Son étonnant silence sur la politique sécuritaire, redevenue durant l'été le cheval de bataille de Nicolas Sarkozy, avait relancé les spéculations sur son départ lors du remaniement prévu par l'Elysée. Finalement, François Fillon est sorti de son silence mardi... par l'intermédiaire d'un communiqué. En proie aux critiques de la gauche, mais aussi au malaise dans son propre camp au sujet de la politique sécuritaire de son gouvernement, le Premier ministre François Fillon a tenté d'apaiser les esprits.
A l'issue d'une réunion à Matignon sur le thème des Roms, le chef du gouvernement a indiqué que «la lutte contre l'immigration irrégulière ne doit pas être instrumentalisée de part et d'autre. La tradition humaniste de la France va de pair avec le respect de ses lois par tous ceux qui se trouvent sur son territoire».
Brice Hortefeux (Intérieur), Eric Besson (Immigration), Pierre Lellouche (Affaires européennes) assistaient à cette réunion ainsi que le directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie (Justice).
Il est «du devoir de l'Etat d'assurer le respect de la légalité républicaine», insiste encore François Fillon qui rappelle que «les actions entreprises cet été sont conformes à la législation française et européenne. La très grande majorité des reconduites dans les pays d'origine sont volontaires». Un peu plus tôt mardi, l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin avait réclamé une intervention du chef de la majorité pour corriger une «dérive droitière» du gouvernement. Raffarin a notamment appelé Fillon à «prendre la parole pour expliquer les valeurs d'équilibre d'une majorité qui doit avancer avec son cerveau droit mais aussi son cerveau gauche» !
Critiques jusqu'au Conseil de l'Europe
La déclaration du François Fillon intervient alors même que le Conseil de l'Europe a dénoncé mardi «une évolution particulièrement négative» de la France sur ce sujet. La commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Ecri) est ainsi «profondément préoccupée» par le traitement envers les Roms migrants en France et «exprime sa déception face à cette évolution » selon un communiqué publié à Strasbourg.
La critique a provoqué une réaction rapide du chef du gouvernement. François Fillon saisira mercredi le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, sur la question des Roms, en vue d'«approfondir la coordination» avec Bucarest et Sofia et «d'accentuer les initiatives dans le cadre européen».
mardi 24 août 2010
Fillon : l'immigration irrégulière ne doit pas être «instrumentalisée»
"Il faut retrouver notre unité dans les valeurs de la République"
Le débat sur la sécurité qui agite actuellement notre pays ne peut qu'inquiéter tous ceux qui ont un profond attachement pour la France. Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons veiller à protéger les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui sont le fondement même de notre République et le ciment de notre pays.
La première valeur dont il nous faut restaurer le sens, c'est la liberté.
Dans ce nécessaire débat qui a surgi au cours de l'été, il ne faut pas perdre de vue que la sécurité doit constituer, pour tous, la première des libertés. Nous ne pouvons faire l'économie de nouvelles solutions pour faire face à l'insécurité croissante en France. Notre objectif premier doit être de restaurer sur l'ensemble du territoire la sécurité à laquelle chacun a le droit.
Sur ces questions qui sont pourtant une des premières préoccupations des Français, l'opposition socialiste, engluée dans un conservatisme et des tabous idéologiques d'un autre âge, s'exprime peu et ne propose rien… et je le regrette! Force est de constater que Daniel Cohn-Bendit, en expliquant que l'Europe doit savoir ouvrir ou fermer ses portes, a plus conscience des problèmes posés par les questions de sécurité et d'immigration que ses amis socialistes. Ces derniers feraient bien de regarder autour d'eux : ils verraient comment l'Espagne contrôle l'immigration et comment l'Allemagne et l'Angleterre ont pris des mesures drastiques en matière de sécurité et de responsabilisation des familles.
La deuxième valeur sur laquelle nous devons nous interroger à la lueur de notre actualité, c'est l'égalité. La France est un pays qui donne des chances à tous, tout au long de la vie, qui accueille tout le monde à l'école, qui ne fait pas de ségrégation, qui ne compartimente pas, qui n'attise ni la haine ni les jalousies. Je peux en témoigner : pour les enfants de l'immigration, l'égalité est le vecteur et la finalité d'une intégration réussie.
Cessons de stigmatiser tous ces "Français de la diversité" comme des "enfants de l'immigration" et de les cantonner à des fonctions ou à des quotas qui les renvoient systématiquement à des origines ou des pays qu'ils ne connaissent pas.
C'est cela l'égalité à laquelle chacun doit pouvoir prétendre. Nous partageons les mêmes valeurs et le même amour pour la France. Et c'est cela qui nous unit, c'est cela la traduction concrète de la fraternité républicaine. La fraternité, c'est refuser avec la même vigueur tous les replis communautaristes et tous les comportements qui viseraient à isoler une catégorie de la population. La France n'est jamais aussi grande et forte que lorsqu'elle se montre unie, au-delà des territoires, au-delà des religions, ou des origines. Cette unité est un bien précieux que nous devons préserver.
CESSONS DONC D'OPPOSER LES FRANÇAIS LES UNS AUX AUTRES
A ce titre, le tournant pris dans le débat qui a suivi la proposition du président de la République concernant l'extension de la déchéance de la nationalité française, est regrettable.
