TOUT EST DIT

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lundi 10 juin 2013

LA THÉORIE DU GENRE NE TIENT PAS LA ROUTE


Michelin: la direction confirme la suppression de 700 postes


Après les informations divulguées par les syndicats, la direction du fabricant de pneumatiques confirme l'arrêt de l'activité poids lourds de l'usine de Joué-les-Tours, soit 700 postes.

Michelin a annoncé ce lundi son intention d'arrêter de produire des pneus poids lourds sur son site de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) à partir du 1er semestre 2015, ce qui entraînerait la suppression d'environ 700 postes.
Le géant du pneumatique veut regrouper la production de pneus poids lourds, victime de la baisse de la demande en Europe, dans son usine de La Roche-sur-Yon (Vendée). Michelin a aussi annoncé qu'il va arrêter de produire des pneus poids lourds en Algérie fin 2013. Cette décision s'explique par la forte baisse de la demande pour ce type de pneus en Europe, selon Michelin.

"Si l'usine doit brûler, elle brûlera"

Le représentant syndical CGT de l'usine Michelin de Joué-lès-Tours, a exprimé ce lundi la colère des salariés en assurant que "si l'usine doit brûler, elle brûlera". "Ce matin, il a fallu calmer les esprits. Certains étaient prêts à mettre le feu aux pneus. Si l'usine doit brûler, elle brûlera", a déclaré Claude Guillon, délégué CGT, quelques minutes après la confirmation par la direction de l'arrêt en 2015 de la production de pneus pour poids lourds à Joué-lès-Tours.
"Après la résignation vient la révolte. On n'ira pas à l'extérieur de l'usine, on restera dedans. Mais il y a de l'argent dans l'usine. Si Michelin n'est pas capable de négocier correctement, il y perdra plus que les salariés ne vont y perdre", a poursuivi le syndicaliste."Nous sommes déterminés. On a eu l'exemple de Poitiers (qui a fermé en 2006, ndlr) où les gens ont été maltraités, méprisés, roulés dans la farine", a rappelé M. Guillon. A Joué-lès-Tours, "nous avons un moyen de pression, l'atelier qui fait du calandrage et qui fournit 25 à 30% des usines en Europe. En bloquant cet atelier pendant une semaine, on arrêtera 20 à 25% des usines en Europe", a-t-il menacé.

200 emplois maintenus sur 930

La capacité de production de ce site passerait ainsi de 800.000 à 1,6 million d'unités par an d'ici 2019 et 170 postes seraient créés. Joué-lès-Tours serait "alors spécialisé dans les produits appelés 'semi-finis'", précise Michelin, avec à la clé le maintien d'environ 200 emplois sur les 930 existant actuellement.
730 postes seraient ainsi supprimés. "250 pourraient bénéficier d'unaménagement de fin de carrières" et les autres se verront proposer "deux postes correspondant à (leurs) compétences sur un autre site de Michelin en France", selon le communiqué.

Modernisation du centre de recherche de Clermont-Ferrand

Michelin veut parallèlement augmenter sa production de pneus de génie civil et agricole dans l'Hexagone, moderniser son centre de recherche et d'innovation à Clermont-Ferrand et investir en tout "environ 800 millions d'euros en France de 2013 à 2019".
Il va en revanche céder ses activités de fabrication de pneus poids lourds et de ventes en Algérie à la société algérienne Cevital et arrêter de fait la production de pneus poids lourds dans ce pays fin 2013. Cevital "s'est engagée à proposer à chacun des 600 salariés de l'usine un emploi dans une de ses activités dans le pays".
UN LANGUAGE CLAIR D'UN SYNDICAT AUX ABOIS, LA CGT EST EN PERDITION...SA MORT EST LÀ

Alain Madelin : le Medef doit arrêter "de tendre sa sébile à l'État"

L'ex-ministre de Juppé est sévère sur les revendications du Medef. Fin des 35 heures, baisses de charges... Deux mauvaises idées, selon ce grand libéral.


