Pendant ses dix
ans à la tête du Parti socialiste, François Hollande a noué de
nombreuses inimitié avec quelques uns des cadres majeurs du parti. Des
personnalités avec lesquelles il va dorénavant devoir composer pour
diriger la France. N'ayant jamais développé son courant au sein du
parti, y-a-t-il pour le nouveau président un risque d'être l'otage du PS
?
Jean-François Kahn : Nicolas Sarkozy a perdu l’élection présidentielle. 52%
des voix en faveur de François Hollande, mais aussi les votes blancs,
répondaient surtout à un référendum contre Nicolas Sarkozy : ce n’est
pas en réalité pas une victoire de la gauche ! 52% de votes pour le candidat socialiste, c’est finalement très peu.
Avec la crise économique et le rejet envers sa personne, Nicolas Sarkozy s’en sort plutôt bien… Si
un candidat de gauche avait le même bilan : chômage, déficit, dette,
déficit commercial, délinquance, immigration augmentée… Il aurait
littéralement été écrabouillé ! Même Jospin, avait un meilleur
bilan, ne faisait que 16% en 2002. C’est bien la preuve que la France,
aujourd’hui, ne veut pas réellement de la gauche.
Sans
le gel des voix de Marine Le Pen et le léger report des voix de
François Bayrou en faveur de François Hollande, la situation aurait pu
être inversée. La droite, sous l’impulsion de deux admirateurs de
Maurras, en ayant un discours digne des tendances des années 1930,
réalise en réalité un score exceptionnel ! Les querelles entre
socialistes ? En comparaison de cette problématique beaucoup plus grave,
on s’en fout !
Guillaume Roquette :
François Hollande est dans une situation très favorable par rapport au
parti socialiste. Il a une légitimité incroyable : il est le premier
socialiste depuis François Mitterrand à accéder à l’Elysée. Il a été
largement sous-estimé par les leaders du parti et a su prouver de façon
éclatante qu’il était le meilleur. L’idée de base, c’est qu’il
devait faire la synthèse pour ne faire de l’ombre à aucun courant, et
finalement il les a tous eu car il a été le plus malin. Je pense que c’est une position très favorable qui lui permet d’être assez libre, d’un point de vue tactique.
D’un
point de vue idéologique, il est très libre par rapport à l’aile gauche
du parti, l’axe Aubry/Hamon, dans la mesure où le faible score de
Jean-Luc Mélenchon au premier tour montre qu’il n’y a pas de volonté de
gauchisation du discours socialiste. C’est un atout.
Si on reprend
les grands candidats à la primaire, il a emmené avec lui Manuel Valls,
qui ne représente plus un risque. Quant à Montebourg, il est tout seul :
il n’a voulu d’alliance avec personne et son discours est le même que
celui de Mélenchon. Comme pour Aubry, le score limité du leader du Front
de gauche relativise son importance politique. Ensuite, il y a les
grands féodaux des fédérations, mais ils sont relativement affaiblis par
les affaires, ce qui fait que François Hollande a vraiment un Parti
socialiste à sa main. Et apparemment, Martine Aubry ne veut pas rester premier secrétaire. Il y aura donc un changement, et ça sera lui le faiseur de roi. Il va être dans une position favorable pour avoir un état major qui lui est dévoué.
Maurice Ulrich :
Je crois qu’il est désormais exclu qu’il soit l’otage des principaux
courants du PS. Il est président de la République, et va nommer le
Premier ministre qui constituera le gouvernement avec son accord. Les
socialistes sont désormais tous presque « dépendants » de lui, et l’on
imagine mal ses « petits soldats » faire leur « cuisine » au sein du
gouvernement sans son aval.
La situation d’un président de la
République est d’ailleurs très différente de celle d’un chef de Parti,
même s’il a l’esprit de synthèse. Nicolas Sarkozy, quoi qu’en
aient pensé certains membres de la majorité sur la fin, n’a jamais cessé
de tenir les membres de son gouvernement. Je ne dis pas que la
gouvernance de François Hollande sera la même, mais les statuts lui
assurent la place de chef d’orchestre.