Cette proposition prévoit une extension très encadrée d'une situation qui existe déjà dans notre droit, en s'assurant du respect des conventions internationales. Cette proposition a la vertu, par ailleurs, de nous rappeler que devenir Français n'est pas un acte anodin, et de redonner tout leur sens aux valeurs républicaines que nous avons tous en partage.
Ce n'est donc pas cette proposition mais le débat qui s'en est suivi qui n'a pas été sain : je songe en particulier à son instrumentalisation par ceux qui, pour satisfaire leurs ambitions politiques, veulent catégoriser les Français au mépris de la fraternité. Je regrette que certains aient pu se laisser aller à un amalgame entre immigration et délinquance.
Tous les immigrés et les enfants d'immigrés ne sont pas des délinquants potentiels. Nous sommes nombreux à savoir parfaitement, du fait de nos origines, ce que signifie intégrer la nationalité française. C'est une adhésion forte qui ne nous fait oublier aucune racine, mais ces racines sont un jardin qui n'appartient qu'à nous. C'est en tant que Française et sans complexe que je dis qu'il peut y avoir de la délinquance par défaut d'intégration, et que le crime n'a pas de couleur. Cessons donc d'opposer les Français les uns aux autres, au profit d'un meilleur vivre ensemble !
Notre défi aujourd'hui, en tant que responsables politiques, c'est de contribuer à créer un nouveau climat d'apaisement pour que tous les Français soient de nouveau totalement en phase avec les valeurs fondamentales de notre République.
La République, ce n'est ni l'angélisme ni l'immobilisme, et encore moins le rejet de l'autre. Ceux qui mettent en doute, depuis des années, la nécessité de défendre notre héritage républicain, à la fois complexe et glorieux, n'ont pas rendu service à la France. Ce dénigrement a fait des dégâts qu'il sera difficile de rattraper.
Ce n'est pas un hasard si le Parti socialiste a vu partir ses plus ardents défenseurs de la République, de Max Gallo à Jean-Pierre Chevènement. Les enfants de l'immigration veulent au contraire qu'on leur montre que l'adhésion aux valeurs de la République est un honneur inestimable.
Rachida Dati, députée européenne, maire du 7e arrondissement de Paris
Quand l'environnement guide le destin de cellules souches
Des chercheurs suisses et britanniques ont produit de la peau en transformant, sans manipuler leurs gènes, des cellules souches provenant du thymus de rat. Dans un article publié mercredi 18 août dans la revue Nature, l'équipe du professeur Yann Barrandon (Ecole polytechnique fédérale et CHU de Lausanne) rapporte y être parvenue en plaçant des cellules thymiques dans un micro-environnement de cellules cutanées. Ces travaux, soutenus financièrement par la Commission européenne, ouvrent des perspectives en termes de régénération d'organes.
Le thymus joue un rôle majeur dans la construction des défenses immunitaires, à partir de ses cellules épithéliales. Ces dernières sont organisées en un réseau tridimensionnel complexe, sensiblement différent des épithéliums classiques, comme celui de la peau. L'équipe helvéto-britannique a d'abord mis en culture des cellules thymiques épithéliales de rat. Puis elle a transplanté ces cellules chez un rat dans de la peau en développement.
Les cellules thymiques se sont alors transformées de manière irréversible en cellules cutanées, sans qu'il ait été nécessaire d'introduire des gènes contrôlant le destin cellulaire. Cette dernière technique, développée par le Japonais Shinya Yamanaka, est employée pour produire des cellules souches en reprogrammant des cellules adultes (cellules à pluripotence induite dites "iPS"). Mais elle a l'inconvénient de risquer d'induire des tumeurs - un risque qu'il faudra aussi évaluer dans la méthode de l'équipe helvéto-britannique.
Dans l'étude de cette dernière, la transformation des cellules thymiques en cellules de peau résulte de la seule action de l'environnement dans lequel elles ont été placées. Cette transplantation a provoqué d'importants changements dans l'expression des gènes des cellules thymiques.
APTITUDE ÉVOLUTIVE
Les cellules cutanées ainsi obtenues ont de nouveau été mise en culture puis transplantées chez un rat où elles ont effectivement produit une peau normale, avec des cellules épidermiques, des follicules pileux et des glandes sébacées. Il est à noter que la capacité des cellules thymiques épithéliales à se transformer en cellules cutanées est présente chez des cellules aussi bien embryonnaires que chez celles que Yann Barrandon et ses collègues ont prélevées après la naissance des rats.
Selon les auteurs, cette aptitude évolutive pourrait découler d'un programme de stratification gouvernant l'organisation des cellules. La détermination de l'orientation vers un type cutané "est indépendante de l'origine de la lignée germinale primitive". De plus, les cellules épithéliales du thymus pourraient améliorer leur capacité à devenir des cellules souches de peau multipotente "après reprogrammation micro-environnementale".
L'une des questions soulevées par ce travail est de savoir si les cellules épithéliales du thymus pourraient être orientées différemment dans un environnement autre que celui de cellules de peau.