Être libéral ne revient pas à défendre le patronat. Pas pourAlain Madelin en tout cas. L'ancien ministre libéral, aujourd'hui à la tête d'un fonds d'investissement, estime que le Medef a tout faux. La TVA sociale qu'il réclame, ou sa version gouvernementale - le crédit d'impôt compétitivité-emploi ,- revient à faire "payer aux consommateurs une part de leurs salaires". Quant aux 35 heures, elles sont négociables dans chaque entreprise depuis 2008 ! Les vraies solutions libérales seraient ailleurs. 
Le Point : Deux candidats pour la présidence du Medef sont toujours en lice. Pierre Gattaz et Geoffroy Roux de Bézieux. Mais pour vous, quel que soit le choix des chefs d'entreprise, cela ne changera pas l'ADN du patronat français...
Alain Madelin : Chaque candidat a ses qualités, entre un Medef d'entreprise familiale et patrimoniale - dont on a besoin (Pierre Gattaz, NDLR) - et un Medef d'entrepreneuriat (Roux de Bérieux, NDLR). La question est de savoir quelle est la doctrine de l'organisation. Je suis un peu triste de la voir s'enfermer dans des revendications difficiles à défendre.
Par exemple ?
Sur la compétitivité, il faut mettre l'accent sur celle de l'État qui doit gagner en productivité. La compétitivité des entreprises passe, elle aussi, par des gains de productivité et donc l'investissement. Or le patronat - il est vrai écrasé par les impôts et les charges - essaie simplement d'obtenir une baisse du coût du travail.
S'il est écrasé par les charges et l'impôt, cette demande est légitime, non ?
Si vous comparez à d'autres pays, dont l'Allemagne, le coût du travail a effectivement augmenté enFrance. Mais ce n'est pas sous le poids des charges et de la fiscalité. Simplement, les salaires ont augmenté plus vite que les gains de productivité. Le patronat demande donc à l'État de reprendre de l'argent aux salariés via l'impôt pour le redonner aux entreprises. Par exemple, sous la forme d'une TVA sociale, ce qui revient à faire payer aux consommateurs une part de leur salaire. Or, le surcoût du travail par rapport à la productivité résulte d'un mauvais dialogue social. Il faut aborder le coût du travail avec beaucoup de prudence, car la situation n'est pas la même d'une entreprise à l'autre ni d'une branche à l'autre. L'exemple de Toyota montre qu'on peut produire des voitures en France au coût du travail français tout en étant compétitif. Je ne vois pas en quoi le crédit d'impôt compétitivité-emploi, qui fait surtout baisser le coût du travail à La Poste ou dans la grande distribution, est de nature à améliorer la compétitivité de la France. C'est pourquoi, à mes yeux, le Medef ne devrait pas dire qu'il faut baisser les salaires pour être plus compétitif - ce qui a été fait, c'est vrai, en Grèce ou en Espagne -, car, à ce compte-là, on ne baissera jamais assez le salaire des Français. La preuve, le gouvernement a eu beau faire un énorme cadeau de 20 milliards aux entreprises, certains réclament pas moins de 50 milliards de plus. Cela veut dire qu'on n'en fera jamais assez. Le Medef devrait défendre l'augmentation de la productivité pour que la France puisse s'offrir notre coût du travail. Il doit plaider pour une politique de réinvestissement massif. Cela passe par une compétitivité de la fiscalité du capital. Or lorsque même l'ancienne majorité s'est mise à dire qu'il fallait aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, on n'a pas trop entendu le patronat.
Vous dites en somme que le gouvernement a tout faux, qu'il faut faire exactement l'inverse de ce qu'il a entrepris...
Oui, les mauvais gouvernements suscitent de mauvais patronats. Pourquoi ? Sachant que le Medef ne peut pas obtenir de réforme de fond, il se rabat sur des réformes beaucoup plus médiocres qu'il a des chances d'obtenir. Je comprends que le Medef se dise "les réformes sont tellement difficiles à mener qu'il faut trouver tous les prétextes pour reprendre de l'argent. Récupérons de l'argent grâce à la TVA sociale, grâce aux investissements d'avenir, par le crédit d'impôt compétitivité..." J'aimerais bien qu'il se réclame un peu plus du "laissez-nous faire" plutôt qu'il se tourne à chaque instant vers l'État, dont il se plaint par ailleurs parce qu'il ne lui laisse pas assez de liberté. L'accord intervenu avec les partenaires sociaux le 11 janvier sur le marché du travail est excellent de ce point de vue : non pas tant pour ses acquis concrets que par la méthode : celle d'un vrai paritarisme.
Une autre revendication des patrons, qui remonte beaucoup du terrain, c'est de mettre définitivement fin aux 35 heures...
D'abord je rappelle que les entreprises reçoivent plus de 22 milliards d'allègement de charges sociales (dont beaucoup au titre de la réduction du temps de travail, NDLR) auxquels elles n'entendent pas renoncer ! Les entreprises à fort taux de main-d'oeuvre sont donc encouragées au détriment des entreprises plus capitalistiques, ce qui n'est pas forcément bon pour la compétitivité. Deuxièmement, la loi de 2008 sur le temps de travail est exemplaire : elle privilégie l'accord d'entreprise sur l'accord de branche et l'accord de branche sur la loi pour la fixation de la durée du travail. La souplesse contractuelle existe donc déjà, même si elle peut être perfectionnée. Tout abandon de la durée légale du travail serait incompatible avec le droit européen et empêcherait de fixer le seuil au-delà duquel le salarié est payé en heures supplémentaires. La vraie question est celle du fonctionnement du marché du travail qui ne permet pas une bonne allocation des talents ni une bonne formation professionnelle. Ce fonctionnement fausse la formation du prix du travail via le smic et les effets de seuil liés aux allègements de charges sur les bas salaires.
Faut-il alors supprimer le smic et garantir le revenu des travailleurs modestes via une allocation du type du RSA ?
C'est à aborder avec beaucoup de prudence. Nous avons une vraie paupérisation en France, avec la "smicardisation" de la société et la baisse du salaire moyen. Le nombre des familles qui vivent dans l'angoisse de la fin du mois ne cesse d'augmenter. Je déconseille donc de toucher au smic, même s'il peut effectivement constituer une barrière à l'entrée sur le marché du travail pour les personnes à faible productivité. La logique voudrait qu'on réfléchisse, à terme, à une fixation du smic dans chaque profession et à sa régionalisation, car le coût de la vie n'est pas le même à Paris ou en Moselle. En attendant, peut-être peut-on jouer avec le RSA comme l'avait esquissé Lionel Jospin. Personnellement, je réfléchirais à l'utilité d'un vrai revenu familial minimum garanti en fusionnant les minimas sociaux, du RSA et de la prime pour l'emploi, ce qui serait un moyen, certes imparfait, de traiter le cas des travailleurs pauvres.
Au final, vers qui irait votre préférence pour cette élection au Medef ?
Je n'ai pas encore regardé les programmes. Mais je me tournerais vers celui qui tendrait le moins sa sébile vers l'État et qui se réclamerait du "laissez-nous faire, laissez-nous entreprendre". Malheureusement, le patronat français n'aime pas la concurrence. C'est pour cela qu'il faut un gouvernement fort pour l'imposer aux patrons. Si vous n'aimez pas la richesse, que vous n'aimez pas les patrons, si vous pensez que ce sont des pilleurs, des profiteurs, etc., il existe un moyen très simple de leur faire rendre gorge, c'est la concurrence. Dans d'autres pays en Europe, des gouvernements de gauche sont les meilleurs défenseurs de la concurrence. En France, on défend d'abord les monopoles d'État et les situations d'oligopole dans l'espoir de faire des grandes entreprises françaises des champions européens.
Oui, mais trop de concurrence peut tuer l'emploi, en tirant les investissements vers le bas et en favorisant l'offre "low cost"...
Le but d'une économie n'est pas de créer de l'emploi, mais de créer des richesses. C'est la fameuse théorie d'Alfred Sauvy : des emplois se créent dans des secteurs à forte valeur ajoutée pendant que d'autres emplois coûteux à faible valeur ajoutée disparaissent et que la richesse se déverse dans d'autres secteurs. La France subventionne les entreprises de main-d'oeuvre plutôt que de faire produire à meilleur marché à l'étranger. Cela ne fait rien pour la compétitivité. Au contraire, cela gaspille des ressources. Il faut trouver le bon équilibre entre l'emploi et la compétitivité

Retraites : 20 milliards... ou plutôt 50, de combien avons-nous vraiment besoin pour sauver le système français ?