Il constituera
d’ailleurs son gouvernement en prenant en considération les différentes
sensibilités qui se sont exprimées lors des primaires, et veillera
certainement à préserver cet équilibre, mais ne sera pas l’otage de ces
différents courants. Ce seront les membres du gouvernement qui seront
les acteurs de la politique qu’il définira.
Audrey Pulvar : Les sujets d’inquiétude pour lui ne sont pas là. François
Hollande a quand même passé dix ans à la tête du parti socialiste en
réussissant à plusieurs reprises - il était connu pour ça - la synthèse.
Certains ont parlé de synthèse molle, je ne sais pas si c’est une
synthèse molle mais en tout cas, elle a vécu. Il a eu le mérite de
réussir, en dépit des foucades des uns et des autres, à réaliser cette
synthèse, à faire en sorte que les congrès, à part le congrès de Reims
bien sûr, débouchent sur quelque chose de constructif même après la
tempête du référendum de 2005. Et puis, surtout, il a prouvé
avec cette campagne qu’il était capable de se détacher de tout ça
puisqu'il a bien laissé le parti à Martine Aubry. Cette dernière a pris
des décisions, comme par exemple l’accord avec Europe Ecologie Les
Verts, alors que François Hollande dit lui-même qu’il ne se sentait pas
lié par cet accord, que ça concerne le parti, pas lui. Il a
quand même eu un mode de fonctionnement très autonome dans cette
campagne. On a bien vu que pendant des semaines, aussi bien dans son
entourage que parmi ses partenaires politiques, on lui reprochait de ne
pas être assez à gauche, de ne pas faire assez de propositions, de s’en
tenir à son programme et de n’avoir pas fait de propositions à part les
75 % tout au long de sa campagne. Lui, manifestement, avait décidé de
cette stratégie-là et s’y est tenu en dépit de tous les conseils, tous
les avis.
Et puis François Hollande a quand même réussi avec les primaires à fédérer autour de lui tous les candidats. Il n’y a pas eu une voix discordante.
Déjà entre premier et le second tour de la primaire, je crois qu’il a
été rejoint par quasiment tout le monde. Une fois élu, on se souvient de
l’image de François Hollande et Martine Aubry à Solférino. Ils
ont tous fait campagne pour lui, même Ségolène Royal qui avait des
motifs de lui en vouloir, notamment pour sa campagne de 2007.
Or, cela n'a pas toujours été le cas. En 2002, tout le monde n’était pas
d’accord avec la façon dont Lionel Jospin menait sa campagne et
certains l’ont dit très ouvertement. Quant à 2007, très clairement, une
bonne partie du parti socialiste et des ténors socialistes n’ont pas
fait campagne pour Ségolène Royal.
Plusieurs facteurs expliquent la victoire de François Hollande : il
y a à mon avis le principe primaire qui a fonctionné, il y a le fait
que lui-même a réussi, à titre personnel, à fédérer des gens autour lui
qui sont pourtant de galaxies et de conceptions de la gauche assez
éloignées parfois, mais surtout il y a l'enjeu. Je pense que
tous ces gens, à un moment, se sont dit "on en a un peu marre de perdre,
la machine à perdre, ça va bien". En 1995, on n’attendait pas Lionel
Jospin, il a quand même fait un bon résultats, il n’a pas à rougir.
2002, ça a été un traumatisme et 2007, la débandade. 1981, c’était il y a
31 ans, je pense qu’à un moment, ils ont grandi et heureusement pour
les électeurs de gauche.