Paul Benkimoun
Coup d'arrêt à la recherche sur les cellules souches aux Etats-Unis
Un juge fédéral américain a suspendu lundi, dans une procédure en référé, le financement par des fonds fédéraux de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, que le président Obama avait autorisé. Pour le juge Royce Lamberth, la recherche sur des cellules souches embryonnaires "est une recherche au cours de laquelle des embryons sont détruits" et les associations chrétiennes qui avaient porté plainte "ont démontré qu'elles avaient des chances de gagner sur le fond".
Le président Obama avait signé le 9 mars 2009 un décret autorisant le financement fédéral de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, très prometteuses pour guérir ou traiter des maladies. Par ce geste, il était revenu sur huit ans de politique de son prédécesseur, George W. Bush, qui avait interdit le financement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires par des fonds fédéraux. Les cellules souches constituent le meilleur espoir de la médecine régénératrice pour des pathologies comme le diabète, la maladie de Parkinson ou la paralysie des blessés de la mœlle épinière.
Retraites: FO en marge
A l'issue d'une réunion organisée lundi, les syndicats français ont renouvelé leur appel à "faire du 7 septembre prochain une journée massive de grèves et de manifestations" contre le projet de réforme des retraites défendu par le gouvernement. Seule FO n'a pas signé cet appel, regrettant que le texte ne demande pas le retrait du projet.
Le 7 septembre prochain, jour du début de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi sur la réforme des retraites, il y aura bien une grève générale. Réunis à Paris lundi au siège de la FSU, les syndicats ont appelé à faire de cette date "une journée de grèves et de manifestations" contre le projet de réforme, dont le gouvernement exclut de changer les grandes lignes. La CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, la CGT, la FSU, Solidaires et l'UNSA ont paraphé cet appel.
Seule Force ouvrière se distingue, une fois encore. Si elle appelle bien à la mobilisation générale le 7 septembre prochain - alors qu'elle ne l'avait pas fait le 24 juin dernier -, la centrale syndicale a refusé de signer le texte, arguant que n'y figurait pas la demande explicite de retrait du projet de réforme. FO "regrette que cette revendication n'ait pas été retenue par les autres organisations syndicales car elle a le mérite de la clarté", a justifié son secrétaire général Jean-Claude Mailly dans un communiqué. Les autres syndicats, eux, s'en expliquent. "On refuse de polariser la mobilisation exclusivement sur la question du retrait du projet de loi: ça ne suffira pas à trouver des solutions aux problèmes des retraites", a ainsi déclaré la responsable CGT Nadine Prigent.
Une forte mobilisation espérée
Les syndicats espèrent que la mobilisation sera au rendez-vous. "L'enjeu est d'obtenir un autre contenu pour une autre réforme des retraites (…) La CFDT fera le maximum pour que la journée du 7 septembre soit une très forte journée de mobilisation", a commenté Marcel Grignard.
Les centrales sont optimistes, eu égard aux dernières mobilisations – deux millions de personnes selon les syndicats le 24 juin dernier ; 800.000 selon le ministère de l'Intérieur. "Cette mobilisation, elle prend", a ainsi estimé Annick Coupé, du syndicat Solidaires. La responsable syndicale a souligné le caractère "inédit" de cette rentrée sociale. "Le gouvernement est englué dans des affaires, je pense que la crédibilité du gouvernement sur la justice sociale est quand même un peu mal en point", a-t-elle déclaré. Dès le lendemain des manifestations du 7 septembre, l'intersyndicale a prévu de se réunir pour analyser la situation et décider des suites à donner au mouvement de protestation.
Reconquiert-on le peuple par le populisme? C’est la question de cette rentrée après un été marqué par une surenchère dans le discours sécuritaire.
Il fallait faire oublier l’affaire Bettencourt et la désastreuse image de caste qu’elle a laissée, avant une réforme des retraites que l’opinion peine à trouver juste. Brice Hortefeux est enfin entré dans les habits du "premier flic de France".
Dans la lignée du discours présidentiel de Grenoble, il s’attaque à des zones de non-droit. Il mène le combat contre des formes de délinquance insupportables aux plus faibles. Devait-il pour autant stigmatiser la "gauche milliardaire", Saint-Germain des Prés et les "bien-pensants"? Fallait-il que ministres et parlementaires désireux de se faire bien voir disputent le concours Lépine de l’arsenal sécuritaire?
Il est dangereux de laisser déraper les discours de ses fidèles. Nicolas Sarkozy est devenu président de la République en canalisant les pulsions extrêmes sans jamais les légitimer. Mais courir après le peuple peut le couper de catégories sociales qui constituent son socle dans l’opinion, comme le montre notre baromètre Ifop. Tel le fil d’un arc, le lien avec le peuple peut se tendre. Qu’il rompe, les scénarios les plus improbables deviennent possibles.
Olivier Jay
Cette fois, c'est l'artillerie lourde, même sans divisions. Le pape ! Comme il fallait s'y attendre, le débat sur l'expulsion des Roms dérive chaque jour un peu plus vers le scandale. Voilà le gouvernement piégé, bien obligé d'écouter les remontrances à peine voilées du chef de l'Église catholique. Le voilà contraint à prendre en pleine figure la médaille du mérite d'un prêtre en colère au profil d'abbé Pierre qui souhaite que le cœur de Nicolas Sarkozy fasse boum, comme dirait Trénet, avant de se reprendre. Voilà un ministre qui invoque la loi de 1905 et la séparation des églises et de l'État pour dénier aux responsables religieux la liberté d'émettre un avis sur un fait politique au mépris même de l'esprit de la laïcité à la française. Un désastre. Et pas seulement politique : intellectuel et moral, aussi.
