB par rapport au dollar de Hongkong peut être supérieur de 3 % au taux de change spot. Plus ce marché offshore est volumineux, plus il permet de mesurer les anticipations des acteurs et d'ajuster la politique de change.
Le Japon a tenté, en vain, dans les années 80-90, d'internationaliser sa devise. Quelles leçons en tire la Chine ?
L'expérience nipponne offre des enseignements précieux. D'une part, il faut, pour internationaliser sa devise, pouvoir garder un fort rythme de croissance économique et se méfier des trop fortes variations, comme les bulles. Ce qui oblige à éviter de poursuive une politique monétaire trop souple. Or, après la crise financière globale, le gouvernement chinois a très fortement assoupli sa politique monétaire, et on a vu apparaître des risques de bulles, notamment dans l'immobilier. Il est donc indispensable que la politique monétaire se normalise.
La deuxième raison de l'échec japonais, c'est qu'il est nécessaire pour internationaliser sa monnaie d'avoir une structure de commerce extérieur équilibrée. Plus de 50 % des importations japonaises étaient le fait de matières premières et d'énergie, libellées en dollar. Dans le cas de la Chine, il y a peu de chance certes qu'elle puisse facturer une grande partie de son commerce extérieur avec les Etats-Unis ou l'Europe en renminbi. En revanche, la solution pour elle est de concentrer ses efforts sur les pays d'Asie comme l'Asean, et peut-être aussi l'Afrique et l'Amérique latine.
La Chine bénéficie de volumes d'échanges de plus en plus élevés avec ces pays, et tisse avec eux des relations capitalistiques. Imaginez qu'une entreprise chinoise investisse en renminbi dans un de ces pays, par exemple l'Afrique. La société africaine peut utiliser ces renminbi pour acquérir des équipements en Chine ou bien des produits chinois.
Il y a déjà des efforts dans cette direction : par exemple, la Chine est parvenue à un accord avec la Brésil pour qu'à l'avenir, le commerce bilatéral en énergie et en matières premières soit libellé en devise locale. La Chine et la Russie pourrait également passer ce genre d'accord.
Comment s'articulerait la proposition de donner à l'avenir un plus grand rôle aux DTS (droits de tirage spéciaux) dans le système monétaire mondial, discutée ces derniers jours au séminaire du G20 à Nankin, avec cet effort d'internationalisation du renminbi ?
La Chine n'est sans doute pas contre l'idée de se doter dans le futur d'une devise super-souveraine. Tout dépend de la volonté des Etats-Unis de voir le dollar abandonner son rôle de devise de référence, et de l'avancée des discussions collectives. Mais pour le gouvernement chinois, un moyen plus réaliste de progresser est de promouvoir l'internationalisation du renminbi et d'exercer un rôle plus actif dans la coopération monétaire en Asie de l'Est. Je ne pense pas que le gouvernement chinois considère que l'internationalisation du yuan et la question des DTS soient antinomiques.
Pour pousser plus loin la collaboration au niveau des DTS, il faudra d'abord qu'il y ait des monnaies fortes capables de concurrencer le dollar, comme l'euro bien sûr, mais aussi par exemple, une combinaison yuan-yen. Et la manière d'y parvenir, c'est de faire jouer au renminbi un rôle international plus important. Mais ceci est un objectif à court et moyen terme.
Les DTS sont un objectif à plus long terme. Mais en parler dans le cadre du G20 est une très bonne idée, et c'est à cela que le G20 devrait servir. La convertibilité du renminbi reste également un objectif, et l'internationalisation du yuan ne la met nullement en cause.
Le gouvernement chinois a déclaré qu'il ferait de Shanghai une place financière mondiale d'ici 2020, donc on est amené à penser que c'est à cet horizon qu'elle pourrait avoir lieu.