D’après le Conseil d'orientation des retraites, le système accusera un déficit de plus de 20 milliards d’euros en 2020.


Le rapport de la conseillère d’Etat, Yannick Moreau, qui aborde certaines pistes pour rétablir les comptes du système français de retraite, est officiellement présenté ce lundi. D’après le Conseil d'orientation des retraites, le système accusera un déficit de plus de 20 milliards d’euros en 2020. Comment ce chiffre est-il calculé ? Sur quelles bases ?

Jacques Bichot : Le Conseil d’orientation des retraites (COR) réalise des projections en fonction de certaines hypothèses. Cela veut dire qu’il retient divers scénarios pour :
  • la fécondité (sans effet à l’échéance 2020) ;
  • la mortalité (plus celle-ci diminue, plus il y aura de pensions à payer) ;
  • l’immigration et l’émigration (hypothèse : chaque année 100 000 arrivées nettes de départs) ;
  • la croissance annuelle de la productivité du travail (5 hypothèses, de 1 % à 2 %) ;
  • le taux de chômage (censé baisser puis se stabiliser soit à 4,5 % soit à 7 % ; en 2020, il serait entre 7,3 % et 7,8 % selon les scénarios) ;
  • les règles relatives aux retraites (passage à 41 ans et trois trimestres pour la durée d’assurance requise, revalorisation des pensions selon l’inflation). Pour les régimes ARRCO et AGIRC, deux scénarios, l’un où le prix d’acquisition des points évolue comme leur valeur de service, et un autre où il augmente plus vite.
Une « maquette » (en somme, un logiciel) permet, pour chaque jeu d’hypothèses, de calculer le nombre d’actifs occupés, le nombre de retraités, le PIB, les recettes des régimes de retraite, leurs dépenses, et donc le déficit prévisible.
À l’horizon 2020, ces projections conduisent à des déficits compris entre 21,3 milliards dans le scénario le plus optimiste, et 24,9 milliards dans le plus pessimiste. Compte tenu de la croissance du PIB correspondant à chaque scénario, cela ferait 0,9 % à 1,1 % du PIB.
Philippe Crevel : Le Conseil d’orientation des Retraites a revu ses prévisions de déficit pour les régimes d’assurance-vieillesse à la fin de l’année dernière. Les précédentes dataient de la réforme de 2010. Pour établir ses prévisions, le COR retient plusieurs scénarii qui sont fondés sur différentes hypothèses économiques, démographiques et de législation en matière de retraite. En 2012, il a décidé de travailler non plus sur trois scénarii mais sur cinq pour tenir compte la forte volatilité de la conjoncture économique.
Le COR a ainsi retenu des hypothèses de croissance annuelle de la productivité du travail allant de 1 à 1,8 % et de taux chômage à long terme compris entre 4,5 et 7 %.Ces deux facteurs sont clefs pour évaluer la masse salariale servant de base aux cotisations sociales qui financent les régimes vieillesse. Pour les hypothèses démographiques, permettant d’évaluer le nombre de retraités à venir et le rapport entre cotisants et bénéficiaires, les aléas sont moindres même si elles ne sont pas sans incidence sur le résultat du déficit. Dans le cadre de ses dernières prévisions, le COR a retenu un taux de fécondité de 1,95 enfant par femme à partir de 2015 soit une légère baisse par rapport au taux actuel de fécondité qui se situe autour de 2. Il a aussi retenu le passage de l’espérance de vie à 60 ans de 22,2 à 28 ans de 2010 à 2060 pour les hommes et de 27,2 à 32,3 ans pour les femmes. En matière de durée de cotisation, le COR a intégré un passage de la durée de cotisation de 41 ans en 2012 à 41,75 en 2020.
Le déficit de 20 milliards d’euros affiché pour 2020 correspond au scénario central avec un taux de croissance de 1,5 % de la productivité et un taux de chômage de 4,5 % en fin de période. En fonction des hypothèses retenues, les écarts pour les déficits se matérialisent surtout après 20 ans. En effet, en 2020, le déficit varie de 19 à 22 milliards d’euros quand il varie de 10 à 47 en 2030 du fait des effets cumulatifs.

Peut-on s'y fier ? Alors que le taux de chômage atteint désormais 10,4% de la population active, qu’en période de récession ce chiffre a peu de chance de reculer, et que l'on peut douter des prévisions de croissance à si long terme, ces calculs sont-ils trop optimistes ?

Philippe Crevel : Au regard de la situation actuelle, les hypothèses du COR apparaissent très optimistes. La croissance de la productivité ne dépasse pas 0,5 % par an et nul n’imagine un retour rapide au plein emploi. Sachant qu’un point de croissance en moins réduit les recettes de la Sécurité sociale de 1,9 milliards d’euros ; pour le seul régime d’assurance vieillesse, le manque à gagner étant d’environ 700 millions d’euros. Il faut, par ailleurs, ne pas oublier qu’une moindre croissance sur plusieurs années ayant un effet cumulatif, la dérive des comptes est exponentielle.
L’exercice des prévisions sur dix ans et encore sur vingt ou trente ans est délicat. En 2010, les syndicats comme les partis de gauche ont accusé le pouvoir de l’époque de dramatiser la situation financière du régime général de la retraite afin de faire passer le recul de l’âge de la retraite à 62 ans. Avec le recul, il faut admettre que le précédent gouvernement et le COR avaient été trop optimistes.
Évidemment, en retenant les données actuelles, un  chômage de 11 % et de très faibles gains de productivité, le montant potentiel du déficit pourrait atteindre 30 milliards d’euros et voire plus à l’horizon 2020. Les dépenses de retraite augmentent sur un rythme annuel de 4 à 6 % quand les recettes stagnent.
Jacques Bichot : Ces calculs n’ont guère d’intérêt autre que pédagogique. Ils montrent que la situation financière des régimes de retraite, globalement, pourrait être durablement mauvaise, et qu’il faut donc effectuer des réformes. Mais ils n’ont aucune valeur prédictive. La situation économique est largement imprévisible. Nos gouvernants, et tous ceux qui veulent avoir une opinion éclairée concernant la prospective (la façon d’imaginer le futur pour s’y préparer), devraient lire le livre de Taleb, Le cygne noir (éditions les Belles Lettres, 2011), qui a comme sous-titre : « la puissance de l’imprévisible ». Un « cygne noir », c’est un événement qui était considéré comme quasiment impossible, et qui se réalise. Taleb en donne quantité d’exemples.
Je ne dirai donc pas que les projections du COR sont trop optimistes ou trop pessimistes : mon avis est simplement que le COR aurait dû avoir recours à des scénarios encore plus contrastés, parce que l’avenir est vraiment très ouvert. À l’horizon 2060, puisque les calculs du COR vont jusque-là, nous avons un excédent de 0,5 point de PIB dans le scénario le plus optimiste, et un déficit de 2,9 points dans le plus pessimiste ; mais ça pourrait aussi bien être le Nirvana, ou la Bérézina ! Surtout, quelle est la probabilité d’arriver en 2060 avec le même système de retraites que nous avons aujourd’hui ?
Ce qu’il faut retenir des rapports du COR, c’est que l’avenir est inconnu, et que nous devons par conséquent réformer notre système de retraites dans un sens le rendant plus gouvernable, plus facile à manœuvrer dans la tempête comme par beau temps.
Et puis, si nous utilisons les projections du COR, regardons-les complètement ! L’excédent en 2060 ne doit pas être interprété en disant : « il y a quand même un scénario où tout fini par s’arranger ». Car si on lit tout, on voit que dans ce scénario le taux de remplacement des revenus d’activité par les pensions baisse d’une façon que tout le monde trouvera plutôt saumâtre : il passerait de l’indice 100 en 2011 à l’indice 71,9 en 2060. Le COR nous apprend en fait tout simplement que nous pouvons redresser les comptes des retraites par répartition en paupérisant les retraités !