François Fillon, lui, a pris bien soin de se tenir à l'écart de ce dossier pourri. A-t-il pensé que l'été sécurité, c'était une mauvaise idée ? Sans doute. Lui aurait sans doute préféré que l'Élysée resta concentré sur l'essentiel : l'économie, la réduction des déficits, la réforme des retraites...
L'offensive menée par les deux porte-flingues de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Christian Estrosi, a dû sembler aussi vulgaire qu'encombrante à ce gaulliste social. Depuis 2007, il en a avalé des couleuvres, et bravement, mais il a manifestement refusé de digérer celle-là. Il n'a pas dit mot, ou presque, et à aucun moment n'a repris au compte de l'action gouvernementale les initiatives musclées du ministre de l'Intérieur et du ministre-maire de Nice.
Les vacances en Italie ont eu du bon. Ah, que la barrière des Alpes fut secourable. Le Premier ministre a mis son âme à l'abri au soleil de Toscane, heureux de ne pas risquer de se salir les mains pour rien. S'il n'est pas reconduit à l'automne, il aura au moins sauvé sa réputation, et son image.
Seule inquiétude : l'hypothèse de son départ - quasiment certain fin juillet - est remis en question par les bons sondages dont il est crédité en cette fin août. Le président hésiterait désormais à se séparer de ce chef de gouvernement plus populaire que prévu pour le remplacer par une MAM à l'avenir médiatique plus incertain. Le choix de le maintenir finalement à son poste ne serait pas forcément un cadeau bienvenu. Il obligerait François Fillon à endosser une orientation dure qui est étrangère à son tempérament comme à ses convictions. Jusque-là, Matignon n'a pas été l'enfer qu'on lui promettait. Si on ne le laisse pas en partir, il pourrait bien le devenir.
« Les lumières du Nord. » C'était le titre d'une exposition, il y a quelques années, sur les chefs-d'oeuvre de la peinture scandinave. C'est peut-être également ce dont l'Europe a besoin : un modèle politique, économique et social sinon éthique, face à la compétition grandissante des nouvelles puissances.
L'avantage comparatif de l'Europe dans le monde n'est certainement pas d'ordre démographique. En 2050, nous ne serons guère plus de 6 % de la population mondiale. Nous ne pouvons pas compter non plus sur notre supériorité militaire. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre sécurité dépend très largement de notre allié américain. Et sur le plan économique, nous accumulons des dettes au moment où l'Asie affiche des taux de croissance impressionnants.
Le seul espoir pour l'Europe est de devenir une « niche d'excellence », un continent que l'on respecte et qui continue de séduire par son « essence » plus que par ses « performances ». Si nous pouvons encore « faire la différence », c'est dans le domaine des idées et des idéaux. Et sur ce plan, une partie de l'Europe l'emporte clairement : l'Europe du Nord.
Bien sûr, il existe des mouvements d'extrême droite xénophobe au Danemark. La Suède n'est plus aussi ouverte aux immigrants qu'elle a pu l'être... Et pourtant, il existe une « modernité » dans les pays scandinaves, qui pourrait servir d'exemple. Le pouvoir y est modeste, et généralement honnête. La rigueur et la simplicité sont communément pratiquées. Les femmes jouent un rôle majeur dans la société depuis longtemps. Le capitalisme a pris une forme plus humaine, sinon plus morale à travers des formes variées de social-démocratie. Les écarts de richesse entre les citoyens sont moins grands, et donc plus acceptables. Enfin, le respect à l'égard des immigrants est normal.
Vu du Sud, ce Nord présente une image particulière. Ce sont de petits pays, par la population sinon par la géographie ; le climat y est froid et rigoureux, les valeurs puritaines... Autrement dit, « ce n'est pas pour nous », nous pour qui la politique est un jeu et le pouvoir une drogue, et le sentiment de supériorité sur les autres, souvent un réflexe.
Mais avant de rejeter un éventuel « modèle » scandinave, il convient de jeter un regard lucide sur l'évolution du monde. Nous ne pouvons parler de démocratie, d'État de droit, de respect des droits de l'homme, d'équilibre relatif entre les classes sociales, de protection des plus pauvres, face à la brutalité des rapports sociaux en Chine et en Inde et à l'omniprésence de la corruption, que si nous pratiquons avec rigueur, chez nous, ce que nous prêchons pour les autres.
Pour réconcilier l'Europe avec ses citoyens, il faut d'abord réhabiliter la politique aux yeux des citoyens. Cela ne passe pas par des dérives populistes et démagogiques. Cela passe par la rigueur morale, plus encore qu'économique, et le respect de soi-même et de ses principes. Pour faire face au vent d'Est et à ses propres dérives, le vent d'Ouest a besoin du vent du Nord.
MAYFAIR, paradis londonien pour milliardaires
Délimité par Oxford Street, Piccadilly, Hyde Park et Regent's Street, le quartier est devenu le pied-à-terre britannique de l'élite argentée du monde. Un phénomène accentué par la multiplication des fortunes dans les pays émergents. Les « hedge funds » s'installent dans le sillage des riches riverains.
