Alors que le secteur de la presse écrite connaît un fort recul des ventes, notre contributeur Benjamin Bousquet pousse un coup de gueule et appelle les lecteurs à défendre le papier à l'heure du tout numérique.
Le papier. L'art de le toucher, de le froisser, de le poser au beau milieu du salon, pour plus tard le reprendre. De l'arracher aux mains de ses frères et soeurs, uniquement dans le but d'être le seul à sortir l'exclu au déjeuner du dimanche... La presse papier bénéficie aujourd'hui d'un attachement particulier des Français tant elle est chargée d'histoire et unique en son genre. D'après le baromètre REC de l'institut GfK, sur un échantillon de mille internautes âgés de 15 à 65 ans,
seulement 42% des lecteurs de presse en France ont téléchargé ou lu des contenus journalistiques en ligne, au cours du dernier trimestre 2011. Résultat étonnant, révélateur d'un attachement fort des Français à la presse papier. Encore plus surprenant, selon la même enquête menée par
Philippe Person, seulement 11% des férus d'actualité en ligne y consacreraient la totalité de leur temps de lecture.
Cet attachement est directement lié au facteur social que représente aujourd'hui la presse papier. À un voisin de train inconnu et totalement étranger à notre propre entourage, il est beaucoup plus facile de lui quémander son journal, une fois fini, que de lui demander un prêt temporaire de son smartphone. Cet échange, qui tend à se perdre depuis l'expansion des téléphones portables, tablettes et autres ordinateurs portables avec connexion 3G, est pourtant primordial dans l'aspect conversationnel d'une personne. Comme dans beaucoup d'autres cas, notre attachement aux outils informatiques et technologiques empiète fortement sur notre relationnel et notre capacité à s'ouvrir et à partager avec autrui. En exagérant, on pourrait attribuer Internet à un monde plus individualiste, et la presse papier à un monde plus ouvert, à commencer par ce premier échange, non négligeable, entre l'acheteur de journaux et son vendeur.
Impact visuel
Une qualité qu'on ne peut enlever à la presse papier réside en son pouvoir d'attraction purement visuel. Les polémiques -nombreuses- nourries autour de
l'affaire Bernard Arnault et des fameuses unes de Libération en septembre dernier en sont le parfait exemple. Les unes de nos principaux journaux attirent l'oeil car elles se démarquent par leur (im)pertinence et leur présence dans nos rues, à la vue de tous et à des endroits stratégiques bien déterminés à l'avance par les agences de publicités oeuvrant pour ces médias.
Cet aspect, purement marketing et hautement travaillé par les rédacteurs en chef la veille de la distribution permet, quand elle est bien maitrisée, de posséder un avantage certain sur des médias plus modernes comme Internet. Le fouille-tout présent sur la Toile ne permet pas toujours de mettre autant en avant une idée à travers un simple visuel, comme le fait si bien la presse écrite.
Voilà bien un domaine qui finalement nous intéresse plus que tous les autres: la qualité des articles. Qu'on soit sur presse papier ou sur la Toile, nous aurons de tout. Du bon comme du moins bon. De l'intéressant, comme du superflu. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas, et les centres d'intérêt de chacun encore moins. En revanche, une constation s'impose:
les journalistes présents sur la Toile sont en moyenne beaucoup plus jeunes que leurs confrères de la presse papier.
En 2008, la moyenne d'âge du journaliste est de 42,2 ans. Celle-ci était de 40,5 ans en 2000. Plus du tiers des journalistes (39,2% en 2008) ont plus de 45 ans. Ce vieillissement général de la profession masque cependant des disparités, notamment liées au sexe et au type de contrat. Cette tendance laisse à penser qu'un journaliste d'expérience, ayant fait ses armes depuis bien longtemps, sera davantage présent sur la presse papier que sur Internet. Même si cette vision est limitée et abstraite, elle peut néanmoins compter dans l'esprit de certains consommateurs.