A travers sa réforme du quotient familial, le gouvernement prétendait ramener à l'équilibre la branche famille de la sécurité sociale. Sauf que celle-ci, structurellement excédentaire, renfloue de 4 milliards d'euros les majorations de retraites, pour les personnes ayant élevé plus de trois enfants autrefois payées par les retraites (voir ici). Une partie du déficit des retraites est-il camouflé par d’autres branches ?

Philippe Crevel : Avec la diminution du plafond du quotient familial, le gouvernement opère un jeu de bonneteau. En effet, cette mesure bénéficiera au budget de l’Etat et non à la branche famille qui est aujourd’hui déficitaire car elle est mise à contribution par les autres régimes. Les transferts entre les branches sont nombreux. La principale bénéficiaire de ces jeux comptables et la Caisse nationale d’assurance vieillesse qui reçoit environ 20 milliards d’euros des autres organismes sociaux. La branche famille supporte, en autre, les majorations pour famille nombreuse accordées aux pensionnés. Ces dernières s’élèvent à 3,7 milliards d’euros soit plus que son déficit qui s’élevait à 2,5 milliards d’euros en 2012.
Jacques Bichot : Oui, le camouflage du déficit des retraites est extraordinaire. Par exemple, les régimes spéciaux (SNCF, RATP, mines, etc.) sont quasiment à l’équilibre dans les comptes de la sécurité sociale, mais c’est parce qu’ils reçoivent de l’État plus de 7 milliards. Surtout, le régime des fonctionnaires de l’État serait déficitaire d’une vingtaine de milliards s’il existait une caisse de retraite pour le gérer avec des cotisations aux mêmes taux que celles des salariés du privé. Et, pour avoir une bonne comptabilité, les dépenses de l’assurance maladie en faveur des retraités devraient être financées par des cotisations et de la CSG assises sur les pensions. Sauf à réduire drastiquement le niveau de vie des retraités, les pensions devraient donc être augmentées d’une cinquantaine de milliards : tel est le montant de la subvention totalement occulte que la branche maladie apporte chaque année à la branche vieillesse.
En fait, l’État providence a instauré un système de vases communicants qui enlève toute pertinence aux comptes officiels. Aucune institution de protection sociale ne tient des comptes reflétant le coût réel du service qu’elle rend. Nos gouvernants de tous bords ont organisé le plus extraordinaire des obscurantismes comptables : si les défauts des comptes des caisses nationales de sécurité sociale se résumaient à ceux que pointe la Cour des comptes quand elle refuse de donner son quitus, ou qu’elle le donne avec des réserves, ce ne serait pas trop grave ; mais ces comptes, même s’ils étaient impeccables du point de vue formel, ne nous fourniraient pas l’image exacte de la réalité économique, ce qui est pourtant le but même de la comptabilité, cela en raison de l’organisation absurde des rapports des institutions de protection sociale entre elles et avec l’État.

Dans ces conditions, selon vous, de combien avons-nous vraiment besoin pour combler le déficit des retraites ?

Philippe Crevel  : Ces jeux d’écriture réduisent les pertes de l’assurance-vieillesse dont les pertes réelles ont dû se situer entre 15 et 18 milliards d’euros en 2012 en lieu et place des 8,9 milliards d’euros affichés (en prenant en compte le Fonds de solidarité vieillesse). A décharge, la CNAV supporte des dépenses en provenance de certains régimes spéciaux (transport, énergie) qui lui ont été adossés. Une opération de vérité comptable devrait être menée mais du fait de la multitude des transferts inter-régimes, l’exercice ne sera pas simple à conduire. C’est pourquoi l’engagement d’une véritable réforme serait souhaitable afin de mieux identifier les charges et les ressources tout en réduisant les coûts de gestion.
Jacques Bichot : Actuellement, une cinquantaine de milliards, soit 2,5 points de PIB. C’est expliqué dans le livre qu’Arnaud Robinet et moi-même sortirons aux éditions Les Belles Lettres en octobre prochain.

Les pistes préconisées par Yannick Moreau pour rétablir les comptes du système français vous semblent-elles aller dans le bon sens. Peuvent-elles vraiment générer les recettes supplémentaires nécessaires ?