Robin Birley traverse les pièces délabrées d'un pâté de maisons qu'il a racheté près de Shepherd Market. Nous sommes en plein Mayfair, ce quartier historique de Londres, où le passant lèche les vitrines des galeries d'art, des vendeurs de yachts ou de Ben-tley, en croisant sans le savoir milliardaires russes, saoudiens ou le gratin des « hedge funds » basés en Europe. Robin est le fils de Mark Birley, l'Anglais qui a monté à Londres en 1963 Annabel's, le seul night-club où la reine soit jamais sortie, où les Beatles furent les premiers, et pendant longtemps les seuls, autorisés à ne pas porter de cravate. Elégant, affable, un cigare à la main - « Lucy, voulez-vous amener un bon cigare à Charlie ? », demande-t-il sur son BlackBerry à l'intention de Charlie Methven, son agent tiré à quatre épingles -, il explique qu'il veut ouvrir son propre club à la fin de l'année prochaine.
Le nom n'est pas définitivement choisi. Peut-être « Rupert's », en hommage à son frère disparu dans une rivière du Togo. Ou « Loulou », en référence à sa cousine Loulou de la Falaise, qui fut une muse d'Yves Saint Laurent. « Elle est tellement glamour ! », s'enthousiasme-t-il. En 2007, les déchirements de la famille avaient conduit à la vente d'Annabel's. Aujourd'hui, Robin Birley aimerait que son clan règne à nouveau sur la vie sociale de Mayfair. En modernisant la formule de son père. « La clientèle sera 100 % internationale, sinon, ce n'est pas viable économiquement, explique-t-il. Ce sera un club anglais parce que c'est ce qu'aiment les nombreux étrangers de Londres, mais les Anglais représenteront moins de la moitié de la population. » Tout un symbole…
Les Anglais devenus minoritaires
Pour Paul Morand, dont le magnifique portrait de Londres, en 1933, fut un best-seller, Mayfair était « moins un quartier qu'une manière d'être, une façon d'envisager la vie, de savoir tenir son parapluie à la main toute l'année, de ne pas reconnaître quelqu'un qui ne vous a été présenté que quatre ou cinq fois, de garder son chapeau melon jusqu'en juillet, après le match d'Eton contre Harrow, d'avoir l'accent d'Oxford et de ne pas terminer ses phrases. » Délimité par Oxford Street, Piccadilly, Hyde Park et Regent's Street, le quartier est toujours, aujourd'hui, une façon bien particulière « d'envisager la vie ». En se vêtant de préférence des plus grandes marques internationales, en garant en double file, devant la boutique Prada, sa Lamborghini immatriculée au Qatar ou à Dubaï, et transportée par avion-cargo pour quelques jours. Ou encore en occupant quelques semaines par an sa luxueuse maison payée 20 millions de livres, gagnées à la faveur de quelques privatisations russes… Sur Bond Street, l'avenue Montaigne de Londres, Morand ne verrait plus de devantures où sont exposés « des jambons de haute époque, vieux Yorkshire ou Suffolk, noirs ou ambrés comme des stradivarius ». Même si on peut encore admirer des faisans pendus par le cou, sur Mount Street, dans la vitrine du vieux boucher Allens…
Le décor de Mayfair reste parfaitement anglais, tout comme une partie de ses moeurs. Mais les Anglais sont devenus une minorité et ce quartier est devenu le pied-à-terre britannique de l'élite argentée du monde. Comme Monaco peut l'être dans le sud de la France. Les résidents le disent : ici, tout a changé à partir des années 1980 et 1990. « Mayfair a toujours attiré les anglophiles du monde entier, explique Charlie Methven. Mais les étrangers d'aujourd'hui vivent à côté des autochtones, sans forcément chercher à les rencontrer », poursuit-il. Un phénomène qui s'est clairement accentué avec l'accélération de la mondialisation et la multiplication des fortunes dans les pays émergents. La mutation se poursuit aujourd'hui à grande vitesse. En dépit de la crise financière, les agents immobiliers rapportent tous que les fortunes du monde émergent se ruent -en payant cash -sur l'immobilier de luxe de Londres, comme sur celui de New York et d'ailleurs. « Le quartier a retenu sa respiration pendant trois mois au premier trimestre 2009, après la crise de Lehman Brothers, c'est tout », raconte un Français qui a créé son « hedge fund » et l'a basé à Mayfair. Difficile de dire si les Britanniques nourrissent du ressentiment vis-à-vis de cette haute société étrangère qui acquiert leurs plus beaux hôtels particuliers et même leurs territoires de chasse, à la campagne. « Les Anglais aiment faire affaire avec elle, mais, socialement, c'est une autre histoire… », constate Marianne Scordel, dont le bureau Bougeville conseille les « hedge funds » à Londres.