Je pense donc que l’état
d’esprit actuel est vraiment à l’unité. Ceux qui ne sont pas d’accord,
s'ils sont dans l'équipe gouvernementale, la quitteront et vont
certainement se marginaliser au sein de la majorité. Par contre,
je suis moins sûre du résultat des législatives. S’il y a des écueils
pour François Hollande, ils sont plutôt là qu’au sein de sa propre
"tribu". Y aura-t-il alliance locale ou pas entre le FN et
l'UMP, quelle droite aura-t-il à combattre, le Front de gauche fera-t-il
un score assez important pour avoir des députés à l'Assemblée ?
François Hollande, s’il n’a pas une majorité socialiste forte, une
majorité non pas absolue mais qui lui permette en tout cas de peser
fortement sur le débat, peut être que quand il va falloir lui voter la
confiance sur certains dossiers, les députés Front de gauche
rechigneront un peu.
Son principal problème est
plutôt là qu’au sein de sa propre équipe qui est, pour l’instant, happée
par le côté magique de la victoire et face à beaucoup de rancœur.
Le choix du Premier ministre est-il crucial pour désamorcer ces complications ?
Jean-François Kahn : Faire un gouvernement, c’est facile. Ce qui est compliqué, c’est de faire en sorte qu’il ait la confiance du peuple. Si
François Hollande dirige avec les socialistes, les écologistes et les
radicaux de gauche, il ne représentera que 32% de l’électorat français.
Le
Premier ministre doit être socialiste, vu qu’ils ont remporté le
scrutin. Un choix en faveur de François Bayrou, par exemple, serait
scandaleux et antidémocratique. Jean-Marc Ayrault est un bon choix :
d’ailleurs, il parle allemand !
Il faut s’élargir, mais pas comme l’a fait Nicolas Sarkozy en débauchant trois ou quatre personnes dans le camp adverse. Si
la gauche a gagné, ou plutôt si Sarkozy a perdu, c’est parce que des
centristes, des libéraux de progrès, des chiraquiens, des frontistes ou
encore des gaullistes ont rallié l’électorat socialiste. C’est avec ces
gens-là qu’il va falloir gouverner. Y compris des gens qui ont pu travailler avec Nicolas Sarkozy d’ailleurs.
Maurice Ulrich :
Jean-Marc Ayrault est président du groupe socialiste à l’Assemblée
nationale, et de fait sait fédérer au-delà des courants socialistes. Il
n’est peut-être pas une personnalité politique aussi connue et
médiatique que Martine Aubry, mais reste de grande qualité au sein du
Parti socialiste.
Le choix d’Ayrault lui permettrait de
disposer de quelqu’un de compétent, sur lequel compter. Evidemment, ni
Manuel Valls ni Arnaud Montebourg ne pourraient être Premier ministre,
alors qu’ils étaient rivaux aux primaires sur le terrain des idées.
Reste Martine Aubry, qui bien qu’étant aussi sa rivale, dispose de
toutes les qualités requises pour occuper ce poste, en sachant qu’elle
est arrivée en seconde position des primaires.
Quoi qu’il en
soit, le Premier ministre est le garant de la mise œuvre d’une politique
voulue par le Président. Dans ce cadre, les relations seraient
certainement plus simple pour François Hollande de choisir Jean-Marc
Ayrault que Martine Aubry.
Guillaume Roquette :
Encore une fois, Martine Aubry n’a plus un rôle central dans le
dispositif. Ca parait relativement logique de choisir Jean-Marc Ayrault
comme Premier ministre, alors même que d’un point de vue purement
institutionnel, s'il devient premier ministre, on sera quand même dans
une situation incroyable où ni le président, ni le Premier ministre
n’auront la moindre expérience ministérielle. D’un point de vue de
l’efficacité, de la connaissance du pouvoir, Jean-Marc Ayrault n’est pas
le meilleur choix. S’il choisi Ayrault, ça sera pour une raison
politique : avoir quelqu’un en dehors des courants.
Audrey Pulvar : Je ne suis pas dans l’esprit de François Hollande mais j’ai cru comprendre qu’il désignait très clairement Jean-Marc Ayrault.