Philippe Crevel : Depuis vingt ans, les gouvernements pratiquent le rafistolage en matière de retraite en déplaçant les différents curseurs du système actuel qui est jugé par tous complexe, inéquitable et coûteux. La commission Moreau propose sans surprise de modifier quelques paramètres et d’augmenter quelques prélèvements pour tenter de passer le cap et gagner du temps. Nous sommes dans la répartition de la pauvreté et non dans l’engagement d’un nouveau cycle. Les pouvoirs publics ont une vision malthusienne. Les retraités devront accepter une amputation de leurs pouvoirs d’achat avec l’augmentation de la CSG ou de l’impôt sur le revenu ainsi qu’avec la désindexation. Les actifs pourraient voir leur future pension amputée si les salaires de référence n’étaient plus ou moins bien actualisés.
L’augmentation des cotisations vieillesse, également proposée, est contradictoire avec la volonté de restaurer le taux de marge des entreprises qui est à son plus bas niveau sur quarante ans. Les cotisations ont été récemment augmentées de 0,2 point pour financer le retour partiel de l’âge de la retraite à 60 ans.
Par ailleurs, sans surprise, la Commission propose d’allonger la durée de cotisation qui est actuellement de 41,5 années. Cette mesure n’est pas en soi révolutionnaire car elle vise à poursuivre ce qui est la règle depuis 1993. La durée de cotisation s’accroit avec l’augmentation de l’espérance de vie à la retraite. Le gouvernement peut accélérer un peu la marche. Ce dispositif a un effet plus dilutif que celui du report de l’âge légal de départ à la retraite. Le passage progressif de la durée de cotisation à 43 ans rapporterait 4 milliards d’euros. En revanche, un report effectif de l’âge de départ à la retraite à 65 ans permettrait d’effacer le déficit. Le gouvernement bloqué par la promesse de François Hollande s’interdit de jouer sur l’âge légal, du moins pour le moment. Tous nos partenaires ont eu recours à cette solution en portant l’âge légal, en moyenne, à 65 ans. Plusieurs États dont l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni ont déjà décidé d’aller au-delà de 65 ans.
Face aux propositions de la Commission Moreau, je regrette qu’une fois de plus la réforme systémique soit enterrée. Certains disent que c’est impossible à réaliser du fait des contraintes techniques, d’autres que notre pays n’y est pas prêt ; mais la Suède et l’Italie ont osé, pourquoi pas nous ? Certes, cette réforme ne réglerait pas les questions de financement mais elle éviterait de remettre en route la machine à rancœurs. Nous constatons que les différents modes de calcul et d’attribution des pensions entre fonctionnaires, régimes spéciaux, indépendants et salariés du privé génèrent de la jalousie et des suspicions. La proposition de Yannick Moreau de calculer les pensions des fonctionnaires sur la base des traitements des dix meilleures années en lieu et place des six derniers mois a provoqué une levée de boucliers des syndicats. Ces derniers entendent défendre leurs droits. Or, pour les salariés du régime général, le calcul s’effectue sur la base des vingt-cinq meilleures années et cela depuis 1993. La politique des petits pas a ses limites surtout quand la moyenne des pensions dans la fonction publique est de 600 euros supérieure à celle du secteur privé.
L’unification de notre système de retraite permettrait, en outre, à terme, de réaliser de substantielles économies. En effet, les coûts de gestion de nos 35 régimes de base s’élèvent à 1,92 % selon la Commission européenne soit un coût bien supérieur à celui de nos principaux partenaires.  Au sein de l’Union européenne, la moyenne est de 1,19 %. Les coûts de gestion atteignent à titre d’exemple 0,58 % en Norvège. Nous pourrions réaliser un gain de 2,5 à 3 milliards d’euros en simplifiant notre mille-feuille de la retraite.
Jacques Bichot : À l’instant où je vous réponds, je ne connais du rapport Moreau que ce qui en a filtré avant sa publication. Donc peut-être vais-je me baser, bien involontairement, sur des informations inexactes.
Pour les fonctionnaires, Yannick Moreau préconise de prendre comme salaire de référence une moyenne sur quelques années, et non plus seulement sur les six derniers mois. Mais elle prévoit déjà en contrepartie une inclusion d’une partie des primes dans ce calcul. Les effets d’un tel mélange, dont les proportions ne sont pas encore arrêtées, sont difficiles à estimer sans disposer de données colossales et de moyens de calcul à l’avenant. Je ne peux qu’alerter sur ce qui s’est passé pour les régimes spéciaux lors de leur réforme en 2007 et pour les régimes des salariés du privé en 2003 : nos gouvernants ont le chic pour faire des économies qui coûtent cher ! De plus, je crains que ces changements ne rendent encore plus délicat la conversion du régime des fonctionnaires en régime de Monsieur Tout Le Monde, auquel il faudra bien arriver le jour où l’on mettra en place un régime universel de bonne facture. À cet égard, le précédent de 1982 n’est guère encourageant : le changement du mode de calcul de la décote qui a été décidé alors rendra bien plus difficile le passage des annuités aux points pour le régime général et le régime des fonctionnaires, conversion dont la nécessité commence à être reconnue.
L’allongement de la durée de cotisation est une tarte à la crème dont la Droite raffolait, et que la Gauche semble vouloir goûter à son tour. Sachant que le recours à la durée d’assurance est particulièrement injuste, et qu’il disparaîtra le jour où un système par points sera mis en place, c’est une proposition à laquelle je ne souscris pas. Une personne qui a travaillé 70 heures par semaines pendant 30 ans et qui prend sa retraite à l’âge légal ne devrait pas être pénalisée par rapport à celle qui a travaillé 20 heures par semaine durant 45 ans, c’est-à-dire nettement moins au total. De plus, alors que Mme Moreau veut réduire les inégalités hommes-femmes, l’allongement de la durée d’assurance requise pèse davantage sur ces dernières.
Mettre la CSG des retraités au niveau de celle des salariés est une mesure de bon sens. Profitons-en donc pour supprimer la distinction entre CSG déductible, CSG non déductible et CRDS, et pour asseoir cette CSG sur 100 % (et non 98,5 %) du revenu : les complications inutiles, ça suffit !
La suppression de l’abattement de 10 % sur le montant des pensions pour obtenir le revenu imposable me parait nettement plus discutable. Beaucoup de retraités s’investissent dans une vie associative qui entraîne des frais analogues à ceux d’une activité professionnelle. Je crois qu’il vaudrait mieux supprimer cet abattement pour tout le monde, en laissant aux employeurs le soin de compenser les frais professionnels. Ou alors ne le supprimons pour personne. C’est d’ailleurs la logique de l’égalité à laquelle on a recours pour justifier l’alignement du taux de CSG : pourquoi vaudrait-elle pour cet impôt et pas pour l’impôt sur le revenu ?
La sous-indexation temporaire des pensions est la principale mesure capable d’agir rapidement sur le stock des pensions. Si nous étions dans un système avec un seul régime, ce serait facile : on pourrait indexer sur l’inflation par exemple jusqu’à 800 € de pension mensuelle, et désindexer au-dessus. Dans l’absurde système à trois douzaines de régimes que nous gardons comme une relique, la mesure sera bête et méchante. Hélas, c’est le système qui est bête et méchant, ou plus exactement le comportement de tous nos gouvernants en matière de retraites depuis la Libération ; donc allons-y, le cœur en écharpe, pour cette désindexation bête et méchante.
L’inclusion dans le revenu imposable des majorations de pension pour famille nombreuse est en soi normale. Mais elle avait pour but de compenser l’insuffisance criante des dispositions qui lient le montant des pensions au nombre des enfants élevés. Rappelons à cet égard le théorème de Sauvy : « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations, mais par nos enfants ». Reste que des majorations proportionnelles à la pension sont absurdes. Imposons donc – le couteau sous la gorge on ne peut pas faire dans la dentelle – mais avec obligation de rembourser tout ce qui aura été prélevé si, d’ici la fin du quinquennat, n’a pas été votée une loi-cadre instaurant le passage à un régime unique par points donnant un nombre de points suffisant aux parents, indépendant de leur revenu, pour chaque enfant élevé.
Faut-il sous-indexer les salaires portés en compte ? Les effets d’une telle mesure se feront sentir davantage à long terme qu’à court terme. Mais comme elle ne devrait pas spécialement compliquer le passage des annuités aux points, on peut y avoir recours même en se préparant pour une vraie réforme.
La majoration des cotisations patronales serait en revanche une sottise absolue : elle diminuerait immédiatement la compétitivité et obligerait les patrons à lutter pendant deux ans contre les demandes d’augmentations pour rattraper l’erreur gouvernementale. Le mieux serait de renoncer à toute augmentation de cotisation. À la rigueur, une augmentation des cotisations salariales : que le gouvernement l’assume si vraiment il veut augmenter la pression sur les actifs. Et surtout, vivement la fiche de paie vérité (plus de cotisations patronales, rien que des cotisations salariales).
Pour la pénibilité, c’est aux entreprises de rémunérer mieux, sous forme de dotations aux comptes d’épargne retraite, les salariés concernés. Que l’État arrête de se mêler de tout et d’engager des dépenses nouvelles !
Enfin, le pilotage annuel des régimes de retraite est une évidence. L’important est de se donner les moyens d’y parvenir : séparer les rôles du législateur et du gestionnaire. Une vraie révolution. Mais, de grâce, que ce ne soit pas au gouvernement de trancher, comme semble le recommander le rapport ! Le rôle de l’État est de définir des règles stables et de punir les mauvais gestionnaires, pas de s’installer comme gestionnaire indéboulonnable capable de modifier les règles du jeu pour un oui ou pour un non.