Aussi irréel que soit ce quartier, Mayfair est administré comme tous les autres « boroughs » (bourgs) de Londres. Il est rattaché à Westminster. Un de ses représentants, Jonathan Glanz, promène sur ce petit paradis pour milliardaires un regard amusé par la diversité de la population… et des problèmes à régler, de la simple fuite d'eau aux projets immobiliers pouvant atteindre plusieurs centaines de millions de livres. « Dans tout Westminster, en gros le centre de Londres, plus de 55 % des résidents sont nés à l'étranger, note Jonathan Glanz. Ici, la proportion est encore plus élevée : dès que quelqu'un fait fortune quelque part dans le monde, il veut s'offrir une résidence à Mayfair où il se sentira libre de dépenser son argent avec des gens qui lui ressemblent. » Il y a environ 2.500 inscrits sur les registres électoraux, soit une population résidente de 6.000 personnes, « en comptant les enfants et les domestiques » des Philippines ou d'ailleurs, qui ne peuvent voter. Si, dans la journée, le quartier vibre de 100.000 personnes qui viennent y travailler -dans les commerces, les « hedge funds » mais également les sièges sociaux des grandes entreprises qui étaient là avant eux, comme l'éditeur de magazines américain Condé Nast ou la multinationale de la bière SABMiller -la petite taille de la population se ressent le soir. La plupart des rues se vident, les immeubles s'éteignent en fin d'après-midi et ne brillent qu'aux vitrines qui décorent leurs rez-de-chaussée. Mayfair fait semblant de dormir…
Extravagances immobilières
L'extravagance est courante en matière immobilière, même si le quartier appartient formellement aux deux tiers à Grosvenor Estate, la société du duc de Westminster, une bizarrerie du marché immobilier anglais qui disparaît petit à petit. Il reste quelques institutions austères comme la secrète résidence Albany, un havre de célibataires qui a abrité le poète lord Byron, le très important Premier ministre William Gladstone ou, dans les années 1960, l'acteur Terence Stamp. Dans les couloirs de cette bâtisse entre Piccadilly et Saville Row qui n'accueille les femmes qu'avec réserve, on se croirait dans un lycée en France. Mais les grandes fortunes d'aujourd'hui ne résistent plus au confort moderne. « Je me suis aperçu en allant à un rendez-vous que toutes les maisons d'une rue au nord de Berkeley Square avaient chacune leur piscine en sous-sol », raconte un autre gérant de « hedge fund » français. Aucun doute possible : si un fonds du Qatar rachète comme prévu l'immeuble moderniste de l'ambassade des Etats-Unis sur Grosvenor Square pour le transformer en hôtel, le décor sera soigné. Comme devrait l'être celui du centre commercial racheté par le même émirat en face de Selfridge's, le Bon Marché londonien, sur Oxford Street.
Le plus saugrenu dans le microcosme de Mayfair est peut-être la présence de logements sociaux, dont les habitants -ironie du sort -sont bombardés de prospectus leur proposant de devenir titulaires de la carte Platinum d'American Express. Près de la résidence où le couturier Alexander McQueen vient de se suicider, Jonathan Glanz tend son bras vers deux immeubles identiques, au bord de la centrale électrique du quartier, magnifiquement masquée par une terrasse en brique. « D'un côté, un deux-pièces vaut 1 million de livres, de l'autre, ces mêmes appartements sont loués pour 80 livres par semaine », fait-il observer. Pas évident, pour ces bénéficiaires de prestations sociales, de faire leurs courses quand le moindre vendeur de vins propose des crus à 20.000 livres.
La richesse des riverains fait partie des raisons pour lesquelles les « hedge funds », ces fonds censés être plus rusés dans leurs investissements que les sicav pour simples salariés, se sont installés à Mayfair. Ce gérant ne s'en cache pas : « Entre mon bureau et le Ritz où logent mes clients, il y a Bond Street, où leurs compagnes claquent leur argent pendant que je suis en rendez-vous avec eux », explique-t-il. Pour être crédible auprès de cette clientèle, les « hedge funds » qui se lancent louent parfois le décor de leurs bureaux. Cela leur permet d'afficher des oeuvres d'art. « Cela veut dire que vous êtes assez riches et "successful" pour devoir défiscaliser », décode un financier. Les « hedge funders » se reconnaissent dans les rues, où ils se croisent lorsqu'ils marchent vers leurs rendez-vous dans les grands hôtels alentour. Ils peuvent également tomber sur les dirigeants des grandes entreprises qui enchaînent les rendez-vous dans Mayfair, après s'être rodés la veille dans la City auprès des gérants de fonds classiques, pas assez « sophisticated » pour les financiers de haut vol de Mayfair…
Un lieu idéal pour coureurs d'aventures
Mais le quartier vit aussi la nuit. Un homme, Richard Caring, symbolise à lui seul le Mayfair « by night ». Du Caprice au Ivy, en passant par Scott's et le Harry's Bar, devant lequel la mairie a installé, à son grand désarroi, une station du très récent Vélib' londonien, celui qui s'est lancé dans la haute société en 2005 en organisant un gigantesque bal costumé à Saint-Pétersbourg pour une association de charité étend son empire de semaine en semaine. C'est lui qui a acheté Annabel's aux Birley. A sa façon, Richard Caring profite à plein de l'internationalisation de Mayfair, mais en sens inverse : car tous ces restaurants typiques de Londres, il souhaite désormais en décliner les enseignes à Dubaï, à Los Angeles, à Hong Kong… Pour l'anecdote, un autre restaurant témoigne du pouvoir d'attraction de Mayfair. Il s'agit de The Square. C'est là qu'aurait atterri la cave de Vivendi, le groupe français forcé de vendre des actifs au moment de sa déconfiture.
