Dans son livre "Un bleu en politique" (Presses de la Cité), l'ex-secrétaire d'Etat aux Sports raconte ses vingt mois au sein d'un gouvernement où il fut, un peu trop à son goût, "le collègue qui distribue des places" de foot ou de rugby. Extraits.
Laure et le président
"La première sportive à franchir la porte de mon bureau, c'est Laure Manaudou. Didier Poulmaire, son agent et avocat, l'accompagne. On est fin 2007. La jeune championne, titrée aux Jeux d'Athènes 2004 sur 400 mètres nage libre, a le visage des mauvais jours : tête basse, regard désabusé, elle semble perdue.
De fait, elle l'est. Après avoir quitté, au printemps précédent, son entraîneur de toujours, Philippe Lucas, et le club du Canet-en-Roussillon pour vivre sa romance avec Luca Marin à Turin, Laure est rentrée en France au cours de l'été. Déterminée à y rester, elle doit aussi assumer ses obligations contractuelles. L'imbroglio fait les choux gras de la presse française et transalpine. Empêtrée dans ce bourbier médiatico-économico-sportif, elle semble écoeurée par les événements [...] L'idée me vient d'appeler le président de la République, qui adore les sportifs et aura à coeur de lui remonter le moral. Nicolas Sarkozy décroche.
— Tu es avec Laure ? Passe-la-moi, je vais lui dire deux mots pour qu'elle sache que je suis de tout coeur avec elle.
Et, pour la première fois depuis le début de l'entretien, le visage de Laure s'illumine d'un sourire. Je ne sais pas quels propos lui a tenus le chef de l'Etat, mais ça l'a regonflée.
"Je ne suis pas le père... "
"Complices, nous l'étions. Rachida Dati aimait mon humour et je la trouvais attachante. Notre amitié –car c'est bien d'amitié qu'il s'agissait – était instinctive. Générationnelle, aussi : je suis d'un an seulement son aîné. Elle se confiait volontiers à moi, je l'écoutais, je savais que c'était dur. Professionnellement, bien sûr : elle a été attaquée de toutes parts, tantôt sur ses diplômes qu'elle n'avait prétendument pas obtenus, tantôt sur ses compétences au ministère de la Justice. Mais aussi sentimentalement : célibataire à plus de 40 ans, ce n'est pas toujours simple.
Nous ne nous voyions pas souvent. Nous nous croisions dans les réceptions officielles ou au Conseil des ministres. Et il nous arrivait de nous retrouver à 7 heures du matin pour un footing avec Eric Besson, alors secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques, et nos escortes de sécurité. Nous chaussions nos baskets au pied de la tour Eiffel pour nous défouler sur le Champ-de-Mars. Elle court bien, Rachida. Elle a du souffle. Et de l'allant. Mais notre amitié se fracasse sur la rumeur.
Le dimanche 5 octobre 2008, c'est la fête européenne du sport. Les animations se déclinent dans toute la France, mais la manifestation la plus importante a lieu sur le Champ-de-Mars, en présence de la plupart des médaillés olympiques de Pékin. Avant de m'y rendre, je fais un crochet par le VIIe arrondissement de Paris. La maire, c'est Rachida Dati. Nous nous asseyons côte à côte. Dans quelques minutes, je vais prendre la parole. Je ne veux pas la surprendre, alors je lui glisse à l'oreille:
— Je vais dire que je ne suis pas le père de ton enfant.
En rigolant, elle me met au défi.
— T'es pas cap !
Elle sait que je vais le faire. Droit dans mon costume, cravate soigneusement nouée, je prononce mon discours sur le sport, "langage universel, vecteur d'amitié et de solidarité". Le discours terminé, je dis enfin ce qui me brûle les lèvres :
— Non, je ne suis pas le père de l'enfant que porte Rachida Dati.
L'ambiance est sympathique et tout le monde rit, Rachida la première. Il n'y a dans cette annonce aucune animosité à son encontre. [...]
Le pire, hélas, reste à venir. Onze jours plus tard, le 16 octobre, Arlette Chabot reçoit Rachida Dati dans son émission, A vous de juger. Elle lui demande :
— Qu'est-ce que ça mérite ? Un sourire ? Une gifle ? Il est drôle ou il est franchement grossier, Bernard Laporte ?