Michelin: débrayage de l'équipe du matin à l'usine de Joué-les-Tours


Quelque 150 salariés de l'équipe du matin à l'usine Michelin de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) ont débrayé lundi matin dans l'attente d'une annonce officielle de leur direction concernant l'avenir du site, a constaté un correspondant de l'AFP.
Les salariés, qui travaillent en 3x8 et commencent le travail normalement à 4h30, se sont rassemblés dans la cour de l'usine, où des représentants syndicaux ont pris la parole. Un pneu de poids lourd a été sorti dans la cour. "Voilà ce que, nous, on souhaite continuer à faire car on le fait bien", a dit un ouvrier.
Les salariés sont d'autant plus inquiets que la moyenne d'âge est de 52 ans et que plusieurs dizaines d'entre eux travaillaient précédemment à l'usine de Poitiers, fermée en 2006.

Selon les syndicats, une réunion serait prévue à 11H au siège social du groupe, à Clermont-Ferrand.
Interrogé par la presse à son arrivée vers 8h00, le directeur du site, Jean-Denis Houard, n'a pas voulu confirmer le plan de suppression de postes. Il a simplement indiqué qu'il allait rencontrer les membres du CE et les délégués syndicaux dans la foulée. "C'est honteux ce que vous faites", a lancé à l'adresse du directeur Olivier Coutan, représentant syndical Sud.
"Michelin veut passer pour un bon patron en maintenant deux activités pour 180 personnes, ici à Joué. Mais on pense que la direction va fermer le site définitivement dans les années à venir. Michelin dit qu'il ne licencie pas mais va laisser beaucoup de gens sur le carreau. Il propose des mesures de mobilité impossibles à accepter pour la plupart", a déclaré M. Coutan aux journalistes.
"Ici, la moyenne d'âge est de 52 ans, la remise en question est difficile. Il n'est pas possible pour des gens qui ont fait construire ou acheté une maison, et dont le conjoint travaille, de partir sur d'autres sites", a-t-il expliqué.
"Selon nous, environ 300 personnes resteraient sur le carreau. Certains, comme les actionnaires, s'engraissent alors que d'autres ici vont mourir de faim", a commenté Claude Guillon, délégué CGT.
"Nous sommes déterminés et nous envisageons toutes formes d'action, même les plus dures s'il le faut", a ajouté le représentant syndical.
Outre la fabrication de pneus pour poids lourds, le site de Joué-lès-Tours comprend également une unité de calandrage - la fabrication des nappes textiles et métalliques des pneus - qui alimente aussi les sites européens du groupe.
Implantée depuis 1961 à Joué-lès-Tours, l'usine a compté jusqu'à 4.000 salariés dans les années 1980. Ils étaient encore 1.200 employés en 2008 avant un plan social qui a supprimé 340 postes en 2009. Si Michelin confirmait son plan de restructuration mercredi, l'effectif tomberait à 230 salariés.