Tout cet argent ne peut qu'attirer les coureurs d'aventures du monde entier. La prostitution n'est pas rare à Mayfair, pour utiliser un « understatement » à l'anglaise. « Il y a encore quinze bordels autour de Shepherd Market, ce recoin populaire du quartier, et pas chers ! s'amuse Robin Birley en montrant les immeubles qui entourent son futur club. Une rue plus haut, les loyers sont gigantesques : j'adore le contraste avec le côté délabré de ce coin. » Les frontières sont parfois plus floues. « Vous vous retrouvez dans un night-club très chic avec une grande fille blonde dansant à vos côtés et vous vous demandez : "Tiens, est-ce que c'est mon nouvel après-rasage ?" », plaisante un « hedge funder ». L'aventure des affaires en général en a saisi plus d'un dans ce quartier, et tout le monde ne fait pas fortune. « Cette maison, aujourd'hui en vente pour 30 millions de livres malgré son état calamiteux, était possédée par un homme d'affaires qui ne pouvait jamais se tromper dès qu'il reniflait une affaire, raconte Jonathan Glanz. Jusqu'à ce qu'il tente d'avaler plus qu'il ne pouvait mâcher et se retrouve en faillite. Cela arrive tous les jours à Mayfair. » Et on se dit, finalement, que le quartier n'a pas tant changé que cela : « Les potins de sociétés, l'envie mondaine, la beauté considérée comme monnaie d'échange, le mariage riche, les chansons à boire autour du bol de punch, l'héritage dissipé d'un oncle mort aux Indes, tout cela c'est Mayfair, écrivait Morand ; Mayfair est encore habité par tous les "messieurs Surface" ».
NICOLAS MADELAINE
Les traditionnelles universités d'été du PS vont s'ouvrir à La Rochelle. Ce seront les dernières où l'on pourra encore réfléchir à la stratégie présidentielle. Car l'an prochain à la même date, la bagarre pour l'élection de 2012 sera lancée et il sera trop tard pour faire des plans sur la comète. C'est maintenant qu'il faut choisir, non pas le candidat ou la candidate, mais le ou les terrains sur lesquels la gauche va livrer bataille.
Or le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble place les socialistes devant un dilemme fondamental. Il est clair, en effet, que par ce discours orageux sur l'insécurité, le président Sarkozy a choisi le terrain sur lequel le candidat Sarkozy compte se battre et l'emporter à nouveau. De son point de vue, on le comprend. La crise économique lui interdit d'espérer récolter le fruit de son slogan de 2007, « travailler plus pour gagner plus » et l'encéphalogramme plat du projet européen le bride dans son désir de jouer le d'Artagnan de l'Union comme il en eut un instant l'opportunité lors de la crise géorgienne. L'économique, le social et l'international étant sous l'éteignoir, reste le thème de l'insécurité.
Le choix des armes étant fait à droite, que peut décider la gauche ? Elle peut choisir de refuser le terrain de l'insécurité en considérant que ce thème serait culturellement de droite et que ses errements passés seraient insurmontables en dix-huit mois. Dans cette hypothèse, elle se battrait exclusivement sur le terrain économique et social, laissant Sarkozy dans un tête-à-tête risqué avec le Front national sur le terrain sécuritaire.
La seconde hypothèse pour la gauche serait d'estimer qu'il n'est pas possible de laisser son adversaire soliloquer sur un sujet auquel sa base populaire est aussi sensible. Dans ce cas, il lui faudra construire un discours fort et homogène alors que l'on n'a entendu jusqu'à présent que des propos faibles et disparates. La tâche sera donc rude. Mais avant de s'y livrer, il faut choisir l'une des deux composantes du dilemme. De la pertinence de ce choix dépendra largement l'issue de la présidentielle.
L'idée ne va pas de soi : les Français sont de mieux en mieux logés. Les logements sont plus récents. Un ménage sur neuf vit dans une maison ou un appartement de moins de dix ans. Ils sont aussi plus grands. En vingt ans, la superficie moyenne par habitant a progressé d'un tiers pour atteindre 36 mètres carrés - et la progression se retrouve aussi dans le logement social. Et ils n'ont jamais été aussi confortables. En trente ans, la proportion de Français s'estimant mal logés a diminué de moitié, pour tomber à 6 %.
Et pourtant, il y a un malaise, qui engendre régulièrement des poussées de misérabilisme. Il manque en France des centaines de milliers de logements - plus d'un million, selon certains experts. Et il y a aussi des centaines de milliers de logements vacants. Entre les deux, il n'y a pas seulement l'égoïsme de quelques propriétaires refusant de louer leur bien pour d'obscures raisons, il y a surtout une inadéquation entre l'offre et la demande. Les toits disponibles sont le plus souvent à la campagne. Et les locataires cherchent un toit en ville, là où il y a du travail et des transports. Autour de Paris, un logement sur quatre est surpeuplé.