Elle répond, cinglante:
— Ça ne mérite aucun commentaire.
Alors que j'ai toujours pris sa défense, j'ai été déçu : à ce moment précis, je l'ai trouvée fausse. Elle a manqué de solidarité à mon égard. Mais, quoi qu'il arrive, je la défendrai toujours. Et je lui souhaite bonne chance dans sa carrière politique.
Mais mon démenti, loin de calmer la tempête, a déclenché les passions. Après Rachida Dati, c'est Bernard-Henri Lévy qui sonne la charge. Invité du Grand Journal de Canal +, le pseudo-philosophe ne mâche pas ses mots.
– Cette bande de petits mâles et de porcs qui défilent pour faire des communiqués de presse, pour dire qu'ils ne sont pas le père de l'enfant de Rachida Dati, c'est absolument immonde ! Mais enfin, un gentleman ne dit rien, si tant est qu'il soit suspecté, vitupère-t-il.
[Bernard Laporte appelle alors BHL.] Culotté, il me soutient qu'il y a un malentendu, que ce ne sont pas les propos qu'il a tenus.
– Ce n'est pas possible, je n'ai pas pu dire cela, m'affirme-t-il.
Je rétorque:
– Mais j'ai le script entre les mains !
Décontenancé, il me demande s'il peut me rappeler ; il veut d'abord revoir l'émission. Un peu plus tard, il revient vers moi. Contrit et penaud, il s'excuse platement. Il m'explique qu'il n'aime pas José Maria Aznar, que son commentaire visait le Premier ministre espagnol, pas moi.
Il m'y aurait malencontreusement associé, emporté dans son élan. Je fulmine. Je n'en ai rien à faire, de ses excuses. [...]
– De quel droit vous permettez-vous de juger ? Que ce soit lui ou moi, peu importe, vous n'avez pas à jouer au donneur de leçons avec nous ! Vous ne savez même pas ce qui s'est passé et vous donnez votre avis. Je crois que vous vous êtes trompé, Monsieur, c'est vous, le porc. "
L'affaire de la Marseillaise
[Le 14 octobre 2008, l'hymne national est sifflé au Stade de France avant le match France-Tunisie.]
"A dire vrai, ces huées ne sont pas une surprise. Un peu plus tôt dans l'après-midi, les Renseignements généraux m'avaient informé qu'il fallait s'y attendre.
Mon directeur de cabinet, Hugues Moutouh, a alors pensé réussir un "coup" politique. Il a mis en place une stratégie réactive: il m'a conseillé de quitter la tribune présidentielle dès lors que le public siffle l'hymne national, de me draper dans ma dignité de secrétaire d'Etat et de m'indigner devant les micros tendus et sous les caméras. Nous étions convenus que je devais sortir au bout de quelques minutes.
Seulement voilà, quand la chanteuse Lââm entonne les premières mesures de La Marseillaise sous les huées du public parisien, je n'ai pas le courage de me lever. Le politique que je suis devenu devrait sortir, mais le sportif que je suis encore ne se sent pas capable d'abandonner "ses" mecs sifflés de toutes parts. Je ne pourrais pas me regarder dans un miroir, j'aurais l'impression de les avoir trahis, d'avoir été lâche. De ne plus être un homme. Je décide alors de rester, conforté en cela par Eric Besson, assis à côté de moi."
Kouchner: jamais un bonjour
"Je le croisais une à deux fois par mois en Conseil des ministres ou sur les bancs de l'Assemblée, jamais il ne m'a serré la main pour me dire bonjour. Sa condescendance ne m'est toutefois pas réservée. Lorsque j'ai raconté cela à mes parents, dont la culture socialiste n'est plus à louer, ils sont tombés des nues.
Mon père avait hissé Bernard Kouchner sur un piédestal, il partageait ses valeurs humanistes et de gauche. Kouchner était l'un de ses modèles, un homme respectable et respecté, un homme de gouvernement, aux convictions solides et au coeur généreux. En arrachant le masque, je lui ai fait de la peine. Les politiciens ne sont pas tous aussi estimables qu'il le pense."
Un bleu en politique, Presses de la Cité, 206 p., 19 €.