COMME TOUJOURS, LE DÉBRAYAGE EST L'INTELLIGENCE SUPRÊME SYNDICALE. 
PLUS RAPIDE SERA LA CHUTE

Droit de regard: cinquante nuances de rose

Droit de regard: cinquante nuances de rose


François Hollande était l’invité d’honneur du cent cinquantième anniversaire de la naissance du SPD, à Leipzig. Devant un parterre composé des plus hautes autorités du pays — dont Angela Merkel —, il a prononcé un discours qui a fait des vagues en France. Car ce que l’on en retient surtout est l’hommage appuyé à Gerhard Schröder, le chancelier qui, avec son Agenda 2010, avait opéré une réforme drastique de l’État providence. Des efforts douloureux pour les Allemands. En décembre 2012, Jean-Marc Ayrault estimait que si Schröder avait redressé l’industrie, il avait trop accru la pauvreté, ce qu’il ne voulait pas faire en France. En clair, Schröder n’était pas son modèle.
Cet hymne du président français au schröderisme a révulsé l’aile gauche du PS. Mais il faut lire son discours comme celui d’un homme qui s’adapte au terrain. Venu devant le SPD, il a vanté les mérites de la “social-démocratie” et rendu hommage à plusieurs grands leaders historiques, du temps où le salaire minimum était à leur programme (il n’existe toujours pas en Allemagne). Et il y a eu bien sûr ce coup de chapeau à Schröder, « à ses réformes courageuses qui ont préservé l’emploi ». Assis au premier rang, l’intéressé buvait du petit-lait même s’il ne rate pas une occasion de critiquer le manque d’ambition réformatrice de François Hollande. Lequel ayant dit cela, a souligné combien « nos deux pays étaient différents et nos cultures syndicales singulières »« Tout n’est pas transposable », a-t-il dit, précisant que, lui, ce qu’il garde de la social-démocratie, c’est « le sens du dialogue, la recherche du compromis et la synthèse permanente entre la performance économique et la justice sociale ». Du schröderisme dans sa version la plus light. Comprenez : “Vous, c’est vous, et nous, c’est nous…”
Les socialistes annoncent pour la fin de l’année une réforme des retraites qui, disent-ils, va décoiffer et faire des mécontents. Attendons la fin de l’an II. Concession à la social-démocratie, François Hollande cajole les chefs d’entreprise. Finis les discours punitifs. Il l’a compris, sans eux, pas de croissance, pas d’emploi. Et lui, qui avait fait de la finance son ennemi, vient de renoncer à légiférer sur les hauts salaires des dirigeants. Une promesse non tenue. Jean-Christophe Cambadélis s’est étranglé, la gauche du PS ne l’a pas digéré. Le hollandisme, c’est “Cinquante nuances de rose”.
Le plus grand virage de Leipzig est la conclusion du discours : « Unies, la France et l’Allemagne feront avancer l’Europe », a proclamé François Hollande. Façon de tourner la page, après un an de bisbilles et de tensions amicales. Il aura rencontré la chancelière le 30 mai afin d’élaborer une contribution commune avant le prochain sommet européen de juin. Une première depuis qu’il est à l’Élysée.