Il est bien sûr possible d'accuser un marché qui serait incapable d'ajuster l'offre à la demande. En l'occurrence, c'est la responsabilité des pouvoirs publics qui est d'abord engagée. Car la construction de logements bute en France sur un effroyable blocage foncier. Rien, ou presque rien, n'est fait pour libérer des terrains en ville. Il est certes beaucoup plus facile de transformer d'un trait de plume des champs en terrains à bâtir en région rurale. Ou d'entretenir des niches fiscales qui poussent à construire des immeubles au petit bonheur la chance sans guère se soucier de leur utilité. Mais une vraie politique du logement consisterait à détecter les besoins à long terme, à définir les moyens de les satisfaire puis à prendre des mesures incitant collectivités locales, constructeurs, propriétaires et ménages à aller dans la bonne direction.
L'incapacité de l'Etat à jouer son rôle d'aiguillon à long terme se retrouve dans un domaine très différent où l'on peut déplorer exactement la même inadéquation entre l'offre et la demande : l'enseignement supérieur. La machine universitaire produit chaque année des dizaines de milliers de diplômés sans la moindre perspective d'emploi, tandis que des entreprises ne trouvent pas les compétences nécessaires à leur développement. Pour le logement comme pour l'université, la solution est la même : elle passe par un Etat stratège.
Eoliennes en mer : plus de 15 millards d'euros d'investissements en vue
L'Etat se prépare à lancer en septembre un appel d'offres de 3.000 mégawatts pour implanter des éoliennes au large des côtes françaises. Zones concernées : les Pays de la Loire, le nord de la Bretagne, le Languedoc-Roussillon et la Normandie. Le projet pourrait nécessiter de 15 à 20 milliards d'euros d'investissements.
En France, les acteurs de l'éolien offshore sont sur le pied de guerre. Le gouvernement doit en effet lancer dès cette rentrée un gigantesque appel d'offres pour implanter des éoliennes au large des côtes françaises. Un appel d'offres de taille puisqu'il portera sur une puissance d'au moins 3.000 mégawatts soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires EPR.
Egalement hautement stratégique, cet appel d'offres doit non seulement permettre la mise en place de nouveaux équipements fournissant de l'électricité mais aussi contribuer à donner naissance à une véritable filière industrielle en France dans ce secteur. Sa réalisation nécessitera un volume d'investissements de 15 à 20 milliards d'euros, indique-t-on au ministère de l'Ecologie et de l'Energie. Elle devrait se traduire par l'installation d'au moins 600 éoliennes au large des côtes françaises ne comptant aujour-d'hui encore aucune de ces « fermes de pales ».
Pas d'installation avant 2015
Dans quelles régions les machines seront-elles mises en place ? Après avoir présenté son projet début mai, le gouvernement avait prévu de dévoiler rapidement une dizaine de zones susceptibles d'accueillir des éoliennes.
L'intérêt soudain d'un grand nombre de ports et d'agences de développement pour l'appel d'offres a forcé l'Etat à repousser cette idée au mois de septembre. Mais les grands axes sont définis. Les zones seront situées dans les Pays de la Loire, le nord de la Bretagne, le Languedoc-Roussillon et la Normandie, sur un périmètre allant de la baie de Seine à la baie de Somme. Cette approche permettra de limiter l'impact sur le paysage et la navigation. L'Etat devrait aussi découper chacune de ces zones en lots afin de mutualiser le coût des infrastructures de raccordement.
L'ensemble du processus va se dérouler sur une période longue. L'installation des premières éoliennes n'est pas attendue avant le début 2015. Surtout, l'appel d'offres comprendra un dispositif jamais utilisé jusqu'à présent par le ministère de l'Ecologie : une période de « levée des risques ». En clair, les candidats sélectionnés ne seront définitivement retenus qu'après une période d'un an et demi, à l'issue de laquelle ils auront confirmé la « faisabilité du prix proposé ». Dans le cas contraire, la procédure sera rouverte. Il s'agit d'éviter de sélectionner des projets séduisants sur le papier mais irréalisables. Lancé en 2004, le premier appel d'offres d'éolien en mer n'a eu aucun résultat concret.
Des prix aléatoires
Les professionnels sont particulièrement attentifs à cette question. « Dans le domaine des énergies renouvelables, nous avons eu de très mauvaises expériences avec les appels d'offres, explique Marion Lettry, déléguée générale adjointe au sein du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Le critère prix annule tous les autres et on se retrouve avec les projets les moins chers mais aussi les plus fragiles. »
Dans l'éolien offshore, le risque d'échec est particulièrement élevé. L'installation d'une machine nécessite en effet une étude poussée des fonds marins. Compte tenu de leurs coûts, ces études ne sont jamais réalisées en amont. Ce qui rend les prix proposés assez aléatoires.
Le montant et la complexité des projets vont également imposer la mise en place de consortiums importants. On peut s'attendre à des regroupements entre des groupes électriciens comme GDF Suez ou Iberdrola, des fabricants de turbines comme Siemens, General Electric ou Alstom et des professionnels du génie civil. Le gouvernement français souhaite éviter les sociétés de taille moyenne, spécialisées dans l'obtention de permis.
Les projets seront jugés sur les prix proposés mais aussi sur leur capacité à utiliser les infrastructures portuaires et le savoir-faire français. Pour des spécialistes de la maintenance en mer et des grands ensembles comme les chantiers navals STX (Saint-Nazaire et Lorient), ce type de projet pourrait faire figure de bouffée d'oxygène. De quoi motiver la mise en place d'une zone offshore importante au large des Pays de la Loire.
EMMANUEL GRASLAND