L'art de la reprise en main
D'un point de vue purement pratique, les grandes enquêtes, interviews et autres témoignages sont plus facilement présentables sur des grands formats, à travers des doubles pages plutôt que sur nos sites Internet préférés. Il est d'ailleurs prouvé que
grands nombres de consommateurs d'Internet et de sites d'informations en ligne abandonnent la lecture d'un article ou d'une enquête, à la simple vue de sa longueur. L'intérêt de détenir chez soi un journal papier réside dans l'art de la reprise en main. Aujourd'hui, une personne reprendra beaucoup plus facilement un journal laissé entrouvert sur la table du salon qu'il ne se rendra à nouveau sur un site d'actualité pour reprendre sa lecture entamée plus tôt. La reprise en main d'un support papier est d'ailleurs devenue un élément marketing essentiel lors de la mise en place de plans médias, en amont d'une grande campagne publicitaire d'un annonceur.
Si une sortie de crise peut voir le jour ces prochaines années, ce seront des centaines d'entreprises absentes des marchés publicitaires qui pourraient petit à petit refaire surface et ainsi donner une dynamique certaine à la presse papier. Nul besoin d'avoir fait moult années d'études en marketing pour savoir qu'une communication 360 (comprenez ici une communication à travers tous les médias, presse, télé, internet, radio...) est bien plus efficace pour une grande société que de se contenter d'un seul et unique média. Par choix avant-gardiste et par souci d'économie, nombreuses sont les entreprises à avoir fait une croix sur la presse papier, le temps d'une crise sans réels précédents. Une reprise de l'activité pourrait suffire à convaincre certains grands groupes de redonner une chance aux journaux.
Des solutions peu efficaces...
Aujourd'hui, nombreux sont les sites spécialisés à avoir voulu défendre leur branche liée à la presse papier, en proposant notamment des contenus payants sur leur site Internet, et ce avec en ligne de mire deux objectifs: contrarier un utilisateur de ne pouvoir avoir accès à l'information et le détourner astucieusement vers la presse papier, accessible en déboursant quelques euros, plutôt qu'une inscription payante -et longue- sur Internet.
Certains sites comme Médiapart, attirent aujourd'hui plusieurs dizaines de milliers de personnes en proposant leurs enquêtes par le biais d'un abonnement payant, faisant ainsi une croix sur une quelconque volonté de faire perdurer la presse écrite. Rendre payant certains contenus auraient pu faciliter un retour des consommateurs vers la presse papier, peu chère pour grand nombre de consommateurs. Pour autant, il n'en est rien.
Autre fait:
des campagnes publicitaires pour favoriser la presse papier et louer ses avantages n'ont cessé de circuler sur nos différents médias. Pour autant, vu le nombre de jeunes journalistes bloqués sur le marché du travail au sortir des grandes écoles, et des difficultés financières présentes dans les grandes rédactions, le problème reste aujourd'hui présent.
Des raisons de croire à une amélioration
Selon le site du gouvernement,
qui vient de publier les chiffres 2011-2012 de la presse écrite, il y a tout de même des raisons d'y croire. En effet, si le chiffre d'affaires global de l'ensemble de la presse écrite en 2011 (9,150 milliards d'euros) est en légère diminution par rapport à celui de 2010 (-1,9%), ce recul est sans commune mesure avec celui constaté en 2009 (-7,8%). Une baisse qui tend à s'essouffler et qui laisse présager des jours plus éclairmeilleurs.
La mode du rétro, que ce soit dans les objets du quotidien ou dans la philosophie de vie chez une personne, est en plein retour en grâce. Pourquoi ne pas profiter d'un tel rebond pour donner une seconde chance à cette presse papier? Au vu des articles de qualités, des photos toutes plus sublimes les unes que les autres, des mots-croisés commencés par le père de famille et conclus brièvement par les jeunes enfants, et des vieux papiers qui, une fois lus, trouveront une nouvelle fonction utile en tant que combustible de feu de cheminée, nous aurions tort de nous en priver...
Dire que la presse est en train de mourir est une bêtise. La presse ne meurt pas, elle change de visage, et nous en sommes tous les chirurgiens. Certains aiment le rétro, d'autres ne font pas de sentiments... choisis ton camp, camarade!