Patrons : le double langage de Hollande


Divorce. Les chefs d’entreprise ne comprennent plus François Hollande. Entre l’HEC professeur d’économie et l’énarque ennemi de la finance, qui est vraiment le président ?
Ce patron d’une jardinerie de province n’en revient pas. Il vient de recruter un vingt et unième collaborateur, franchissant pour son malheur le seuil fatidique des 20 salariés. Il lui en coûte en charges sociales supplémentaires trois fois ce que serait censé lui rapporter le crédit d’impôt compétitivité emploi ! « Ce crédit d’impôt, parlons-en !nous dit un autre patron de PME. C’est une usine à gaz qui n’intéressera que les grandes entreprises ! Encore faudra-t-il attendre 2014 pour en bénéficier, sauf à se lancer dans une procédure complexe d’avance auprès de la Banque publique d’investissement. Même chose pour la nouvelle taxation des plus-values : elle n’entrera en vigueur qu’en 2014. Et encore ! Dieu sait ce qu’il restera de la réforme une fois passée au Parlement ! »
L’écho n’est guère plus favorable auprès des patrons de grandes entreprises, dont certains n’étaient pas a priori hostiles à la gauche.
Il y a l’amertume de ceux qui se sentent désignés à la vindicte populaire parce qu’ils gagnent trop bien leur vie — Stéphane Richard s’apprête à diminuer sa rémunération pour ne pas faire supporter à France Télécom la taxe qui pénalise les salaires supérieurs à un million d’euros par an. Mais aussi le sentiment d’injustice de ceux qui sont montrés du doigt comme responsables de la montée du chômage. Le doute gagne quant à la capacité de François Hollande et de son gouvernement à définir un cap et à s’y tenir. « Sa ligne économique et sociale manque de cohérence », constate la présidente du Medef, Laurence Parisot. Ne sachant pas où vont le président et son gouvernement, les chefs d’entreprise limitent au minimum leurs investissements productifs en France et attendent avec appréhension le prochain budget.
« La ponction fiscale pratiquée sur les créateurs de richesse a atteint le niveau d’asphyxie », s’inquiète Henri de Castries, le président d’Axa, dans un entretien aux Échos« Aujourd’hui, il y a danger de voir la France et l’Allemagne diverger », s’alarme le président d’EADS, Tom Enders, dans le Monde, tandis que Christophe de Margerie se désole de pouvoir chercher du gaz de schiste partout sauf en France et qu’Henri Proglio, le président d’EDF, est sommé de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim alors même que l’Autorité de sûreté nucléaire la déclare bonne pour le service.
Banquiers et assureurs, eux, se plaignent de voir la France soutenir une taxe sur les transactions financières qui, appliquée en l’état, ruinerait ce qui reste de la place financière de Paris.
L’audience du président de Radiall, Pierre Gattaz, soutenu par le président de la Scor Denis Kessler, désigné par ses pairs de l’UIMM comme candidat à la succession de Laurence Parisot au Medef, traduit ce ras-le-bol des grands comme des petits patrons, des PME traditionnelles comme des start-up face à ce qu’Henri de Castries qualifie d’immense gâchis, les impôts en cascade sur les entreprises comme sur les particuliers (les patrons sont souvent des redevables de l’ISF) et l’absence totale de perspective de sortie de crise. « Il y a une totale incompréhension de la part de ceux qui nous gouvernent, une incompréhension des principes de base de l’économie », constate Pierre Gattaz. François Hollande a compris le risque de cette fronde des producteurs de richesse : comment parvenir à inverser la courbe du chômage, comme il s’y est imprudemment engagé pour la fin de l’année, sans le concours des entreprises ? Jamais les contrats de génération dans la fonction publique et dans le monde associatif n’y suffiront.
Mais comment les entreprises peuvent-elles recruter quand elles ne savent ni à quel régime fiscal elles seront accommodées l’an prochain, ni quel sera le niveau de leurs cotisations sociales pour renflouer l’Unedic, ni à quel âge leurs salariés pourront partir à la retraite ? L’immobilisme en matière de réformes structurelles amène sans cesse à repousser la date d’un hypothétique retour des finances publiques à l’équilibre tandis que la baisse du niveau de vie des Français grippe la consommation, dernier moteur qui maintenait encore un souffle de croissance.
L’absence de visibilité des patrons va de pair avec une désespérance croissante des salariés qui fait de la France le pays le plus pessimiste du monde et de François Hollande le plus impopulaire des présidents de la Ve République avec seulement 25 % de satisfaits.
Le chef de l’État tente de retrouver la confiance des chefs d’entreprise. Le 29 avril, les recevant à l’Élysée à l’occasion de la clôture des assises de l’entrepreneuriat, il les a cajolés : « Ce sont les entreprises qui créent la richesse, ce sont les entreprises qui créent de l’activité, ce sont les entreprises qui créent de l’emploi », ajoutant qu’il valait mieux rappeler ce qui semble aller de soi. « Vous qui créez, qui agissez, qui développez la richesse et l’emploi, vous qui faites l’économie de tous les jours », leur a-t-il encore dit en les assurant de sa lucidité sur la situation, de son sérieux dans la gestion budgétaire ou encore de la nécessité de reconnaître la réussite sous toutes ses formes et de récompenser le talent…
C’est bien le langage que le monde de l’entreprise souhaitait entendre. Les mesures annoncées, principalement l’adoucissement du régime d’imposition sur les plus-values de cession, ne pouvait que faire plaisir à une audience qui l’attendait avec impatience (lire aussi “Pour bien défiscaliser”, page 71).
Sans doute aura-t-elle été moins convaincue par le rappel des réformes déjà lancé comme le pacte pour la compétitivité et l’emploi, l’accord sur la sécurisation de l’emploi passablement édulcoré par son passage au Parlement ou encore la création de la Banque publique d’investissement — à laquelle certains ne voient d’autre utilité que de donner voix au chapitre à Ségolène Royal et à quelques autres notables régionaux socialistes sur le financement des entreprises.
Mais était-ce bien aux patrons que s’adressait ce discours, et pas plutôt aux amis de François Hollande qui le lendemain déposaient à l’Assemblée nationale une proposition de loi obligeant un chef d’entreprise qui veut fermer un site à chercher d’abord un repreneur(lire notre encadré) ?
C’est bien là tout le drame des rapports entre les chefs d’entreprise et François Hollande. Rien ne prédisposait nécessairement le monde de l’entreprise et le chef de l’État à ne pas s’entendre. Certes, il y avait eu quelques paroles malheureuses à l’encontre des riches pendant la campagne, mais n’était-ce pas seulement que des propos de campagne ? Après tout, n’avait-on pas pour la première fois à l’Élysée un ancien HEC qui avait enseigné l’économie en troisième année à Sciences Po ? Énarque, certes, mais tant de grands patrons ne sont-ils pas issus de la haute administration et n’ont-ils pas fait leurs classes au cabinet de ministres socialistes ?
Pierre Pringuet, le directeur général de Pernod Ricard, président de l’Afep (Association française des entreprises privées), est un ancien du cabinet de Michel Rocard. Stéphane Richard, le président de France Télécom, avant d’être au cabinet de Christine Lagarde avait oeuvré à celui de Dominique Strauss-Kahn. Frédéric Saint-Geours, ancien numéro deux de PSA et président de l’UIMM, la plus importante fédération patronale, avait dirigé le cabinet d’Henri Emmanuelli, ministre socialiste du Budget.
Ils auraient donc pu trouver un terrain d’entente. Dès août, François Hollande avait envoyé Jean-Marc Ayrault ouvrir l’université d’été du Medef pour rassurer les patrons : « J’estime les chefs d’entreprise. Je suis pleinement conscient de leur apport décisif à notre économie. Le gouvernement que je dirige souhaite résolument encourager et mobiliser la France qui entreprend. Parce que c’est la condition de la croissance, c’est la condition aussi de la production de valeur et c’est bien sûr la condition de création d’emplois. » Même discours qu’aujourd’hui.
Le 20 septembre dernier, François Hollande remettait le prix de l’Audace créatrice. Il promettait alors : « Je veux assurer une stabilité fiscale. Rien n’est pire que les changements incessants de dispositif et de régime. De douter de la pérennité d’un mécanisme, de penser qu’il y a un effet d’aubaine qui doit être saisi parce que demain la donne peut être modifiée. »
Derrière ces beaux discours, un budget est venu faire des entreprises françaises les plus imposées d’Europe. L’obstination de Hollande à mettre en oeuvre les 75 % sur les rémunérations au-dessus de un million, même si elle ne concernait qu’une infime minorité de dirigeants, a été perçue en France et surtout à l’étranger comme un règlement de comptes personnel avec ces riches que le président disait ne pas aimer. Peut-on ne pas aimer les riches et estimer les créateurs de richesse ?
François Hollande a évoqué à deux reprises dans son discours aux chefs d’entreprise du 29 avril un « malentendu » à propos de la taxation des plus-values. Il y a eu malentendu en effet de la part de certains cercles de dirigeants qui n’ont pas cru que le chef de l’État était vraiment socialiste et qui se sont étonnés de le voir tenir ses promesses de campagne. Il y a eu aussi malentendu de la part du chef de l’État, qui s’imagine encore pouvoir compter sur les entrepreneurs pour créer la richesse que lui et les siens partageront au plus grand profit d’une sphère publique qu’il ne se décide pas à réduire. Mais aucun entrepreneur ne se risquera à produire pour voir le fruit de ses efforts confisqués.

Le trou de mémoire de Najat Belkacem sur la réforme des retraites



L'INCOMPÉTENCE N'A PAS DE LIMITE !