Évidemment, il n’a pas dit son nom mais dans l’une des dernières
émissions qu’il a faites avec David Pujadas, où il était interviewé, on
lui a demandé à un moment quel serait le Premier ministre idéal. Est-ce
que par exemple cela pourrait être Martine Aubry, l'a-t-on questionné.
François Hollande esquive avec un demi sourire puis répond qu’il faut
quelqu'un qui s’entende bien avec le président (la victoire apaise
beaucoup de plaies mais on sait bien que Martine Aubry et François
Hollande ne sont pas forcément les meilleurs amis du monde) et il ajoute
qu'il faut quelqu'un qui ait l’expérience des rapports avec les
députés, qui ait de bonnes relation avec les députés. Moi je pense
immédiatement à Jean-Marc Ayrault : entre les deux, celui qui correspond
le mieux à ce portrait, c’est Jean-Marc Ayrault. D’autant plus
que pour les législatives du mois prochain, il a besoin d’un Premier
ministre qui fédère la majorité, les députés socialistes actuels. Mais après, rien n’est impossible, on parle de Manuel Valls, tout peut arriver.
François
Hollande doit-il faire en sorte de faire exploser le Parti socialiste
afin de réduire son emprise potentielle sur la direction de la France ?
Guillaume Roquette : Je
le sens trop affaibli pour qu’il y ait cette nécessité. Le rapport de
force est trop en faveur de François Hollande pour que ça se passe comme
ça. Imaginez Martine Aubry, qui a eu des propos assez durs sur
Hollande, qui a été battue à la primaire et qui voit aujourd’hui son
concurrent élu… ça vous calme !
Maurice Ulrich :
Ce n’est plus son problème. Il n’a pas intérêt à ce que les courants
s’affrontent ou disparaissent. Ce qui est fort probable, c’est qu’il
soit amené à faire taire certaines divergences ou différences à partir
du moment où elles rentreraient en contradiction avec la politique
gouvernementale.
Pour le Parti socialiste, les moments de synthèse se résument aux moments d’élections ou de conquête du pouvoir. Le
Parti socialiste a donc un art consommé de la différence voire de
l’affrontement entre courants, qui va de paire avec un art consommé de
la synthèse au moment où il le faut. En d’autres termes, ils sont toujours capables de se réconcilier quand ils en ont besoin.
Jean-François Kahn :
Il l’a déjà fait : il a été élu contre Martine Aubry, la patronne du
parti. Il s’est présenté contre Dominique Strauss-Kahn, celui que
l’appareil du parti avait choisi. Depuis, il a dit des choses, sur l’immigration par exemple, que jamais la gauche n’avait évoqué. Le tout sans que personne ne proteste.
La question en réalité, c’est de savoir jusqu’où il pourra aller dans son démarquage vis-à-vis de la gauche.
Audrey Pulvar :
J’ai la sensation que le parti socialiste n’est plus un problème pour
François Hollande. D’ailleurs, il l’a dit clairement dans la campagne. Il
estime que le PS, c’est l’affaire de Martine Aubry. Je ne pense pas, ou
en tout cas ce ne sera pas fait aussi ostensiblement, que François
Hollande se mêlera de la vie du parti, de qui dirige le parti et
comment. Il laisse le PS à ses propres problèmes, il laisse la
première secrétaire - qui peut-être changera si elle rentre au
gouvernement- gérer les problèmes du parti et il fait son gouvernement,
il fait sa politique. Et justement, avoir un Premier ministre
comme Jean-Marc Ayrault, qui a de bons rapports avec les députés, cela
permet de contourner le parti. J’ai tendance à dire que Jean-Marc
Ayrault, c’est le Fillon de gauche. Je ne connais pas
personnellement Jean-Marc Ayrault mais j'ai le sentiment que, comme
François Fillon, c'est quelqu'un qui est un bon petit soldat, qui va
s’occuper des dossiers et sera fidèle au président. Et puis j’ ai la
sensation que les choses sont plus fluides entre lui et François
Hollande qu’entre François Hollande et Martine Aubry.